La commission d’enquête fournit l’occasion de lancer et entretenir un débat dans l’opinion publique, et de porter un regard nouveau sur la prison et la sanction.

1. Constats

En plus de la nécessaire préoccupation des responsables politiques (et au-delà des français eux-mêmes) relative aux conditions du respect des droits de l’homme dans l’univers carcéral, d’autres raisons existent et peuvent expliquer la raison d’être de la commission d’enquête et de son rapport.

Premier constat : les dysfonctionnements de la prison sont les mêmes que ceux de la société " libre ". C’est pourquoi, en plus d’un ensemble de raisons réelles touchant à la dignité des personnes, il peut y avoir une utilité particulière à examiner ce cas limite.

Deuxième constat : en ce sens, étudier les conditions de l’enfermement et de la détention des prisonniers, c’est s’intéresser par contrecoup à l’ensemble des relations sociales et à la façon dont nous voulons les vivre.

Troisième constat : après les visites et les auditions de la Commission d’enquête on peut se rendre compte que ce qui est en jeu, c’est le SENS donné à la sanction :

 par la société,

 par les détenus,

 par le personnel,

 par les victimes

 par la famille des détenus.

Ainsi, la question qui nous est posée dans le cadre de la commission d’enquête est profondément celle du sens de la sanction et de l’enfermement, en plus des aménagements concrets qu’il faudra réaliser pour améliorer le quotidien des détenus.

Pour donner à l’opinion publique quelque chance de débattre sur cette question et redonner du SENS à la prison, il faut :

 réexaminer philosophiquement ce qu’est une sanction et ce que sont son rôle et son sens dans une société moderne,

 réaffirmer les problèmes fondamentaux qui doivent soutenir la société,

 faire quelques propositions simples et fortes.

2. Les axes fondamentaux

Sanctionner par l’incarcération, c’est priver quelqu’un de sa liberté de mouvement. Ceci est une sanction suffisamment grave pour qu’on ne l’accompagne pas d’autres punitions qui viendraient s’y ajouter : impossibilité de la réinsertion, violence, conditions générales de détention avilissantes, etc.

Il est important, et c’est peut-être même un des facteurs-clé de succès de toute réforme sur les prisons, que la puissance publique (institutions, médias, associations, responsables politiques, etc.) promeuvent cette manière de considérer l’incarcération, afin qu’elle soit finalement acceptée par l’ensemble du corps social.

Dans le même ordre d’idées, il faut envisager l’incarcération comme un moyen ultime de punir une personne que l’on ne peut punir autrement, ceci afin :

 de régler petit à petit la question de la surpopulation carcérale,

 de ne pas mettre en contact les petits délinquants avec la mixité des établissements pénitentiaires ;

 de donner un sens social à la peine en recourant à des peines de substitution sous la forme de travaux d’intérêt général.

Cela revient à dire que l’enfermement doit être considéré comme une peine possible parmi d’autres, et certainement pas comme la seule façon possible de sanctionner.

La privation de liberté doit être considérée comme temporaire : elle l’est d’ailleurs dans l’immense majorité des cas. C’est pourquoi l’accomplissement de la sanction doit veiller premièrement à ce que le détenu soit mis en état de sortir correctement de la prison. Ceci nécessite de repenser totalement le sens et l’organisation de l’administration pénitentiaire.

Tout détenu a des talents, un potentiel, des passions, même si l’histoire personnelle peut les avoir enfouis. Or il ne peut y avoir de véritable réinsertion qui ne s’appuie sur un projet personnel identifié et la maîtrise d’un certain nombre de moyens (notamment des compétences) pour le réaliser. Ce doit être le rôle de la prison que de permettre l’acquisition de ces moyens nécessaires.

Un des problèmes les plus fréquemment rencontrés par les anciens détenus est la permanence de leur condamnation (même légère) sur leur casier judiciaire, très longtemps après que la peine a été purgée. Ceci est un frein authentique à la réinsertion, et donc, indirectement, une sorte d’incitation lointaine à la récidive. Il faut donc trouver tout moyen de mettre en place la réconciliation civique, au moyen de l’effacement des peines sur le casier judiciaire (les modalités sont à trouver).

Le personnel pénitentiaire exerce une mission plus que délicate, qui doit être saluée dans des conditions de travail et psychologiques très difficiles. Il participe à la réalisation de l’état de droit dans notre pays. Pour toutes ces raisons, aucune évolution du système pénitentiaire ne peut être envisagée sans des aménagements de son statut, de sa formation et de ses moyens de travail.

3. Les principaux axes de proposition.

La nécessité d’une volonté politique clairement affirmée :

Nous l’avons vu, la question des prisons fournit à l’ensemble du corps social une occasion permanente d’interroger les principes les plus fondamentaux sur lesquels elle est assise, et notamment ceux qui guident sa conception de la justice.

Ici, la réflexion sur les prisons et les conditions de détention et de réinsertion nous conduit à proposer trois axes forts d’une politique de réforme du monde carcéral, qui pourraient constituer d’ailleurs les axes majeurs de toute politique de la justice.

Une société juste et vivant en sécurité :

Il faut rappeler à titre de principe que le premier droit de tout citoyen est le droit à la sécurité.

En conséquence, tout contrevenant doit être puni pour l’infraction qu’il a commise, de même que tout délit (même le plus petit) doit être sanctionné.

Notre présent travail sur les prisons, les situations insupportables décrites par tel ou tel auteur à ce sujet, ont pu nous faire prendre conscience des conditions parfois infamantes dans lesquelles les prisonniers vivent : mais nous ne devons pas oublier que tout emprisonnement est - en principe - consécutif à un délit ou un crime, que sauf erreur judiciaire cet enfermement doit être au moins mérité, à défaut d’être justifié.

La dignité de chaque personne, principe de l’organisation du monde pénitentiaire :

Cependant, nous ne devons pas perdre de vue non plus que le droit à la sécurité ne s’applique pas qu’au-dehors des prisons, et qu’ainsi le devoir de la société d’assurer à chaque personne des conditions de vie sécures est également valable pour l’univers carcéral.

Et au-delà de la seule sécurité, nous devons réaffirmer que les détenus ont des droits, hormis ceux de circuler librement et de décider de leur emploi du temps, qui leur sont retirés pour le temps de leur peine. Ici, le droit canadien, qui ne prive pas les détenus de leur droit de vote pendant qu’ils purgent leur peine, doit nous faire réfléchir. De même se posent dans ce cadre toutes les questions liées à la formation personnelle, aux relations des détenus avec leur famille, au droit de travailler dans des conditions décentes, au droit à un salaire, au droit à l’instruction, à la santé, etc.

L’égalité des droits de toutes les personnes, et donc de tous les impétrants du monde pénitentiaire :

Le travail sur l’aménagement des conditions de détention a trop souvent concentré les efforts (intellectuels et matériels) sur la seule relation du détenu avec l’administration pénitentiaire. Ces efforts sont bien entendu nécessaires.

Mais d’autres personnes entrent en jeu dans ce que l’on pourrait appeler la " relation pénitentiaire ". Cette relation, en plus du détenu et de l’administration inclut également :

 la famille du détenu, souvent très mal informée des conditions de détention et de l’évolution de la peine (sans compter les désagréments affectifs et sociaux qu’elle subit sans rien y pouvoir) ;

 la ou les victimes, qu’il faut associer davantage à l’accomplissement de la peine ;

 la société tout entière, qui s’interroge à bon droit sur la possibilité réelle de la réinsertion des détenus.

C’est pourquoi il est impossible de réfléchir à une réforme pénitentiaire sans affirmer la présence de ces différentes personnes dans l’univers pénitentiaire.

Des débats à poursuivre :

Ces différents principes doivent conduire notre commission, et au-delà toute personne qui aurait pour projet d’entamer la nécessaire réforme de nos institutions pénitentiaires, à poursuivre son questionnement sur quatre problèmes centraux.

Le premier est la question de la libération conditionnelle. Considérée et reconnue comme utile, notamment en vue de la réinsertion du détenu, elle est en même temps accueillie avec réserve par l’opinion qui y voit une sorte de " fleur " accordée à des personnes qui n’offrent pas toujours toutes les garanties de non-récidive, et donc d’insertion. L’on connaît les résultats obtenus par la troisième république qui a inventé cette disposition pénale.

Il faut se souvenir que dans le même temps, elle prenait toutes les précautions nécessaires pour s’assurer que le détenu libéré conditionnellement ne récidiverait pas, et elle disposait également, avec le système de la relégation, d’un instrument très adapté pour signifier l’impossibilité de la réinsertion.

Aujourd’hui, la libération conditionnelle peut être précisément et efficacement encadrée. Elle peut permettre d’accomplir ce à quoi sert la prison : l’amendement personnel et la réinsertion normale dans un corps social qui considère que les dettes sont payées.

Elle doit faire l’objet de tous les aménagements nécessaires, de même que d’une communication spécifique pour en faire comprendre le sens à l’opinion publique.

Le deuxième est la question du numerus clausus. Il ne semble pas opportun aujourd’hui de construire de nouvelles places de prison ni de nouveaux établissements. En effet, la surpopulation carcérale est principalement due à la présence dans les maisons d’arrêt, de personnes qui n’ont rien à y faire :

 soit parce qu’elles ne sont pas coupables (n’ayant pas encore été jugées) : c’est la détention préventive ;

 soit parce que le délit commis ne justifie pas une incarcération et pourrait être réparé par des peines de substitution.

C’est pourquoi il est nécessaire, sans doute davantage pour des raisons d’ordre pratique que pour des raisons d’ordre de principe juridique, d’inscrire dans la loi un numerus clausus de places en cellules, à ne pas dépasser.

Aujourd’hui, cela semble être le seul moyen de remédier à l’incarcération systématique en contraignant l’administration à recourir à d’autres moyens.

Le troisième et la question de la réconciliation civile, déjà évoquée, et maintes fois présentée à la presse ces derniers temps.

L’instauration d’une telle disposition dans notre droit marquerait d’une manière forte que notre système pénitentiaire fonctionne sur les convictions suivantes :

 tout détenu est amendable, et donc réinsérable ;

 le corps social doit marquer cet état de fait par la loi ;

 toutes les conditions doivent être réunies pour éviter la récidive.

La quatrième est la question de la réclusion à perpétuité. Si l’on peut à bon droit se réjouir de l’abolition de la peine de mort dans notre pays, la question reste en revanche posée du traitement des crimes d’une exceptionnelle gravité qui conduisent les cours à prononcer des peines de réclusion perpétuelle. D’un côté en effet, la gravité de ces fautes conduit le corps social à souhaiter se mettre définitivement à l’abri de ses auteurs. Mais d’un autre côté, la réclusion perpétuelle conduit presque nécessairement à une forme certaine de désespérance des détenus, qui ne peut être prise en charge ni soignée par l’administration pénitentiaire.

De sorte que la question est ouvertement posée : comment faut-il appliquer la réclusion perpétuelle, en rassurant le corps social tout en ne détruisant pas des détenus qui souhaitent réellement s’amender ?

Propositions concernant les détenus

Préalablement à toute proposition concernant les détenus, il faut examiner la détention sous deux angles : les conditions de vie et les conditions de la sortie.

Les conditions de vie : l’indécence des conditions de détention est le premier fondement légitime de notre indignation, et sans doute la raison pour laquelle le Parlement a entamé une réflexion sur le sujet des prisons. Ces conditions sont aujourd’hui (sinon partout du moins dans de nombreux endroits) tout simplement indignes. Tout doit être fait pour que les prisonniers vivent décemment, et ne pas ajouter à la légitime privation de liberté l’illégitimité absolue d’un traitement que certains hommes refuseraient de faire subir à des animaux.

La préparation de la sortie : la mise en place des conditions d’une sortie réussie fait également partie de la vie de la prison, de sorte que l’on peut dire que la préparation de la réinsertion est une de ses missions. Ici, il pourrait être utile de s’inspirer de l’exemple canadien, dans lequel chaque nouveau détenu bâtit avec l’administration pénitentiaire un plan de formation personnel destiné à lui permettre d’acquérir de nouvelles compétences et faciliter ainsi sa réinsertion (définition d’un " plan correctionnel de formation ", conformément à l’exemple canadien).

Des propositions concernant les détenus doivent être fondées sur l’affirmation de principes forts :

 l’objectif que poursuit l’administration pénitentiaire est " un prisonnier par cellule " ;

 la priorité de l’administration pénitentiaire est la décence des conditions de vie des détenus.

 de même que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’un tribunal en ait décidé autrement, de même tout détenu est présumé amendable ;

 la prison est d’abord un lieu d’où l’on sort (sauf perpétuité : voir par ailleurs) : c’est pourquoi il est dans le rôle de la prison de préparer la sortie des détenus ;

 un détenu est souvent membre d’une famille : les relations avec celle-ci doivent être maintenues à tout prix, afin de faciliter le retour à la vie sociale.

En plus des propositions contenues dans le projet de rapport de la commission, il semble utile de réfléchir aux dispositions suivantes :

 renouer avec une gestion au cas par cas de la remise de peine, et lui ôter définitivement tout caractère systématique ;

 renforcer le recours à la libération conditionnelle et aux peines de substitution : l’enfermement carcéral doit être le dernier recours ;

 spécialiser des établissements dans l’accueil des prisonniers âgés ou psychologiquement malades : le rôle de la pénitentiaire n’est pas d’ordre sanitaire, il est d’ordre judiciaire ;

 mettre en place un médiateur agréé par l’administration pénitentiaire pour les commissions de discipline plutôt qu’un avocat ;

 assurer un revenu minimum décent pour ceux qui souhaitent se réinsérer par le travail ou par la formation ;

 mettre en place des unités de vie pour permettre aux détenus purgeant de longues peines d’entretenir des relations avec leur famille.

Propositions concernant le personnel de l’administration pénitentiaire

Parent pauvre de la fonction publique du point de vue de l’image, la pénitentiaire est aujourd’hui (en dépit de la double importance matérielle et symbolique de sa mission) traversée par une importante crise de sens et donc de motivation.

Il n’est pas nécessaire d’entamer de grandes réformes de structures pour mettre les personnels un peu plus à l’aise. Une clarification des rôles et des missions de cette administration, est nécessaire, de même que tous moyens de valorisation de la mission de cette administration, dont le personnel (en dépit de quelques très malheureux exemples) est de qualité.

On pourrait par exemple :

 créer un secrétariat d’Etat à la condition pénitentiaire, rattaché au ministre de la Justice ;

 créer un service d’évaluation des politiques pénitentiaires, notamment les décisions prises en termes de plans de formation des détenus ;

 rendre obligatoire un stage dans un établissement pénitentiaire pour chaque élève sorti de l’ENA ou des grandes écoles ;

 assurer davantage de mobilité des postes et des fonctions au cours d’une carrière dans cette administration.

Propositions concernant le corps social

Celles-ci concernent d’abord la justice, qui se doit de respecter tout autant le besoin de sanction porté par les victimes que les besoins de clarté portés par les prévenus. Elle doit donc agir vite, de manière transparente, et équitable. Cette exigence est un principe social constant, certes, mais le rappeler ici n’est pas inutile : les dysfonctionnements du système judiciaire (notamment la longueur des procédures et donc le recours à de longues périodes de détention préventive) ont des répercussions très concrètes sur la vie du système carcéral.

Elles concernent ensuite les victimes. Il est normal que des victimes puissent avoir accès aux informations concernant le déroulement de la peine du condamné, tout particulièrement si l’on s’achemine vers la mise en place de la réconciliation civile. Quel meilleur moyen en effet de mettre en place les circonstances dans lesquelles la réconciliation est possible, y compris la plus difficile, c’est-à-dire celle qui rapproche la victime et le criminel ? Comment aboutir à cela si le lien qui peut unir ces deux personnes n’est pas maintenu ? Il ne s’agirait pas de rendre mécanique cette information des familles, mais bien de permettre leur accès aux victimes qui souhaiteraient la réconciliation, et de tout faire pour généraliser ce genre de procédure. Il est également respectueux à l’égard des victimes de faire en sorte que tout acte délictueux soit effectivement puni.

Conclusion : que faire ?

Trois axes de travail législatif concernant les prisons peuvent être suivis.

Le premier concerne une loi de programmation pénitentiaire, prenant en charge :

 la formation et les évolutions des personnels ;

 un plan d’investissement pour la remise à niveau des équipements.

Le deuxième concerne la mise en place de la réconciliation civile, sans laquelle nous ne pourrons pas aller vers une société de l’accueil des anciens détenus : nous prendrions alors le risque de la systématisation de la récidive, avec tous les coûts humains et sociaux que cela entraîne. L’organisation de la pénitentiaire, en général, est fondée sur la méfiance. Il faut la reconstruire sur la confiance.

Le troisième concerne un ensemble de mesures diverses et d’ordre juridique à prendre pour améliorer chacun des différents plans décrits ci-dessus.

A titre d’exemple :

 le plan de réinsertion pour tous les prisonniers qui le souhaitent ;

 la suppression formelle du caractère systématique de la remise de peine ;

 la mise en place du médiateur ministériel qui assiste aux commissions de discipline ;

 etc.

A cette dimension législative du travail s’ajoute une dimension de débat : sur certains sujets, la réflexion est loin d’être aboutie : notamment sur la question de la réclusion à perpétuité. Il serait plus qu’utile que les pouvoirs publics organisent des échanges sur ces questions.

Tout ceci résultera d’une volonté politique affirmée qui aidera, par cette volonté, l’opinion publique à évoluer.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr