A) UNE HYGIENE GENERALE DEFAILLANTE

Il existe en ce domaine une contradiction totale entre le " droit " et la réalité. En effet, les dispositions réglementaires du code de procédure pénale (Section II du Chapitre VIII du Titre II) édictent des règles très précises, relatives au cubage d’air, à l’éclairage, au chauffage et à l’aération des locaux de détention.
Les règles d’hygiène posées par le code de procédure pénale
Article D. 349 : L’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de sécurité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments

Article D. 350 : Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et " l’aération ".

Article D. 351 : Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L’agencement de ces fenêtres doit permettre l’entrée d’air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue.

Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d’une façon convenable et leur nombre proportionné à l’effectif des détenus.

La commission a constaté que ces règles n’étaient pas, pour la plupart, respectées dans les maisons d’arrêt.

Les établissements construits avant la seconde guerre mondiale n’ont pas été conçus avec l’eau chaude en cellule. Par exemple, la maison d’arrêt de Fresnes n’a pas connu d’évolution majeure depuis sa construction, pourtant novatrice, en 1898, permettant -via un château d’eau- l’acheminement de l’eau courante en cellule.

L’absence d’eau chaude et de douche en cellule oblige les détenus à se rendre en " douches collectives ". Leur nombre est manifestement insuffisant : à la Santé, par exemple, on compte trois douches pour 100 détenus.

Ces douches collectives sont souvent dans un état de dégradation manifeste (salpêtre, moisissures, mousses, carrelage abîmé, présence de cafards, etc.). Leur état de propreté est souvent pour le moins douteux. Les locaux de ventilation s’avèrent inexistants.
Se doucher en prison
Trois douches sont en principe permises, depuis le décret du 8 décembre 1998.

L’article D. 358 du code de procédure pénale précise que " les détenus prennent une douche à leur arrivée à l’établissement. Dans toute la mesure du possible, ils doivent pouvoir se doucher au moins trois fois par semaine ainsi qu’après les séances de sport et au retour du travail. "

Détestable expédient, le système de la " douche médicale " a été inventé pour que certains détenus, souffrant de maladies de peau, bénéficient de douches supplémentaires.

Dans les cellules, les toilettes sont isolées par une modeste cloison, d’une hauteur d’à peine un mètre, pour des raisons " sécuritaires " : le détenu doit pouvoir être vu, à tout moment, par le personnel de surveillance, à travers l’oeilleton.

Mais cette contrainte, éventuellement justifiable dans le cadre d’un encellulement individuel, a des conséquences inadmissibles en cas d’encellulement collectif : le détenu est obligé de faire ses besoins naturels devant les autres, ne disposant d’aucune intimité. Le sentiment d’un grand nombre de détenus est celui de l’humiliation permanente.

La hauteur de la cloison des toilettes ne fait pourtant pas partie des règles édictées par le code de procédure pénale.

Votre commission a constaté que les maisons d’arrêt s’étaient finalement résolues à " élever " la hauteur des cloisons sanitaires, la question du coût restant posée.

A la maison d’arrêt du Mans, les détenus ont bricolé des battants en carton, bel exemple de " système D ".

La promiscuité n’incite pas non plus à réaliser des efforts démesurés pour qu’une cellule reste propre. Un détenu pourra facilement reporter sur un autre occupant la responsabilité des dégradations. Les mesures prévues pour obliger les détenus à un certain " civisme " seront alors sans effet.

A Loos-lès-Lille, la direction est confrontée au problème des détritus de toute sorte jetés par les détenus depuis les cellules, dont les fenêtres sont dépourvues de tout grillage. Ces détritus s’accumulent, en dépit des efforts quotidiens de l’administration pour faire nettoyer par les détenus du service général les espaces situés sous les cellules. Outre l’odeur dégagée, les alentours de la prison présentent toutes les caractéristiques d’une décharge sauvage.

B) LE LINGE PERSONNEL A LA CHARGE DU DETENU ET DE SA FAMILLE

Les draps sont normalement lavés tous les quinze jours par l’administration pénitentiaire. Un nouvel occupant doit, en outre, trouver à son arrivée des draps et des couvertures propres.

En réalité, ces normes varient fortement d’un établissement à un autre. Ainsi, les draps sont changés une fois par semaine à la maison d’arrêt de Saint-Malo, mais seulement une fois par mois à celle de Rochefort. De même, la maison d’arrêt de Melun change les couvertures une fois par mois à la demande, mais celles de la maison d’arrêt de Reims ne sont changées qu’une fois par an.

Les maisons d’arrêt disposent de laveries. Pour les plus petites, elles peuvent être amenées à conclure une convention avec la laverie de l’hôpital voisin, ce qui paraît une mesure de bonne gestion.

En revanche, le linge personnel est " à la charge du détenu et de sa famille ". Le " parloir " est le lieu d’échange entre le linge sale et le linge propre, amené par la famille.

La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis représente à cet égard une exception : la sortie du linge est interdite.

Les détenus " sans famille " doivent laver leur linge en cellule, ce qui nécessite de l’eau chaude, ou éventuellement sous la douche (exemple de Fleury-Mérogis), puis le faire sécher devant les barreaux, ce qui donne, vu des coursives, une vision parfois pittoresque et confère à certaines de nos maisons d’arrêt un caractère napolitain.

Des maisons d’arrêt prennent en charge le linge des " sans parloir " : on citera l’exemple des maisons d’arrêt d’Albi, Châteauroux38(*) et de Meaux. Mais cet effort en faveur des plus démunis est loin d’être la règle.

Dans les maisons d’arrêt " 13.000 ", le détenu " paye au kilo de linge ", selon un tarif d’ailleurs variable ; les établissements d’Osny, de Villeneuve-lès-Maguelonne et d’Aix sont, par exemple, dans cette situation.

La tendance actuelle, tout à fait positive, est d’installer, comme dans la plupart des centres de détention, des buanderies à disposition des détenus. Mais ces buanderies posent de lourds problèmes d’organisation : un local est tout d’abord nécessaire ; il devra être fermé, en dehors des heures prévues pour le nettoyage, afin d’éviter tout acte de vandalisme. Enfin, " l’activité " buanderie nécessite une surveillance supplémentaire.

C) UNE NOURRITURE DE QUALITE TRES VARIABLE

La qualité de la nourriture, dans un cadre collectif (écoles, hôpitaux...), dépend de l’ingéniosité du cuisinier, du budget disponible et du nombre de repas à servir. Les maisons d’arrêt ne font pas exception à ce constat : la nourriture y est fort différente d’un établissement à un autre.
" Une alimentation variée, bien préparée et présentée... "
Article D. 354 du code de procédure pénale : " Les détenus doivent recevoir une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l’hygiène, compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de la nature de leur travail, et, dans toute la mesure du possible, de leurs convictions philosophiques ou religieuses. "

Les détenus doivent être alimentés par " trois distributions journalières " (art. D. 342 du code de procédure pénale).

La commission d’enquête considère, au vu des menus qu’elle a pu consulter, des repas dont elle a pu suivre la préparation, que la nourriture pénitentiaire n’est pas spécialement infâme. Il semble cependant que la cuisine de la maison d’arrêt de la Santé soit effectivement particulièrement " exécrable ", comme l’a précisé M. Jean-Jacques Dupeyroux au cours de son audition.

Elle a également constaté un grand gaspillage du pain distribué aux détenus. La ration quotidienne, 400 grammes par personne, n’apparaît plus adaptée aux usages alimentaires d’aujourd’hui.

Beaucoup de cuisines sont dans un état d’hygiène peu satisfaisant et ne répondent pas aux nouvelles normes fixées par la réglementation : le " propre " et le " sale " passent par le même endroit.

On citera pour exemples les cuisines de Loos-lès-Lille, de Paris-la Santé, de Fresnes et de Toulon. A la maison d’arrêt de Nice, la cuisine a été fermée suite à une intoxication alimentaire qui a touché une quarantaine de prisonniers.

Il est donc nécessaire que l’administration pénitentiaire initie une " démarche qualité " sur la mise en oeuvre de la réglementation39(*).

En raison de l’organisation de la distribution, de la configuration des bâtiments et du manque d’entretien des ascenseurs, quand ces derniers existent, la nourriture, portée par des détenus du service général dans des " roulantes ", arrive souvent froide aux détenus.

Les repas préparés à l’extérieur par un concessionnaire apparaîtront peut-être plus séduisants à l’oeil du visiteur extérieur ; pour autant, un phénomène de perte d’appétit, comparable à ce qui se passe dans bon nombre d’hôpitaux, peut se manifester chez les détenus, en raison du " calibrage " et de la présentation en plateaux repas. Les portions de légumes sont insuffisantes : une portion de frites, calculée à 100-110 grammes en gestion déléguée, sera davantage de l’ordre de 300 à 400 grammes dans un établissement à gestion classique.

Comme l’a indiqué M. Jean-Jacques Dupeyroux devant votre commission, " sur le plan calorique, le repas est dosé avec exactitude. Il n’en reste pas moins que ceux qui font du sport, ceux qui sont un peu baraqués préféreraient la roulante distribuant les pommes de terre et les haricots ".

La commission a constaté lors de ses visites qu’un grand nombre de détenus refuse la " nourriture pénitentiaire " par principe, et préfère se nourrir d’un " régime " préparé en cellule, composé essentiellement de pâtes et de barres chocolatées.

Enfin, comme pour l’ensemble de la restauration collective, les établissements pénitentiaires sont confrontés aux changements alimentaires de la population pénale, désormais davantage habituée, dès son plus jeune âge, aux hamburgers-frites qu’aux plats cuisinés.

D) DES PARLOIRS SOUVENT SORDIDES

Le " parloir " est un moment essentiel pour le détenu. Entre une et trois fois par semaine, il pourra s’entretenir quarante-cinq minutes avec sa famille, sa femme, sa compagne, ses enfants, sous l’oeil de surveillants.

Il va sans dire que l’administration pénitentiaire ne peut que constater que les parloirs permettent le passage de drogues et de stupéfiants, même si des fouilles circonstanciées se déroulent avant et après. Le " parloir " est organisé autour de la fonction sécuritaire de la prison.

La commission a été frappée par l’état généralement critiquable des parloirs.

Tout d’abord, les " abris famille " ; les familles attendent d’accéder aux parloirs dans une salle exiguë, lorsqu’une telle salle existe.

En effet, dans un certain nombre de maisons d’arrêt, les visiteurs sont parqués dans un couloir, sans possibilité de s’asseoir, en attendant de passer sous le portique et de rejoindre leurs proches.

A la maison d’arrêt de Varces, les collectivités territoriales et le barreau ont financé la construction d’un bâtiment clos et couvert. Mais il n’en demeure pas moins, comme l’a signalé le bâtonnier Michel Bénichou devant la commission, que la responsabilité de la construction de tels édifices devrait relever de l’administration pénitentiaire.

Ensuite, le " parloir " lui-même : il s’agit souvent d’un endroit peu pratique d’accès dans la prison, mal nettoyé, mal éclairé, voire sordide comme à Toulon.

A la maison d’arrêt de Fresnes, le parloir est au sous-sol, non loin des cuisines. La lumière artificielle est la règle. Les détenus et leurs familles disposent de peu d’espace.

A la maison d’arrêt de Nanterre, la direction a dû installer un petit dispensaire qui permet aux personnes de se reposer : la circulation dans les couloirs pour rejoindre les parloirs, leur caractère sombre et oppressant provoquent régulièrement des malaises chez certains visiteurs...

D’heureuses exceptions tranchent en matière d’accueil des familles, comme la maison d’arrêt de Melun qui dispose d’un local pour les enfants.

Force est enfin de constater que les rapprochements intimes, pourtant interdits par le règlement intérieur, sont souvent tolérés dans nombre de maisons d’arrêt et surtout de centrales, comme l’a constaté la commission à Clairvaux.


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr