Le développement des solutions alternatives à l’incarcération doit absolument être considéré comme une priorité par le ministère de la Justice. C’est dans ce développement que réside incontestablement la solution au problème du surencombrement dans les maisons d’arrêt. Il faut bien entendu, pour cela, une véritable volonté politique, assortie des moyens budgétaires adéquats. Mais il importe également d’accomplir un effort pédagogique en direction de l’opinion publique : les solutions alternatives sont des sanctions au même titre que l’incarcération. Il ne s’agit pas, en effet, de faire accroire que la petite et moyenne délinquance, principalement concernées par ces mesures, restent impunies. Il faut, dès lors, insister sur le caractère profondément déstructurant des courts séjours en prison qui ne peuvent prévenir la récidive et qui, trop souvent même, l’induisent.

Les peines alternatives - improprement d’ailleurs appelées alternatives comme si l’incarcération devait être la norme - développent au contraire une logique d’insertion tout à fait intéressante.

L’éventail des mesures alternatives existantes permet d’adapter la sanction aux différents types de délinquance ; la progression de l’ensemble des mesures permet d’affirmer que celles-ci sont de plus en plus crédibles aux yeux des magistrats.

Le sursis avec mise à l’épreuve a dépassé les 100 000 mesures depuis le 1er janvier 1998. Au 1er janvier 1999, il représente 76,1 % des peines alternatives prises en charge par les services d’insertion. Cette mesure reste la plus utilisée par les juridictions et touche une classe d’âge assez large. L’accompagnement de la personne dans le temps, sachant que la durée moyenne d’un sursis avec mise à l’épreuve a été, en 1998, de 22,8 mois (contre 23,2 mois en 1994), permet de mettre en place un travail partenarial. Les juridictions y ont recours plus particulièrement pour le cas d’abandon de famille, les atteintes aux moeurs, les coups et violences volontaires, le vol et le recel.

Le travail d’intérêt général a également connu une forte progression. Entre le 1er janvier 1994 et le 1er janvier 1999, le nombre de condamnés à une peine de travail d’intérêt général a augmenté de 83,3 %. Depuis 1989, il a été multiplié par cinq. Cette progression importante du travail d’intérêt général, particulièrement forte depuis 1994, est sans doute due à l’effet conjugué de deux événements : l’entrée en vigueur du nouveau code pénal qui impose des conditions très rigoureuses à l’octroi du sursis simple et l’opération de communication menée à l’occasion du dixième anniversaire de cette peine.

Cependant, en 1998, les mesures de travail d’intérêt général ont marqué le pas puisqu’elles n’ont augmenté que de 0,8 % contre 5 % en 1997 et représentent seulement 16,7 % des mesures de milieu ouvert. Deux contentieux représentent 80 % des condamnations au TIG : le vol-recel et la circulation routière.

Une enquête menée en 1997 tend à démontrer une demande forte des magistrats à l’égard de l’exécution de la mesure et la mise en place d’un suivi qualitatif, lequel ne constitue pas toujours un objectif pour les partenaires administratifs ou associatifs ; les exigences accrues des magistrats expliqueraient la stagnation de cette peine.

Les condamnés sont majoritairement affectés à des postes proposés par des collectivités territoriales et ne présentant généralement pas d’exigences particulières. Les condamnés ont un rôle de complément de main-d’_uvre mais ne se substituent pas à des postes de titulaires. Les collectivités les plus pourvoyeuses de postes sont les municipalités, dont les services techniques recrutent les condamnés pour l’entretien des bâtiments, des espaces verts, de la voirie et des travaux de peinture. Des postes administratifs sont aussi offerts. Beaucoup de municipalités, de toutes tendances politiques, se plaignent de la non-utilisation des postes offerts. Une étude devrait permettre de mesurer ce contre-effet.

Le secteur associatif participe également à l’accueil des condamnés à un travail d’intérêt général. Il est cependant souvent confronté à des problèmes d’encadrement, faute de permanents suffisants. En revanche, le choix des postes est plus varié et permet à des condamnés d’intégrer des réseaux associatifs, les aidant quelquefois à élargir leur horizon relationnel. A défaut d’assurer l’insertion professionnelle des condamnés, le secteur associatif réussit assez souvent leur insertion sociale.

La semi-liberté a progressé très légèrement jusqu’en 1997 (cette augmentation est variable selon les régions mais reste dans l’ensemble homogène). Durant l’année 1998, le taux de progression a été de 9,1 % par rapport à l’année précédente ce qui est très encourageant.

Parce qu’elle offre un cadre d’exécution rigoureux, la semi-liberté est une mesure d’aménagement de peine adaptée à un public relativement limité. Elle nécessite néanmoins qu’un partenariat structuré et spécifique lui soit associé.

Certains sites ont développé des projets permettant d’accompagner des détenus dans une démarche d’insertion, privilégiant la formation et l’emploi pour certains ou la prise en charge thérapeutique pour d’autres.

Si les projets existent, ils sont encore peu nombreux. Il est vrai que l’utilisation de cette mesure fait appel à des structures pénitentiaires indépendantes (les centres de semi-liberté) ou à des quartiers spécifiques (maison d’arrêt, centres de détention), ne disposant pas toujours de l’encadrement nécessaire pour prendre en charge ce public.

" Il y a aussi des outils que le parlement a accordés à l’administration pénitentiaire, mais qui sont restés inutilisés. Le programme pluriannuel pour la Justice, voté en 1995, avait prévu à la fois un objectif de construction de 1 200 places de semi-liberté et les crédits nécessaires à la réalisation de cet objectif.

Peu de ces 1 200 places ont été effectivement créées. Seuls deux ou trois centres de semi-liberté ont été ouverts en France depuis 1995 et l’on en est resté là. La semi-liberté, qui permet à un détenu de sortir pour travailler et de rentrer dans l’établissement pénitentiaire quand son travail est terminé, est très intéressante. Or aujourd’hui, pour reprendre l’exemple de la région parisienne, les centres de semi-liberté qui y existent sont implantés assez loin des lieux d’activité des détenus et sont fermés tous les week-ends, parce que l’administration pénitentiaire ne dispose pas du personnel suffisant pour procéder à une ouverture sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En conséquence de quoi, il faut trouver aux personnes en semi-liberté un hébergement pendant le week-end. La difficulté de trouver un tel hébergement pour une personne en parcours difficile est évidente, surtout à Paris. L’enjeu est de cet ordre. " (M. Pascal Faucher, membre de l’association nationale des juges de l’application des peines)

La question des moyens apparaît dès lors prédominante ; l’essor des mesures alternatives exige en effet des moyens importants attribués aux services d’insertion, à qui l’on réserve encore trop souvent la partie congrue des crédits budgétaires. Le développement du recours aux emplois-jeunes dans ces services ne peut à cet égard qu’être conçu comme un palliatif provisoire préalable au recrutement de conseillers d’insertion.

Le renforcement de l’encadrement devrait pouvoir crédibiliser ces solutions alternatives aux yeux des magistrats, qui paraissent encore trop réticents devant des solutions qu’ils estiment peu fiables sur le plan de la sécurité. Ainsi, les peines alternatives restent encore sous-utilisées : les centres de semi-liberté, au 1er janvier 1999, n’étaient remplis qu’à 71 % de leur capacité. Cette moyenne globale ne reflète pas cependant les difficultés locales existant dans certains CSL : le CSL de Gagny connaît ainsi une suroccupation de 160% ; le CSL de Toulouse dispose de 25 places qui sont toutes occupées et pour lesquelles le juge de l’application des peines doit gérer dans des conditions difficiles une longue liste d’attente.

La présence de surveillants en milieu ouvert, préconisée par les syndicats de surveillants, permettrait très certainement de voir ces solutions progresser. Le développement des solutions alternatives passe également par un soutien accru du monde associatif, dont le rôle est essentiel dans l’encadrement du milieu ouvert ; la mission conduite dans les DOM a d’ailleurs pu constater la quasi-inexistence du recours aux solutions alternatives du fait de l’absence de relais partenarial consistant.

Il faut cependant se garder de faire des solutions alternatives la réponse à la moindre infraction : afin de garder son efficacité, le système du milieu ouvert doit reposer sur l’individualisation de la peine et l’adaptation à la personnalité du condamné ; il s’accommode mal, quels que soient les moyens impartis, du traitement de masse. De plus, il ne faut pas que ce développement des mesures alternatives vienne empiéter sur la liberté, alors qu’elles sont censées se substituer à l’incarcération. Là encore, l’attitude des magistrats devant la montée en puissance du système sera déterminante.

La même vigilance s’impose s’agissant de l’expérimentation du placement sous surveillance électronique. La loi du 19 décembre 1997 permet en effet d’offrir à des détenus ayant une peine ou un reliquat de peine inférieur à un an de l’effectuer en dehors de la prison avec un bracelet électronique.

" Un autre point important est de savoir dans quel créneau se situera le bracelet électronique parce qu’en France, à la différence peut-être des pays qui l’ont implanté (et c’est une remarque qui nous est faite par un certain nombre de personnels), de nombreux dispositifs existent déjà à la fois dans le cadre du prononcé d’une peine (je pense notamment au sursis avec mise à l’épreuve qui implique un suivi social) et dans le cadre de l’exécution des peines, que ce soit le placement à l’extérieur, la semi-liberté, la libération conditionnelle et d’autres mesures auxquelles le bracelet électronique viendra s’ajouter. Si le bracelet électronique venait empiéter sur la liberté, nous constaterions dans ce cas-là un échec et ce n’est évidemment pas ce que nous souhaitons. Nous devons être extrêmement vigilants et veiller à bien définir le bracelet électronique comme une peine de substitution à un emprisonnement ferme et non comme une alternative à la libération conditionnelle ni surtout au placement à l’extérieur. Notre vigilance doit être extrêmement forte sur ce point.

Deuxième point : les expériences étrangères nous montrent que ce système de bracelet électronique concerne généralement des publics très spécifiques. La Suède a assez bien développé le système mais de manière relativement modérée : 591 personnes ont été placées sous bracelet électronique en 1998 pour une population de 8,8 millions d’habitants. C’est un ratio dont nous avons à tenir compte. En Suède, 57 % de personnes sont condamnées pour conduite en état alcoolique. En France, les personnes condamnées pour conduite en état alcoolique (leur nombre est important) ne sont pas forcément incarcérées à l’intérieur d’établissements pénitentiaires. On retrouve ainsi le risque de toucher un public qui, pour l’instant, n’est pas incarcéré. J’insiste sur ce point. [...]

Nous avons ce souci de veiller, d’une part, à une mise en place progressive, d’autre part, à bien cibler les publics et à ne pas mordre sur des publics qui ne rentreraient pas, en l’absence de bracelet électronique, en détention. " (M. Eric Lallement, sous-directeur de l’organisation du suivi social et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l’administration pénitentiaire)

La réussite du bracelet électronique repose donc sur la bonne appréhension du dispositif par les magistrats. Elle implique également un encadrement social important : " ...il est nécessaire de mettre en place un accompagnement social fort pour répondre au véritable souci de réinsertion et de prévention de la récidive. Un certain nombre de pays qui ont mis en place le bracelet électronique ont un travailleur social pour dix personnes placées sous bracelet électronique. Un suivi social extrêmement fort et développé est nécessaire pour répondre aux trois objectifs de la mise en place réaliste et pertinente du bracelet électronique, les trois objectifs étant de réduire le nombre d’incarcérations ou la durée d’incarcération et donc de permettre à nos établissements pénitentiaires d’avoir des espaces un peu plus larges pour ceux qui restent incarcérés. Il faut, en outre, éviter la récidive et prévenir. La réinsertion nécessite cet accompagnement social extrêmement fort. " (M. Eric Lallement, sous-directeur de l’organisation du suivi social et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l’administration pénitentiaire)

Cet accompagnement social devra notamment veiller à ce que des centres d’hébergement ou des associations soient à même d’accueillir des personnes sans domicile placées sous surveillance électronique. Faute de quoi, le bracelet électronique, qui exige un domicile fixe et une ligne téléphonique, se verra réservé à une " délinquance en col blanc " ; l’inéquité qui en résulterait entre les personnes assez aisées pour garantir un cadre d’accueil au dispositif électronique et les autres, condamnées faute de moyens suffisants à l’incarcération, irait à l’encontre de l’objectif poursuivi.

Sous ces réserves, le bracelet électronique est susceptible de jouer un rôle dans le désencombrement des maisons d’arrêt ; trois sites pilotes ont été préalablement choisis pour mener l’expérience, au regard du chiffre de surencombrement des maisons d’arrêt :

" Sur un plan technique, le ministère de la Justice a donc, dans un premier temps, choisi d’expérimenter ce bracelet électronique sur trois sites. Ces sites ne sont pas encore choisis à la date d’aujourd’hui. Nous avons soumis à Mme la garde des sceaux une liste de onze sites qui répondent à la priorité devant être développée par le bracelet électronique qui est de réduire la surpopulation carcérale en évitant l’incarcération des personnes qui seraient condamnées à de courtes peines d’emprisonnement ou, au contraire, en aboutissant à une libération anticipée avec un contrôle par le biais du bracelet électronique d’une personne qui a été préalablement condamnée.

On a donc défini les possibilités au regard de la surpopulation carcérale des établissements pénitentiaires après une consultation qui a été faite auprès de nos directions régionales. Nous avons défini ces onze sites à partir de là. Ils sont aujourd’hui soumis à la concertation sociale. Nous avons réuni les organisations professionnelles des personnels de surveillance, de direction et des travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire et ceux-ci doivent nous faire part de leurs observations d’ici une quinzaine de jours. Nous aurons aussi prochainement une réunion avec l’ensemble des juges d’application des peines, directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation et chefs d’établissement de ces onze sites pour voir avec eux le degré de faisabilité sur ces onze sites et, à la suite de ces consultations, Mme la garde des sceaux sélectionnera les trois sites qui recevront cette expérimentation pour une durée que nous avons évaluée à neuf mois. " M. Eric Lallement, sous-directeur de l’organisation du suivi social et du fonctionnement des services déconcentrés à la direction de l’administration pénitentiaire)

Finalement, le nombre de sites choisis s’élève à quatre qui sont : Lille, Aix-en-Provence, Agen et Grenoble. Les postes de surveillance seront situés en établissements pénitentiaires avec un poste à la maison d’arrêt de Loos, un à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, un à la maison d’arrêt d’Agen et un au centre de semi-liberté de Grenoble.

La généralisation du système doit être conduite prudemment, et s’accompagner notamment d’un effort de pédagogie en direction du grand public. En l’absence de communication, le système peut, comme en Angleterre en 1989, aboutir à l’échec.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr