Quand, le 5 octobre 1993, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte sa résolution 872, autorisant l’établissement de la MINUAR, le Rwanda se trouve depuis plusieurs années à son agenda et à celui du Secrétaire général.

L’implication de l’ONU s’est concrétisée essentiellement par l’envoi de l’UNOMOG, groupe d’observateurs militaires neutres, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu de N’sele, modifié lui-même deux fois (16 septembre 1991 à Gbadolite et le 14 juillet 1992 à Arusha). L’accord d’Arusha du 14 juillet 1992 créait une zone de sécurité entre la partie du territoire occupée par le FPR et le reste du Rwanda. C’est suite à cet accord que fut déployé l’UNOMOG (17a).

Par la suite, et en fonction de demandes formulées tant par le gouvernement de la République d’Ouganda que de celui de la République du Rwanda (22 février 1993) (18a), le Conseil de sécurité (résolution 846/1993 du 22 juin 1993) décida de la création de l’UNOMUR sur la frontière rwando-ougandaise.

Les accords d’Arusha dont les négociations furent entamées officiellement le 10 août 1992 pour se conclure, après divers rounds, le 4 août 1993, accorderont une place importante à la force internationale de maintien de la paix MINUAR. Une requête commune en ce sens est adressée dès le 14 juin 1993 au Président du Conseil de sécurité par le gouvernement rwandais et le FPR (19a).

Il importe de rappeler que durant cette période où se décidait la création de l’UNOMOG et, ensuite, de l’UNOMUR, de très graves troubles et massacres se déroulaient par intermittence au Rwanda (20a).

Le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, après une visite qui eut lieu du 8 au 17 avril 1993, déposa son rapport le 11 août 1993. Ce rapport contient des allégations extrêmement graves en matière de violations des droits de l’homme imputables aux forces gouvernementales et conclut notamment que certains massacres relèvent de la Convention sur le crime de génocide. Il formule douze recommandations générales en vue de prévenir la poursuite des massacres de populations civiles.

Il est à noter que l’on ne trouve aucune trace de ce rapport et à fortiori de ces recommandations dans les écrits officiels du Secrétaire général des Nations unies à cette époque.

Création de la MONUOR (21a)

Suite à l’incursion, le 8 février 1993, du FPR dans la zone tampon, les gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda ont écrit séparément au Président du Conseil de Sécurité le 22 février pour demander que les Nations Unies installent une mission d’observation à déployer sur les 150 kilomètres de frontière commune (22a). Le gouvernement ougandais a expliqué que cette demande visait à prévenir toute propagation du conflit armé du Rwanda au territoire de l’Ouganda et à anticiper toute accusation d’ingérence ougandaise dans les affaires intérieures du Rwanda. Les forces internationales, comme l’a brièvement exposé l’Ouganda, devaient patrouiller, observer et veiller à ce qu’aucune assistance militaire ne soit prêtée au FPR depuis le territoire ougandais.

Par cette initiative, l’Ouganda a tenté de s’insinuer dans les bonnes grâces de la communauté internationale. Cependant, nous savons aujourd’hui qu’en pratique, son comportement ne correspondait pas à l’image qu’il souhaitait donner. Ainsi, l’Ouganda a-t-il continué, après la conclusion des accords d’Arusha, à soutenir en permanence l’armée des rebelles en lui fournissant des effectifs et des armes. C’est en tout cas ce que montrent une série de télex :

C’est ainsi que notre ambassadeur signale, dans le télex 994 du 4 octobre 1993, que la Première ministre Uwilingiyimana lui a fait remarquer " dat het FPR aarzelt om zijn demobiliseerbare eenheden op te geven en dat in sommige kringen vermoed wordt dat het FPR zelfs niet beschikt over voldoende eenheden om 40 % van het toekomstige nationale leger uit te maken. " Notre ambassadeur ajoute le commentaire suivant : " waardoor de veronderstelling zou bewaarheid worden dat talrijke elementen van het Ugandese leger aan de zijde van het FPR vochten. "

En tout cas, il a été difficile de contrôler. Précisément, nous avons souligné que la MINUAR avait l’intention, en mars 1994, d’acquérir des hélicoptères munis de détecteurs de nuit. Nous pouvons en déduire que pendant la période qui a précédé le mois de mars, le contrôle laissait pour le moins à désirer. L’Ouganda ne le facilitait en tout cas pas. Dans le télex 1142 du 16 novembre 1993, notre ambassadeur signale : " Le général Dallaire n’a pu rendre visite à la MONUOR comme il en avait l’intention suite au refus des autorités ougandaises de lui permettre l’accès au territoire ougandais. "

Dans le télex 64 du 23 janvier 1994, l’ambassadeur ajoute : " UNAMIR meldt ons dat MONUOR belemmerd wordt in zijn waarnemingsaktiviteiten op Oegandees grondgebied. Terzelfdertijd worden FPR-vrachtwagens gemeld die Rwanda ’s nachts vanuit Oeganda ravitailleren (levensmiddelen, wapens ?). "

M. Boutros Boutros-Ghali esquisse la création de la MONUOR comme suit : " Le Conseil de sécurité s’est réuni en consultations informelles le 24 février 1993 pour examiner ces requêtes. Suite à ces consultations, j’ai envoyé une mission de bon vouloir au Rwanda et en Ouganda pour organiser des rencontres susceptibles de m’aider dans la rédaction de recommandations sur l’opération d’observation. La mission a visité la région du 4 au 19 mars 1993, ne se rendant pas seulement au Rwanda et en Ouganda mais aussi à Dar es-Salaam pour les consultations avec le Secrétaire général de l’OUA, Salim Salim, le coordinateur des négociations d’Arusha.

Durant son séjour au Rwanda, la mission surveillait l’accord de cessez-le-feu de juillet 1992. Le NMOG se composait d’observateurs du Mali, du Nigeria, du Sénégal et du Zimbabwe, de représentants de l’armée gouvernementale rwandaise et du FPR.

Le 7 mars 1993, alors que la mission de bon vouloir se trouvait au Rwanda, le gouvernement rwandais et le FPR ont fait un communiqué à Dar-es-Salaam réinstituant le cessez-le-feu et annonçant la reprise des pourparlers de paix d’Arusha. Dans sa résolution 812 (1993) du 12 mars, le Conseil de sécurité s’est réjoui de ce développement et a appelé les deux camps à respecter le cessez-le-feu et à permettre la distribution de colis humanitaires. Le Conseil m’a également invité à examiner, en consultation avec l’OUA, la contribution que les Nations Unies pourraient apporter au renforcement du processus de paix au Rwanda, y compris l’établissement possible de forces d’observation internationales " chargées (...) d’apporter une assistance humanitaire, de protéger la population civile et de soutenir les forces de l’Organisation de l’Unité africaine dans le contrôle du cessez-le-feu ".

Les pourparlers de paix d’Arusha ont repris le 16 mars 1993, un représentant des Nations Unies participant aux négociations en tant qu’observateur. Les consultations entre les Nations Unies et l’OUA, telles que demandées par le Conseil de sécurité, ont été entreprises dès que la mission de bon vouloir a rencontré le Secrétaire général de l’OUA durant sa visite à Addis-Abeba du 17 au 19 mars. Le Secrétaire général de l’OUA, Salim Salim, a demandé l’assistance des Nations Unies dans la poursuite des efforts déjà déployés pour étendre la supervision du nouvel accord de cessez-le-feu. Suite à un échange de lettres entre M. Salim Salim et moi-même, j’ai déployé deux représentants à Addis-Abeba chargés d’apporter une assistance technique à l’OUA pour soutenir ses efforts de paix.

Conformément à la résolution 812 (1993) du Conseil de sécurité, une mission technique des Nations Unies s’est rendue, sur mes instructions, au Rwanda et en Ouganda du 2 au 6 avril 1993 pour évaluer les possibilités du déploiement d’une mission de contrôle des Nations Unies le long de leur frontière commune. Lors de leurs réunions avec la mission technique, les gouvernements rwandais et ougandais ont réitéré leur soutien au déploiement d’observateurs militaires à la frontière. Le FPR, qui contrôlait à peu près quatre cinquièmes de la zone frontalière, a toutefois fait savoir à la mission technique qu’il s’opposait au déploiement d’observateurs du côté rwandais de la frontière, mais qu’il ne voyait aucune objection à un déploiement sur le territoire ougandais. Dans une lettre du 18 mai 1993 au Président du Conseil de sécurité, le gouvernement ougandais a dit qu’il était prêt à accepter l’installation d’une équipe de contrôle du côté ougandais de la frontière sans insister sur un déploiement simultané du côté rwandais. Après sa visite dans la région, la mission technique a conclu à la faisabilité d’une telle opération.

En conséquence, j’ai recommandé dans un rapport au Conseil de sécurité du 20 mai 1993 (23a) que le Conseil établisse une mission de 81 observateurs militaires pour surveiller la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda. Ce genre d’opération avait pour but de soutenir les pourparlers de paix en cours à Arusha et d’encourager les deux camps à poursuivre leurs efforts de réconciliation nationale. Le 22 juin, le Conseil a adopté la résolution 846 (1993) instituant la Mission d’observation des Nations Unies Ouganda-Rwanda (MONUOR (24a)), à déployer du côté ougandais de la frontière commune. Le Conseil a décidé que la MONUOR surveillerait la frontière pour veiller à ce qu’aucune assistance militaire n’atteigne le Rwanda, en se concentrant surtout sur le transit ou le transport, par route ou chemin de fer, de toute arme meurtrière et de munitions à travers la frontière. Une équipe de reconnaissance de la MONUOR, conduite par l’observateur militaire en chef de la mission, est arrivée en Ouganda le 18 août ; le reste des observateurs du Bangladesh, du Botswana, du Brésil, de Hongrie, des Pays-Bas, du Sénégal, de Slovaquie et du Zimbabwe fut déployé et devint opérationnel fin septembre. "

Les accords d’Arusha

Le contenu des accords d’Arusha a été traité. Cependant, il est pertinent de rappeler le rôle que ces accords réservaient à l’ONU.

Les accords d’Arusha demandaient aux Nations Unies de jouer un rôle de soutien majeur pendant une période de transition de 22 mois (protocole sur différentes questions et dispositions finales, article 22), commençant par l’installation d’un gouvernement transitoire à large base et se terminant par l’organisation d’élections nationales (protocoles sur le partage du pouvoir).

Les accords veillaient à l’intégration du NMOG (Neutral Military Observer Group) dans la nouvelle force de contrôle internationale (Protocole sur l’intégration des forces armées des deux parties, article 53). La force NMOG originale de 55 observateurs a été remplacée début août 1993 par NMOG II et comptait 132 observateurs au moment où les accords d’Arusha ont été conclus (25a).

Établissement de la MINUAR

Suite aux accords d’Arusha, les organes de l’ONU ont entamé le processus d’élaboration du mandat de la MINUAR, qui allait être concrétisé dans la résolution 872.

M. Boutros Boutros Ghali en fait la synthèse suivante : " Le 24 septembre 1993, j’ai présenté au Conseil de sécurité un plan opérationnel relatif à la proposition d’installation de forces de maintien de la paix des Nations Unies au Rwanda. Le plan comportait un programme de déploiement en quatre phases et nécessitait pour les forces de maintien de la paix un effectif de 2 548 militaires, 18 civils et 3 représentants de la police civile. La phase un avait trait aux préparatifs d’établissement d’une zone de sécurité à Kigali et à l’installation du contrôle du cessez-le-feu entre les deux camps. Elle devait durer 90 jours et se terminerait par l’établissement du gouvernement de transition élargi à Kigali, prévu selon mes estimations pour la fin de 1993. À l’achèvement de la phase un, l’effectif des forces serait de 1 428, y compris 211 observateurs militaires. Les observateurs militaires travaillant avec la MONUOR seraient intégrés sous le commandement des nouvelles forces des Nations Unies à des fins administratives, mais le mandat MONUOR initial de contrôle de la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda serait distinctement maintenu.

La phase deux de l’opération devait débuter le jour suivant l’installation du gouvernement de transition, pour se terminer approximativement 90 jours plus tard à l’achèvement des préparatifs de désengagement, de démobilisation et d’intégration des forces armées et de la gendarmerie. La surveillance de la zone démilitarisée existant le long de la frontière Rwanda-Ouganda allait se poursuivre, et l’opération comprendrait aussi la délimitation d’une nouvelle zone démilitarisée (ZDM) qui devait être étendue afin d’inclure des sites de rassemblement et des points de cantonnement pour l’exercice de démobilisation, ainsi que des centres de formation pour l’intégration des forces des deux camps. La mission aiderait aussi à assurer la sécurité dans et autour de Kigali en établissant une zone " sans armes " dans un rayon d’approximativement 10 kilomètres du centre de la capitale, zone dans laquelle les unités militaires des deux camps devaient déposer leurs armes et leurs munitions. La MONUOR et le NMOG II allaient être pleinement intégrés dans la mission durant la phase deux, et un deuxième bataillon d’infanterie devait rejoindre celui déjà en poste au Rwanda, portant ainsi les forces à un plein effectif de 2 217 soldats et de 331 observateurs militaires.

Durant la phase trois, qui allait durer à peu près neuf mois, le deuxième bataillon d’infanterie établirait et surveillerait la ZDM étendue, et aiderait au contrôle de la frontière Ouganda-Rwanda. Les forces devaient alors établir approximativement 26 points de rassemblement/cantonnement et centres de formation, dans le cadre du processus de désengagement et de démobilisation. Elles devaient aussi aider à maintenir la sécurité dans tout le pays et dans la capitale. Dès la fin de cette phase, on commencerait à réduire l’effectif de la mission, pour arriver approximativement à 1 240. Cette réduction devait faire en sorte que l’opération soit rentable (un bon rapport coût-efficacité), tout en maintenant une force crédible pour assurer la sécurité.

Durant la quatrième et dernière phase du plan de déploiement, le processus de désengagement, de démobilisation et d’intégration serait achevé. Cette phase durerait 10 mois et se terminerait par des élections. On continuerait à réduire l’effectif des forces, pour arriver à approximativement 930 membres de personnel militaire, dont 850 officiers d’état-major et soldats et 80 observateurs militaires.

La coordination d’activités humanitaires devait faire partie intégrante de l’opération. Après la signature de l’Accord d’Arusha, quelque 600 000 des 900 000 personnes déplacées au Rwanda sont rentrées chez elles. Leur retour atténua considérablement l’état d’urgence, mais l’assistance d’urgence resta nécessaire pour les 300 000 personnes restées dans les camps. Le coordinateur résident des Nations Unies au Rwanda, qui avait précédemment coordonné le travail d’organismes des Nations Unies avec celui de la communauté donatrice et d’organisations non gouvernementales (ONG), devait poursuivre son travail pendant la période de transition. Une fois le gouvernement de transition établi, les activités de soutien au rapatriement des réfugiés allaient commencer sous la coordination du HCR. Des travaux de déminage allaient également être entrepris, et une petite unité de police civile des Nations Unies devait être déployée pour vérifier que l’ordre public était effectivement et impartialement maintenu. Les fonctions de la police civile des Nations Unies devaient aussi inclure le contrôle des activités de la gendarmerie et de la police communale, le suivi de la réduction des forces de gendarmerie de 6 000 à 1 800 durant la phase de démobilisation et le suivi de la reconstruction des nouvelles forces (6 000) à mettre en place après des élections. Le contingent de la police civile (60 policiers) devait être dirigé par un commissaire de police et être déployé à Kigali et dans les principales préfectures.

En proposant ces éléments et d’autres du plan au Conseil de sécurité, j’ai insisté sur le fait que deux conditions essentielles devaient être remplies pour que les Nations Unies jouent leur rôle au Rwanda avec succès et efficacité. Premièrement, les deux camps devaient coopérer pleinement l’un avec l’autre et avec les Nations Unies, conformément à leurs engagements pris en vertu de l’Accord d’Arusha. Deuxièmement, les Nations Unies devaient pouvoir disposer en temps opportun des ressources humaines et financières nécessaires.

Le 5 octobre 1993, le Conseil de sécurité a autorisé, par un vote unanime de la résolution 872 (1993), l’établissement de la Mission d’assistance des Nations unies au Rwanda (MINUAR) et a accepté, comme je l’ai esquissé à grands traits dans mon rapport, le déploiement progressif de la mission. Le Conseil m’a demandé d’essayer de réaliser des économies lors de la planification et de la mise en oeuvre du déploiement progressif de la MINUAR. À cet égard, le Conseil m’a invité à examiner les façons de réduire l’effectif maximal total de la MINUAR, notamment par un déploiement progressif, sans qu’il y ait d’incidence sur la capacité de la mission à effectuer son mandat.

Le Conseil a donné à la MINUAR un mandat de six mois, mais a prévu qu’il réévaluerait la situation après les nonante premiers jours de la mission pour vérifier si des progrès substantiels avaient été faits ou non en vue de l’exécution des Accords de paix d’Arusha. " (26a)

Le secrétaire général ne signale pas que sa proposition constituait déjà un compromis.

Cela vaut également pour le nombre d’hommes : " One military expert in the Secretariat estimated that ideally, a mission of this kind should have 8 000. Dallaire proposed 4 500 as his maximum option. In the end, the Secretariat recommended a force only half that size, anticipating that this was the maximum that the Security Council would approve. Having exercised an anticipatory veto, the Security Council on 5 october authorized a force level of 2 548 military personnel without discussion.

The decisive restraint on the overal size of the mission was financing. Being assessed 31 % of the costs of UN peacekeeping, the United States insisted on a minimal force. The Clinton administration had just started an executive review of its UN policy, and was sensitive to Congressional concern over the mounting American share of peacekeeping costs, which had increased a stunning 370 % from 1992 to 1993. Emphasizing the bright aspects of the Rwandese situation, the costconscious US delegation in New York suggested in September that a token mission of some 500 men would suffice. The French mission in New York recommended a small force of around 1 000 men, noting that the French contingent in Kigali was merely 6-700 men. The end result of 2 548 was more than a token force, and at that time considered quite acceptable by the Force Commander. UNAMIR was estimated to cost about US $ 10 million a month, a very modest amount compared to other UN-peacekeeping operations. (e.g. UNTAC Cambodja : US $ 60-70 000 million a month) (27a).

On a ainsi réduit progressivement et systématiquement l’effectif : de 8 000 hommes dans le cadre de l’option idéale, celui-ci est passé à 4 500 hommes dans l’option nécessaire pour atteindre 2 548 hommes dans la proposition réalisable.

Quant au rôle de la MINUAR tel qu’il est défini par la résolution 872, il est lui aussi plus limité que ce qui était prévu dans les accords d’Arusha, et particulièrement dans le protocole relatif à l’installation de la force internationale neutre.

AA : " Assist in catering for the security of civilians " in the Report becomes : " to monitor the civilian situation through the verification and control of the Gendarmerie and the Communal police. " This is subsequently specified as monitoring with unarmed UN Police Observers, and in UNSC : " to investigate and report on incidents regarding the activities of the gendarmerie and the police ". Here the mandate becomes more delimited and specific and to that extent weaker.

The accords have two strong provisions for confiscating illegal arms : " Assist in the tracking of arms caches and neutralization of armed gangs throughout the country " and " assist in the recovery of all weapons distributed to or illegaly acquired by the civilians ". The Reports lists such activities as means of achieving the principal goals identified for NIF, notably : " Assist in tracking arms and neutralizing armed groups with armed UN Military Forces " and " Assist in recovering arms in the hands of civilians with armed UN Military Forces and unarmed UN Police Observers. " Significantly UNSC has no provisions at all for confiscating illegal arms. (28a)

Alors qu’il est question, dans le protocole d’accord, de " contribuer à la recherche des caches d’armes et à la neutralisation des bandes armées " et de " contribuer à assurer la sécurité de la population civile ", la résolution de l’ONU définit de façon nettement plus limitée et moins précise le rôle de la MINUAR comme consistant à " contribuer à la sécurité à l’intérieur de la zone désarmée de la ville de Kigali " et à " exercer un contrôle sur la sécurité générale ". Cette définition sera plus tard déterminante en ce qui concerne les possibilités dont disposera la MINUAR sur le terrain.

" It is important to recall that this mandate grew out of but differed from what was envisaged in the Arusha Accords. In the central clauses defining UNAMIR’s role in providing security, in protecting civilians, and in confiscating illegal arms, the Arusha Accords were significantly broader than the terms of the final UN mandate (29a).

Three documents deal with the mandate for UNAMIR... These are the Arusha Accords (thereafter AA), the report of the UN Reconnaissance Mission, headed by the future Force Commander, and which visited the region from 19 august until 3 september 1993 (thereafter " Report "), and the Security Council resolution 872 of 5 october 1993 (thereafter UNSC). A comparison of the three shows significant differences on key issues :

AA : " guarantee overall security of the country ", in the report becomes " establish security zone in and around the capital city area of Kigali " and in UNSC : " contribute to the security of the city of Kigali inter alia within a weapon-secure area established by the parties in and around the city " i.e. a progressively weaker mandate. "

Si le mandat ne fait pas allusion au désarmement des civils, ce n’est ni un accident ni une omission, mais le fruit d’une volonté expresse. En effet, les États-Unis ont, pour cette raison, supprimé du mandat, par la voie d’amendement, la référence au rapport du secrétaire général du 24 septembre, parce qu’il y est bien question du désarmement des civils. En témoigne le texte des amendements des États-Unis à la proposition de résolution d’un groupe de travail du Conseil de sécurité : " replace " in paragraphs 21 to 26 and 39 to 43 of the report of the SG, which include in particular to " with the word " below " (the initial mandate was too broad, and included elements which we believe are inappropriate, such as disarming civilians. For that reason, we do not want to include a reference to paragraphs... in the resolution.) " (30a)

Ce n’est pas la seule modification que les États-Unis ont apportée au projet de texte. Ainsi le texte définitif de la règle du mandat " Contribute to the security of the city of Kigali... " est-il le résultat d’un amendement américain, alors que le texte original était le suivant : " Assist in ensuring the security of the city of Kigali... " ; les États-Unis ont également limité la possibilité d’assurer la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées revenant au pays. Le texte du groupe de travail était le suivant : " To assist in providing security for the repatriation of Rwandese refugees and displaced persons ". Après un amendement américain, ce texte est devenu : " To monitor the process of repatriation... " (31a)

La délégation diplomatique belge auprès des Nations unies était, elle, consciente de cet affaiblissement : " Il est évident que le mandat de la MINUAR n’allait pas aussi loin que les accords d’Arusha. " (32a)

Le Premier ministre Dehaene a lui aussi déclaré : " Je savais qu’il y avait de fortes réticences au sein du Conseil de sécurité à l’égard du mandat et qu’il fut notablement réduit. " (33a)

À la question de savoir s’il savait que le mandat de la MINUAR était systématiquement vidé de son contenu en ce qui concerne les missions prévues qui ont été confiées à la force d’intervention neutre, le ministre Claes a toutefois répondu ce qui suit : " On ne m’a jamais informé que les accords d’Arusha étaient systématiquement vidés de leur contenu. " et " On ne m’a de toute façon pas demandé d’obtenir une amélioration du mandat, car personne n’en ressentait le besoin. Nous ne sommes donc pas intervenus, mais si nous l’avions fait, nous aurions, sans aucun doute, essuyé un refus catégorique des membres permanents. " (34a)

M. Brouhns confirme que la délégation belge n’a pas été chargée de tenter de renforcer le mandat de la MINUAR pour que celui-ci corresponde à la définition qui figurait dans les accords d’Arusha ; il ajoute : " Tout d’abord, la marge de manoeuvre des pays qui participent aux opérations est faible. C’est en effet le Conseil de sécurité qui détermine le mandat, de concert avec le secrétaire général. Il est vrai que la Belgique était en contact permanent avec le secrétariat pour savoir à quoi ressemblerait le mandat. C’était, à l’époque, le meilleur mandat possible. " (35a)

La Belgique n’a donc pas fait usage de sa position-clé en tant que fournisseur de troupes potentiel le plus important, pour prendre des initiatives diplomatiques permettant de modifier la résolution des Nations unies. M. Brouhns déclare à ce sujet : " Nous n’avons pas reçu d’instructions dans ce sens. En outre, les pays fournisseurs de troupes ne disposaient d’aucune influence sur le processus de décision. (...) Il n’y a pas eu de refus de la Belgique d’agir sans un mandat plus fort. Cela n’aurait d’ailleurs pas changé la décision, mais l’aurait simplement retardée. " (36a)

De plus, il est étrange que, lors du processus décisionnel, le Conseil de sécurité n’a, à aucun moment, tenu compte des importantes violations des droits de l’homme, dont faisaient état divers rapports, notamment celui du Human Rights Watch (février 1992), celui du FIDH (mars 1993) et celui du rapporteur spécial de la Commission des Nations unies pour les droits de l’homme (avril 1993, publié le 11 août 1993).

C’est surtout ce dernier rapport qui est important, d’une part, parce qu’il a été rédigé par une organisation des Nations unies et, d’autre part, parce qu’il mentionne déjà un éventuel génocide et la nécessité de démanteler les caches d’armes.

Dans la résolution visant à créer la MINUAR, il n’est pas fait référence aux constatations qui ont été faites dans ce domaine, et l’on n’en tire pas davantage les conclusions qui s’imposent en ce qui concerne le mandat.

M. Ndiayé, rapporteur spécial, est très aigri lorsqu’il parle du manque d’intérêt qu’a suscité son rapport : " Mon rapport me fait penser à une bouteille qu’on jette à la mer. Il n’existe, en effet, aucun système qui permette de donner réellement suite à un rapport. On a certes pu le lire, mais j’ai l’impression qu’on n’en a pas tenu compte. " (37a)

D’habitude, le Conseil de sécurité ne semble d’ailleurs pas tenir compte des rapports de la commission des Nations unies pour les droits de l’homme, parce que le sujet des droits de l’homme est un sujet extrêmement sensible d’un point de vue politique :

" La politisation extrême de la question des droits de l’homme empêche la création d’une structure effective, car certains pays s’y opposent. Il faut donc faire appel aux bons offices du secrétaire général lorsqu’on veut aborder la question avec le Conseil de sécurité. " (38a)

(...)

" Je n’ai jamais été consulté lors de l’élaboration du mandat de la Minuar. C’est seulement à l’épreuve de la réalité que l’on peut juger de l’efficacité d’une mission ou d’un mandat. Je ne peux pas dire que mon rapport ait vraiment joué un rôle. "

" Il m’a semblé que la Minuar n’avait pas la capacité pour ouvrir le feu et pour protéger la population. Ses moyens n’étaient pas suffisants pour couvrir le pays... " (39a)

Décision de création de la MINUAR La résolution 872

" Le Conseil de sécurité,

Réaffirmant ses résolutions 812 (1993) du 12 mars 1993 et 846 (1993) du 22 juin 1993,

Réaffirmant également sa résolution 868 (1993) du 29 septembre 1993 relative à la sécurité des opérations des Nations unies,

Ayant examiné le rapport du Secrétaire général en date du 24 septembre 1993 (S/26488 et Add. 1),

Se félicitant de la signature de l’Accord de paix d’Arusha (y compris ses Protocoles) le 4 août 1993, et exhortant les parties à continuer de le respecter pleinement,

Notant la conclusion du Secrétaire général selon laquelle, pour permettre aux Nations unies de jouer leur rôle, les parties doivent coopérer pleinement l’une avec l’autre et avec l’Organisation en remplissant les engagements qu’elles ont pris dans l’accord d’Arusha,

Soulignant l’urgence qui s’attache au déploiement d’une force internationale neutre au Rwanda, telle que soulignée par le Gouvernement de la République rwandaise et par le Front patriotique rwandais, et réaffirmée par leur délégation conjointe dépêchée auprès des Nations unies,

Rendant hommage au rôle joué par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et par le Gouvernement de la République unie de Tanzanie dans la conclusion de l’Accord de paix d’Arusha,

Déterminé à ce que les Nations unies apportent, à la demande des parties, dans un esprit pacifique et avec l’entière coopération de toutes les parties, leur pleine contribution à la mise en oeuvre de l’Accord de paix d’Arusha,

1. Accueille favorablement le rapport du Secrétaire général (S/26488) ;

2. Décide de créer une opération de maintien de la paix intitulée la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) pour une période de six mois, étant entendu que celle-ci ne sera prolongée au-delà de la période initiale de quatre-vingt-dix jours qu’une fois que le Conseil de sécurité aura examiné un rapport du Secrétaire général indiquant si des progrès appréciables ont été réalisés ou non dans la mise en oeuvre de l’Accord de paix d’Arusha ;

3. Décide que, à partir des recommandations du Secrétaire général, la MINUAR aura le mandat suivant :

a) Contribuer à assurer la sécurité de la ville de Kigali, notamment à l’intérieur de la zone libre d’armes établie par les parties s’étendant dans la ville et dans ses alentours ;

b) Superviser l’accord de cessez-le-feu, qui appelle à la mise en place de points de cantonnement et de rassemblement et à la délimitation d’une nouvelle zone démilitarisée de sécurité ainsi qu’à la définition d’autres procédures de démobilisation ;

c) Superviser les conditions de la sécurité générale dans le pays pendant la période terminale du mandat du gouvernement de transition, jusqu’aux élections ;

d) Contribuer au déminage, essentiellement au moyen de programmes de formation ;

e) Examiner, à la demande des parties ou de sa propre initiative, les cas de non-application du protocole d’accord sur l’intégration des forces armées, en déterminer les responsables et faire rapport sur cette question, en tant que de besoin, au Secrétaire général ;

f) Contrôler le processus de rapatriement des réfugiés rwandais et de l’installation des personnes déplacées, en vue de s’assurer que ces opérations sont exécutées dans l’ordre et la sécurité ;

g) Aider à la coordination des activités d’assistance humanitaire liées aux opérations de secours ;

h) Enquêter et faire rapport sur les incidents relatifs aux activités de la gendarmerie et de la police ;

4. Approuve la proposition du Secrétaire général d’intégrer la Mission d’observation des Nations unies Ouganda-Rwanda (MONUOR), telle qu’établie par la résolution 846 (1993) au sein de la MINUAR ;

5. Se félicite des efforts et de la coopération de l’OUA pour aider à mettre en oeuvre l’Accord de paix d’Arusha, et notamment de l’intégration du groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN II) dans la MINUAR ;

6. Approuve de plus la proposition du Secrétaire général d’effectuer de façon échelonnée le déploiement et le retrait de la MINUAR et note, dans ce contexte, que le mandat de la MINUAR, s’il est prolongé, devrait s’achever à la suite des élections nationales et de la mise en place d’un nouveau gouvernement au Rwanda, événements programmés pour octobre 1995, en tout état de cause au plus tard pour décembre 1995 ;

7. Autorise dans ce contexte le Secrétaire général à déployer, dans les délais les plus brefs, pour une période initiale de six mois, un premier contingent à Kigali au niveau d’effectifs spécifié dans le rapport du Secrétaire général, dont la mise en place complète permettra l’installation des institutions de transition et l’exécution des autres dispositions pertinentes de l’Accord de paix d’Arusha ;

8. Invite le Secrétaire général, dans le cadre du rapport auquel il fait référence dans le paragraphe 2 ci-dessus, à faire également rapport sur les progrès de la MINUAR à la suite de son déploiement initial, et se déclare déterminé à examiner en tant que de besoin, sur la base de ce rapport et dans le cadre de l’examen auquel il est fait référence dans le paragraphe 2 ci-dessus, la nécessité de procéder à des déploiements additionnels dont le volume et la composition seront conformes aux recommandations du Secrétaire général dans son rapport (S/26488) ;

9. Invite le Secrétaire général à étudier les moyens de réduire l’effectif maximum total de la MINUAR, sans que ceci affecte la capacité de la MINUAR à exécuter son mandat, et demande au Secrétaire général, lorsqu’il préparera et réalisera le déploiement échelonné de l’opération, de chercher à faire des économies et de faire rapport régulièrement sur les résultats obtenus dans ce domaine ;

10. Accueille favorablement l’intention du Secrétaire général de nommer un Représentant spécial qui prendrait la tête de la MINUAR sur le terrain et exercerait son autorité sur tous ses éléments ;

11. Prie instamment les parties de mettre en oeuvre de bonne foi l’Accord de paix d’Arusha ;

12. Demande au Secrétaire général de conclure avec diligence un accord sur le statut de la MINUAR et de tout le personnel qui y participe au Rwanda pour que celui-ci entre en vigueur aussi tôt que possible après le début de l’opération, au plus trente jours après l’adoption de cette résolution ;

13. Exige que les parties prennent toutes mesures voulues pour garantir la sécurité de l’opération et du personnel qui y participe ;

14. Lance un appel pressant aux États membres, aux institutions spécialisées des Nations unies ainsi qu’aux organisations non gouvernementales, pour qu’ils fournissent et intensifient leur assistance économique, financière et humanitaire en faveur du peuple rwandais et du processus de démocratisation au Rwanda ;

15. Décide de rester activement saisi de la question. (40a) "

M. Cools a déclaré à propos du mandat ONU que :

" Le 24 septembre 1993, le secrétaire général propose la MINUAR. Le mandat est clairement défini. Il s’agit d’une opération au cours de laquelle les deux parties doivent favoriser le processus de paix. Les Nations unies n’ont pour seule mission que d’apporter leur aide. La résolution stipule que les Nations unies doivent uniquement contribuer à la sécurité et au désarmement, contrôler le cessez-le-feu, enquêter en cas de non-application du protocole, surveiller le retour des réfugiés, coordonner l’aide humanitaire et faire rapport sur des incidents éventuels.

Le mandat impose également des limites financières. Le mandat durera six mois et ne sera prolongé au-delà de nonante jours qu’après avoir reçu les instructions nécessaires du secrétaire général. Le mandat expirera à la fin décembre 1995 au plus tard. La résolution impose aussi d’étudier la possibilité de diminuer les coûts et de réaliser des économies.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie étaient à l’origine hostiles à l’opération. Petit à petit, ils y ont consenti. Dans la troisième phase, les effectifs atteindraient 2 500 hommes, mais ils devaient immédiatement être ramenés à 1 200 hommes. Sur ce point, il fut possible d’aboutir à un compromis (41a).

Globalement, les Nations unies réunissaient toutes les conditions pour une opération sous le chapitre VI. Le plus important, était que les deux parties demandaient l’opération, de telle sorte qu’il ne pouvait être question d’une ingérence dans les affaires intérieures (42a) ".

Ce mandat a donc été établi à la suite d’une négociation entre les pays membres du Conseil de sécurité, avec l’intervention du Secrétaire général de l’ONU, et dans les limites fixées par les accords d’Arusha. Le poids des membres permanents est bien sûr particulièrement déterminant dans de discussions. Dans le cas présent, ce sont les États-Unis et la France qui ont joué les premiers rôles. Les États-Unis ont fait montre d’une certaine inertie, " confirmant leur peu d’intérêt pour une nouvelle opération en Afrique ", ainsi que le déclara M. Cools à la commission.


Source : Sénat de Belgique