Afin d’assurer sa notoriété, sa prospérité et son développement économique, les dirigeants de Monaco ont choisi d’organiser un territoire d’exemption fiscale pour attirer une clientèle fortunée, soucieuse d’échapper à l’imposition de ses revenus et de son patrimoine, ainsi que de nombreuses entreprises sensibles à la faible fiscalité sur les bénéfices commerciaux.

Si les Français n’ont plus intérêt à devenir résidents monégasques depuis 1963, le privilège fiscal accordé par Monaco a gardé de sa vigueur attractive pour tous les ressortissants d’autres nationalités.

Le régime fiscal privilégié décidé par un Etat relève de sa souveraineté et n’a rien en soi de répréhensible. Ce choix témoigne d’une stratégie économique délibérée et ne suffit pas à lui seul à susciter la réprobation.

En revanche, l’afflux inévitable de capitaux résultant de l’existence d’une fiscalité privilégiée, nécessite en contrepartie la mise en place d’un système de contrôle bancaire rigoureux, l’existence d’une législation permettant de se prémunir contre l’anonymat des transactions, la garantie d’une coopération internationale policière, judiciaire, efficace, accordée en matière pénale.

A défaut d’un tel dispositif, le risque se réalise inéluctablement de voir s’investir ou transiter non plus seulement les capitaux honorablement gagnés mais aussi tous ceux issus d’activités illicites.

De ce point de vue, il est apparu à la Mission que la Principauté de Monaco extrêmement soucieuse de son image préfère à l’heure actuelle adopter un langage et une attitude consistant à minorer le danger de blanchiment, ou plus grave, à nier le phénomène dans la Principauté, plutôt que de s’interroger sur la nécessité de reconsidérer sa législation sur le droit des sociétés, de renforcer les moyens accordés au SICCFIN, de sanctionner réellement les banques pour non établissement de déclaration de soupçon, de faciliter la coopération judiciaire directe de magistrat à magistrat.

A législation constante, indépendamment de toute fiscalité privilégiée, il n’est objectivement pas possible pour la Principauté de Monaco de prétendre qu’elle est en mesure de lutter correctement contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux.

Le volume des transactions financières qui peuvent être effectuées par des administrateurs de sociétés offshore pour le compte d’ayant droits économiques dont l’identité réelle reste impossible à vérifier à Monaco est considérable.

Le monde bancaire monégasque estime avant tout devoir faire primer la confidentialité accordée à sa clientèle pour des raisons fiscales, plutôt que de susciter l’organisation d’un système de centralisation des comptes bancaires de type FICOBA.

La Principauté vient d’adopter une législation qui instaure un contrôle préalable des demandes de commission rogatoire par le Procureur Général qui apprécie les suites à en donner, créant ainsi un obstacle supplémentaire à la coopération judiciaire, au moment où toute l’Europe travaille à la faciliter.

Le service SICCFIN, constitué pour détecter les actes de blanchiment, n’est composé que de deux personnes pour une place financière de 300 milliards d’avoirs uniquement bancaires.

Monaco ne peut en aucun cas, être exclusivement considéré comme un seul paradis fiscal, puisque la Principauté donne à ceux qui l’utilisent, tous les avantages d’un paradis bancaire, fiduciaire et judiciaire, autorisant la qualification de territoire non coopératif.

En choisissant de ne pas provoquer le risque d’une désaffection des capitaux qui aurait résulté d’une législation plus rigoureuse - interdiction des trusts, responsabilité pénale des administrateurs de sociétés... -, de contrôles plus stricts - établissement d’un seuil de paiement en liquide - ou d’une justice systématiquement mise en _uvre - transmission directe des commissions rogatoires, existence d’un fichier centralisé des comptes bancaires accessible aux magistrats... -, la Principauté se Monaco s’est volontairement placée en marge d’une communauté des Etats qu’elle souhaite intégrer, et dont elle désire paradoxalement avec force les marques de reconnaissance.

C’est dans de tels choix que réside la complaisance de Monaco à l’égard du blanchiment de l’argent illégal.

La Principauté de Monaco a déposé en octobre 1998 sa candidature officielle d’adhésion au Conseil de l’Europe afin de développer les liens et la coopération avec les Etats-membres du Conseil.

L’entrée de Monaco dans la zone euro, sa participation au Conseil de l’Europe pourront difficilement se concevoir sans une révision parallèle de certaines dispositions de sa législation interne qui en font un lieu prospère au blanchiment des capitaux et une place financière porteuse de risques de déstabilisation des marchés en raison de l’insuffisance de la surveillance de son secteur bancaire et financier.

C’est sur la base de ce critère que la Principauté vient de faire l’objet d’un classement, par le Forum de Stabilité financière, dans le groupe des 42 paradis fiscaux parmi les pays qui présentent, au sein de ce club, une qualité de réglementation très moyenne.

Au regard des critères du GAFI, qui à la différence du Forum de Stabilité financière, analysent la question sous l’angle du blanchiment, Monaco risque d’être à nouveau classé dans la catégorie des pays non coopératifs.

Alors qu’à Tampere les 15 et 16 octobre 1999 la Présidence du Conseil de l’Union européenne a adopté une série de conclusions invitant les Etats-membres d’une part à " mettre en _uvre intégralement, y compris dans tous leurs territoires dépendants " les dispositions de la directive européennes anti-blanchiment de 1991 et les recommandations du GAFI, d’autre part à " conclure des accords avec des centres offshore de pays tiers afin d’assurer une coopération efficace et transparente en matière d’entraide judiciaire " il devient dès lors problématique que la Principauté de Monaco, qui entretient avec la France des liens privilégiés, ne se conforme pas strictement aux exigences ainsi exprimées.

Monaco devra désormais choisir. Etat souverain, la Principauté a choisi une législation fiscale, une législation commerciale et un mode de coopération judiciaire qui ne satisfont pas les normes internationales et européennes. Petit territoire géographique, la Principauté souhaite pourtant développer sa coopération avec la communauté internationale et intégrer la zone euro.

Il lui appartient donc désormais de s’orienter dans la voie du changement.

A défaut, la France membre de l’Union européenne, et par ailleurs fortement engagée au sein des instances internationales - GAFI, Forum de Stabilité... - dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et la délinquance financière, ne saurait continuer à maintenir son implication dans le fonctionnement des structures décisionnelles monégasques. Car cette implication contribue à discréditer la volonté politique française de lutter sur le plan européen et international contre le blanchiment de l’argent illégal.

La Mission considère par ailleurs qu’il convient d’envisager sérieusement la remise à plat de nos accords, fondement de nos relations.

La nécessité du détachement d’une quinzaine de magistrats français dans la Principauté ne s’impose plus dans les conditions actuelles et le versement de plus 800 millions de francs annuels à un Etat qui n’exige aucune solidarité par l’impôt, doit être d’urgence remis en cause.

Paradoxalement, le prix à payer pour une évolution accélérée de la Principauté de Monaco consiste, pour la République française, en une économie pour les contribuables français.

Voici donc une réforme que le Gouvernement de la République française pourra aisément entreprendre, sans délai, avec l’appui de la Représentation nationale, sans risquer le moindre reproche de nos concitoyens.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr