La question du contrôle extérieur des prisons a été au centre des discussions de la commission d’enquête ; l’audition de M. Ivan Zakine, membre du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), a permis de réfléchir à ce que devrait être l’autorité impartiale chargée de vérifier les conditions de détention. Organe indépendant international, le CPT procède à des visites inopinées des lieux de contrainte et de détention dans tous les pays du Conseil de l’Europe.

La réflexion sur le contrôle extérieur a également porté sur la responsabilité des politiques et du législateur en matière d’établissements pénitentiaires. Cette réflexion s’est trouvée concrétisée par l’adoption, à l’unanimité, d’un amendement présenté par M. Jean-Luc Warsmann à la loi sur la présomption d’innocence, autorisant les députés et les sénateurs à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires. Il serait souhaitable que cette nouvelle forme de contrôle trouve sa prolongation dans l’instauration d’une mission de suivi permanent au sein de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

L’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires était également le thème de réflexion de la commission présidée par M. Guy Canivet, premier président de la cour de cassation.

" S’agissant des modalités du contrôle extérieur, notre groupe de travail en a distingué trois fonctions essentielles. La première est le contrôle strictement compris, c’est-à-dire la vérification ou l’inspection des prisons, sur le modèle pratiqué par le comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe et destiné à s’assurer, par des moyens appropriés et contraignants, que l’administration remplit correctement sa mission à l’égard des détenus et ne pratique à leur égard aucun traitement contraire à la dignité. Cette fonction serait assurée par un service de " contrôle général ". La deuxième est l’apaisement par la médiation, c’est-à-dire le traitement des requêtes individuelles des détenus contre l’administration et le règlement des litiges de la vie pénitentiaire. Il faut, pour décrisper la vie en prison, qu’existe un médiateur pénitentiaire pour traiter des conflits entre le détenu et l’administration et éviter les réactions de soumission ou de révolte. La troisième est une fonction d’observation : dans tous les grands systèmes pénitentiaires, il existe un regard extérieur sur la prison assuré par des personnes, mues par un esprit civique particulier, qui acceptent de participer à la vie pénitentiaire, de rencontrer des détenus en détention pour être, à l’extérieur, les garants du traitement digne et correct de ces détenus.

Pour qu’un tel contrôle extérieur soit effectif, il doit être exercé, dans toutes ses modalités, par des organes indépendants de l’administration dotés de moyens et pouvoirs suffisants.

Il convient, en outre, de mettre en cohérence l’ensemble de ces contrôles administratifs ou judiciaires existants, cohérence que nous proposons d’assurer de deux manières : au niveau national, en donnant au contrôleur général la mission de rassembler tous les contrôles techniques et de les évaluer afin de pousser les administrations à mieux exercer les missions spécifiques dont elles sont chargées en prison, au niveau local, en confrontant annuellement, au sein d’une commission d’établissement, le rapport d’activité du chef d’établissement avec tous les contrôles techniques réalisés localement, c’est-à-dire dresser un bilan et tirer les conséquences de l’action en prison de toutes les administrations extérieures : santé, éducation, travail, hygiène, etc. " (M. Guy Canivet, Premier Président de la cour de cassation)

Le système proposé par la commission Canivet, qui attribue à un contrôleur général des prisons la fonction de vérification, à des médiateurs de prison, la fonction de médiation et à des délégués des médiateurs la fonction d’observation, apparaît quelque peu complexe ; à trop scinder de façon quelque peu artificielle les fonctions de contrôle, on risque d’aboutir à une dissémination qui nuit à une vision globale de l’administration pénitentiaire.

La mise en place d’un contrôle extérieur paraît pour autant indispensable ; il faut absolument que puisse être contrôlé dans quelles conditions s’effectue un acte aussi grave que celui de priver quelqu’un de sa liberté. Cette exigence ne participe pas du tout d’une logique du soupçon qui règne actuellement à l’encontre de l’administration pénitentiaire. Elle doit être au contraire vécue comme le seul moyen de faire cesser le soupçon et de montrer, de façon impartiale et incontestable, que l’administration pénitentiaire remplit convenablement les missions qui lui sont assignées. Elle doit permettre de briser la loi du silence qui régit encore trop souvent les prisons.

L’exemple canadien pourrait dans cette optique constituer un cadre de réflexion intéressant. La création d’un organisme indépendant chargé de traiter les plaintes des détenus remonte à 1973 et répondait à la demande formulée par une commission d’enquête.

La loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, grande loi pénitentiaire entrée en vigueur en novembre 1992, comporte une troisième partie consacrée au contrôle des établissements pénitentiaires et précise le rôle, les pouvoirs et les responsabilités de " l’enquêteur correctionnel ", ombudsman des détenus en établissements fédéraux, c’est-à-dire condamnés à une peine supérieure à deux ans. L’enquêteur correctionnel est indépendant du service correctionnel du Canada et est chargé d’étudier les plaintes formulées par les détenus et d’y répondre.

Il peut également prendre lui-même l’initiative d’une enquête ou intervenir à la demande du ministre de tutelle du service correctionnel, le sollicitor general.

L’enquêteur correctionnel est nommé en Conseil des ministres pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Il dispose d’une équipe de fonctionnaires assermentés. Les détenus peuvent saisir l’enquêteur correctionnel par téléphone en cas d’urgence. Est considérée comme une urgence une situation dans laquelle le détenu n’arrive pas à résoudre immédiatement un problème susceptible de lui occasionner des difficultés sérieuses ou une infraction aux droits du détenu. Hors urgence, le détenu doit saisir l’enquêteur par écrit.

Pour mener une enquête, l’enquêteur correctionnel a accès à tous les renseignements et documents que possède le service correctionnel. Il peut entendre sous serment qui bon lui semble.

A l’issue de l’enquête, l’enquêteur émet des recommandations à l’intention de l’administration pénitentiaire, mais n’a pas de pouvoir décisionnel. Il dépose chaque année un rapport au Parlement.

Indépendamment des enquêtes faisant suite à une plainte, les enquêteurs rencontrent régulièrement des comités de détenus et font des visites annoncées dans les établissements à l’occasion desquelles les prisonniers peuvent demander à les rencontrer.

En 1999, le Bureau de l’enquêteur a reçu 4 529 plaintes. Elles concernent tous les aspects de la détention : isolement, placement en cellule double, occupation des cellules, régime alimentaire, services de santé, accès aux visites familiales, accès aux programmes de réinsertion, violences, etc.

Lors de son déplacement au Canada, la commission a été accompagnée, au cours de ses visites d’établissements fédéraux, par un responsable des services de l’enquêteur correctionnel et a pu constater que le personnel pénitentiaire admet parfaitement cette fonction qui bénéficie, il est vrai, d’une expérience de près de trente ans.

La commission d’enquête s’est déclarée favorable à la création d’une seule instance, aux pouvoirs étendus qui pourrait prendre la forme d’une Délégation générale à la liberté individuelle chargée de contrôler tous les lieux d’enfermement.

Dans notre pays, il existe en effet de multiples lieux de rétention, d’enfermement, de privation de liberté. Les plus importants ont pour rôle la sanction, le rappel à la loi, la préparation d’une enquête, une instruction judiciaire. Ces lieux concernent l’ensemble des établissements relevant de l’administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que les locaux de garde à vue dépendant du ministère de l’Intérieur (les commissariats), du ministère de la Défense (les compagnies ou brigades de gendarmerie).

A ces lieux, on peut ajouter les espaces d’hospitalisation ou de soins réservés aux détenus et prévenus dans le système hospitalier.

Ce ne sont pas les seuls lieux d’enfermement. On peut y ajouter les centres de rétention et de regroupement des étrangers susceptibles d’être expulsés, les locaux militaires de mise aux arrêts, les hôpitaux psychiatriques.

La Délégation générale à la liberté individuelle devra assurer la transparence nécessaire dans un état de droit, sur le fonctionnement et les conditions d’utilisation des lieux d’enfermement, afin d’assurer les citoyens de leur juste utilité, d’éviter les abus, de rassurer les personnels et responsables de ces services sur leurs nécessaires missions.

Elle ne pourra se substituer aux missions d’inspection des services dont disposent les différents ministères, tuteurs de ces lieux, ni aux commissions d’enquête parlementaires que pourraient décider le Sénat ou l’Assemblée nationale, ni aux commissions que le pouvoir exécutif mettrait en place pour envisager des propositions et solutions novatrices.

Elle visitera, quand elle le voudra, tout ou partie des lieux d’enfermement, donnera son avis sur leur situation, sur les problèmes qu’ils pourraient engendrer. Elle enquêtera sur les incidents, accidents dont elle aurait connaissance. Pour ce faire, elle entendra qui elle jugera utile et pourra se faire remettre toutes les pièces, dossiers, rapports utiles à la bonne connaissance des faits.

La Délégation générale à la liberté individuelle aura accès aux dossiers personnels des privés de liberté, hors leur dossier médical, mais elle pourra s’entretenir avec les médecins et le personnel médical. Elle pourra connaître des rapports médicaux en cas de maltraitance, de dénonciation de maltraitance, de maltraitance supposée, ainsi que des rapports d’enquêtes après les tentatives de suicides ou les suicides, y compris des rapports d’autopsie.

La Délégation générale à la liberté individuelle pourra recevoir plaintes et dénonciations de tous citoyens ou associations reconnues.

Les courriers adressés par les personnes privées de liberté bénéficieront de la confidentialité.

La Délégation générale à la liberté individuelle fera rapport après chaque intervention ou visite. Elle établira un rapport d’activité qui comportera des propositions de correction des anomalies qu’elle aura constatées dans sa mission. Ce rapport sera adressé au Premier ministre et aux membres des assemblées parlementaires.

La Délégation générale à la liberté individuelle sera rattachée au Premier ministre. Le délégué général, personnalité reconnue, sera nommé en conseil des ministres ainsi que les délégués régionaux, les délégués dans les territoires et départements d’outre-mer. Ceux-ci dépendront hiérarchiquement du délégué général. Ces fonctions seront limitées dans le temps et, en tout état de cause, ne pourront dépasser deux fois quatre ans.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr