Entendu par la commission d’enquête, le directeur de la CNAM, M. Gilles Johanet est intervenu sans ambages : " Le montant des remises de gestion est fixé par l’Etat. Ce montant est non seulement uniforme mais il est surtout, point capital majeur qui pourrit la totalité du dispositif, déconnecté de la réalité des coûts de gestion et n’a pas à être justifié par les bénéficiaires de cette provende (...) Si nous passons, comme nous le demandons, au coût réel, et si nous abandonnons l’uniformité du montant des remises de gestion, nous changeons de logique. Nous passons à une logique du service rendu, nous quittons la logique de rente. " Cette prise de position du directeur de la CNAM sous-entend, à juste titre, que le montant global des remises de gestion versé aux mutuelles étudiantes doit être exclusivement destiné à couvrir les coûts de gestion du régime obligatoire d’assurance maladie-maternité. Cela nécessite, d’une part, que soit clairement distinguées les activités qui relèvent du régime de base de celles qui résultent du régime complémentaire, d’autre part, qu’une fois identifiés, les coûts de gestion du régime de base soient optimisés et donc ramenés au plus bas niveau possible.

L’absence de comptabilité analytique

Si ces objectifs ne sont pas contestés dans leur principe, la mise en place par les mutuelles étudiantes d’une comptabilité analytique n’est, en pratique, toujours pas réalisée en dépit de l’obligation qui leur avait été faite à deux reprises lors de la signature des conventions précitées, fixant le niveau des remises de gestion.

Cet échec, selon M. Gabriel Mignot, président de la 6e chambre de la Cour des comptes, tient notamment au refus des mutuelles étudiantes de justifier leurs dépenses tant il est vrai que la confusion des genres a longtemps été de mise entre les activités propres des mutuelles et leurs missions de service public.

Du côté des mutuelles étudiantes, ou non, les réactions sont diverses. Certains, comme M. Philippe Delemarre, secrétaire général de la Fédération nationale interprofessionnelles des mutuelles (FNIM), estime que les mutuelles étudiantes régionales qui n’ont pas mis en place la comptabilité analytique ont eu tort mais ne voit dans cette attitude qu’" une prise de conscience un peu tardive ". Pour M. Pierre-Yves Le Dœuff, délégué de la Mutualité étudiante régionale (MER), s’il est toujours possible de mieux définir les coûts, " il serait néanmoins irréaliste de prétendre que nous serions capables de distinguer très précisément dans nos comptes ce qui relève de la gestion du régime obligatoire et ce qui relève de la gestion du régime complémentaire. "

Le président de l’Union sociale des sociétés étudiantes mutualistes (USEM), M. Philippe Stoffel-Munck a, quant à lui, insisté sur les difficultés de mise en application en soulignant que, sur cette question de la comptabilité analytique comme sur bien d’autres dossiers d’importance, la mutualité étudiante avait été traitée par la CNAM comme la " cinquième roue du carrosse " et qu’après que cette dernière eut exprimé cette exigence " les opérateurs de la CNAM, ayant souvent autre chose à faire, ont peu à peu laissé filer ce dossier effectivement complexe. "

Les difficultés techniques de mise en place d’une comptabilité analytique ont d’ailleurs été soulevées à plusieurs reprises, comme a été souligné le fait que cette comptabilité pour être opérante devait s’accompagner de garanties sérieuses.

Malgré ces difficultés, les actuels président et directeur général de la MNEF, auditionnés par votre rapporteur, affirment vouloir mettre en place une comptabilité analytique dès la prochaine rentrée universitaire.

Selon M. Gabriel Mignot, l’obstacle à la mise en place d’une comptabilité analytique par les mutuelles étudiantes " a tenu au refus des mutuelles de justifier leurs dépenses [à la CNAM]. La CNAM a plusieurs fois demandé au ministre de tutelle une aide pour obtenir ces justifications et notamment la mise en place d’une comptabilité analytique, mais la tutelle n’est pas intervenue de façon suffisamment efficace pour que cela aboutisse. "

M. Alain Deniel a apporté les précisions suivantes : " Le problème d’une comptabilité permettant de déterminer de manière claire les coûts de gestion effectifs du régime obligatoire ne peut pas être résolu. En effet, l’opacité du système comptable général induit des difficultés pour appréhender les différents coûts intermédiaires. Par ailleurs, une comptabilité analytique suppose de résoudre des problèmes généraux de répartition et de coefficients de répartition, lesquels dans l’opacité actuelle de la comptabilité des organismes de sécurité sociale, ne peuvent pas être déterminés avec précision. "

M. Luc Machard a insisté sur ce dernier point et s’est montré plus réservé sur les améliorations à attendre d’une comptabilité analytique : " Créer une comptabilité analytique sans laisser la tutelle ou la Commission de contrôle, contrôler la manière dont sont établies les clés de répartition, c’est créer de l’opacité là où aujourd’hui il en existe un tout petit peu moins dès lors que l’on peut contrôler l’ensemble des comptes (...) Or comment contrôler les clés de répartition du temps de travail, des charges d’informatique, des charges d’affranchissement, par exemple. C’est impossible. Les clés seront donc arbitraires. "

Du côté de la tutelle exercée par le ministère de l’Emploi et de la solidarité, l’approche est comparable.

M. Raoul Briet, directeur de la sécurité sociale dans ce ministère a estimé devant la commission d’enquête que l’intégration des locaux, du personnel et des moyens techniques pose des " problèmes redoutables " et que " ces difficultés sont aggravées par l’absence, dans les organismes mutualistes, de plan comptable parfaitement adapté aux différentes opérations à retracer, par l’ancienneté de ce plan comptable et par le défaut fréquent d’éléments de comptabilité analytique fiables et sincères qui permettraient d’isoler les charges afférentes à la gestion du régime étudiant et celles relatives aux autres activités des mutuelles ". Il a lui aussi précisé qu’une comptabilité analytique rigoureuse ne dispenserait pas de " s’assurer que les clés de répartition des charges communes entre l’activité pour le compte du régime général et les autres activités des mutuelles sont sincères et établies rigoureusement. "

Consciente qu’une méthode comptable ne peut à elle seule prévenir toutes les dérives d’un système et que sa mise en place suppose de résoudre de nombreuses questions techniques, la commission d’enquête reste cependant convaincue que l’introduction de la comptabilité analytique constitue un élément de transparence et un progrès indéniable permettant de mieux distinguer les activités qui relèvent de la gestion du régime obligatoire, des activités purement mutualistes, à condition que les clés de répartition puissent être régulièrement évaluées en partenariat entre la CNAM et les mutuelles étudiantes.

Quoiqu’il en soit, l’heure n’est plus aujourd’hui à un débat de principe puisqu’en application des directives européennes sur l’assurance il ne sera plus désormais possible aux mutuelles étudiantes de se soustraire à la présentation analytique de leurs activités et de leurs comptes.

Remises de gestion et coûts réels de gestion

Une fois distinguées, sur le plan comptable, des activités liées au régime complémentaire, les missions de gestion du régime obligatoire de sécurité sociale doivent s’effectuer au moindre coût et en tout état de cause à un coût comparable à celui des caisses primaires d’assurance maladie. Cette comparaison des activités, outre qu’elle suscite des réactions de principe, n’est pas non plus facile à élaborer. Il est clair néanmoins que la gestion par les mutuelles étudiantes du régime de base de l’assurance maladie maternité ne peut se concevoir sans établir de lien entre les coûts de gestion des mutuelles étudiantes et ceux des caisses de sécurité sociale.

Plusieurs intervenants, entendus par la commission d’enquête, ont réfuté la comparaison avec les caisses primaires d’assurance maladie, craignant que cet exercice ne serve finalement à remettre en cause le maintien et la spécificité du régime étudiant de sécurité sociale.

Ainsi M. Salomon Botton, l’actuel directeur de cabinet de la direction générale de la MNEF a-t-il estimé : " A propos de la nécessité du maintien du régime étudiant de sécurité sociale, je dirai que ceux qui considèrent que les mutuelles étudiantes qui gèrent le régime de sécurité sociale effectuent le travail d’une caisse primaire se trompent lourdement et abordent le sujet d’une manière assez simpliste ". Ce point de vue a été développé tant par M. Jean-Marie Le Guen, député, ancien directeur-adjoint à la MNEF : " Les mutuelles étudiantes ne sont pas des caisses primaires d’assurance maladie : elles ont une délégation de service public, elles gèrent la sécurité sociale, mais ce sont des structures de droit privé qui agissent dans une logique et selon des pratiques qui ne sont pas celles d’une caisse primaire d’assurance maladie " que par l’ancien directeur général, M. Olivier Spithakis : " la MNEF n’est pas et ne s’est jamais considérée comme une caisse de sécurité sociale, et ne souhaite pas être jugée comme telle ".

En dépit de ces considérations, différentes études ou simulations ont été élaborées en vue de comparer les coûts de gestion des mutuelles étudiantes et ceux des caisses d’assurance maladie.

L’audit des sections locales mutualistes d’étudiants réalisé en 1993 par la CNAM estimait que, sur la base d’un ratio ayants droit / assuré de 0,61 pour les CPAM et de 0,0071 pour les familles d’étudiants, la charge de travail de gestion d’un " bénéficiaire actif " étudiant ne représentait que 61,3 % de celle d’un " bénéficiaire actif " relevant des CPAM. Sur la base de cette équivalence, un coût complet opposable avait été établi qui intégrait les charges administratives et les charges informatiques et donnait les résultats suivants :

û moyenne des 129 CPAM : 262,37 F

û groupe médian de 25 CPAM : 237,72 F

û 50 premières CPAM : 219,56 F

Il ressortait en conséquence de cette étude que les remises de gestion versées par la CNAM en 1993 étaient notoirement surévaluées dans leur ensemble et qu’après les mesures de " rattrapage " au titre des années 1989 à 1991, les mutuelles étudiantes recevaient en moyenne 23,6 % de plus que le coût moyen calculé pour les 129 CPAM, 36,4 % de plus que le coût moyen calculé pour le groupe médian et 47,7 % de plus que le coût moyen calculé pour les 50 premières CPAM.

Cet audit ayant provoqué les plus vives réactions de la part des mutuelles étudiantes est resté lettre morte.

Le rapport d’enquête établi en février 1999 par l’IGAS et l’IGF sur les remises de gestion allouées aux mutuelles étudiantes admet que la comparaison des coûts de gestion est délicate, d’une part, parce que l’étendue des activités est très différente, d’autre part, parce que la population concernée est également très différente. Ainsi, par exemple, les CPAM gèrent d’autres prestations que celles de l’assurance maladie-maternité mais le renouvellement annuel de l’affiliation pèse lourdement sur les mutuelles étudiantes. Au total, le rapport conclut qu’un niveau de remise de gestion de 260 F ou 270 F en intégrant les frais de communication, inférieur de 15 % à celui en vigueur, respecterait la réalité des charges tout en soulignant qu’il existe " une certaine ambiguïté dans la comparaison des coûts de gestion entre CPAM et mutuelles d’étudiants : d’un côté, sur la base des remises de gestion, le coût des mutuelles est présenté comme élevé par rapport au coût des CPAM pour souligner le caractère peu rationnel, économiquement, de la gestion du régime étudiant, de l’autre côté, la réalité des coûts des mutuelles étudiantes est jugée probablement inférieure au niveau des remises de gestion pour appeler une baisse du niveau de ces remises. Il convient donc d’apprécier au mieux la réalité de ces coûts, mais aussi leur légitimité, au regard du service offert aux étudiants et aux acteurs du système de santé ".

En distinguant la réalité des coûts de la légitimité des coûts, l’IGAS et l’IGF soulèvent plus largement le problème de l’utilisation de ces remises de gestion à d’autres fins que celles de pure gestion d’un régime de sécurité sociale.

Si l’on considère, sans pouvoir l’évaluer avec exactitude, que le montant des remises de gestion excède le montant des coûts de gestion et que cette mission de service public est par ailleurs exercée par des mutuelles qui ont en même temps une activité privée de mutuelles complémentaires, il est indéniable que le système a conduit à une confusion des genres et qu’il a été amplifié par le régime de concurrence et d’affiliation mis en place.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr