Durant près de quatre mois, trente députés, membres de la commission d’enquête sur les prisons se sont rendus dans les cent quatre-vingt-sept établissements pénitentiaires français afin de juger sur place de la situation, tant des conditions de l’incarcération, que du fonctionnement de l’administration pénitentiaire. En parallèle et en complément, la commission a procédé à différentes auditions, qu’il s’agisse des représentants de l’administration, mais également des différents intervenants extérieurs.

Devant une réalité carcérale méconnue et parfois rejetée, différents constats s’imposent immédiatement.

Tout d’abord, il y a la réalité d’une surpopulation pénale, insupportable dans ses conséquences, des règles de vie indignes pour les détenus et des conditions de travail difficiles, voire dangereuses pour le personnel de surveillance.

A cela, s’ajoute un cadre pénitentiaire disparate et inadapté, où coexistent des établissements anciens et vétustes, dégradés par manque d’entretien, et des établissements récents, parfois mal conçus, mais qui tous induisent de toute façon des coûts financiers extrêmement démesurés et des conditions de détention inégalitaires. Nous avons tous constaté l’hétérogénéité des établissements aux choix technologiques souvent contestables, aux règles de vie disparates et une forte mutation de la population pénale : délinquants sexuels, toxicomanes, détenus présentant des troubles psychiques et mineurs.

Face à cette situation critique sur le plan matériel et sur le plan humain, le rapport de la commission constate que l’administration pénitentiaire, parent pauvre du ministère de la Justice, est désorientée. Son problème essentiel réside dans la pénurie récurrente des effectifs, à la fois dans sa globalité, mais naturellement et surtout pour les personnels de surveillance.

Enfin, la carence du pouvoir judiciaire dans sa mission de contrôle des établissements, à laquelle s’ajoute l’insuffisance de l’administration centrale à apporter des réponses adaptées et qui travaille avec des méthodes de fonctionnement dépassées, contribuent très largement à désorganiser le service pénitentiaire qui peut apparaître alors livré à lui-même. Il doit pourtant faire face, souvent sans formation adaptée et sans moyens, à une population carcérale ou très jeune, ou très âgée, composée de délinquants sexuels (plus du tiers des détenus), de toxicomanes, de détenus ayant des pathologies psychiatriques.

La commission a particulièrement noté que, face au malaise des surveillants qui attendent légitimement la reconnaissance de la société, le cadre de gestion actuel était totalement inadapté.

Devant un tel constat d’échec pour la politique carcérale, pour la gestion des moyens humains et matériels, le gouvernement de Lionel Jospin affirmait dès juin 1997 sa priorité budgétaire en faveur du ministère de la Justice. En 1998, le ministère, sous la conduite d’Elisabeth Guigou, se fixait quatre objectifs prioritaires : la réforme des conditions de la détention en amont (détention provisoire) et en aval (insertion, probation et libération conditionnelle), l’amélioration de la prise en charge des détenus, la prise en compte de l’évolution des missions des personnels, la mobilisation de moyens nouveaux pour moderniser l’institution (création de postes, plan de construction et de rénovation des établissements).

Aujourd’hui, dans le monde carcéral, pour lequel le terme de l’exclusion n’est plus ignoré et qui vient de faire l’objet d’un large débat national également, la commission propose unanimement d’aller bien au-delà d’une simple amélioration des conditions de vie dans les prisons. Elle indique les orientations majeures d’une grande loi à venir afin de repenser la place et la mission de la prison dans la société, en améliorant notamment la prise en charge actuellement déficiente dans le domaine de l’insertion, des actions socio-éducatives, du travail en prison, des aides à la sortie, en amplifiant l’amélioration du suivi médical, en s’adaptant aux différents publics accueillis, sans oublier de tenir compte de la douleur des victimes, des familles des victimes qui pourraient être associées aux réflexions sur les modalités d’exécution des peines.

En parallèle, il convient de faire de l’administration pénitentiaire qui remplit, nous l’avons constaté, une " mission impossible ", une administration moderne tant dans son fonctionnement que dans ses méthodes de gestion des personnels (formation, revalorisation, notamment) et l’utilisation des moyens budgétaires.

Ce bilan, certes sans concession, mais hélas fidèle à la triste réalité constatée, auquel aboutissent les travaux de cette commission d’enquête, doit permettre au gouvernement, non seulement d’apporter des réponses immédiates aux dysfonctionnements constatés, mais surtout, jette les bases d’une indispensable loi réformant la détention dans sa globalité, que la ministre de la Justice, garde des sceaux, a jugé nécessaire lors de son audition par la commission, le 8 juin dernier.

La prise de conscience étant réalisée et les conditions d’un véritable changement réunies, le groupe Socialiste a approuvé ce rapport.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr