A) DES MOYENS NOTOIREMENT INSUFFISANTS ACCORDES AU SICCFIN

Pour assurer la surveillance de la place monégasque en matière de blanchiment, le SICCFIN repose sur trois personnes. En réalité, sur une seule si l’on sait compter : outre sa directrice Mme Ariane Picco-Margossian, il ne comprend en effet que deux personnes - dont une responsable de la totalité du travail opérationnel. Ces effectifs sont notoirement insuffisants au regard de l’importance du secteur bancaire et des trois cent cinquante mille comptes courants qui y sont gérés.

On pourrait espérer que cette faiblesse des moyens institutionnels soit compensée par l’exceptionnelle mobilisation de la profession bancaire autour de la question du blanchiment. Tel n’est pas le cas si l’on en juge les statistiques d’activité du SICCFIN.

Par comparaison à l’Ile de Man, où la Mission s’est rendue, et qui fera également l’objet d’un rapport, la situation est radicalement différente.

Pour une masse d’avoirs bancaires inférieure d’un tiers à celle gérée par Monaco - soit 200 milliards de francs environ -, les autorités financières, homologues du SICCFIN ont effectué pour la seule année 1998, pas moins de 1 500 déclarations de soupçon, soit quarante fois plus que le nombre de déclarations faites à Monaco par le SICCFIN la même année.

Par ailleurs, à l’exception d’une affaire ayant donné lieu à une réaction judiciaire forte (l’affaire Binyamin), régulièrement avancée par les responsables monégasques comme la manifestation irréfutable d’un bon fonctionnement du dispositif anti-blanchiment, il faut bien constater que les condamnations prononcées pour un tel motif sont toujours attendues. En janvier 2000, 9 informations étaient en cours pour blanchiment dans les cabinets des juges d’instruction dont 5 avaient pour origine un signalement du SICCFIN.

Cette faiblesse du nombre des affaires traitées par la justice n’est donc pas sans relation avec la faiblesse du nombre des cas douteux transmis par SICCFIN qui compte tenu de ses moyens dérisoires ne peut guère agir à une autre échelle.

À Monaco, comme ailleurs, l’équilibre du système repose sur la contribution des banques et leur mobilisation à mettre en place des mécanismes de contrôle et d’alerte pour dénoncer les mouvements suspects et les opérations douteuses. Sur ce point SICCFIN chargé de recueillir, rechercher, traiter et diffuser les informations sur les circuits financiers de blanchiment de l’argent n’a guère fait preuve de dynamisme pour sensibiliser les professionnels à ce danger.

SICCFIN apparaît par ailleurs très isolé sur le plan international.

C’est essentiellement à travers sa participation au groupe Egmont via Internet, que le service SICCFIN entretient des relations avec ses homologues étrangers. Cinq ans après sa création, le SICCFIN n’avait signé en décembre 1999 aucune convention à l’exception de celle conclue avec le TRACFIN français le 17 octobre 1994. Sans être opposé à la passation de tels accords, le SICCFIN ne paraît pas pour autant en faire une priorité.

Interrogée sur ce point, Mme Ariane Picco-Margossian, Directrice du SICCFIN, n’a pu que confirmer la situation et a considéré qu’Interpol jouait un rôle largement aussi utile dans la communication d’informations.


" L’isolement du SICCFIN "

" M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Madame Picco-Margossian, votre service a-t-il signé des conventions avec d’autres pays que la France ?

" Mme Ariane PICCO-MARGOSSIAN, Directrice du SICCFIN : Non, pas pour l’instant.

" M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Pour quelles raisons ?

" Mme Ariane PICCO-MARGOSSIAN : Parce que les uns et les autres ne se sont jamais manifestés de façon officielle. Si je prends l’exemple des Etats-Unis, mon prédécesseur avait entamé des pourparlers avec les autorités américaines. Nous avons eu des contacts avec les Américains qui seraient prêts à signer un accord.

" M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : La coopération avec TRACFIN fonctionne-t-elle de façon satisfaisante ? Considérez-vous que TRACFIN vous apporte un bon service et vice versa ?

" Mme Ariane PICCO-MARGOSSIAN : Oui, mais que ce soit TRACFIN ou SICCFIN, ils ne peuvent être comparés à des institutions aussi vénérables qu’Interpol. Le gros du problème est là. TRACFIN a dix ans et le SICCFIN cinq ans. Ceci étant dit, la collaboration est très bonne. "

Extrait de l’audition de Mme Ariane Picco-Margossian, Directrice du SICCFIN


Actuellement le SICCFIN se prépare à la signature d’un accord de coopération et d’échange de renseignements avec la Cellule de Traitement de Informations belge le CTIF. Cet accord s’inspire de celui déjà passé avec TRACFIN. A ce jour, la collaboration conventionnelle de SICCFIN se limite à ces deux pays.

B) UNE DEONTOLOGIE BANCAIRE A GEOMETRIE VARIABLE

Les banques ont, elles aussi, mis au point des circulaires ou directives internes relatives au risque de blanchiment, mais on constate qu’aujourd’hui à Monaco toutes les banques ne participent pas à la lutte contre le blanchiment des capitaux avec la même énergie.

Aux dires de la directrice du SICCFIN il apparaît que certains banquiers choisissent à Monaco, comme dans d’autres places offshore de ce type, de ne pas procéder à l’ouverture du compte, préférant ne pas engager une relation d’affaires plutôt que d’avoir à effectuer une déclaration de soupçon, même si dans ce cas ils y sont pourtant tenus par les recommandations du GAFI.


" Les banquiers n’ont pas de doute suffisant pour faire une déclaration de soupçon "

" Mme Ariane PICCO-MARGOSSIAN : Parfois, je constate que les banquiers refusent de procéder à des ouvertures de comptes ou à des opérations. S’agissant des ouvertures de comptes, ils sont tenus par la loi de nous informer de tout doute concernant des opérations de blanchiment qui pourraient se dissimuler derrière. Ils le font, mais bien souvent ils n’ont pas un doute suffisant pour faire une déclaration indiquant qu’ils ont refusé telle personne pour des soupçons de blanchiment.

Extrait de l’audition Mme Ariane Picco-Margossian, Directrice du SICCFIN.


D’autre part, une fois la relation de compte instaurée, le seuil légal de 2 millions de francs à partir duquel une opération doit être automatiquement justifiée est apparu particulièrement élevé à la Mission. Sur cette question les banquiers ont souligné que nombre de banques s’étaient fixées un seuil bien inférieur et qu’en tout état de cause, en cas de soupçon, ce seuil de 2 millions de francs ne s’appliquait plus, mais toutes les banques ont-elles cette exigence ?


" Les banquiers sont en avance sur la loi "

" M. Jacky DARNE, député : " Chaque opération de plus de 2 millions de francs doit être justifiée. " Ce seuil me semble être très élevé.

" M. Jean-Bernard BUISSON : Pensez-vous vraiment que les contrôles faits par les établissements bancaires commencent à ce seuil ! Tous nos systèmes commencent à des seuils qui sont infiniment moins élevés. .../...

" M. Jacky DARNE : Par exemple, dans votre banque ?

" M. Jean-Bernard BUISSON : Les seuils sont de 100 000 francs, 200 000 francs et 2 millions de francs. Les croisements informatiques sont faits sur ces bases. Pour revenir sur la notion de connaissance du client, si nous n’avons pas la réelle connaissance du client, comment l’exploitant va-t-il pouvoir justifier que telle opération colle ? Il est coincé ! C’est aussi simple que cela.

" M. Jacky DARNE : C’est pourquoi je pose la question du seuil d’analyse de l’opération.

" M. Joseph-Alain SAUZIER : J’ajouterai que plusieurs établissements commencent à 50 000 francs, notamment les filiales des banques françaises. C’est pour vous dire que le seuil ne respecte absolument pas celui mis en avant dans la loi.

" M. Vincent PEILLON, président : C’est une vraie question que nous avons traitée, ce matin, avec le conseiller des affaires financières. Cela signifie que vous êtes en avance sur les lois auxquelles vous êtes soumis et que vous donnez des idées au législateur pour se mettre en conformité avec votre pratique. "

Extrait de l’audition de représentants de l’association monégasque des banques (AMB)


Il apparaît en second lieu que les paiements en espèces restent à Monaco d’usage très courant, même pour procéder à des achats importants. De façon générale, l’ensemble des personnalités rencontrées par la Mission sont apparues très attachées à ce mode de paiement et n’estiment pas qu’il peut constituer un réel danger de blanchiment.

La Mission s’est pourtant interrogée sur l’absence dans la législation monégasque d’un seuil à partir duquel tout achat ne pourrait plus être effectué en liquide, mais les banquiers monégasques considèrent que les sommes en jeu sont dans ce cas trop faibles pour susciter véritablement une inquiétude sérieuse.


" Pouvoir payer en liquide ne change rien à notre profession "

" M. Vincent PEILLON, président : Votre activité bancaire monte en puissance au vu de la richesse nationale monégasque, mais vous dépendez de l’image de la place. Vous savez, comme nous, que Monaco est une caisse de résonance sur des pratiques qui, peut-être, dans d’autres domaines que le vôtre, nuisent à votre activité. Je pense par exemple aux achats en liquide. En France, on vient de baisser de 50 000 à 20 000 francs le seuil à partir duquel on doit payer par chèque. Il peut s’agir aussi des rémunérations des administrateurs de certaines sociétés. Les gens sont sensibles à ces questions, s’inquiètent du fonctionnement de la place à Monaco, et ensuite cela se focalise sur vous.

" En dehors de votre métier, auriez-vous quelques souhaits concernant la nation monégasque, d’évolutions législatives sur d’autres secteurs que le vôtre qui permettraient peut-être d’améliorer encore la réputation de votre place ?

" M. Etienne FRANZI : Je n’ai jamais vu évoquer ce problème de seuil concernant des achats en liquide. Ce n’est pas ce qui fait que l’on jette l’opprobre sur la Principauté. Vous me prenez un peu au dépourvu.

" M. Jacky DARNE, député : C’est un débat qui a lieu en France. On considère que les paiements en espèces ne laissent pas les mêmes traces que les paiements par chèque. L’idée est qu’à partir d’un seuil, on doit payer par chèque ou par carte. J’imagine qu’ici, les mouvements d’espèces doivent être importants. Si on veut blanchir de l’argent dans un pays, on paie en espèces sans limite de valeur.

" M. Etienne FRANZI : Cela ne peut pas aller très loin.

" M. Jean-Bernard BUISSON : Bancairement parlant, le fait de pouvoir payer des montants importants en liquide ne change rien à notre profession.

" M. Vincent PEILLON, président : C’est surtout le fait que cela peut vous porter préjudice.

" M. Etienne FRANZI : C’est une question à laquelle nous n’avons jamais été confrontés. Je ne crois pas que cela peut aller loin. "

Extrait de l’audition de représentants de l’Association monégasque des banques (AMB)


Toutefois, le problème majeur vient du fait que la relation entre la banque et son client reste, elle, très largement fonction d’une appréciation très subjective et par conséquence très variable d’un établissement à l’autre. Ce très large éventail des comportements bancaires est à l’évidence porteur de risques ce qu’a souligné le juge d’instruction M. Jean-Christophe Hullin devant la Mission.


" On peut faire ce que l’on veut si l’on a la confiance de son banquier "

" M. Jean-Christophe HULLIN : Non seulement les banques sont hétérogènes, mais au sein même d’un établissement financier, les fonctionnements sont disparates en fonction des clients. Une banque peut avoir cinq agences dans la Principauté. Une même agence peut avoir un traitement extrêmement rigoureux de toute l’information et, en même temps, laisser passer les 2 millions de francs français dont je vous ai parlé tout à l’heure. Elle connaissait son client et a laissé faire, mais il peut y avoir par ailleurs une transparence totale. "

" M. Vincent PEILLON, président : Quelle est votre analyse ?

" M. Jean-Christophe HULLIN : Cela dépend du client. Quand les banques connaissent leurs clients, elles peuvent avoir intérêt à ne pas divulguer un certain nombre de choses. "

" M. Vincent PEILLON, président : Un blanchisseur ou un délinquant intelligent, plutôt que d’arriver avec une valise, a nécessairement besoin d’utiliser des comptes de personnes bien connues des banques. Avez-vous observé que les grandes affaires de blanchiment se feraient ainsi ?

" M. Jean-Christophe HULLIN : Oui. (...) "

" La conclusion que j’en tire est que l’on peut faire exactement ce que l’on veut, si on a la confiance de son banquier. Dans ce cadre, il peut arriver que des sommes importantes viennent de la criminalité. "

Extrait de l’audition de M. Jean-Christophe HULLIN, juge d’instruction au tribunal d’instance de Monaco.


Pour sa part M. Dominique Auter Substitut du Procureur Général a appuyé : " Dans le cadre de ce mécanisme de blanchiment, c’est-à-dire de dépôt de sommes en espèces, nous ne rencontrons aucun problème avec les grands réseaux bancaires - Société générale, Crédit lyonnais ou autres. Dès lors qu’ils ont un soupçon, ils le répercutent au SICCFIN. Ce sont en fait de petites banques contre lesquelles il faudrait engager des poursuites. Elles jouent sur les montants des versements qui, au départ, ne sont pas trop élevés. En effet, ceux qui viennent déposer ne font pas de gros versements car ce serait trop risqué. En jouant sur de petits versements, ramenés en dollars ou en euros, cela représente assez peu. "

Cette grave inquiétude est également partagée par les banquiers eux-mêmes. La Mission a recueilli le témoignage d’un banquier ayant fait toute sa carrière dans les plus grands établissements bancaires en France et à l’étranger, au cours de laquelle il a été chargé au plus haut niveau des questions de déontologie bancaire. Ancien Président du comité d’organisation de la prévention du blanchiment dans une grande banque française, il a préféré, en raison des conséquences que son témoignage pourrait avoir sur sa vie professionnelle, s’exprimer de façon anonyme. La Mission a accepté sa demande. Pour avoir procédé à des investigations complètes au sein de la filiale à Monaco d’un groupe bancaire français, il dresse un bilan sévère de la situation.


" A Monaco les dossiers d’ouverture de compte sont vides "

" M. Arnaud MONTEBOURG : Dans quel cadre avez-vous fait une inspection à Monaco ?

" M. Y : Je suis descendu à Monaco avec le responsable du contrôle interne, à la demande du directeur du métier de gestion de fortune, pour voir si l’acceptation des clients respectait les règles que nous avions édictées. Il doit y avoir dans le dossier le nom de l’ayant droit économique, une pièce d’identité valide et récente, les pouvoirs, l’objet du compte et l’origine de la fortune...

En gros, il y a 4 000 clients, dont 2 000 Italiens, et très peu de Français, parce que les Français ont peur. L’institution, sur mon conseil d’ailleurs, a suggéré il y a deux ans que tout Français qui avait un compte à Monaco, pour des raisons prudentielles, aille vers la Suisse. Je suis à l’origine de ce nettoyage. Il y a aussi beaucoup de personnes d’Afrique et d’Afrique du Nord, en particulier du Maroc. Il y a également des fonctionnaires, notamment des zones de langue francophone. .../...

" M. Arnaud MONTEBOURG : Qu’appelez-vous des fonctionnaires ? Des ministres parfois ?

"M. Y : Oui. Des ministres, des directeurs de la défense, des directeurs de la police...

" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous voulez dire que ce sont des gens qui ont du pouvoir.

" M. Y : ...des vice-présidents du conseil, etc.

" J’ai trouvé quatre comptes qui étaient liés à des hommes d’un niveau de ministre ou de vice-président du conseil de ces pays et qui étaient chez nous. On ne sait pas quoi faire de tels comptes. On n’a pas de règles.

" Pourquoi le combat est-il si difficile pour les gens qui sont impliqués dans la déontologie ou le blanchiment ? Au-delà de ce formalisme qui consiste à remplir l’imprimé, on ne sait plus quoi faire ensuite. Le nombre de décisions de refus d’ouverture de compte est infinitésimal.

" J’ai demandé que l’on constitue un dossier mondial des clients refusés. C’est une page blanche. Pourquoi ? Partout, on vous dit que l’on a assez de bon sens pour ne pas présenter à un comité tout client qui serait inacceptable. Donc le filtrage c’est souvent du pipeau.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Lorsque vous êtes allé à Monaco, qu’avez-vous découvert avec le contrôle interne ?

" M. Y : J’ai découvert que, pour un quart des clients, nous n’avions pas de dossier. Il y a deux types de dossier dans une banque : le dossier juridique complet et formel, qui contient des instructions de paiement et qui est au coffre, et le dossier d’ouverture de compte, dans lequel on est amené à dire : " il s’agit de M. Untel et sa femme qui sont dans le négoce du bois ; La fortune a été établie depuis 1978 ; elle est estimée actuellement à 14 millions de dollars, etc. " C’est un descriptif de l’origine des fonds qui figure dans le dossier d’acceptation. Nous avions environ 260 dossiers à voir.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Ce dossier permet-il d’identifier l’origine des fonds ?

" M. Y : Il permet de répondre à la préoccupation de la règle " know your clients ", " connaissez vos clients ", mais il est complètement dissocié du document où se trouvent les contrats, les documents signés, les pouvoirs, etc.

" Un quart de ces dossiers (je n’ai pas regardé les autres) était vide. Quand j’ai demandé pourquoi, les réponses ont été multiples. On m’a dit que la législation était relativement récente, de même que nos règles internes, alors que certains de nos clients étaient avec nous depuis dix ou quinze ans, si bien que personne n’osait leur dire : " l’application de la nouvelle législation nécessite une mise à jour, veuillez nous donner une nouvelle photo d’identité et nous faire une présentation de fortune ". Le gérant ou le gestionnaire ne voulait pas le faire.

" Un autre quart des dossiers était mal renseigné, ou renseigné de façon incomplète et insuffisante, ne permettant pas de se faire une idée véritable de ce qu’il y avait derrière. "


Il ressort de cet entretien accordé au Rapporteur que l’application du principe " connaissez vos clients "n’est pas respecté à Monaco.

Pour un quart des clients, leur dossier d’ouverture de compte était vide, pour un autre quart les renseignements les concernant étaient insuffisants ou non mis à jour.

Par ailleurs, il semble qu’aucune banque n’ait pris l’initiative à Monaco, comme ailleurs il faut le reconnaître, d’établir pour son compte une liste des clients refusés.

Même si les filiales ou succursales de banques importantes et reconnues appliquent les procédures définies par la maison mère il n’en demeure pas moins que l’effet d’imprégnation de la réalité locale joue pleinement. Ainsi, même si l’établissement bancaire est bien géré, si les règles déontologiques du siège y sont en vigueur, leur application et leur suivi sera effectué selon les termes de M.Y avec " les lunettes du management local ".

Ce contexte particulier pèse indéniablement sur la manière d’accomplir le métier de banquier dans une place telle que celle de Monaco. Que deviendraient les comptes et in fine les banquiers si on portait à Monaco, ou dans d’autres lieux analogues, le même regard et la même analyse sur les clients que dans n’importe quel autre pays ?

AVERTISSEMENT :

Votre Rapporteur a interrogé par téléphone un témoin particulier des pratiques de blanchiment à Monaco. L’intéressé a été condamné par une juridiction des Etats-Unis à 37 années de prison pour participation à un trafic de cocaïne. L’intéressé a accepté de s’exprimer par téléphone sur les pratiques monégasques depuis son lieu d’incarcération. En raison de procédures répressives pendantes contre lui dans plusieurs pays européens, la Mission a décidé de transmettre à son avocat le contenu de ses déclarations, de préserver son anonymat afin que ses déclarations devant la Mission ne soient pas retenues contre lui-même, et de retrancher l’ensemble de ses propos qui ne concernaient pas à proprement parler, la Principauté de Monaco.


" Si jamais a Monaco, des banques commencent à demander l’origine des Fonds, Monaco n’a plus de raison d’être "

" M. Arnaud MONTEBOURG : Est-ce que des grandes banques françaises qui auraient des filiales à Monaco sont, à votre connaissance, aussi peu regardantes sur l’origine des fonds ?

" M. Z : Elles n’ont pas le choix.

" M. Z : A votre avis, qui vit à Monaco ? Ce sont uniquement des gens qui ont des problèmes avec le fisc étranger ou des gens qui ont gagné de l’argent illégalement. Il est donc évident que, si une personne vit à Monaco, c’est parce qu’elle a quelque chose à se reprocher envers les autorités de son propre pays.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Avez-vous été le témoin de faits qui vous permettent d’affirmer que la plupart des banques acceptent des sommes en liquide alors qu’elles n’auraient pas de mal à s’apercevoir que ces sommes sont d’origine suspecte ?

" M. Z : Ils ne vous le demandent même pas. Prenez l’exemple suivant : vous venez avec X millions de francs dans une banque monégasque et vous dites que c’est une commission que vous avez obtenue de la vente d’un bien immobilier. On vous répond : Ah bon, très bien. On demande simplement l’origine des fonds mais ils ne vérifient pas la véracité de vos propos.

" M. Arnaud MONTEBOURG : C’est-à-dire que c’est une sorte de contrôle superficiel et seulement formel.

" M. Z : Tout à fait. Si vous commencez, à Monaco, à vérifier l’origine des fonds, il va se passer la même chose que ce qui s’est passé dans les casinos quand le fisc italien a commencé à surveiller les gens qui venaient jouer au casino de Monaco, la fréquentation a baissé considérablement et le casino s’est retrouvé avec des problèmes financiers.

" C’est exactement la même chose pour les banques. Si jamais, à Monaco, des banques commencent à demander l’origine des fonds, Monaco n’a plus de raison d’être. "

M. Arnaud MONTEBOURG : J’ai encore une question à vous poser : utilisez-vous vous-même des sociétés fiduciaires pour dissimuler derrière cet écran le nom des véritables ayants-droit économiques ?

M. Z : Non, les biens que j’avais étaient au nom de Z, j’ai donné mon passeport français lorsque je les ai achetés. J’étais résident à Campione d’Italia, un autre paradis fiscal. Tous les comptes bancaires étaient ouverts au nom de Z, excepté pour un compte qui était ouvert au nom d’une société des Iles Vierges britanniques.

Si j’ai ouvert ce compte au nom d’une société des Iles Vierges britanniques, c’est parce que j’avais un compte à la banque Rothschild qui était ouvert au nom de Z. Et quand j’ai commencé à amener des sommes en espèces, j’ai ouvert un compte au nom de ma société luxembourgeoise, et, par la suite, la banque m’a demandé d’ouvrir un compte au nom d’une société fiduciaire. La banque elle-même a organisé la société fiduciaire. J’en ai d’ailleurs acheté plusieurs à la Rothschild.

M. Arnaud MONTEBOURG : C’est la société Rothschild qui vous les a vendues ?

M. Z : Ah oui. Ils ouvrent leur tiroir et vous sortent les sociétés que vous voulez. Cela coûte 15 000 francs français si je m’en souviens bien. Ils vous procurent même les administrateurs et vous donne les bordereaux d’encaissement ou de dépôt qui sont signés en blanc par les administrateurs. Vous avez donc le bordereau, vous venez avec votre bordereau, vous déposez le montant, et ceci à n’importe quel moment, les administrateurs n’ont pas besoin d’être là.

M. Arnaud MONTEBOURG : Et on fait cela à Monaco ?

M. Z : Tout à fait.


Votre rapporteur a demandé à ce même banquier chargé de la prévention contre le blanchiment, ce qu’il pensait des déclarations de M. Z.


" Le Prince a choisi de ne pas être regardant "

M. Arnaud MONTEBOURG : Je voudrais vous lire des déclarations que j’ai recueillies au nom de la Mission. Il s’agit d’une personne qui a eu des comptes à Monaco, qui a été condamnée par la justice américaine à 37 années de prison pour trafic de drogue et qui a décidé de parler. Voici ce qu’elle dit :

" Le système monégasque est simple. Tout a été organisé au plus haut niveau des autorités monégasques pour amener des fonds dans la Principauté monégasque quels que soient les moyens et l’origine des fonds. Vous avez des banques russes qui sont à même de disposer de sommes astronomiques à Monaco sans même que les fonds soient transférés de la Russie à Monaco.

 Question du Rapporteur : Qu’appelez-vous astronomiques ?

 Réponse de l’intéressé : On parle en dizaine de millions de francs. .../...

 Question du Rapporteur : Est-ce que toutes les banques acceptent cet argent liquide à Monaco ?

 Réponse de l’intéressé : A ma connaissance, oui, mais pas dans des montants tels que certaines banques impliquées avec le pouvoir monégasque le font.

A votre avis, qui vit à Monaco ? Ce sont uniquement des gens qui ont des problèmes avec le fisc étranger ou des gens qui ont gagné de l’argent illégalement. Il est évident que si une personne vit à Monaco, c’est parce qu’elle a quelque chose à se reprocher envers les autorités de son propre pays.

 Question du Rapporteur : Avez-vous été le témoin de faits qui vous permettent d’affirmer que la plupart des banques acceptent des sommes en liquide alors qu’elles n’auraient pas de mal à s’apercevoir que ces sommes sont d’origine suspecte ?

 Réponse de l’intéressé : Ils ne vous le demandent même pas. Prenez l’exemple suivant : vous venez avec x millions de francs dans une banque monégasque et vous dites que c’est une commission que vous avez obtenue de la vente d’un bien immobilier. On vous répond : "ah bon ? Très bien." On vous demande simplement l’origine des fonds mais on ne vérifie pas la véracité de vos propos.

C’est donc une sorte de contrôle superficiel et seulement formel ? " Tout à fait.

M. Arnaud MONTEBOURG : Comment réagissez-vous à cette analyse approfondie de la part d’un garçon qui a accepté de répondre à mes questions depuis sa prison des Etats-Unis ?

M. Y : Je la partage assez. Tout ce qui est dit là est particulièrement vrai.

M. Arnaud MONTEBOURG : Cela confirme-t-il la teneur de vos déclarations de tout à l’heure sur votre visite à Monaco ?

M. Y : Il y a une rumeur, du marché, concernant Monaco selon laquelle la Principauté serait aux mains des mafias siciliennes. C’est une rumeur qui est persistante, qui vient de différents canaux. Elle indique, comme au Liechtenstein, que le Prince a choisi cette voie délibérément sans vouloir être regardant. De fil en aiguille, sans vouloir nécessairement au départ, attirer les mafieux et les blanchisseurs, la situation de fait est devenue celle là, vouloir s’en retirer est très difficile, quasiment impossible.


La multiplication des témoignages recueillis par la Mission, émanant de sources autorisées les plus diverses, fait ressortir un évident laxisme de la part des établissements bancaires et financiers implantés à Monaco.

Cette situation très inquiétante justifierait que l’on réexamine les compétences de la Commission bancaire vis à vis de la Principauté de Monaco.

En effet, si les contrôles effectués par la Commission bancaire à Monaco concernent les établissements bancaires, ces contrôles ne s’appliquent pas aux sociétés de gestion de portefeuille relevant de la seule législation monégasque (loi 1194 du 9 juillet 1997).

Or ces structures de gestion d’avoirs sont, comme les banques, en mesure de fournir à leur clientèle des sociétés offshore " clé en main " au nom desquelles des comptes sont ouverts qui permettent la réalisation d’opérations au profit de bénéficiaires qui ne sont pas toujours identifiables.

De plus, la loi française du 12juillet1990 relative à la lutte anti-blanchiment qui confie à la Commission bancaire le soin de veiller au respect par les établissements de crédit et les divers organismes financiers, de la législation anti-blanchiment n’est pas applicable à Monaco.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr