Les actions socio-éducatives menées dans les établissements pénitentiaires se caractérisent par leur multiplicité et leur extrême diversité.
Il en ressort le sentiment qu’un grand nombre de possibilités sont offertes, que ce soit en termes d’enseignement, de formation, d’activités culturelles, de sport... mais que les pratiques et l’accès à ces activités sont extrêmement différents, d’abord en fonction des établissements, ensuite en fonction des détenus.
A) UNE TRES GRANDE DIVERSITE DES ACTIVITES ET DE L’ACCES A CELLES-CI
Une première différence fondamentale tient au type d’établissement : maison d’arrêt ou établissement pour peine.
En maison d’arrêt, la brièveté du séjour qui est en principe la règle, rend difficile toute action de formation professionnelle.
Ce constat est aggravé par la difficulté, déjà évoquée, qui résulte de l’ampleur des mouvements de détenus d’un établissement à l’autre.
Paradoxalement, ce sont pourtant les condamnés aux plus courtes peines qui devraient le plus pouvoir bénéficier d’actions de réinsertion. Même si les généralisations sont difficiles, il est vrai que celles menées dans les maisons d’arrêt s’adressent plutôt à des condamnés, voire à des procédures criminelles au moins pour les formations d’une certaine durée, car on a l’assurance qu’ils vont rester un temps suffisant.
Le régime de détention influe également sur l’organisation des activités. Elles seront plus faciles d’accès dans les établissements pour peine et notamment dans les centres de détention régionaux, les plus tournés vers la réinsertion.
Le centre de détention régional de Saint-Sulpice est, de ce point de vue, un bon exemple de ce qu’un établissement de petite taille (84 détenus) peut réaliser, s’il est doté de moyens et de personnels adaptés (formation professionnelle, travail pénal, soutien psychologique, passage du permis de conduire y compris de la conduite, initiation informatique...). Ceci s’opère toutefois au prix d’une sévère " sélection " à l’entrée au regard des objectifs de l’établissement, ce qui contribue à sa sous-occupation (84 détenus pour 102 places).
En tout cas, un régime ouvert dans ce type d’établissement offre des possibilités sans comparaison avec celui d’une maison d’arrêt où, pour des raisons liées à la durée de la condamnation ou aux procédures d’affectations et à leurs délais, des condamnés vont pourtant purger leur peine.
Dans les établissements accueillant les plus longues peines, centres de détention nationaux ou maisons centrales, la problématique est encore différente. Elle s’inscrit dans celle de la gestion de la longue peine.
Donc, même si l’on retrouve des constantes, dans la nature des enseignements notamment, ce qui est possible - ou a été commencé - dans un établissement ne sera plus possible dans un autre et le parcours entamé sera interrompu en cas de changement d’établissement.
Les établissements implantés en zone rurale peuvent avoir du mal à faire venir des enseignants - c’est le cas à Clairvaux : un seul instituteur intervient, alors que le pourcentage d’illettrés est très important. En outre, son action est concentrée sur le centre de réinsertion, la maison centrale étant, de fait, secondaire. Aucun étudiant du GENEPI n’intervient non plus.
C’est aussi le cas du centre pénitentiaire de Château-Thierry où aucun enseignant n’a accepté actuellement d’intervenir (6 heures de français et de mathématiques sont assurées sur des crédits du fonds d’action sociale).
On retrouve aussi, sur cette question, les contraintes liées aux locaux, les salles de classe, les ateliers mais aussi les équipements sportifs, inégalement disponibles car des établissements sont très bien équipés alors que dans d’autres, les cours de promenade servent aussi de terrain de sport et les fonctions de moniteur de sport ne sont pas toujours assurées. Le sport, en détention, est pourtant un facteur essentiel d’équilibre.
La vie en cellule, comme dans les maisons d’arrêt, sans accès à une salle d’étude, est peu propice au suivi d’une scolarité, en particulier quand la cellule est occupée par plusieurs détenus. De même, l’accès au matériel pédagogique est assuré de façon variable. Ils est en principe fourni par les établissements, sur leur budget, en fonction des demandes des formateurs.
Mais les impératifs de sécurité avancés par l’administration empêchent souvent, là aussi en fonction des règles fixées par le directeur d’établissement, l’envoi de matériels pédagogiques par les associations de bénévoles. Cela peut constituer un vrai obstacle pour l’obtention par exemple d’une calculatrice par un détenu suivant une formation en comptabilité. Il devra l’acheter en cantine alors que certains équipements pourraient lui être fournis gratuitement.
Enfin, s’y ajoute le problème de l’accès aux activités pour certaines catégories pénales : délinquants sexuels et indigents. Ces derniers, qui sont souvent ceux qui sont aussi confrontés aux problèmes d’illettrisme, auront à faire un choix immédiat entre se procurer des revenus grâce au travail pénal ou bien suivre une formation.
" Je terminerai par le conflit entre l’enseignement, la formation et le travail. Les détenus économiquement les plus pauvres sont aussi les plus pauvres culturellement et scolairement. Ils ont donc besoin de travailler en prison pour accéder à un minimum de revenus pour cantiner. Quand il s’agit de faire le choix entre aller à l’école, apprendre à lire et à écrire, ou travailler à l’atelier pour gagner de l’argent, le choix est vite fait ! Les illettrés, ceux ayant un faible niveau scolaire, vont immédiatement travailler et ne suivent pas les enseignements. Nous ne croyons plus vraiment à la réinsertion par le travail en prison. La réinsertion passe par la culture, par des minimums de base, savoir lire et écrire. Le pourcentage d’illettrés en prison est énorme. Il faut absolument orienter les moyens vers la réinsertion par l’enseignement, en d’autres termes que les détenus soient rémunérés pour se former. Même s’il s’agit d’une " carotte ", il ne sera pas possible autrement d’assurer une mission de réinsertion en prison. [...]
" La prison n’est pratiquement que contrainte. C’est pourquoi je ne suis pas prête à entendre l’administration pénitentiaire déclarer qu’elle ne peut contraindre les gens à se rendre en cours. Elle n’a qu’à les motiver d’une façon ou d’une autre. Le détenu étant dans une situation où il doit absolument travailler pour gagner un peu d’argent et où il ne peut se former, il convient de lui donner les moyens. " (Mme Cécile Rucklin, présidente du GENEPI)
Des solutions doivent être trouvées pour permettre cet accès qui est prioritaire. Cela renvoie à l’organisation de la journée de détention, mais plus simplement aussi à celle du service général puisque l’administration pénitentiaire en a la maîtrise totale.
Il serait indispensable de développer des solutions de type formation en alternance, dans le cadre du service général ou de prévoir une rémunération des formations, notamment celle de lutte contre l’illettrisme, par exemple en développant les bourses d’études pour les indigents.
B) LE BILAN GLOBAL DES ACTIVITES DE FORMATION ET D’ENSEIGNEMENT
LES FORMATIONS PROFESSIONNELLES
Environ 4 millions d’heures stagiaires ont été délivrées en 1999 au titre de la formation professionnelle. Elles ont concerné 22 000 stagiaires pour une moyenne de 187 heures.
Ces actions de qualification et de préqualification couvrent, pour l’essentiel (63 %), trois secteurs professionnels : métier du bâtiment, métiers de l’électricité et de l’électronique, métiers de bouche.
Les formations professionnelles peuvent se voir adresser des critiques relatives à leur adaptation aux besoins du marché, mais celles-ci ne sont pas d’une nature différente des problèmes de la formation professionnelle en général. Toutefois, on peut s’interroger sur la simple transposition de méthodes appliquées à l’extérieur sans réflexion sur leur adaptation à un public spécifique.
Par contre, son exercice en milieu pénitentiaire a lieu dans un contexte particulier.
Plus encore que l’accès à une formation, son inscription dans une " filière " est essentielle, particulièrement pour un condamné à une longue peine et a toute sa place dans une utilisation efficace du projet d’exécution de peine. Seule, une articulation avec la formation et sa pratique ensuite, soit dans le cadre du service général ou du travail en atelier, peut lui donner une valeur réelle et lui réserver un usage autre que celui de l’obtention de remises de peine qui est, en effet, bien souvent le moteur pour suivre une formation, quelle qu’elle soit, plus que la conduite réfléchie d’un parcours d’insertion.
" J’ai mis en place des visites professionnelles :tous les mois, les détenus rencontrent des compositeurs, des ingénieurs du son, des acousticiens, des bruiteurs, des sonorisateurs de Radio France, de la FEMIS, de l’école de Vaugirard, de France 3... Ceux qui sont avec moi depuis sept ans, à raison de dix visites par an, connaissent soixante-dix personnes de leur métier. Je ne pense pas que beaucoup d’écoles de son à l’extérieur proposent un réseau de cette nature. Nous sommes en constante relation avec Radio France. Pour moi, apprendre un métier consiste à être en relation avec les gens de ce métier. La régie industrielle de l’administration pénitentiaire implantée à Saint-Maur a une activité de menuiserie. Elle n’a pas invité de sculpteurs, d’ébénistes ou de charpentiers. Les détenus confectionnent des tiroirs ou des cercueils. Sans savoir que l’on peut tomber amoureux du bois. Ils préparent leur CAP pour se faire bien voir du juge de l’application des peines. Ils n’imaginent pas que cette perche qu’on leur a tendue et qui, pour eux, est une sorte de jeu de cache-cache avec l’administration, pourrait être un lieu d’émancipation, d’éclosion sociale, esthétique, intellectuelle, affective et surtout un lieu d’investissement personnel et d’expression. " (M. Nicolas Frize, Ligue des droits de l’homme)
La formation de tailleurs de pierre organisée à Clairvaux est une illustration frappante du dévoiement de la formation professionnelle : aucun des détenus la suivant n’envisage d’exercer cette activité à sa sortie !
Des expériences tout à fait positives mériteraient d’être encouragées. C’est le cas des chantiers d’insertion extérieurs montés dans certaines régions touchées par les tempêtes comme à Chaumont. En l’absence de financement spécifique, ces initiatives dépendent de partenariats locaux. Elles sont pourtant un instrument efficace pour associer phases de travail et formation théorique. Leur affecter des financements adéquats serait indispensable.
L’ENSEIGNEMENT
La procédure de repérage de l’illettrisme à l’entrée des établissements a mis en évidence les très grandes difficultés auxquelles sont confrontés les entrants en maison d’arrêt :
– 56 % sont sans diplômes, 81 % ne dépassent pas le niveau du CAP,
– 42 % sont issus de filières courtes ou sont en échec scolaire
– 19 % sont en situation d’illettrisme grave ou avéré au regard du bilan lecture, 14 autres % échouent au test du fait de difficultés moindres.
L’administration pénitentiaire, avec l’aide de l’éducation nationale, met en place des enseignements dans les établissements. Ainsi, plus de 30 000 détenus ont été inscrits en cours d’année scolaire dans les différentes actions :
– plus de 18 000 personnes ont suivi une formation de base relevant soit de l’alphabétisation et de la lutte contre l’illettrisme (7 200), soit de la remise à niveau dans les domaines fondamentaux (10 800) ; 1 960 d’entre elles ont été reçues au certificat de formation générale,
– plus de 12 000 détenus ont suivi des cours du secondaire et préparé des diplômes du brevet des collèges jusqu’au BTS : 189 brevets des collèges ont été délivrés en 1999, 241 CAP ou BEP, 56 DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires), 48 bac et 52 diplômes de l’enseignement supérieur.
Actuellement, plus de 15 % des détenus participent en cours d’année scolaire à des activités d’enseignement.
Un accent particulier doit être porté sur la lutte contre l’illettrisme, compte tenu du fort taux de personnes illettrées en prison.
Outre l’hypothèque que ce handicap constitue dans la perspective d’une réinsertion, il constitue aussi une entrave dans la vie quotidienne en prison où toute demande doit être formulée par écrit.
La première étape est le repérage. Celui-ci, initié en 1995, s’est étendu en 1999 à 146 établissements. Ce repérage présente également l’intérêt de susciter une demande de formation de la part des détenus grâce à la rencontre systématique de ceux ayant connu des échecs scolaires importants.
Le bilan dressé par ce repérage, évoqué plus haut, justifie des moyens renforcés quantitativement et qualitativement, afin notamment que soient élaborés des outils pédagogiques adaptés. La lutte contre l’illettrisme doit pouvoir être intégrée dans la prise en charge globale des détenus.
Il faut, enfin, insister sur le fait que le soutien aux associations de bénévoles est très important, notamment parce que celles-ci (comme AUXILIA qui assure des cours par correspondance) exercent leur activité tout au long de l’année et donc pendant la période d’été, période pendant laquelle les cours dispensés par l’éducation nationale s’arrêtent. L’administration pénitentiaire lui demande d’ailleurs de renforcer son effort pendant cette période.
LA SCOLARITE DES MINEURS
Les mineurs de 16 ans, sont comme à l’extérieur, soumis à l’obligation scolaire.
3 045 mineurs ont été scolarisés en prison en 1999. Les heures d’enseignement restent peu élevées, notamment parce que les enseignants sont contraints d’intervenir auprès de groupes très limités en nombre, voire de façon individuelle. A la rentrée scolaire de 1999, la moyenne nationale hebdomadaire a été portée, grâce à des moyens nouveaux, à neuf heures (au lieu de sept heures).
" En prison comme ailleurs, les mineurs ont l’obligation de scolarité, mais les enseignants sont souvent débordés dès qu’il y a plus de cinq mineurs dans la classe. Ils ne prennent pas la peine de contraindre ceux qui ne veulent pas venir sous peine de compter des éléments très perturbateurs dans les classes qui viendraient gêner les rares mineurs motivés. C’est un fait extrêmement grave. Nous dressons ce constat, sans, toutefois, proposer de réponse, car nous sommes aussi désemparés que les surveillants et les travailleurs sociaux. Nous sommes confrontés à des situations et à des individus dont nous ne comprenons pas le fonctionnement...
Très souvent, on nous demande d’intervenir dans les quartiers mineurs au prétexte que nous sommes jeunes et que nous pourrons lier plus facilement contact. Tel n’est pas notre objet. Le GENEPI intervient toujours en complémentarité des travailleurs sociaux et des enseignants. Alors que la scolarité est obligatoire jusqu’à seize ans, il y a trop peu d’enseignants pour faire suivre cette scolarité. On envoie donc des intervenants bénévoles, les génépistes. Dorénavant, nous refusons d’intervenir là où les professionnels n’interviennent pas. " (Mme Cécile Rucklin, présidente du GENEPI)
L’obligation scolaire cesse à partir de 16 ans. Les mineurs de 16 à 18 ans refusent, bien souvent, de suivre des cours au prétexte que ceux-ci ne sont pas obligatoires.
Devant ce constat, il convient de se demander s’il ne faudrait pas étendre l’obligation de suivre des cours, en détention, aux mineurs de 16 à 18 ans.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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