La commission constate que lors de la préparation de l’envoi de troupes belges dans le cadre de l’opération MINUAR, il n’a pas été tenu compte d’un certain nombre de leçons des opérations de l’ONU auxquelles la Belgique avait participé en 1992 et 1993. Force est de constater, à la lecture des rapports rédigés suite à l’UNPROFOR-1992 et à l’UNPROFOR-1993, que ceux-ci avaient mis en garde et formulé des recommandations contre des erreurs et manquements tout à fait identiques à ceux commis lors de la participation belge à l’opération MINUAR. Tant l’état-major général que le ministre de la Défense nationale et son cabinet avaient connaissance de ces rapports.

La commission attire plus précisément l’attention sur :

(1) Le rapport du colonel Malherbe relatif à l’UNPROFOR du 21 août 1992.

Dans ce rapport qu’il adresse à l’état-major général et au chef d’état-major de la force terrestre, l’ancien commandant des troupes belges en ex-Yougoslavie, le colonel Malherbe, affirme qu’à ce sujet d’autres nations qui participent fréquemment à des opérations de l’ONU ne se sentent pas strictement liées par les directives de l’ONU. " L’expérience m’a néanmoins appris que les nations ayant une expérience ONU (par ex. Danemark, Canada, R-U, etc.) ne se sentent pas exagérément liées par les normes ONU (par ex. par le nombre d’APC, l’armement emporté, etc.). " (254a)

(2) Le rapport du colonel Malherbe relatif à l’UNPROFOR du 2 septembre 1992.

Ce rapport, également adressé à l’état-major général et au chef d’état-major de la force terrestre, rend compte de la mission UNPROFOR-secteur Est du 13 mars 1992 à fin-août 1992. (255a)

(3) Le rapport du colonel Heyvaert relatif à l’UNPROFOR du 13 mai 1993.

Dans ce rapport qu’il adresse à l’état-major de la force terrestre, le colonel Heyvaert, le commandant de BELBAT 2, aborde les problèmes auxquels sa mission a été confrontée. Il est frappant de constater que ces problèmes sont identiques à ceux que nous rencontrons également dans l’opération MINUAR (256a).

Le colonel Heyvaert parle plus particulièrement des problèmes suivants :
il n’y a pas de véritable maintien de la paix ; " (...) il est utopique de croire dans de vraies missions de maintien de paix, maintenant ou à l’avenir " ;
il faut tenir compte de la possibilité d’une dégradation de la situation ;
il est indispensable d’emporter des armes plus lourdes ;
chaque peloton doit être équipé de minimum deux tireurs MILAN.

Toutes ces recommandations reviennent dans le rapport transmis, le 12 juillet 1994, après le retrait de KIBAT, par le chef d’état-major de l’armée, le lieutenant général Charlier, au ministre de la Défense nationale. Tout comme les documents précités, le rapport Charlier indique que (257a) :
notre pays ne peut s’engager dans une opération de l’ONU qu’à la condition de disposer, dès le début de cette opération, de garanties suffisantes quant aux moyens en termes de personnel, d’équipement, d’armement et de moyens financiers et quant à la protection et à la sécurité des hommes ; le mandat doit également être rédigé de telle manière que les règles d’engagement et l’équipement puissent être adaptés à l’évolution de la situation sur le terrain ;
les moyens déployés doivent être conformes à l’analyse militaire de la situation sur place ;
la protection des hommes doit être garantie par, entre autres, un armement lourd et des véhicules blindés ;
un appui aérien doit être prévu ;
il y a lieu de créer un service de renseignements avec des moyens suffisants.

Malgré le rapport du lieutenant général Charlier l’on peut se demander si nous tirons effectivement des leçons du passé. La commission constate que nous ne l’avons en tout cas pas fait dans le cadre de l’opération de maintien de la paix suivante. Lorsque, quelques mois à peine après la MINUAR, une vingtaine de militaires belges participent à une nouvelle opération de l’ONU, plus précisément à l’opération COLUMBUS-Haïti, l’on commet les mêmes fautes et manquements, en dépit de tous les rapports d’évaluation et d’inspection. Le rapport du 5 novembre 1994 du major De Greeve, l’officier chargé du commandement, est parfaitement clair : " Au moment du départ, le 2 novembre 94, la Mun n’était PAS encore présente malgré le contact Tf à 5 heures avec le 93 Bn log (PERSONNE n’était au courant au 93 Bn Log !). En l’absence de changement à 6 heures (heure de départ selon le plan de vol), je suis parti. Nous pouvons utiliser (Nl) Mun (...) ". Il ressort des rapports ultérieurs d’Ops. COLUMBUS que le problème traîne en longueur pendant plusieurs semaines. L’absence d’un plan d’évacuation, des moyens de transmission défectueux et d’autres problèmes similaires sont également évoqués dans les rapports journaliers du major De Greeve. (258a).


Source : Sénat de Belgique