Dans un premier temps, la recevabilité des demandes d’entraide judiciaire est examinée par le service juridique du Gouvernement du Liechtenstein qui les transmet ensuite au tribunal régional. L’octroi de l’entraide judiciaire doit respecter certains critères fixés par la loi nationale.

Ainsi le Liechtenstein fait jouer largement l’article 2 de la Convention de 1959 qui permet de refuser l’entraide judiciaire, s’il peut être porté atteinte aux intérêts essentiels de l’Etat requis. Il fait en effet figurer la protection des secrets parmi ces dits intérêts.


" La protection des secrets fait partie des intérêts essentiels du liechtenstein. "

Extrait de réponse du Liechtenstein à une commission rogatoire adressée par le Procureur de la République de Châteauroux.

" Le service juridique du Gouvernement examine si les demandes correspondent aux exigences de la loi sur l’entraide judiciaire (RHG) et les transmet au tribunal si l’entraide judiciaire est recevable. L’article 1, paragraphe 2 de la RHG stipule que lors de l’application de la loi sur l’entraide judiciaire, il ne peut pas être porté atteinte aux droits de souveraineté, à la sûreté, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels du Liechtenstein. Selon l’article 11, paragraphe 4 de le RHG, la protection des secrets peut aussi faire partie des intérêts essentiels du Liechtenstein eu sens de l’article 1, paragraphe 2 de la RHG. "


Le fait de considérer la protection des secrets comme faisant partie de la défense des intérêts essentiels du Liechtenstein aboutit en pratique à un rejet quasi systématique des demandes d’entraide judiciaire et s’apparente à un abus de droit.

La Mission s’est indignée de cette position de principe du Liechtenstein qui lui permet, en s’abritant derrière une norme juridique de refuser l’entraide qu’il s’est pourtant engagé à accorder en application de la Convention de 1959.

A cette invocation de la protection des secrets s’ajoute une inacceptable appréciation en opportunité portée sur le travail du juge requérant.

La Mission a fait remarquer aux autorités liechtenteinoises que ces dernières outrepassaient largement leurs droits en s’accordant le privilège de vérifier préalablement si le juge d’instruction du pays demandeur avait bien accompli, sans succès, les efforts appropriés pour obtenir par un autre moyen les informations demandées.

Enfin, en se donnant le droit de juger du caractère indispensable ou non de la vérification qui lui est demandée, le Liechtenstein créé un obstacle supplémentaire au fonctionnement de l’entraide judiciaire.

Pour cet ensemble de raisons, la Mission a déclaré au Ministre de la justice sa condamnation absolue des conditions dans lesquelles le Liechtenstein entendait appliquer cette Convention, qui s’analysent comme une violation de ce texte même.


Extraits de l’audition de M. Heinz Frommelt, Ministre de la Justice au Liechtenstein.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je dois, après le président, vous remercier de ce dialogue constructif. Ma question s’adresse à M. le ministre de la justice ainsi qu’à l’ensemble des fonctionnaires travaillant sous son autorité. Je me fais ici le porte-parole de l’exaspération des juges d’instruction français qui, lorsqu’ils ont le malheur dans une affaire de délinquance financière, de blanchiment de capitaux, de devoir s’adresser à l’institution judiciaire du Liechtenstein, n’obtiennent que rarement, voire quasiment jamais, de réponse.

Je ne parle pas, bien sûr, de fraude fiscale. Nous n’évoquerons pas entre nous cette question. Je parle d’infractions pénales graves réprimées dans votre droit. Il n’y a donc aucune exception possible au regard de la Convention européenne d’entraide judiciaire de 1959.

J’ajoute que ce sentiment des juges d’instruction français est aussi partagé par les juges italiens qui ont fait état, dans des lettres officielles, d’éléments démontrant qu’ils ne pouvaient pas obtenir la coopération judiciaire de votre pays. Dans des affaires aussi graves que celles concernant la France, les juges italiens nous ont fait part de leurs efforts pourtant soutenus, allant même jusqu’à envoyer une délégation récente du ministère de la justice italien ici. Je précise cela pour répondre à ce que vous disiez quand vous parliez de la nécessité d’assurer un suivi, ce qui n’est pas une procédure normale dans tous les pays européens. Mais, même en envoyant une délégation du ministère de la justice italien, les juges italiens n’ont pu obtenir satisfaction.

Les Suisses des cantons du Tessin et de Genève eux-mêmes ont fait savoir leurs difficultés et le caractère problématique de la coopération judiciaire avec votre pays. Dans des affaires de trafic de stupéfiants, il a été nécessaire qu’un ministre de la justice du canton de Tessin se déplace lui-même pour obtenir du Liechtenstein des informations simples relatives à la documentation bancaire.

Les Allemands ont manifesté le même type d’exaspération. Quant aux Autrichiens, que nous avons vus hier, ils nous ont fait part des mêmes problèmes.

Les points sur lesquels nous tenons à insister concernent, en France, toutes les affaires de corruption politique ou économique graves et qui convergent vers le Liechtenstein, à un moment ou à un autre. L’ensemble de ces affaires se trouvent arrêtées ici car votre pays, dans l’interprétation qu’il fait de la Convention européenne de Strasbourg d’entraide judiciaire en matière pénale, exige d’obtenir des juges d’instruction qui vous requièrent les preuves de culpabilité, avant même d’avoir pu obtenir certains indices qui peuvent se trouver dans vos établissements bancaires. C’est un renversement de perspective qui est interprété par l’ensemble des Etats européens - la France, la Suisse, l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne - comme un signe grave de non-coopération judiciaire.

L’Italie a indiqué qu’à la prochaine réunion du GAFI, elle dénoncerait votre pays comme pays non coopératif. De notre côté, nous avons souhaité vous rencontrer de manière à nous faire une opinion avant de prendre une position officielle parlementaire, qui n’engagera pas notre gouvernement dans un premier temps, mais qui, c’est certain, aura quelque influence sur celui-ci.

Je voudrais, par ailleurs, dire que vous êtes le seul pays en Europe où il existe un taux de non-réponse quasi absolu aux lettres adressées par des juges d’instruction. Entre 1995 et 1999, le ministère de la justice italien vous a adressé trente-neuf commissions rogatoires internationales. Dix-neuf n’ont jamais reçu de réponse.

M. Heinz FROMMELT : Tout d’abord, je voudrais vous remercier de votre franchise et vous dire qu’il serait bon d’avoir des interlocuteurs aussi francs sur ces questions d’entraide judiciaire. Ensuite, je voudrais relativiser ce que vous dites, car il faudrait savoir tant pour la France que pour l’Italie combien de cas d’entraide judiciaire ont été demandés et combien de demandes ont été rejetées, et à quelle période, pour pouvoir examiner cas par cas les différents dossiers.

Nous prenons toujours soin de vérifier toutes les plaintes qui nous sont adressées, mais je puis vous assurer qu’en principe, nous procédons conformément à la Convention européenne d’entraide judiciaire et que nous sommes tout à fait disposés à donner des informations en application de cette Convention et également conformément à notre loi nationale sur l’entraide judiciaire.

Je connais très peu de cas dans lesquels l’entraide judiciaire a été rejetée. Parfois, bien sûr, il peut y avoir des retards liés aux possibilités de pourvoi et de recours, notamment dans les cas où des personnalités connues sont impliquées. Nous avons d’ailleurs l’intention de modifier notre législation sur cet aspect.

Je sais qu’une délégation italienne a été reçue au Liechtenstein. Je ne l’ai pas vue personnellement, mais nous pourrions interroger nos fonctionnaires pour avoir des informations plus précises.

En ce qui concerne la Suisse, j’ai rencontré personnellement il y a deux semaines Mme le ministre de la justice avec laquelle nous avons également parlé de l’entraide judiciaire. Nous avons constaté qu’en règle générale, tout fonctionne bien mais que certains problèmes se posent. L’un d’entre eux notamment sera certainement résolu à la suite de notre réforme législative.

En ce qui concerne l’Autriche, je suis surpris que vous parliez de difficultés parce qu’en général, nous avons toujours constaté le bon fonctionnement de l’entraide judiciaire. J’aimerais bien que vous nous fassiez part des cas concrets portés à votre connaissance par ce pays et par l’Allemagne.

Je ferais ensuite une remarque en ce qui concerne la charge de la preuve. A mon avis, votre interprétation n’est pas correcte. Là encore, il faudrait demander aux fonctionnaires compétents quelles sont les conditions préalables requises pour l’octroi de l’entraide judiciaire.

Nous aussi rencontrons parfois des problèmes avec l’Italie pour l’octroi de l’entraide judiciaire parce que les temps de réponse sont parfois très longs.

Enfin, nous constatons que vous avez apparemment un grand nombre de documents et nous aimerions bien connaître précisément les cas pour lesquels des réclamations ont été formulées pour pouvoir constater pour quelle raison l’entraide a été rejetée et, éventuellement, adapter notre législation en conséquence.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr