L’inquiétude des parlementaires quant à l’éventuel retrait de la MINUAR ou, du moins, de ses éléments belges, s’est traduite par une série d’initiatives, dont les plus caractéristiques étaient les suivantes :
1. Dans son interpellation du 15 février 1994 (215c), M. Van Peel dit craindre que le processus de paix n’échoue, en raison notamment des dissensions réciproques au sein d’un certain nombre de partis importants (MDR, Parti Libéral, PSD). Il y a des tensions ethniques. Est-il exact que le président Habyarimana bloque sciemment les accords ? Les sentiments antibelges reviennent-ils en force ? Quelle incidence cela a-t-il sur la MINUAR ? Il y a déjà eu un léger incident.
Le ministre Claes confirme les dissensions au sein du MRD et du PL, qui n’ont permis la mise en place ni du gouvernement transitoire ni du Parlement.
Il a signalé aux forces de l’entourage de la présidence et du FPR que les risques de polarisation ne sont pas imaginaires. Les ambitions personnelles et les rivalités ethniques freinent le processus de paix. Le secrétaire général de l’ONU en a été averti.
La présence de Casques bleus belges n’est pas une opération belge. La MINUAR est placée sous le commandement du général Dallaire.
Cette mission de l’ONU était une condition pour que le FPR participe au processus de paix et elle constitue un facteur stabilisateur.
Il confirme néanmoins que des réactions antibelges se déclenchent régulièrement et que la radio a dit pis que pendre des Casques bleus belges.
Il espère que toutes ces difficultés ne seront que temporaires.
2. Dans son interpellation du 29 mars 1994 (216c), M. Van Belle dit craindre que le retrait annoncé de la MINUAR n’ait des conséquences dramatiques, tant pour la population que pour nos compatriotes. " Het geweld zal in alle hevigheid losbarsten ", déclare-t-il. Et " De Tutsi-minderheid zou meedogenloos worden afgeslacht ". Il dénonce l’attitude laxiste de la Belgique face à l’invasion du FPR.
Parmi les intérêts qui jouent un rôle, outre les questions ethniques, il cite la lutte entre les élites hutues.
Il se demande également quel rôle le FPR joue, puisqu’il refuse manifestement la participation du CDR à la formation des institutions. N’est-ce pas là une forme d’obstruction ?
Il demande une enquête sur place, à l’occasion de rumeurs selon lesquelles les assassinats du leader du CDR Bucyana et du ministre hutu Gatabazi favorable aux Tutsis auraient été organisés par les rebelles pour aggraver les clivages ethniques.
Selon des déclarations antérieures du ministre des Affaires étrangères, les troupes de l’ONU disposent d’un mandat de désarmement qui n’entrera en vigueur qu’une fois que le gouvernement transitoire aura été installé.
De nombreux gendarmes et soldats de l’armée régulière ont toutefois d’ores et déjà volontairement rendu les armes, alors que les rebelles ne sont pas inquiétés.
Un retrait dans ces circonstances représenterait une catastrophe pour les Tutsis. L’interpellateur a dès lors posé expressément la question : " Zult u dan overgaan tot de terugtrekking van de Belgische blauwhelmen, wetende welke dramatische gevolgen dit zal hebben ? "
Le ministre Delcroix promet une prolongation du mandat de l’ONU de deux à trois mois, avec une mission renforcée.
Le président constitue la seule instance qui fonctionne encore. Le gouvernement et le parlement transitoire ne sont pas encore à l’oeuvre.
La prolongation de la présence belge dépend de l’exécution des accords d’Arusha.
La Belgique ne peut pas enquêter sur des meurtres politiques. Ce sont la gendarmerie et la police rwandaises qui sont compétentes en la matière, de même que la police civile de l’ONU.
Nos militaires n’ont pas été chargés d’une mission de désarmement. Des armes sont malgré tout saisies régulièrement, mais à des postes de contrôle mixtes MINUAR-gendarmerie.
Il a plaidé par ailleurs sur place, à Kigali, pour un élargissement des compétences du commandant de l’ONU, le général Dallaire.
En ce qui concerne l’attitude des militaires, ces derniers ont dû s’adapter, à leur arrivée, à une mission de peacekeeping, mais il prétend que la formation et les exercices sont bons, y compris les instructions sur le droit humanitaire, la situation locale et la langue.
Il est possible de donner des cours et une préparation supplémentaires, mais au détriment de la rapidité d’intervention.
Il n’est pas question de mettre fin à la coopération technique militaire, parce que notre présence constitue également un facteur de stabilité pour les armées locales. Nos militaires sont souvent les seuls à exercer une influence sur les armées locales.
En ce qui concerne le renforcement du mandat de la MINUAR, il a utilisé cette possibilité dans ses conversations avec les autorités rwandaises comme moyen de pression en vue d’une solution politique. Avec fruit, puisque la demande d’une plus grande modération de la part d’une radio locale a été reçue favorablement.
M. Van Belle dit être rassuré, car il a été confirmé que les troupes des Nations unies ne se retireront pas le 4 avril, mais que leur mandat sera prolongé de deux à trois mois.
3. Dans sa question écrite du 14 février 1994 (217c) adressée au ministre des Affaires étrangères, M. Van Belle se plaint du fait que les troupes des Nations unies adoptent une attitude unilatérale dans le désarmement des belligérants. Il affirme que les troupes du Front patriotique rwandais ne sont pas inquiétées.
Le ministre répond, le 15 mars 1994, que le désarmement ne figure pas parmi les missions de la MINUAR. Tout au plus peut-elle aider les autorités rwandaises dans leur mission, qui est de parvenir à une fusion des deux armées.
À cet égard, le ministre regrette que l’on distribue des armes à la population civile et aux milices de certains partis politiques, ce contre quoi seules les autorités rwandaises peuvent intervenir.
4. Exposé du Gouvernement concernant les événements du Rwanda à la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, le 11 avril 1994.
Le Premier ministre Dehaene déclare que depuis l’attentat contre les présidents du Rwanda et du Burundi et la mort des paras, le Gouvernement a suivi la situation de près.
Il a été convenu avec le secrétaire général des Nations unies qu’il fallait renforcer les conditions de sécurité pour nos Casques bleus.
L’on envisage, en dehors du cadre des Nations unies, une mission humanitaire alliée avec la France et les États-Unis, visant à rapatrier les Belges. L’armée sera chargée de son exécution et en sera responsable.
Le ministre Claes donne un aperçu des événements depuis le 6 avril.
Les contacts avec le secrétaire général des Nations unies montrent que l’on n’envisage pas d’élargissement du mandat de la MINUAR à court terme. Seule une réduction des effectifs est possible.
Il confirme la difficulté de l’opération de rapatriement, notamment en raison de l’attitude antibelge provoquée par les extrémistes hutus.
C’est à cause de cette attitude que les Belges n’ont pas reçu l’autorisation d’atterrir à Kigali. Entre-temps, l’on est quand même parvenu à obtenir cette autorisation grâce à l’ambassadeur Swinnen, à l’ambassadeur de France et au nonce apostolique.
Il s’agit d’une évacuation de l’ensemble des civils de nationalité étrangère qui le souhaitent.
Nos Casques bleus belges ont reçu l’autorisation du général Dallaire de collaborer à cette opération et notamment à la protection de notre chancellerie où il fallait maintenir coûte que coûte le centre de communication en état.
Deux semaines plus tôt, il avait convoqué l’ambassadeur du Rwanda pour lui demander avec insistance de mettre fin à l’intoxication contre les Belges diffusée par les radios libres.
Il se pose maintenant la question de savoir si la création de la MINUAR et la participation belge n’étaient pas une erreur.
Le 7 janvier 1994, la décision a été prise par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Le 5 avril 1994, l’on a autorisé une prolongation de quatre mois.
Le Belges n’ont fourni que la moitié des 800 hommes demandés et ont refusé le commandement.
À la mi-février 1994, il a tenté en vain d’obtenir un élargissement du mandat.
Quant à lui, il ne connaît pas la réponse à la question de savoir s’il faut retirer les troupes belges de la MINUAR.
Le ministre Delcroix décrit le déroulement de l’opération humanitaire en cours.
En ce qui concerne la mort des paras, une enquête approfondie doit déterminer dans quelle mesure cette section a agi de manière indépendante, et comment elle communiquait avec le commandement.
Dans le débat qui a suivi, M. Gol met la responsabilité au niveau de l’entourage du président Habyarimana qui a laissé pourrir le processus de paix.
Il n’estime pas recommandable de participer à une mission ONU dans des pays où nous avons un passé de colonisateur et des compatriotes sur place. Il rappelle que la décision a été prise jadis avec trop d’empressement.
Il rappelle l’opposition libérale à la politique gouvernementale et à toute forme d’aide sur le plan militaire et sur le plan de la sécurité.
M. Eyskens fait une comparaison avec l’opération de 1990, alors qu’il n’y avait pas de présence de l’ONU, ni de noyau dur hutu qui agissait contre les Belges. Malgré la détérioration de la situation, il reste opposé à une rupture avec le Rwanda.
Il estime néanmoins que le mandat des Nations unies est insuffisant. La force de paix des Nations unies doit pouvoir disposer d’armes perfectionnées et non d’armes qu’elle ne peut pas utiliser.
Force est de se demander ce que l’on fera si le génocide prend de l’extension. Devons-nous rester les bras croisés ?
Il n’est pas partisan d’une politique curative, qui présente beaucoup de risques et coûterait, en outre, beaucoup d’argent.
M. Beaufays rappelle l’existence d’un noyau dur opposé aux accords d’Arusha.
Il constate l’élimination à Kigali de gens qui figurent sur les listes établies en 1990 par la Sûreté rwandaise.
Il incrimine la caste au pouvoir et la fameuse Radio Mille Collines.
Il note l’impossibilité de l’élargissement du mandat ONU, qui ne doit pas empêcher la mise en oeuvre de moyens assurant la sécurité de l’évacuation des Belges.
Il prône une recomposition de la MINUAR par d’autres nationalités.
M. Chevalier souligne qu’il faut constater que l’accord d’Arusha est presque enterré.
Nous devons nous demander ce que nous faisons encore dans cette partie de l’Afrique.
Si nous voulons procéder malgré tout à une intervention militaire dans le cadre d’un mandat des Nations unies, nous devons assortir cette intervention de conditions. Si ces conditions ne devaient pas être remplies, nous devons renoncer à poursuivre notre participation.
En outre, nous ne pouvons pas nous permettre de procéder chaque fois à de nouvelles opérations d’évacuation et, dans l’ensemble, nous devons nous en tenir à l’aide humanitaire à la population.
Mme Aelvoet affirme que l’attitude antibelge est due en partie à l’affirmation, diffusée par Radio Mille Collines, selon laquelle les Belges auraient abattu l’avion des présidents.
L’influence de cette radio va beaucoup plus loin que Kigali. La radio officielle n’a jamais démenti ces informations. Cela en dit long sur ceux qui ont les rênes en mains. Une enquête des Nations unies pourrait tirer tout cela au clair.
On ne peut pas nier que, parallèlement à l’assassinat des Belges, on ait organisé une chasse aux Tutsis et aux opposants hutus ainsi qu’aux responsables des organisations de défense des droits de l’homme et d’aide au développement.
On assassine surtout des Tutsis. C’est l’oeuvre de la garde présidentielle, des unités de l’armée et des milices. Comment ont-elles obtenu ces armes ?
Le CDR achète des armes aux Russes et aux Chinois grâce au trafic de drogues.
La même députée estime que c’était une erreur que de fournir des troupes à la MINUAR dans un pays dont on a été le colonisateur. Il serait préférable de remplacer les Belges au Rwanda par des troupes issues d’autres pays.
M. Harmegnies appuie la demande d’une enquête à effectuer par l’ONU, que le gouvernement adressera à son secrétaire général.
Il entend également faire contredire les fausses rumeurs selon lesquelles les Belges sont impliqués dans l’attentat contre le président Habyarimana.
Il appuie l’envoi d’une opération humanitaire. Si les conditions politiques sont réunies, nous pouvons plaider pour un renforcement du mandat des Casques bleus. Sinon nous ne pouvons pas les maintenir sur base du mandat actuel.
Il entend également faire contredire les fausse rumeurs selon les Belges sont impliqués dans l’attentat contre le président Habyarimana.
Il appuie l’envoi d’une opération humanitaire. Si les conditions politiques sont réunies, nous pouvons plaider pour un renforcement du mandat des Casques blues. Sinon nous ne pouvons pas les maintenir sur base du mandat actuel.
M. Sleeckx insiste pour que le gouvernement rwandais rétablisse la vérité quant à la responsabilité de l’attentat perpétré contre le président Habyarimana.
Il estime que la Belgique a encore une mission très importante à remplir sur place, afin de ramener la paix.
Il soutient l’action humanitaire. En ce qui concerne les Casques bleus, il faut mieux les protéger ; en effet, ils ne peuvent pas se défendre avec leurs armes légères. Une telle condition doit être une condition sine qua non de participation.
M. Van Grembergen estime qu’il faut évacuer les Belges le plus rapidement possible.
Pour ce qui est des Casques bleus, il est convaincu qu’il faut les retirer, si leur mandat reste identique.
Cela n’exclut pas que les Belges puissent encore travailler ailleurs dans le cadre de l’ONU.
Il condamne les trafics d’armes, qui ont notamment contribué au malheur du Rwanda.
Le retrait des troupes belges de la MINUAR a également fait l’objet des initiatives parlementaires suivantes :
Débat relatif au budget 1995, avis de la commission des Relations extérieures de la Chambre des représentants (218c) concernant la reconstruction du Rwanda : aide de la Belgique sur les plans de la justice et des soins de santé ;
Interpellation sur la situation dramatique et intolérable qui prévaut au Rwanda (219c) ;
Question écrite sur le matériel militaire vendu et perdu lors du retrait des troupes belges de la MINUAR (220c).
Source : Sénat de Belgique
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