La commission constate que la démocratie chrétienne entretenait des contacts particuliers avec les représentants de la plupart des partis politiques et surtout avec le MRND du président Habyarimana mais aussi avec d’autres partis, comme le MDR. L’on a eu des contacts à plusieurs niveaux. En attendant que des élections aient lieu, le MRND et le MDR ont été invités aux congrès de l’IDC et à son bureau politique annuel, alors qu’ils n’en étaient pas membres.

Il ressort des différents témoignages ainsi que des nombreux documents de l’IDC dont la commission a pu disposer que l’IDC voulait amener ses interlocuteurs rwandais à modifier leur point de vue. En ce qui concerne le processus de démocratisation au Rwanda, circulaient des écrits politiques dont le contenu s’écartait en partie des premiers accords d’Arusha et qui prévoyaient la création d’un système multipartite et l’organisation d’élections pour pouvoir faire jouer pleinement le principe de la majorité avant de procéder à ce que l’on a appelé le " partage du pouvoir " prévu dans les accords d’Arusha.

Interrogé sur les rapports entre les différentes formations politiques internationales, André Louis a confirmé la forte présence de l’IDC au Rwanda : " Natuurlijk zijn er landen waar de Christen-Democratische Internationale beter geplaatst was om te werken. Dit was bijvoorbeeld het geval in Rwanda "(371c).

Quant aux accords d’Arusha II, André Louis a déclaré qu’il n’y était pas favorable. " J’ai encore rencontré le président le mardi 21 juillet 1992, au Stuyvenberg, ici. Il était en visite à Bruxelles. J’étais accompagné de Rika De Backer à ce moment-là. Je lui ai dit tout le mal que je pensais de l’accord Arusha I, avec les dangers qui pesaient sur l’avenir du pays et du processus de démocratisation. C’était juste après la signature de l’accord d’Arusha I " (372c). " Het is juist dat we geprobeerd hebben de akkoorden van Arusha te verbeteren. Ik herhaal nogmaals dat ik tweemaal in Kigali ben geweest en er gewerkt heb. Dat was voor de ondertekening van Arusha I. Ik heb de president in totaal vier keer ontmoet, dus ook tweemaal na de ondertekening van Arusha-I en ook na Arusha-V. Op een ogenblik dat het al te laat was en alles in kannen en kruiken was. We hebben als Internationale dus voortdurend geprobeerd de akkoorden te verbeteren zolang dat mogelijk was, ook door de mensen attent te maken op de gevaren ervan en op de mogelijkheden om ze te verbeteren "(373c).

Ce témoignage est confirmé dans un document du 4 août 1994 de André Louis, intitulé " Rwanda, genèse d’un drame ". Dans ce document, M. Louis écrit qu’il a rencontré le président à Bruxelles le 21 juillet 1992 et qu’il a attiré son attention sur la logique curieuse du processus décisionnel des accords d’Arusha qui, selon l’auteur, sont contraires à " la logique de la démocratisation et devraient normalement conduire à une aggravation de la crise, au lieu de la résoudre .

Or, l’accord d’Arusha I prévoit déjà " un partage de pouvoir ", ce qui est condamnable de manière absolue et constitue la négation même de la démocratie. Les accords ultérieurs prévoient l’installation de systèmes transitoires de gouvernement.

Proclamant officiellement la caducité des accords d’Arusha dès le 9 avril 1994, le surlendemain de l’assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi, il (le FPR) a mis en application sa stratégie de prise de pouvoir, provoquant sciemment et systématiquement, par son comportement terroriste, la fuite de deux millions de personnes.

Il convient avant tout d’imposer un désarmement général. Ce qui suppose, durant un certain temps, un quadrillage militaire relativement dense. À cette condition les populations réfugiées pourraient rentrer au pays et elles le feront. Après cela, il conviendra d’organiser, sous contrôle international, des élections au suffrage universel direct dans un délai raisonnablement bref.

Les accords d’Arusha sont bel et bien enterrés, avec les 500 000 cadavres qu’ils ont engendrés. Il faut chercher certes une solution politique, mais elle sera nécessairement tout autre.

C’est la logique même des accords d’Arusha qui est condamnable : celle du " partage du pouvoir ". Le pouvoir n’est pas à partager. Il appartient au peuple. Il faut donner la parole à celui-ci. "

La commission a pris connaissance de nombreux documents et lettres qui ont été envoyés et distribués au cours des périodes qui ont précédé et suivi le mois d’avril 1994, par MM. André Louis et Alain De Brouwer. Dans ces documents et ces lettres, la commission a constaté que l’IDC s’était intéressée de très près au Rwanda et qu’elle avait d’abord voulu influencer les autorités politiques belges. À cet égard, la commission a constaté aussi que l’IDC avait souligné, à l’occasion de ses contacts avec les membres du gouvernement e.a., que le régime de M. Habyarimana était " incontournable ". La commission a constaté en outre que l’IDC avait accompli nombre de démarches en direction du Rwanda, mais aussi que ses partenaires présents au Rwanda étaient informés des efforts " de la Belgique ".

La commission a retenu les documents suivants :

La période antérieure aux accords d’Arusha

la lettre du 28 janvier 1991 que M. Alain De Brouwer, conseiller politique de l’IDC, adressa à M. Wilfried Martens, Premier ministre :

" La délégation du MRND du Rwanda qui a participé, en qualité d’ invité, aux travaux du Bureau politique de l’IDC les 17 et 18 janvier derniers, a été très heureuse de pouvoir vous rencontrer lors de l’inauguration de la plaque commémorative d’Aristides Calvani et de la réception que vous avez donnée dans les locaux de l’Internationale.

Comme cette délégation rwandaise n’a pu rencontrer le ministre Eyskens lors du déjeuner offert à Val-Duchesse, le lendemain, nous avons résumé les conclusions les plus importantes tirées lors des échanges avec nos amis du Rwanda " (374c).

une lettre du 28 januari 1991 que M. Alain De Brouwer adressa à M. Marc Eyskens, ministre des Affaires étrangères, et dans laquelle il lui fait part " des vives préoccupations des milieux démocrates chrétiens à l’égard de la participation grandissante de l’Ouganda dans les attaques meurtrières dont le Rwanda est victime ".

" En effet, une délégation rwandaise conduite par M. Enoch Ruhigira, membre de la Commission nationale de synthèse, et par M. Faustin Munyazesa, président de la Commission chargée de la restructuration du MRND dans la perspective du multipartisme, a participé en qualité d’invité au Bureau politique de notre Internationale les 17 et 18 janvier derniers.

Cette délégation rwandaise a eu de nombreux échanges avec les milieux démocrates chrétiens, et a rendu visite aux présidents du CVP et du PSC MM. Van Rompuy et G. Deprez. Elle a même eu la possibilité, dans le cadre du Bureau politique de l’IDC, d’avoir un entretien approfondi avec le ministre des Affaires étrangères de l’Ouganda Paul Ssemogerere, vice-président de l’Internationale. "

M. Alain De Brouwer terminait la note qu’il adressait au ministre des Affaires étrangères par les considérations suivantes :

" 1. le Rwanda s’engage résolument dans une démocratisation multipartite
2. l’ouverture du Rwanda à la cooperation régionale et à une solution concrète des problèmes des réfugiés de toute la région des Grands Lacs.
3. le Front Patriotique Rwandais, FPR, n’est pas intéressé par l’ouverture du régime rwandais ni de s’intégrer dans le multipartisme en préparation
4. la perpétuation d’une guerre non déclarée vise à bloquer les efforts concrets en faveur des problèmes des réfugiés et à déstabiliser le Rwanda
5. le gouvernement du président Museyeni refuse d’appliquer toutes les mesures de pacification aux frontières
6. le régime du président Museyeni apparaît de plus en plus dictatorial et belliciste
7. le gouvernement du président Museyeni tente d’exporter ses tensions et ses conflits vers le Rwanda
8. l’absence de pression diplomatique suivie sur l’Ouganda empêche le retour de la paix dans la région et mine les politiques de coopération au développement de l’Europe
9. le Rwanda a fait des efforts considérables pour améliorer la situation des droits de l’homme
Les détenus liés à l’attaque du 1er octobre dernier et à l’existence d’un plan de soulèvement à Kigali (caches d’armes...) ne peuvent pas être assimilés, pour une très grande part, à des " prisonniers d’opinion " selon la définition donnée par les statuts d’Amnesty International, puisqu’ils ont " usé de violence ou préconisé son usage ". Malgré cela, le Rwanda a ouvert ses prisons à la Croix-Rouge, aux diplomates et aux missions parlementaires, comme jamais un pays d’Afrique ne l’a fait jusqu’ici.
À part quelques bavures ne relevant pas d’une politique délibérée du gouvernement, le Rwanda s’engage dans des procès conformes aux normes internationales reconnues. "

un document du 14 juin 1991, que M. Alain De Brouwer adressa à M. Leo Delcroix et dans laquelle il l’informait de la visite d’une délégation restreinte du MRND et lui communiquait une proposition de programme.

" Cher Leo, Rika De Backer me demande d’adresser au CVP le dossier relatif à la visite à Bruxelles du 22 au 29 juin de un ou deux ministres rwandais à l’invitation commune du groupe PPE et du CVP lui-même.
M. Munyazesa nous a fait savoir qu’il préférait venir avec une petite délégation du MRND et discuter concrètement la coopération avec le CVP et le PSC sur la base de sa lettre du 20 avril apportée par Spérancie Mutwe.
Enfin, lors de ce séjour, il y aurait intérêt à prévoir une rencontre avec les présidents Van Rompuy et Deprez et avec les présidents du Sénat et de la Chambre. "

un document interne du 1er août 1991, signé par André Louis, secrétaire général de l’IDC, et intitulé " Le Rwanda, nouvelles étapes vers la démocratie ", dans lequel le MRND est présenté comme le seul parti qui puisse garantir le succès du processus de démocratisation au Rwanda :

" le MRND, ancienne formule, bénéficiait d’un financement significatif à charge de l’État. Le parti a établi son siège dans un bâtiment construit par la coopération belge, qui appartient à l’État. Il dispose aussi de certains biens, tels que véhicules, etc.
Le MRND évacuera le bâtiment d’État qu’il occupe en ce moment dès que la construction de l’immeuble que lui offre la Fondation Konrad Adenauer sera terminée. Il a été envisagé aussi que le MRND donne à l’État les biens qu’il possède ou certains de ceux-ci. Cette idée est pour le moins discutable.
C’est incontestablement le MRND qui est l’artisan et le garant du processus de démocratisation en cours au Rwanda. Le travail réalisé antérieurement par le MRND est impressionnant. Il a été sans aucun doute l’animateur de cette mobilisation de la nation qui a conduit le pays vers une forme de développement étonnante. Le Rwanda est un modèle unique de ce qu’il est possible de réaliser avec des moyens pauvres, beaucoup d’imagination, de travail et de solidarité nationale et internationale. Il faudra un jour analyser scientifiquement l’expérience rwandaise afin qu’elle puisse bénéficier à d’autres peuples.
Le MRND n’a pas démérité.
C’est donc légitimement qu’il ambitionne d’être reconduit dans sa fonction gouvernementale au terme d’un vote populaire d’autant plus clair du fait qu’il sera cette fois contradictoire.
Il convient que toutes les organisations qui, dans le passé, ont aidé le MRND dans sa difficile tâche, non seulement maintiennent leur aide et leur appui, mais de surcroît l’amplifient à la mesure des défis que le mouvement doit affronter à l’avenir.
Ceci ne signifie pas qu’il faille laisser sans aide les nouvelles forces politiques naissantes. Il serait toutefois injuste de ne pas tenir compte des mérites acquis par le MRND et des besoins accrus nés du pas décisif vers la démocratisation, qu’il a d’ailleurs franchi avec nos pressants encouragements ! "

une lettre du 17 janvier 1992 du secrétaire général de l’IDC André Louis, adressée à M. Alexis Nsabimana, délégué du MDR/Benelux. Le MDR se profilait comme membre de la démocratie chrétienne. Dans sa réponse à M. Alexis Nsabimana, le secrétaire général de l’IDC déclare qu’il ne doute aucunement de la sincérité du président Habyarimana concernant la poursuite du processus de démocratisation au Rwanda. Le président et son parti, le MRND, peuvent, dès lors, compter sur le soutien de l’IDC :

" Afin d’éviter toute interprétation quant à l’attitude de l’Internationale démocrate-chrétienne, je désire préciser que la réforme de l’État constitue à nos yeux l’objectif prioritaire pour votre pays.
Selon notre expérience, la transformation d’un régime autoritaire en un régime démocratique particulièrrement dans un pays affecté par la guerre (cfr. El Salvador, Guatemala, Philippines) doit s’effectuer de manière résolue, au terme d’un calendrier raisonnablement bref dont il convient de poursuivre l’exécution avec rigueur.
Nous n’avons au stade actuel aucune raison de douter de la loyauté du président de la République, du gouvernement ainsi que des dirigeants du MRND. Nous les appuyerons en conséquence et continuerons de les appuyer aussi longtemps qu’ils maintiendront leur ligne de conduite actuelle. Nous ne ferons rien qui puisse contrarier leur méritoire effort.
L’opposition recevra notre appui dans la mesure où elle s’engagera de manière vraiment crédible dans le processus de démocratisation en prenant de vraies responsabilités. Ce qui n’est malheureusement pas le cas jusqu’à présent.
Personne ne prétendra que tout soit parfait au Rwanda en ce moment. Que des abus de pouvoir puissent encore être commis, notamment au niveau local, cela paraît vraisemblable. Il faut bien entendu les combattre avec fermeté, sans toutefois perdre de vue que l’objectif primordial de démocratisation est en cours de réalisation. "

Le soutien au président Habyarimana et au MRND est réitéré dans un document du 8 février 1992, signé par M. André Louis et intitulé " La Démocratisation du Rwanda " :

" La détermination du président Juvénal Habyarimana à conduire la République rwandaise vers un système démocratique multi-partis constitue un élément clé permettant de considérer l’avenir avec un certain degré de confiance.
Le processus de transition a toutefois déjà duré trop longtemps.
Le MRND a poursuivi systématiquement sa réforme interne, en organisant des élections aux différents niveaux de parti (secteurs, communes). Plusieurs centaines de réunions ont déjà eu lieu. Un congrès national couronnant ce processus aura lieu prochainement.
Il est incontestablement le parti dont l’effort d’organisation interne est le plus important et le plus avancé.
Le président Habyarimana est et restera le leader effectif du MRND. Afin de rencontrer l’objection légale concernant l’incompatibilité entre la qualité de militaire et la fonction de chef de parti, le président a désigné un ministre de la défense (qui relève du Premier ministre) et un chef d’état-major général. Il reste bien entendu le chef constitutionnel de l’armée, comme le président Mitterrand ou le Roi des Belges le sont également dans leur pays.
C’est avec une certaine surprise que l’on prend connaissance d’un document publié par des prêtres du diocèse de Kabgayi, le 1er decembre 1991.
Il s’agit d’un pamphlet politique, enrobé de phraséologie pseudo-religieuse, qui attaque le gouvernement de manière partiale sur des points aussi limités que la manière dont il conduit ses consultations politiques. C’est pour le moins étrange !
La conférence épiscopale catholique du Rwanda a publié peu après un document positif et nuancé.
Il n’y a toujours pas d’alternative au MRND.
La situation des partis, par comparaison avec ce qu’elle était lors de notre précédente visite du 1er août 1991, s’est plutôt détériorée.
Le schéma optimum pour le Rwanda est celui d’une configuration du MRND dans sa fonction gouvernementale au terme d’élections parlementaires à tenir dans un délai de 4 à 5 mois, élections conduisant à une présence honorable (20 % à 35 % semblent prévisibles) de l’opposition au sein du Parlement. "

Dans une lettre du 5 mars 1992 qu’il adressait à M. Nkundabagenzi, ministre de l’information aux bons soins du directeur d’Orinfor, M. F. Nahimana, M. Alain De Brouwer fait savoir que l’IDC est intervenue au niveau des services diplomatiques belges en vue d’augmenter la pression diplomatique sur les amis du FPR (Ouganda).

" Nous avons touché les Affaires étrangères belges et la Représentation permanente de la Belgique auprès de la CEE, afin d’insister sur la nécessité urgente de réactiver les pressions diplomatiques à l’encontre de l’Ouganda qui sert de sanctuaire et de ravitaillement aux terroristes du FPR, mais aussi de poursuivre une aide humanitaire en faveur des personnes déplacées.
Nous nous permettons également de vous suggérer une campagne d’information plus complète sur les changements judiciaires intervenus au Rwanda (application des lois d’amnistie, meilleure protection des détenus et des droits de la défense, etc.) car une récente conférence de presse de maître André Jadoul, avocat au barreau de Bruxelles et envoyé au Rwanda par la Ligue des droits de l’homme (27 février 1992) s’est sans doute trop focalisée sur les tragiques massacres des Bagogwe, rendant actuels pour les médias des événements qui se sont déroulés il y plus d’un an et surtout occultant le caractère provocateur des attaques du FPR et sa stratégie machiavélique de susciter des affrontements interethniques pour déstabiliser la société rwandaise.
Encore une fois, nous vous remercions, monsieur Nahimana, pour toutes les informations envoyées. "

Dans un fax du 5 janvier 1993 envoyé à Papias Ngaboyamahina, Alain De Brouwer écrivait notamment : " Comment peut-on envisager de donner le ministère de l’Intérieur au FPR, alors qu’il faut essayer de confier les minstères sensibles dans la transition à des personnalités non partisanes et non candidates aux élections (hauts magistrats...), donnant à tous la garantie d’une gestion juste et indépendante ? ".

Dans sa réponse à une lettre du 10 janvier 1993 de MM. Paulin Murayi et Georges Ruggiu dans laquelle ceux-ci faisaient part de leurs doutes à propos des accords d’Arusha, A. De Brouwer reconnaît le bien-fondé des objections qui ont été formulées à l’encontre des accords :

" Dans l’attente du texte officiel demandé à l’ambassadeur du Rwanda, nous devons bien reconnaître la justesse des observations contenues dans votre message, notamment sur le fait que la future Assemblée nationale de transition soit nommée et non élue, cela sur base de critères discriminatoires à l’égard des 11 partis non membres du gouvernement actuel, sur la composition du futur gouvernement transitoire et l’adoption de ses décisions au 2/3 des voix, et sur l’absence de procédure démocratique de ratification de ces accords adoptés sans débat au CND et sans référendum populaire.
Malgré tous les reproches et critiques sur la longue période du parti unique, le président de la République garde un rôle éminent dans la conduite du processus démocratique à bon port c’est-à-dire des élections libres et justes sous observation internationale. "

Dans une lettre du 20 janvier 1993 qu’il avait adressée à M. Mathieu Ngirumpatse, secrétaire général du MRND, M. De Brouwer réagit au contenu des accords d’Arusha III dont il qualifie certains aspects d’antidémocratiques.

" Permettez-moi de vous adresser nos voeux les plus sincères pour 1993 de la part de l’IDC : nous souhaitons ardemment que votre cher pays puisse retrouver la paix intérieure et extérieure et le développement et aboutir enfin à des élections démocratiques sans heurts.
Nous aussi à l’IDC nous sommes effarés par certains aspects antidémocratiques d’Arusha III et le manque de légitimité des futures institutions de la transition, sans parler du péril représenté par l’octroi du poste de ministre de l’intérieur à la partie attaquante.
Mais comment remettre toutes ces démarches diplomatiques dans un cadre plus acceptable pour le peuple rwandais et où l’attaquant du départ, le FPR, ne soit plus dans la situation de pouvoir départager MDR et MRND et de les enfermer dans un gouvernement de transition sans droit de veto en cas d’atteinte aux droits vitaux du pays ?
Nous souhaitons garder confidentielles ces démarches car nous pensons qu’il y a déjà eu trop d’interférences internationales malheureuses et que l’enjeu véritable n’est plus d’abord d’attendre " la vérité proclamée d’Arusha " où la stratégie de division et de prise de pouvoir du FPR domine, mais de construire un nouvel axe de réconciliation interne MRND-MDR qui, seul, peut sauver le pays et le conduire à des accords extérieurs équilibrés. "

Une résolution du 10e congrès de l’IDC du 8 février 1993, relative à la situation dramatique au Rwanda à la suite des attaques du 8 février 1993 ; le document est signé par André Louis ainsi que par Brian Palmer, secrétaire général adjoint de l’IDC :

" L’IDC condamne également toutes les violences intérieures et demande à l’ensemble des forces politiques et sociales du pays de s’unir pour conduire jusqu’au bout les processus de paix et de démocratisation.
Après la conclusion des accords d’Arusha, l’IDC a pris nettement et publiquement position en faveur de l’application de ceux-ci. Dans ses contacts avec les forces politiques rwandaises, elle a souligné le caractère précaire de ces accords, dont la réalisation n’était garantie par aucune autorité et dépendait entièrement de la seule bonne volonté des parties en présence, recommandant notamment de raccourcir les délais et d’avancer le processus électoral. L’IDC a réaffirmé cette position, notamment lors d’un entretien avec le FPR qui a eu lieu le 24 novembre 1993.
(...) L’IDC condamne avec horreur les tueries qui ont été perpétrées au Rwanda, quels qu’en étaient les auteurs...
L’IDC rappelle à l’armée de la République rwandaise que son devoir sacré et imprescriptible consiste à protéger indistinctement tous les citoyens rwandais quelle que soit leur ethnie. "

une note interne du 8 mars 1993 que M. Alain de Brouwer adressait à M. André Louis. Cette note fait suite aux allocutions que firent le président Habyarimana à Ruhengeri le 15 novembre 1992 et M. Léon Mugesera, vice-président du MRND, à Gisenyi, le 22 novembre 1992.

Dans une réaction à la première remarque de M. Alain De Brouwer à propos de l’allocution que fit le président Habyarimana, le 15 novembre 1992, à Ruhengeri, et, en particulier, au reproche adressé au président à propos de sa déclaration selon laquelle : " Les accords d’Arusha (375c) sont un chiffon de papier, ce n’est pas la paix " et que son ministre des Affaires étrangères " ne doit pas truquer certaines choses et dire qu’en ramenant un chiffon de papier, il ramène la paix " , M. André Louis répond :

" 1. Il faudrait pouvoir contrôler l’authenticité du document.
2. Même en se basant sur le texte disponible, il s’agit d’un discours de meeting particulièrement modéré.
L’utilisation du terme " chiffon " de papier dans la traduction française est une évidente manipulation occidentale pour discréditer le président en établissant une analogie avec le fameux terme de " chiffon de papier ", par lequel Hitler qualifiait les accords de Munich.
Le président a voulu dire un " bout de papier ", " un morceau de papier " et il a raison de souligner que cela ne suffit pas pour garantir la paix. "

Dans une deuxième remarque relative à l’allocution que M. Léon Mugesera fit devant les militants du MRND et dans laquelle il appelait ouvertement à l’extermination de la population tutsie, M. De Brouwer déclare à M. André Louis :

" Ce discours donne le ton de l’intolérance politique meurtrière, même s’il se situe dans un climat généralisé de violence, de provocation et d’intimidation.
Il faut y ajouter les nouvelles des Pères Blancs (5 janvier 1993) qui ont relevé les passages de ce discours incendiaire consacré au renvoi des Tutsis en Éthiopie " via la rivière Nyabarongo en voyage express ".
Je pense que l’IDC doit protester auprès du secrétaire général Ngirumpatse et demander que l’auteur de ce discours soit désavoué et sanctionné par son parti. "

Dans sa réponse du 12 mars 1993, M. André Louis excuse à nouveau cette attitude du MRND.

" 1. Il faudrait pouvoir contrôler l’authenticité du document.
2. En se basant sur le texte disponible et en faisant abstraction des outrances verbales inhérentes à ce genre de discours pour ne retenir que l’essentiel, il faut constater :
la volonté de voir déférer devant les tribunaux les traîtres à la patrie (les complices du FPR) est une exigence on ne peut plus légitime.
l’appel à la résistance et à une mobilisation bien organisée est légitime et élémentaire dans la perspective de la guerre civile de plus en plus inévitable, imposée par le FPR.
l’appel aux élections est étonnamment positif. "

La période postérieure à Arusha V et antérieure aux événements du 7 avril 1994

un télex de l’ambassadeur Swinnen à Minafet (878) du 27 août 1993 :

" Internationale Démocrate Chrétienne : Alain De Brouwer, PSC, a rencontré au nom de l’IDC les partis MRND, MDR et PSD. Reproche adressé au MRND pour son action qualifiée de coup d’état civil ayant conduit à la division du MDR et à l’affaiblissement de l’opposition politique intérieure. "

un communiqué de presse du 22 octobre 1993 de M. Emilio Colombo, président de l’IDC, et de M. Bryan Palmer, secrétaire général adjoint, qui mettent en garde contre les menaces qui pèsent sur les accords de paix d’Arusha.

" L’IDC dénonce l’appui direct d’une puissance étrangère, à travers le FPR, aux putchistes et la menace que cet appui persistant fait peser sur l’application des accords de paix d’Arusha et sur le renforcement de la démocratisation au Rwanda. "

la lettre du 9 mars 1994 de M. Alain De Brouwer, à M. Georges Thuysbaert, chef de cabinet adjoint du ministre de la Défense nationale, dans laquelle il est fait référence à une lettre antérieure du représentant du MRND en Belgique. Tout blocage du processus de démocratisation est attribué au FPR ou à l’intervention personnelle de M. Faustin Twagiramungu.

" Suite à la lettre du 8 mars 1994 du président du MRND en Belgique au ministre Leo Delcroix, dont nous avons reçu copie ce jour à l’IDC, nous ne pouvons qu’appuyer l’essentiel de cette démarche.
En effet, les blocages politiques actuels sont causés essentiellement par le FPR qui a rejeté le compromis politique négocié le 27 février 1994 par l’ensemble des partis membres de la coalition gouvernementale actuelle. Le compromis permettrait de surmonter les problèmes internes de deux de ces partis : le MDR et le Parti libéral.
Deuxième source de blocage de la situation : le jeu personnel de l’ancien président du MDR Faustin Twagiramungu qui s’est autoproclamé candidat Premier ministre et qui a été exclu de la présidence de son parti par un congrès extraordinaire en juillet dernier. M. Twagiramungu prétend, malgré un compromis négocié avec l’appui des églises, désigner lui-même les ministres et les députés MDR, sans respecter les décisions du Congrès et des organes directeurs de ce parti populaire.
M. Faustin Twagiramungu s’est toujours vu reprocher sa politique d’alliance étroite avec le FPR, au mépris de l’opinion dominante au sein de ce parti.
Mme Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre actuel et alliée de M. Twagiramungu, a la lourde responsabilité de la paralysie du gouvernement actuel.
Si la Belgique a eu raison de se montrer stricte en matière de respect des droits de l’homme, nous devons bien constater qu’elle a eu plus de succès auprès des dirigeants du MRND qui ont dû accepter de mettre fin à certaines pratiques douteuses, qu’auprès du FPR qui continue à développer une stratégie de prise de pouvoir au mépris de ces droits et libertés. "

La période de l’attentat contre l’avion présidentiel

un communiqué de presse du 7-8 avril 1994 de l’IDC, signé par Bryan Palmer, secrétaire général adjoint de l’IDC, et André Louis, vice-président, qui condamne le meurtre des présidents du Burundi et du Rwanda. Dans ce communiqué de presse, l’IDC rappelle " qu’elle a contribué activement au processus de démocratisation dans les deux pays ".

La période qui a suivi le génocide

Le point de vue officiel de l’IDC, exposé dans un communiqué du 4 mai 1994, est le suivant :

" L’IDC s’est efforcée depuis 1989 d’accompagner le processus de démocratisation au Rwanda.
Depuis 1991, en particulier, après la modification, le 10 juin, de la Constitution rwandaise dans le sens du multipartisme et la promulgation, le 18 juin, de la loi sur les partis politiques, elle a maintenu un contact constant avec indistinctement toutes les forces politiques rwandaises.
Dès ce moment, l’IDC a recommandé avec grande insistance tant au président de la république qu’au MRND et aux partis d’opposition, l’adoption rapide d’une loi électorale et l’organisation d’élections dans un délai raisonnablement bref, attirant en outre l’attention sur le danger qu’une excessive prolongation des délais ferait courir au processus de démocratisation lui-même.
L’IDC déplore que ses conseils répétés n’aient pas été suivis par les intéressés.
Dès l’ouverture des négociations d’Arusha en 1992, l’IDC a attiré l’attention de toutes les parties sur les dangers inhérents à la prolongation des délais et à l’établissement de systèmes transitoires par définition non-démocratiques pour une durée trop longue.
Après la conclusion des accords d’Arusha, l’IDC a pris nettement et publiquement position en faveur de l’application de ceux-ci.
Dans ses contacts avec les forces politiques rwandaises, elle a souligné le caractère précaire de ces accords, dont la réalisation n’était garantie par aucune autorité et dépendait entièrement de la seule bonne volonté des parties en présence, recommandant notamment de raccourcir les délais et d’avancer le processus électoral.
L’IDC a réafirmé cette position, notamment lors d’un entretien avec le FPR qui a eu lieu le 24 novembre 1993.
Dès le 7 avril 1994, l’IDC a condamné avec indignition et tristesse le lâche assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi et lance " un appel au calme afin que les forces politiques en présence évitent de recourir à la violence et tout au contraire se concertent pour la remise en route des processus en cours ".
Malgré que le FPR ait proclamé la caducité des accords d’Arusha le 9 avril 1994, dans un communiqué officiel lu par le commandant Kagame à Radio Muhabura, l’IDC a continué à insister en vue d’une solution politique du drame rwandais. Cette position n’a pas changé.
L’IDC condamne avec horreur les tueries qui ont été perpétrées au Rwanda, quels qu’en aient été les auteurs, et lance un appel pressant en faveur du respect des droits de l’homme et de la protection des organisations qui en prennent la défense.
L’IDC rappelle à l’armée de la république rwandaise que son devoir sacré et imprescriptible consiste à protéger indistinctement tous les citoyens rwandais, quelle que soit leur ethnie.
L’IDC demande aux armées en présence de respecter les règles de la Convention de Genève sur le droit de la guerre et condamne sans réserve l’annonce officielle par le commandant du FPR, Paul Kagame, de l’exécution de prisonniers de guerre. "

La commission constate cependant que l’IDC, ou, en tout cas, MM. Louis et De Brouwer, ont également maintenu leurs contacts avec certains milieux rwandais et plus particulièrement avec le gouvernement intérimaire Kambanda, extrémiste hutu, après les événements dramatiques du 7 avril 1994 et le génocide. La commission constate également que l’IDC poursuit en Belgique aussi son oeuvre de lobbying à l’égard des partis gouvernementaux.

un document projet de communiqué de presse du 5 mai 1994 intitulé " Simple exercice de style " envoyé par le fax de l’IDC (ID : PPE IDC). Selon Eugène Nahimana, responsable de presse du MRND en Belgique, ce texte a été écrit après une concertation avec un conseiller politique de l’IDC.

1. " Le gouvernement de la République fait observer qu’à aucun moment il n’a fait sienne la thèse selon laquelle l’avion du président Habyarimana aurait été abattu par des Casques bleus belges. "
2. " Si des déclarations en ce sens devaient avoir été faites par des fonctionnaires rwandais, le gouvernement de la République rwandaise se devrait de présenter sans hésiter ses excuses au gouvernement belge. "
Variante
2bis " Des déclarations en ce sens ayant été faites par des fonctionnaires rwandais, le gouvernement de la République rwandaise souligne que celles-ci ne reflètent pas le point de vue officiel et en conséquence présente sans hésiter ses excuses au gouvernement belge. "

une lettre du 30 mai 1994 d’André Louis adressée à Léon Saur et Paul Willems, secrétaires internationaux respectivement du PSC et du CVP, qui met en cause la politique du ministre des Affaires étrangères Willy Claes.

" Je me pose de plus en plus de questions concernant la politique étrangère de Willy Claes.
Rwanda : À la Commission des Affaires étangères de la Chambre, Willy Claes continue à se référer aux accords d’Arusha dont le FPR a proclamé la caducité le 9 avril 1994 ! Il faudrait savoir.
Si un jour il devait y avoir une solution politique ce qu’il faut souhaiter ce sera sur base d’un nouvel accord, sûrement pas en fonction de ceux d’Arusha.
Où en est le temps où la Belgique avait une politique étrangère qui marquait le monde ? "

un document interne du 31 mai 1994 de la main d’Alain De Brouwer, intitulé " La Politique rwandaise de la Belgique " dans lequel l’auteur formule des observations critiques concernant l’attitude du Gouvernement belge à l’égard du FPR.

" La Belgique donne de plus en plus l’impression de choisir le FPR, sans qu’il y ait eu concertation au sein du gouvernement.
Le ministre Claes devait sans aucun doute réagir aux accusations non fondées portées contre la Belgique par l’ambassadeur du Rwanda à Kinshasa et exiger les rectificatifs nécessaires, alors que notre gouvernement comme celui du Rwanda exigeait une enquête internationale neutre sur les responsabilités dans l’attentat du 6.04.94. Mais fallait-il pour autant humilier ce gouvernement intérimaire en le qualifiant d’autoproclamé, en lui déniant toute liberté de manoeuvre par rapport aux militaires et en empêchant tout contact officiel à aucun niveau (même par le biais humanitaire) ?
La Belgique n’a-t-elle pas ainsi encouragé le FPR à s’en tenir à la logique de la guerre et à repousser les appels au dialogue et à la relance du processus de paix lancés par le ministre des Affaires étrangères Jérôme Bigamumpaka ? "

une lettre du 10 juin 1994 d’Alain De Brouwer à Johan Van Hecke, président du CVP, et Gérard Deprez, président du PSC, dont l’objet est " Rwanda et demande d’audience de l’ambassadeur M. François Ngrarukiyintwuali ". Dans cette lettre, De Brouwer demande que les démocrates-chrétiens fassent entendre au sein du Gouvernement belge d’autres voix que celles qui attendent un coup d’État du FPR.

" J’ai adressé le 6 avril 94 aux responsables internationaux du CVP et du PSC une note et une analyse de la politique rwandaise de la Belgique : je vous la soumets en annexe en prévision de la visite de l’ambassadeur du Rwanda. "
Celui-ci connaît nos critiques sur les pratiques de certains milieux de l’ancien parti unique et nos positions claires et nettes sur les massacres perpétrés par les milices et la garde présidentielle et sur les odieuses répressions ethniques.
Mais n’est-il pas temps que la démocratie chrétienne au sein du Gouvernement belge fasse entendre, dans l’esprit de l’interpellation du 27 mai 1994 de M. Van Peel, d’autres voix que celles qui attendent la prise de pouvoir par le FPR, un mouvement ayant depuis près de 4 ans prôné la violence et engagé la société rwandaise dans la militarisation totale et dans les divisions fatales ?
On peut même se demander si la politique de la diplomatie belge d’isolement strict du gouvernement intérimaire (1) n’a pas encouragé le noyau militaire du FPR (qui avait dénoncé Arusha dès le 9 avril 94) à rejeter toute négociation avec la partie gouvernementale pour la reprise des accords de paix, et donc à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire totale. C’est ce qui a permis le prolongement des premiers massacres des milices et leur extension à l’ensemble du pays.
[(1) Cette politique d’isolement est telle que le ministre Claes a fait rayer du personnel diplomatique accrédité à Kigali le représentant du ministre Lebrun, M. Jean Ghiste, pour avoir participé à une mission strictement humanitaire dans la zone gouvernementale !]
Enfin, il est difficile de passer sous silence le rôle de la démocratie chrétienne dans l’histoire de ce pays ami : tout comme l’ Église, elle a appuyé la révolution sociale de 1959. "

une lettre du 1er septembre 1994 de M. André Louis à M. Gérard Deprez, président du PSC, dans laquelle le principe du " partage du pouvoir " consacré par les accords d’Arusha est une fois de plus décrié.

" Je découvre le communiqué sur le Rwanda, daté du 23 avril 1994, publié par notre ministre des Affaires étrangères.
Ce communiqué révèle que notre diplomatie n’a toujours pas tiré les leçons du sanglant échec de la politique de " partage du pouvoir " inhérent aux tristes accords d’Arusha. "

un rapport du 2 novembre 1994 de M. Alain De Brouwer adressé au Comité de gestion de l’IDC, contenant un rapport succinct concernant la rencontre de Bukavu sur le thème crucial du retour des réfugiés rwandais, 23-28 octobre 94. Cette rencontre de Bukavu, qui s’est déroulée du 23 au 28 octobre 1994, fut une initiative du comité rwandais d’actions pour la démocratie, en collaboration avec l’ONG ACT et avec le soutien du PPE. Faisaient, entre autres, partie de la délégation européenne, Mme Rika De Backer, le sénateur Jan Van Erps, le père Serge Desouter, le parlementaire européen Bernard Stasi en Alain De Brouwer. Au cours de cette mission, les membres de la délégation ont notamment rencontré Jean Kambanda, Premier ministre du gouvernement de transition et cité à comparaître par le tribunal d’Arusha, et Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères de ce même gouvernement de transition. Selon Alain De Brouwer, la délégation a été présidée par le ministre néerlandais de la Coopération au développement Pronk.

Dans son rapport, M. De Brouwer écrit que ces deux personnes lui ont laissé " une impression de grande ouverture que l’on retrouve aussi dans le mémorandum du 14 octobre 94 ci-annexé ". Selon Alain De Brouwer, ces deux hommes reconnaissent " les faits très négatifs de la campagne antibelge qui s’est développée à Kigali et aussi le caractère excessif de certaines accusations à l’encontre du Gouvernement belge ". " Jean Kambanda a adressé une lettre d’excuses à propos de ces accusations injustes au Premier ministre belge en juillet dernier mais trop tard. "

Dans ses " Premières conclusions ", M. De Brouwer écrit que " la rencontre de Bukavu a démontré qu’il existait dans les camps des groupes raisonnables prêts au dialogue et que même l’ancien gouvernement intérimaire avait fait son autocritique et avait pu se restructurer sur des bases nouvelles : voir en annexe le mémorandum du 14 octobre 94 et la composition de l’équipe ministérielle de Jean Kambanda, rajeunie et réduite à huit portefeuilles ".

D’après Léon Saur, ancien secrétaire international du PSC, entendu à sa propre demande par la commission le 30 mai 1997, il y avait des liens privilégiés entre l’IDC, le CVP et le MRND. Léon Saur a déclaré que la collaboration avec le régime était basée sur des contacts réciproques, l’IDC jouant le rôle d’organe de liaison. Léon Saur a, en outre, souligné que le PSC se démarquait de l’IDC, du moins en ce qui concerne le Rwanda, par son soutien aux accords d’Arusha ainsi que par le fait que, le 8 avril 1994, tout contact avec les représentants du MRND-Belgique ainsi qu’avec des représentants du pouvoir intérimaire ont été rompus. " Dès le mois de janvier 1991, nous avons été approchés, par l’intermédiaire de l’Internationale démocrate-chrétienne, par le MRND qui souhaitait développer des liens avec les partis sociaux-chrétiens belges, néerlandophones et francophones, et être aidé à transformer, lui-même, le pays au printemps 1991 " (376c).

Lorsqu’on lui demanda si l’IDC avait l’intention d’influencer la politique belge à l’égard du Rwanda, Léon Saur l’a confirmé en répondant : " Ce dont je suis sûr en tout cas, c’est que fort probablement l’Internationale démocrate-chrétienne a voulu exercer un rôle d’influence. Dans quelle mesure a-t-elle eu une influence, cela c’est un autre débat. Ce dont je suis certain en tout cas, c’est que ce n’était pas l’Internationale démocrate-chrétienne qui faisait la politique belge, ni la politique du Gouvernement belge. Cela, c’est très clair. De manière assez évidente, dans le cas qui nous occupe, autant manifestement le secrétaire général de l’Internationale démocrate-chrétienne était réticent au contenu des accords d’Arusha, autant la diplomatie belge s’est engagée en faveur de ces accords. Or, que je sache, les diplomates belges agissent sur ordre du Gouvernement belge, dans le mandat que leur donne le Gouvernement belge. Dans le cas qui nous occupe, il est clair qu’il y a probablement et même sûrement eu volonté de rôle d’influence auprès du Gouvernement belge, mais manifestement cela n’a pas porté de fruits " (377c).

Léon Saur confirme, en outre, qu’après le 7 avril 1994, l’IDC a établi des contacts avec le gouvernement intérimaire et a également tenté d’obtenir le soutien du PSC à cet effet. " Il est certain que l’Internationale démocrate chrétienne, plus précisément Alain De Brouwer, essayait désespérément de convaincre les interlocuteurs belges moi en tout cas d’avoir des contacts avec le gouvernement intérimaire, et ce dans la logique que j’expliquais tout à l’heure, à savoir qu’il pensait que si le gouvernement intérimaire perdait la guerre, le FPR allait s’emparer du pouvoir. Oui, il y avait des contacts entre l’Internationale démocrate chrétienne, Alain De Brouwer, et le gouvernement intérimaire " (378c) et M. Saur d’ajouter : " (...) il était clair que le MRND, pour l’essentiel, et en tout cas sa section belge, était manifestement compromis dans le génocide " (379c).

La commission a en outre constaté que l’annuaire 1995 de l’IDC mentionne, sous la rubrique " Rwanda ", le " Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement " avec la mention (invité-invitado-invited). M. Mathieu Ngirumpatse en est le secrétaire général.

Le 16 juin 1995, Léon Saur a adressé une lettre au secrétaire général de l’IDC :

" ... j’ai été très surpris de constater en parcourant l’Annuaire 1995 de l’Internationale (p. 61), distribué à l’occasion du Congrès, que le MRNDD était répertorié comme parti rwandais invité à l’IDC.
D’une part, factuellement, il m’étonnerait que l’adresse mentionnée soit encore d’actualité. Beaucoup plus grave, sinon le MRNDD en tant que tel, en tout cas nombre de ses dirigeants, sont fortement soupçonnés d’avoir joué un rôle actif dans la préparation et la conduite du génocide d’avril 1994. Certains d’entre eux sont même expressément accusés d’avoir en ces jours dramatiques appelé au meurtre.
Plus précisément, Mathieu Ngirumpatse, en qualité de président du MRNDD, a cosigné l’accord politique instituant ce gouvernement intérimaire (constitué après l’assassinat des présidents Habyarimana et Ntariamira) qui n’a pas su ou voulu empêcher le génocide. De même, ce gouvernement n’a jamais clairement dénoncé le génocide, pas plus qu’il n’a exprimé de regrets, de remords ou de repentir.
À ces titres, Mathieu Ngirumpatse aura fort probablement tôt ou tard des comptes à rendre devant la justice internationale.
Par ailleurs, s’il est tout à fait exact que le MRNDD était, avant les événements, un parti " invité " au sens où il avait posé sa candidature à l’IDC et a été invité à ce titre au XIe congrès de mars 1993, il est tout aussi vrai qu’il n’est pas le seul parti rwandais dans le cas : le MRD avait également déposé une demande d’adhésion et a également été invité au Xe congrès.
J’aimerais donc connaître les raisons pour lesquelles il a été décidé :
(soit) de maintenir le MRNDD dans l’annuaire de l’IDC
(soit) de ne pas y insérer le MDR
de maintenir des contacts avec le MRNDD et/ ou Mathieu Ngirumpatse plus généralement ; je pense qu’il est temps que l’IDC, maintenant remise sur les rails, réexamine sa politique rwandaise à la lumière de sa résolution du Xe Congrès sur le Rwanda et définisse une ligne de conduite claire et non " ambiguë ", c’est-à-dire entre autres non brouillée par le maintien de certaines relations avec certaines personnes dont le rôle avant, pendant et après le génocide ont été (et sont encore parfois) fortement douteux.
En effet, tant l’éthique que le souci d’une lutte efficace contre les dérives et les excès de plus en plus évidents des actuelles autorités de Kigali nécessitent que l’ensemble des démocrates-chrétiens mondiaux soit irréprochable dans sa politique rwandaise et donc se distancie clairement et définitivement de tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent à bon droit être soupçonnés d’avoir trempé dans le génocide. "

La commission constate que l’IDC a été très active dans le dossier rwandais et que ses interventions visaient à influencer, d’une part, les autorités belges, à la fois directement et à travers le CVP et le PSC entre autres par l’intermédiaire d’André Louis qui était, en tant que responsable de l’IDC, invité aux réunions du comité directeur et, d’autre part, les autorités ou les partis rwandais, comme en témoignent les nombreuses démarches de l’IDC dans ce sens.

La commission constate que l’IDC ou à tout le moins MM. Louis et De Brouwer a continué à avoir des contacts avec le pouvoir rwandais. Cette confiance se manifeste après le génocide dans le soutien donné au " gouvernement intérimaire " en la personne de Jean Kambanda, le Premier ministre de ce gouvernement, et de Mathieu Ngirumpatse, le secrétaire général du MNRD. Sur la base des documents et témoignages, l’attitude de l’IDC peut être résumée comme suit :
Avant les accords d’Arusha V : opposition au principe du partage du pouvoir, instauration d’un système multipartite, organisation, à terme, d’élections libres (380c).
À partir de la signature des accords d’Arusha, l’IDC souhaitait voir exécuter les accords intégralement, en insistant plus particulièrement sur l’organisation d’élections dans les plus brefs délais.
Méfiance très marquée envers la doctrine et les méthodes (" marxistes ") du FPR.
Relations amicales avec les partis MRND et MDR à partir du moment où ceux-ci s’engagent dans la voie du multipartisme et de la démocratisation. Aussi longtemps que les élections libres n’auront pas été organisées au Rwanda, ces partis obtiennent le statut d’invités et ne peuvent devenir membres de l’IDC.
Condamnation le 4 mai 1994 des massacres massifs.
Soutien au " gouvernement de transition " de M. Kambanda.

La commission constate que l’IDC n’est pas parvenue à modifier fondamentalement la position que le Gouvernement belge et les partis politiques belges affiliés à l’IDC (CVP, PSC) avaient adoptée au sujet des accords d’Arusha.

Ce constat s’impose de manière moins nette pour ce qui est de l’influence qu’a eue la position de l’IDC sur les milieux politiques rwandais, c’est-à-dire tant sur les partisans des accords d’Arusha que sur ceux qui y étaient opposés et qui ont ainsi été encouragés dans leur refus.

Quoi qu’il en soit, selon les termes de M. André Louis, cette influence aurait été limitée. Au cours de son audition devant la commission, il a déclaré qu’il avait fait de nombreuses recommandations au président Habyarimana au sujet de la situation au Rwanda. Aucune n’aurait été suivie par celui-ci.

Sur la base des divers témoignages et des nombreux documents dont elle dispose, la commission constate que l’IDC a, pendant des années, fait pression tant sur le Gouvernement belge afin d’influencer la politique belge à l’égard du Rwanda, d’ailleurs sans résultat, que sur les autorités politiques au Rwanda. La commission a en outre constaté que pendant et après le génocide, l’IDC apporte son appui au gouvernement intérimaire de Kambanda. Il faut se demander si, dans son appréciation de la situation politique et sociale au Rwanda, l’IDC a accordé suffisamment d’importance au rapport qui dénonçait les violations des droits de l’homme au Rwanda.


Source : Sénat de Belgique