La commission a constaté que du côté belge, la MINUAR a été confrontée à toute une série de difficultés technico-militaires qui auraient dû être résolues dans le cadre du centre d’opération d’Evere, des états-majors et de l’état-major général. Dans la pratique, des problèmes importants ont été traités tardivement ou n’ont pas été résolus. Cependant, toutes ces instances ont été informées de la plupart de ces problèmes directement par le(s) commandant(s) de secteur et de bataillon présents à Kigali. En outre, elles ont recu les rapports du major Guérin (31 janvier 1994) et du lieutenant général Uytterhoeven (25 février 1994) qui énuméraient et analysaient l’ensemble des difficultés se présentant sur le terrain.

La commission constate qu’il s’agit en l’occurrence de manquements graves, qui servirent d’arguments pour justifier l’impossibilité pratique de délivrer le groupe Lotin le 7 avril 1994.

Il s’agit plus particulièrement des difficultés suivantes :

la dispersion des troupes belges en quatorze cantonnements ; bien que le commandant de KIBAT I ait d’emblée fortement insisté sur la nécessité de réduire le nombre de cantonnements, il n’y a pas eu de réaction efficace ; ce n’est que quatre mois plus tard, le 24 mars 1994, que l’on a élaboré un plan visant à regrouper partiellement les cantonnements par la construction de Kigalodge ;

l’absence d’une force d’intervention rapide (QRF) ; une fois que le colonel Marchal eut constaté que le RUTBAT ne pouvait pas fournir de QRF opérationnelle au niveau de la force, comme le général Dallaire l’avait prévu, il a demandé le 8 décembre 1993 au C Ops de lui envoyer des blindés pour constituer ainsi une force d’intervention propre en attendant que le RUTBAT soit opérationnel. L’état-major général n’a pas réagi ; toutefois, les témoins ont presque tous déclaré que c’est précisément l’absence de force d’intervention rapide dotée de véhicules blindés qui a rendu du point de vue militaire une action visant à délivrer le groupe Lotin très risquée, sinon impossible ;

le retard dans la livraison des munitions lourdes supplémentaires demandées par les commandants de secteur et de bataillon ; alors que la première demande date du 15 janvier 1994, ce n’est que le 28 mars que le C Ops donne l’ordre à sa division logistique de livrer, pour le 20 avril, une partie des munitions demandées ;

le fait que l’on n’ait pas rendu les CVRT opérationnels : malgré plusieurs demandes adressées au C Ops de remettre ces véhicules et leur armement en état, Bruxelles n’est pas parvenu à prendre les mesures pour ce faire ;

les erreurs dans la préparation de KIBAT II ; à la suite des difficultés rencontrées avec KIBAT I, dont l’action était jugée, parfois à raison, mais souvent à tort, trop agressive, on a mal interprété dans la préparation de KIBAT II l’aspect " maintien de la paix " de l’opération, et bon nombre d’hommes s’imaginaient que leurs possibilités d’intervention étaient réduites à un minimum.

La commission constate en outre que l’état-major général et le C Ops d’Evere n’ont jamais utilisé complètement le contingent de 450 hommes qui était autorisé. En dépit du fait qu’il existait sur le terrain un problème manifeste de manque d’hommes, entre autres de chauffeurs et de canonniers pour les CVRT, on n’a jamais engagé plus de 428 hommes. Enfin, la commission est d’avis que l’état-major général a également commis des erreurs dans la sélection des officiers d’état-major que la Belgique a envoyés à l’ONU. Ces officiers ont été recrutés sur la base de leur propre candidature et l’état-major général n’a pas cherché les candidats les plus aptes à exercer ces fonctions importantes.

La commission constate que les opérations sont sous la responsabilité directe de l’état-major général, qu’il s’agisse de leur préparation, de l’appui ou du suivi de leur exécution.

La commission juge notamment que le lieutenant général Charlier, l’amiral Verhulst, le colonel Flament et le lieutenant-colonel Briot, en tant qu’autorités hiérarchiques coiffant le centre d’opérations, portent la responsabilité des manquements constatés.

Ils n’ont pas ou pas suffisamment tenu compte des leçons tirées des opérations antérieures.


Source : Sénat de Belgique