Les auteurs de l’horrible assassinat des paracommandos sont des Rwandais. La commission est d’avis que ceux qui doivent être tenus pour coupables de ce crime ne sont pas seulement ceux qui ont porté la main contre nos militaires, mais aussi certaines autorités politiques et militaires rwandaises et tous ceux qui ont mené la campagne antibelge, qui a commencé dès avant le déploiement de nos troupes et qui a culminé après l’assassinat du président. Il appartient à la justice de juger les coupables.

La commission rappelle à cet égard que nos soldats ont été assassinés dans l’enceinte d’une caserne de l’armée rwandaise, donc dans un édifice public sous la protection des autorités d’un pays " ami " avec lequel nous entretenions une forte coopération au développement et une coopération technique militaire. La commission rappelle également qu’à quelques centaines de mètres du drame, la quasi-totalité des officiers supérieurs des FAR étaient rassemblés pour une réunion de crise en présence du général Dallaire.

La commission est d’avis qu’un grand nombre des événements du 7 avril 1994 s’expliquent par le constat que la MINUAR I n’a accompli que partiellement les missions qui lui ont été confiées. Dans la région de Kigali, notamment, elle n’a effectué qu’un nombre limité d’actions de désarmement. Par ailleurs, l’attitude militaire qu’elle a adoptée avant le 7 avril 1994 a joué un role important. Cette attitude a fait, entre autres, que la MINUAR est devenue de moins en moins crédible aux yeux des Rwandais (par exemple en s’abstenant de liquider les caches d’armes, en ne réagissant pas à de nombreuses provocations, ...), lesquels, de ce fait, ont eu l’impression qu’ils pouvaient entraver inpunément l’action de la MINUAR. Pour les hommes de celle-ci, cette attitude passive, conjuguée à la " crainte de la bavure ", a produit un état de désarmement psychologique. En outre, l’interprétation restrictive qui était faite des ROE a provoqué chez certains la perte du réflexe normal de légitime défense. De plus, la confiance que la MINUAR plaçait dans les forces armées rwandaises a fait que les Casques bleus ne se sont pas méfiés suffisamment des troupes et des gendarmes rwandais. Il est probable que cela explique en partie pourquoi le lieutenant Lotin s’est laissé désarmer et pourquoi on n’a pas envisagé une action armée pour le dégager. C’est l’ONU et le général Dallaire qui portent la responsabilité pour ce qui est des constatations susvisées Les commandants militaires belges sur place assument également une partie de cette responsabilité.

La commission a dû constater tout d’abord, dans son analyse des événements, qu’il n’y avait eu aucune coordination à quelque niveau que ce soit et moins encore de scénario qui aurait permis de faire face aux événements dramatiques du 7 avril 1994.

La commission estime ensuite que le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Booh Booh, ainsi que plusieurs officiers supérieurs de la MINUAR ont mal apprécié la portée des événements dans la nuit du 6 au 7 avril. Cette mauvaise appréciation a amené les officiers concernés à adopter une attitude passive alors que le groupe Lotin, qui était chez la Première ministre rwandaise, était en difficulté. On a maintenu cette attitude après que le groupe Lotin eut été fait prisonnier et qu’il eut été lynché au Camp Kigali.

La commission estime que dans les moments critiques de la crise rwandaise, les personnes suivantes n’ont pas réagi aux événements de manière adéquate et, pour certaines, qu’elles n’ont pas réagi de manière professionnelle.

M. Booh Booh, représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies. La commission estime que le représentant spécial n’a pas été à la hauteur de sa mission. À partir du 6 avril, il a été totalement passif. Concrètement, cela a eu pour conséquence que le général Dallaire, le Force Commander, a dû s’occuper également des aspects politiques de la mission MINUAR, l’aspect militaire ayant été relégué au second plan.

Le général Dallaire, Force Commander. La commission estime que les escortes des personnalités politiques, et plus particulièrement de la Première ministre, étaient nécessaires et ne pouvaient être réalisées que par les soldats de la MINUAR. La commission estime également qu’il était imprudent et peu professionnel de la part du général Dallaire, dans ces circonstances, de les faire effectuer le 7 avril avec aussi peu de précautions militaires. C’est d’autant plus vrai que, comme le montre son témoignage écrit, le général Dallaire était parfaitement au courant du fait que l’homme fort du régime, le colonel Bagosora, était opposé à ce que l’on accompagne Mme Agathe Uwilingiyimana, la Première ministre rwandaise, à Radio Rwanda. Par ailleurs, la commission ne comprend pas pourquoi le général Dallaire, qui avait aperçu les corps des Casques bleus au camp Kigali, n’en a pas parlé immédiatement aux officiers supérieurs des FAR à la réunion de l’École supérieure et n’a pas exigé l’intervention urgente des officiers rwandais présents. Cela semble traduire une grande indifférence de sa part. D’ailleurs, le général Dallaire a également négligé d’informer son commandant de secteur de ce qu’il avait observé et de lui donner les instructions nécessaires.

Le major Maggen, membre de la cellule opérations au quartier général de la Force, a fait des déclarations contradictoires devant les diverses instances d’enquête. Selon la commission, il est exclu que le major Maggen n’ait rien vu ni entendu lorsqu’il est passé, en compagnie du général Dallaire, devant le camp Kigali où les paracommandos belges se battaient pour sauver leur vie. Il est incompréhensible et répréhensible que le major Maggen n’ait pas confronté, dans la matinée du 7 avril, le général Dallaire avec ce qu’il avait vu et entendu le matin même et plus particulièrement avec l’information, vers 9 h 30, selon laquelle il y aurait eu plusieurs morts au camp Kigali.

Le colonel Marchal, commandant de secteur, a mal apprécié la situation au moment des événements tragiques. Il a continué à croire à la volonté de collaborer et à la bonne foi des forces armées et de la gendarmerie rwandaises pensant qu’elles allaient résoudre l’incident concernant le peloton Mortiers du lieutenant Lotin, même si, tôt dans la matinée du 7 avril 1994 déjà, il s’est avéré que cette confiance n’était pas fondée et que les hommes couraient un grave danger.

Le colonel Dewez, commandant de KIBAT II, a lui aussi mal évalué la situation pendant les événements tragiques. Il a également continué à croire à la volonté de collaborer et à la bonne foi des forces armées et de la gendarmerie rwandaises même si, tôt dans la matinée du 7 avril 1994 déjà, il s’est avéré que cette confiance n’était pas fondée et que les hommes couraient un grave danger.

De plus, selon sa propre lettre du 4 juillet 1997 adressée à la commission, le colonel Dewez n’a pas eu " une réaction normale pour un militaire " au moment des faits. Il a commis l’erreur de ne pas donner les directives claires nécessaires au lieutenant Lotin.

Dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, lui-même et le major Choffray ont eu le tort de ne pas prendre les mesures nécessaires pour distribuer aux compagnies de KIBAT les munitions et les armes plus lourdes entreposées à Rwandex.


Source : Sénat de Belgique