A) UN PRINCIPE : DES ETABLISSEMENTS DESTINES AUX PREVENUS

L’article 714 du code de procédure pénale dispose que " les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire la subissent dans une maison d’arrêt.

" Il y a une maison d’arrêt près de chaque tribunal de grande instance, de chaque cour d’appel et de chaque cour d’assises, sauf auprès des tribunaux et des cours qui sont désignés par décret. Dans ce dernier cas, le décret détermine la ou les maisons d’arrêt où sont retenus les prévenus, appelants ou accusés ressortissant à chacune de ces juridictions. "

L’article 715 du même code dispose pour sa part que " Le juge d’instruction, le président de la chambre d’accusation et le président de la cour d’assises, ainsi que le procureur de la République et le procureur général, peuvent donner tous les ordres nécessaires soit pour l’instruction, soit pour le jugement, qui devront être exécutés dans les maisons d’arrêt ".

Ces deux articles montrent très clairement que les maisons d’arrêt ont été prévues pour accueillir les prévenus, afin que ceux-ci se trouvent à proximité immédiate du magistrat instructeur ou des juridictions.

B) UNE REALITE : L’ABSENCE DE TOUTE REGLE

Pour comprendre la situation actuelle, il convient de rappeler que, jusqu’à la révolution française, l’incarcération ne concernait que les prévenus, n’étant guère utilisée à titre de peine.

Sous la IIIe République encore, un nombre important de condamnés étaient transportés dans les colonies. Dans ces conditions, fort peu d’établissements pour peines ont été construits. Lorsque ce principe du transport des condamnés a été abandonné, la France a manqué d’établissements pour peines.

L’article 717 du code de procédure pénale prévoit que " les condamnés à l’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à un an peuvent, cependant, à titre exceptionnel, être maintenus en maison d’arrêt et incarcérés, dans ce cas, dans un quartier distinct, lorsque les conditions tenant à la préparation de leur libération, leur situation familiale ou leur personnalité le justifient. Peuvent également, dans les mêmes conditions, être affectés, à titre exceptionnel, en maison d’arrêt, les condamnés auxquels il reste à subir une peine d’une durée inférieure à un an ".

" A titre exceptionnel ", énonce la loi. L’exception est devenue la règle et toutes les maisons d’arrêt comptent aujourd’hui des condamnés en leur sein. Quant à l’emprisonnement des prévenus et des condamnés dans un quartier distinct, il n’est en aucun cas respecté.

Ainsi, la France n’a pas progressé depuis le constat désabusé de Gustave de Beaumont et Alexis de Tocqueville sur le système pénitentiaire français :

" Dans les premiers jours du mois d’août dernier, l’un de nous, ayant eu l’occasion d’aller visiter la maison d’arrêt de Versailles, trouva réunis dans la même cour trois hommes prévenus d’assassinat, d’autres prévenus de vol, plusieurs condamnés à un emprisonnement d’une année, un délinquant forestier et un détenu pour dettes. Certes, rien ne rappelle mieux ce lit de l’Hôtel-Dieu, dans lequel Howard nous peint un convalescent, un malade, un moribond et un mort couchés côte à côte sous le même drap.

" Un pareil système est immoral ; c’est un grand mal sans doute que des condamnés inégalement coupables et de différents âges soient confondus dans la même prison ; mais ce mal ne devient-il pas affreux, lorsqu’on réunit ensemble les coupables condamnés, les prévenus qui peut-être sont innocents, et les débiteurs insolvables auxquels on ne reproche aucun délit. "

Ces réflexions datent de 1831. En l’an 2000, la situation n’a pas varié et la France continue à mélanger des prévenus et des condamnés.

Il y a pire.

Si la loi prévoit que les condamnés à moins d’un an d’emprisonnement ou ceux auxquels il reste moins d’un an à effectuer peuvent " à titre exceptionnel " être affectés en maison d’arrêt, elle ne prévoit rien de tel, fort heureusement, pour les autres condamnés.

Et pourtant, combien de condamnés à de lourdes peines demeurent-ils pendant très longtemps en maison d’arrêt, dans l’attente d’une affectation en établissement pour peines ? Le 8 juin dernier, une délégation de votre commission d’enquête a visité la maison d’arrêt de Varces. Ce jour-là, l’établissement comptait 353 détenus. Parmi eux, 155 étaient des prévenus et 198 des condamnés. Parmi ces 198 condamnés, 81 étaient condamnés à une peine inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, mais 16 étaient condamnés à des peines comprises entre cinq et dix ans d’emprisonnement et 18 à des peines comprises entre 10 et 20 ans d’emprisonnement...

La plupart des maisons d’arrêt hébergent aujourd’hui autant de condamnés que de prévenus, ce qui constitue une négation du principe des maisons d’arrêt.

Comment s’étonner, dans ces conditions, que les conditions de détention soient si déplorables dans cette catégorie d’établissements pénitentiaires ?


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr