La commission constate qu’outre l’absence d’un service de renseignements propre à l’ONU, on eut à déplorer, pour ce qui est de la collecte et du traitement indispensables des informations, des déficiences, tant sur le terrain qu’en Belgique. S’il est vrai que les autorités civiles et militaires belges disposaient d’une masse d’informations sur la situation au Rwanda, on n’a informé les acteurs de terrain de ces analyses et de ces renseignements, ni sur place ni à Bruxelles.

La commission estime que cette situation résulte de déficiences à trois niveaux, à savoir :

(1) D’abord sur le terrain même, ou l’on ne disposait d’aucun service de renseignements spécifique, si bien que les officiers de renseignements de KIBAT et de la Force ont dû effectuer des analyses politiques en sus de la collecte d’informations d’intérêt tactique. Cette situation a encore été aggravée par l’absence quasi totale de coopération entre l’officier de renseignements de KIBAT, l’officier de renseignements de la Force, la CTM-MTS, l’ambassade et les officiers belges qui travaillaient à la Force auprès du général Dallaire. Il y avait en outre une méconnaissance de la langue locale, le Kinyarwanda, en manière telle que certains faits n’ont pas été relevés. On constate enfin qu’il y a eu une absence totale de feedback. Les responsables sur le terrain ont effectivement transmis des informations aux échelons supérieurs, mais ceux-ci ne leur ont envoyé que très rarement les informations qu’ils avaient obtenues grâce à d’autres sources sur la situation réelle sur place.

(2) Deuxièmement, en ce qui concerne le service du renseignement militaire (SGR), il a failli à sa mission dans la crise du Rwanda. Le SGR disposait ou pouvait disposer de tous les renseignements nécessaires pour réaliser des analyses sérieuses de ce qui se passait au Rwanda. Le SGR était la seule instance en Belgique à être informée, et par les officiers de renseignements, et par la CTM-MTS, et par les officiers rattachés à la Force ; il était aussi la seule instance à avoir connaissance de tous les rapports journaliers établis au niveau du bataillon, du secteur et de la Force. Il faut ajouter à cela qu’il recevait aussi une copie de la plupart des télex envoyés par notre ambassade à Kigali.

En dépit de toutes ces informations, le SGR n’a produit aucun ou quasiment aucun diagnostic pertinent, ce qui, selon la commission, est dû aux éléments suivants :

le manque d’effectifs et le manque de flexibilité qui n’étaient pas adaptés aux nécessités d’une opération sur le terrain ; un seul analyste traitait les informations, si bien que l’objectivité des évaluations a été menacée ;

on a donné davantage d’importance à la source des informations qu’au contenu de celles-ci ; il en fut incontestablement ainsi pour ce qui est des informations en provenance de la coopération technique militaire (CTM-MTS), informations qui étaient souvent assez apaisantes par rapport aux nombreuses informations souvent inquiétantes venant d’autres sources, comme l’ambassadeur et les officiers de renseignements de KIBAT I et II ;

l’action en retour (feedback) était inexistante ; les quelques analyses que le SGR a réalisées ne sont jamais parvenues à Kigali.

(3) Troisièmement, le Gouvernement belge ne dispose d’aucun instrument d’analyse et de coordination pour préparer sa politique, par la collecte, l’analyse et la transposition en recommandations des informations émanant des diverses sources de renseignements disponibles (Affaires étrangeres, SGR, Sûreté de l’État et autres). En ce qui concerne plus particulièrement le Rwanda, la cellule " Afrique " du département des Affaires étrangères n’est pas équipée pour cette mission et, de surcroît, elle manque d’effectifs. Elle n’est, par conséquent, pas en mesure d’émettre les analyses approfondies et les recommandations nécessaires en temps de crise.

En ce qui concerne le manque de coordination sur le terrain, la commission estime que le général Dallaire et, dans une moindre mesure, le commandant de secteur, le colonel Marchal, n’ont pas pris suffisamment d’initiatives pour pallier cette carence. En ce qui concerne le fonctionnement du SGR, la commission est d’avis que l’analyste du Rwanda, le major Hock, a accordé une attention trop unilatérale aux renseignements émanant de la coopération technique militaire au Rwanda. Quant à ses supérieurs, le général-major Verschoore et le général-major Delhotte, ils n’ont pas réussi à adapter le fonctionnement de leur service en fonction des exigences de la participation belge à l’opération MINUAR. Enfin, la commission estime que les Gouvernements successifs ont accordé trop peu d’attention au développement d’une cellule " Afrique " efficace au sein du département des Affaires étrangères, et n’ont pas débloqué suffisamment de moyens pour pouvoir créer une telle cellule.


Source : Sénat de Belgique