La spécificité de l’action mutualiste

M. Michel Rocard pose clairement le problème : " Le droit européen ne connaît pas cette spécificité mutualiste. Il aborde les problèmes du risque maladie essentiellement en référence à la concurrence mais avec une possibilité d’ouverture en faveur d’une exception fondée sur l’intérêt général ".

Le problème se complique, selon l’auteur du rapport, car la spécificité mutualiste n’est nulle part définie en droit français, pas plus que l’intérêt général qu’elle exprime. " En matière d’assurance maladie, nous sommes en France devant une évolution coutumière très fortement marquée par la tradition mutualiste ".

M. Michel Rocard préconise, en conséquence, qu’une disposition de la loi de transposition définisse la spécificité mutualiste ce qui constituerait une base légale permettant d’écarter, au nom d’un intérêt général clairement perceptible, certaines règles posées par les directives assurances.

Comme l’indique M. Michel Rocard, c’est du côté de la jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes qu’il faut chercher la prise en compte d’un intérêt général pour justifier des restrictions aux règles de la concurrence. Le rapport cite plusieurs arrêts pour lesquels, la protection des travailleurs, la protection des consommateurs, la sauvegarde de la diversité culturelle sont constitutives d’un intérêt général. Il devrait donc être possible à la loi française de définir, sans risque de contentieux, la protection de la santé et l’égalité d’accès à cette protection comme motif d’intérêt général.

C’est parce qu’elles seraient tenues, au nom d’un intérêt général légalement défini, à des obligations spécifiques et contraignantes vis à vis de leurs adhérents, que les mutuelles françaises pourraient s’exonérer de certaines règles communautaires, lesquelles provoquent parfois, selon l’expression de M. Michel Rocard " une vraie colère du mouvement mutualiste ".

Quels sont les éléments de cette spécificité mutualiste, en matière d’assurance maladie complémentaire ?

Devant la commission d’enquête, M. Michel Rocard a indiqué que l’on pouvait en " deviner les traits ". Il s’agit du caractère viager de l’engagement de la mutuelle, de la solidarité organisée au sein d’une catégorie de population. Ces engagements interdisent toute possibilité de sélectionner les risques et les assurés, et de fixer les cotisations en fonction du risque, c’est à dire de l’état de santé de l’assuré. Cela différencie les mutuelles des institutions de prévoyance et des compagnies d’assurance dont la tarification est libre.

Cependant, dans son rapport, M. Michel Rocard constate que l’encadrement législatif des tarifications des mutuelles est faible et qu’elles disposent de larges possibilités de modulation tant des cotisations que des prestations.

Cette situation résulte d’une rédaction très ouverte de l’article L. 121-2 du Code de la mutualité : " Les mutuelles ne peuvent instituer, en ce qui concerne le niveau des prestations et des cotisations, des discriminations entre membres ou catégories de membres participants si elles ne sont pas justifiées par les risques apportés, les cotisations fournies ou la situation de famille des intéressés. Les cotisations peuvent être modulées en fonction du revenu des membres participants ".

C’est pourquoi la mission conduite par M. Michel Rocard, considère nécessaire, en raison de la grande variété de pratiques des mutuelles sur ces formes de discrimination, d’inscrire dans la loi les principes mutualistes qui justifieraient une transposition différenciée.

Ces principes à inscrire dans la loi, pourraient être les suivants :

· caractère viager de l’engagement qui ne peut être rompu par les mutuelles du fait des modifications de l’état de santé ou de la consommation médicale de l’adhérent ;

· non individualisation de la cotisation en fonction du risque ;

· interdiction de la sélection à l’entrée et de l’utilisation du questionnaire médical ;

· interdiction de toute rémunération directe ou indirecte en fonction du chiffre d’affaires des " commerciaux ".

Il appartiendra à l’autorité de contrôle de vérifier le respect de ces règles et en cas de violation, des mécanismes juridiques conduisant au retrait de l’agrément mutualiste devraient être prévus selon l’analyse du rapport de M. Michel Rocard.

La mission estime que l’inscription des principes mutualistes dans la loi va clairement dans les sens de l’intérêt général en garantissant que l’emploi de cette forme juridique correspond à un comportement solidaire. Pour autant, le mouvement mutualiste ne pourra s’exonérer de toutes les contraintes imposées par les directives assurance aux entreprises qui revendiquent l’autorisation d’exercer sur le marché européen.

Dans cette hypothèse, quelles seraient les adaptations inévitables qui résulteraient de la transposition des directives, pour la gestion du régime complémentaire par les mutuelles et qui rejailliront bien évidemment sur les mutuelles étudiantes ?

Le principe communautaire de la spécialité de l’activité d’assurance

M. Michel Rocard a rappelé devant la commission d’enquête que l’action mutualiste consiste à " prendre en charge moins des risques de maladies spécifiques que des personnes ". En conséquence, l’adhésion à une mutuelle crée pour cette dernière " l’obligation d’agir sur le risque par la prévention et une offre de soins pas uniquement liée à la survenance du risque qu’est la maladie ".

Le rapprochement est alors immédiatement fait avec l’élément majeur des directives assurance : le principe de spécialité qui interdit à une entreprise d’assurance (au sens européen) de pratiquer au sein de la même structure juridique des activités autres que d’assurance.

Cela signifie que toutes les activités sociales, qui ne sont pas liées à la réalisation d’un aléa couvert par le contrat d’assurance, ne peuvent être exercées par la structure juridique de la mutuelle offrant la prestation d’assurance.

M. Michel Rocard traduit cette règle en disant que " les mutuelles ne pourront plus assurer directement la gestion de leurs colonies de vacances ou de leurs centres optiques ".

Les œuvres sociales créées et gérées par de nombreuses mutuelles ne représentent pas de simples accessoires de leurs activités d’assurance, elles constituent une mission fondamentale du mouvement mutualiste. Selon l’article L. 411 du Code de la mutualité, figurant au livre IV entièrement consacré à l’action sociale, c’est " pour la réalisation des objectifs définis à l’article L. 111-1 (que) les mutuelles peuvent créer des établissements ou des services à caractère sanitaire, médico-social, social ou culturel ".

De surcroît, le Code de la mutualité interdit que ces œuvres soit gérées de manière autonome. L’article L. 411-2 édicte que " les établissements et services, mentionnés à l’article L. 411-1 n’ont pas de personnalité juridique distincte de celle de la mutuelle fondatrice, même si les opérations relatives aux œuvres sociales doivent faire l’objet de budgets et de comptes séparés ".

On se trouve donc en pleine contradiction. D’un côté, la position mutualiste qui revendique une unité de personnalité juridique qui facilite la circulation des fonds entre les différentes activités des mutuelles et la compensation des déficits des œuvres sociales par les excédents de gestion des activités d’assurance. De l’autre, le principe communautaire de spécialité " interdisant aux mutuelles de s’occuper d’autres choses que d’assurance maladie ", selon les termes de M. Michel Rocard.

Afin d’éclairer cette contradiction, il faut s’attarder un instant sur les raisons qui fondent le principe de spécialité en droit européen.

C’est une règle d’inspiration prudentielle qui vise à protéger, dans l’intérêt des assurés, les actifs des entreprises d’assurance destinés à gager leurs engagements. La prohibition du cumul d’activités veut empêcher que les résultats éventuellement négatifs d’une activité autre que l’assurance, c’est à dire d’une activité non soumise aux contraintes rigoureuses des règles prudentielles, mettent en péril l’efficacité du système spécifique de sécurité financière que constitue l’ensemble des règles prudentielles (provisions techniques et actifs représentatifs, marge de solvabilité, fonds de garantie).

L’idée est que ce système prudentiel ne fonctionne bien que s’il est appliqué à une activité homogène, l’activité d’assurance, en fonction de laquelle il a été précisément défini et calculé.

Dans son rapport, M. Michel Rocard considère que " dans la pratique, il est difficile de nier que la gestion d’un établissement de soins est, même s’il est admis au service public hospitalier, un facteur de risque ne correspondant pas à une activité d’assurance et non pris en compte dans les règles prudentielles ".

Il faut cependant préciser que les activités que le législateur européen a souhaité prioritairement proscrire sont les activités financières de banque, d’institutions financières et placements de produits financiers, souvent associées à des activités d’assurance.

Cet argument est souvent repris par les fédérations mutualistes qui estiment que cette règle communautaire ne devrait pas s’appliquer aux œuvres sociales gérées par les mutuelles.

Il est en effet probable que les auteurs des directives qui entendaient combattre des phénomènes de captation de clientèle résultant de l’offre systématique, à côté des produits d’assurance, de multiples autres produits financiers plus ou moins voisins, n’avaient pas présent à l’esprit la diversité de l’objet des mutuelles.

Néanmoins tous les commentateurs s’accordent pour dire que même si les œuvres sociales gérées par les mutuelles ne sont pas directement visées, la rédaction très large du texte des directives ne permet pas non plus de les exclure dans la mesure où le risque de mauvais résultats peut également les concerner.

Un autre argument est tiré par le mouvement mutualiste du fait que les œuvres sociales ne sont pas des activités commerciales au sens des directives. En effet, les entreprises d’assurance autorisées à accéder au marché européen doivent limiter leur objet à l’activité d’assurance et aux opérations qui en découlent directement, à l’exclusion de toute autre activité commerciale. Seules les activités commerciales seraient donc proscrites.

Or en application de l’article L. 111-1 du Code de la mutualité, les mutuelles sont des " groupements à but non lucratif " et les actions de " prévoyance ", de " solidarité " et " d’entraide " ne sont pas des activités à finalité commerciale. Cependant cette affirmation doit être tempérée.

Les associations, par exemple, sont des personnes morales sans but lucratif, mais dont certaines activités, sont, au regard de la loi fiscale, regardées comme des activités commerciales.

La plupart des activités gérées par les mutuelles, par exemple dans le domaine du logement, des transports ou des loisirs, pour les mutuelles d’étudiants, sont des activités économiques, intervenant sur le marché, même si l’objectif final n’est pas la réalisation de profits et la distribution de dividendes. A ce titre, elles sont susceptibles d’être déficitaires et donc inévitablement proscrites par la règle communautaire de mono-activité.

Deux réponses possibles au principe de spécialité

Michel Rocard, estime que face à la contradiction soulevée, il existe " deux marges de liberté ", développées dans son rapport, la seconde reprenant une proposition qui avait déjà été formulée dans un précédent rapport, sur le même thème présenté par M. Alain Bacquet, président de la section sociale du Conseil d’Etat, en 1994 (8) et restée sans effet.

 La gestion directe des prestations en nature

Le droit européen n’exige pas que toutes les prestations d’assurance maladie soient des prestations en espèce ; " En l’absence d’une disposition communautaire contraire, une prestation d’assurance complémentaire maladie peut avoir la forme d’une prestation en nature ", selon M. Michel Rocard.

Une mutuelle peut donc gérer au sein de la même structure une activité d’assurance et des œuvres sanitaires dont le but est de fournir en nature à ses adhérents et à eux seuls, les prestations prévues par le contrat et découlant directement de l’activité d’assurance.

De plus la Commission européenne a indiqué à la mission Rocard, qu’" une mutuelle peut passer avec d’autres mutuelles des accords pour la mise à disposition de ses moyens techniques afin de lui permettre d’exécuter la prestation objet du contrat d’assurance ".

Rien n’interdit donc à une mutuelle offrant des prestations en nature d’en faire bénéficier les adhérents d’une autre mutuelle, sous réserve des règles européennes relatives à cette activité et notamment des règles de concurrence.

Sans préciser la nature des activités mutualistes qui rentreraient dans cette catégorie, le rapport Rocard, indique qu’il ne peut s’agir que des activités découlant des relations contractuelles et statutaires entre les mutuelles et leurs adhérents et qu’il appartient aux autorités de contrôle de vérifier l’application du principe de spécialité et donc de contrôler, au cas par cas, que la prestation en nature comme la mise à disposition d’une autre entreprise d’assurance y sont conformes.

Cette marge de liberté est faible et l’auteur du rapport a raison de préciser que l’activité de contrôle dans ce cas de figure " ne sera pas une tâche aisée "

C’est pourquoi, M. Michel Rocard a retenu une deuxième voie, directement inspirée du rapport de M. Alain Bacquet.

 Les mutuelles sœurs

" Une mutuelle non agréée au titre de l’assurance maladie, servant des prestations en nature, peut être gérée par le même conseil d’administration, les mêmes autorités qu’une mutuelle sœur qui, elle, fait de l’assurance maladie ".

Le rapport Rocard précise cette solution en disant : " Si la séparation des œuvres non liées à l’activité d’assurance est une obligation européenne, la possibilité qu’elles puissent être gérées sous une forme mutualiste, par exemple une union sans activité d’assurance ou une mutuelle spécifique, peut être offerte par le droit français sans contradiction avec le droit européen ".

Afin d’éviter le risque de parcellisation et, à terme, d’éloignement entre les mutuelles " entreprises d’assurance " et celles n’ayant pas cette activité, il est proposé que le droit interne organise une communauté de décision et de direction entre ces mutuelles sœurs.

Le rapport Bacquet suggérait que la mutuelle sœur gérant les œuvres sociales puisse avoir les mêmes adhérents et dans le respect des règles démocratiques, les mêmes dirigeants que ceux de la mutuelle d’assurance. Il ajoutait qu’en toute hypothèse, les mutuelles partenaires dans le cadre d’un tel binôme devraient conclure entre elles une convention déterminant leurs relations financières et les modalités de leurs coopération.

S’agissant des transferts de fonds qui auraient lieu entre les mutuelles sœurs, ils ne sont pas interdits par le droit communautaire et peuvent donc être prévus par le droit français, à la condition qu’ils ne mettent pas en péril les règles prudentielles de la mutuelle assurance, ce qui nécessitera là aussi des contrôles très réguliers.

Mais M. Michel Rocard attire tout de même l’attention sur " la question de la nature du contrat dans le cadre duquel l’adhérent de base qui aurait souscrit aux deux mutuelles, à la fois, une unique cotisation, ventilée entre les deux, accepterait une procédure dans laquelle finalement, la mutuelle bénéficiaire, celle de l’assurance maladie, verrait, sous réserve des règles prudentielles applicables aux compagnies d’assurance, une possibilité de transférer régulièrement des fonds pour financer la mutuelle prestataire de services en nature qui correspond à l’exercice des anciennes œuvres ".

Devant la commission d’enquête, M. Michel Rocard s’est montré raisonnablement optimiste sur le réalisme de cette construction en disant : " Le mouvement mutualiste aura à explorer la faisabilité des choses. Il a besoin d’une négociation de bonne foi avec le Gouvernement et d’une clarté durable dans le traitement fiscal des transferts financiers. Une solution de cette nature, même si elle complique la vie à un certain nombre de mutuelles, je ne sais pas ce qu’il en serait pour la MNEF, je sais que pour la MGEN ce serait difficile, est possible, compatible avec le droit européen et pourrait donc être introduite en droit interne au moment de la transposition. "

Les réactions des principaux acteurs

 La position des Fédérations mutualistes

M. Michel Rocard ayant indiqué à la commission d’enquête que l’accueil réservé à ces propositions était différent suivant les fédérations mutualistes, il lui a été demandé de préciser sur quels points.

En ce qui concerne la FNIM qui représente 3 % du mouvement mutualiste, elle " a depuis longtemps séparé ses œuvres sociales de toute gestion assurancielle et avale la totalité de la transposition des directives sans poser de problèmes ", selon l’auteur du rapport.

Cette approche a été plus ou moins confirmée par M. Philippe Delemarre, secrétaire général de la FNIM, devant la commission d’enquête lorsqu’il a déclaré à propos de la gestion des œuvres sociales en milieu étudiant : " Il me semble qu’il faut conserver au sein de l’université une gestion des œuvres sociales, sous forme d’une section, d’une division ou d’un département, car elles sont au cœur de la vie quotidienne de l’étudiant. Le système parallèle de la MPU (médecine préventive universitaire) dont j’ai entendu parler par les syndicats étudiants, qui n’en sont pas très contents, ne me paraît pas satisfaisant et la réforme actuellement en cours est salutaire. "

Un peu plus loin, dans son intervention, M. Philippe Delemarre a ajouté :

" Avec des moyens qui restent à définir, nous préconisons d’une façon générale la création de centres spécifiques, destinés aux besoins des étudiants, la création de points de rencontre dans la section locale mutuelle ; l’accueil, le guichet CMU, pourrait se trouver, avec l’aide de la caisse primaire et de la MPU, dans cette section locale. La population jeune serait ainsi prise en charge, ce qui est indispensable en matière de prévention. "

A l’inverse, M. Michel Rocard a constaté que la FMF, qui représente 3 ou 4 % du mouvement mutualiste, " trouve scandaleux que l’Europe se permette de mettre en cause des éléments de notre identité mutualiste ; elle conteste l’orientation du gouvernement français à légiférer pour transposer ces directives (...). Elle refuse toute concession sur l’urgence de se réassurer de manière mutualiste, sur le combat législatif contre tout risque qu’à l’occasion de transferts de portefeuilles, les garanties qu’a souscrit un mutualiste puissent être mises en cause et a fortiori, sur la gestion des œuvres sociales par des mutuelles d’assurance maladie complémentaire, à raison de leur vocation à faire de la prévention, du traitement de risque global ... ".

Cette forme d’opposition n’a pas été totalement confirmée, devant la commission d’enquête, par M. Daniel Le Scornet, président de la FMF qui a déclaré à propos de la transposition : " Nous proposons - dans une perspective d’assainissement pour les mutuelles étudiantes mais aussi pour tout acteur en ce domaine - de faire ce que nous appelons "une spécialisation" du risque santé, c’est à dire faire en sorte que, sur ce risque, l’on trouve les mesures légales, tant au niveau national qu’au niveau européen, qui permettent que, quels que soient les acteurs qui interviennent sur ce champ, puisque concurrence il y a, ils puissent le faire dans un cadre éthique qui soit normé de façon légale forte. "

La suite de son intervention est cependant plus éloignée du droit communautaire : " Il nous semble que des règles de non-sélection, de non-exclusion doivent être imposées à l’ensemble des opérateurs ; il nous semble qu’il ne faut pas qu’un opérateur, quel qu’il soit, puisse consolider le risque santé sur l’ensemble de son portefeuille (assurance) (9), parce que cela introduit des distorsions de concurrence terribles, qui conduisent ensuite l’ensemble des acteurs à mener des politiques qui ne sont pas des politiques éthiques ; et il nous semble qu’il ne faut pas dissocier les activités d’assurance du risque, des activités d’action sur le risque et de prévention. (...) Il s’agirait de faire en sorte que tous les opérateurs qui interviennent sur ce risque - assurances privées, institutions de prévoyance et mutuelles - soient tenus à intervenir selon les mêmes règles. " Cette spécialisation et cette spécificité du risque santé permettraient par exemple, selon M. Daniel Le Scornet : " de laisser les mutuelles étudiantes gérer à la fois les services de prestations, mais également un certain nombre de réalisations qu’elles ont mis en place dans le domaine essentiel de centres de santé ou de centres de contraception, par exemple ".

Nous verrons un peu plus loin que M. Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d’assurance est radicalement opposé à cette position.

La FNMF qui représente 82 % du monde mutualiste, est, selon M. Michel Rocard plus conciliante, bien que traversée elle-même par des courants contradictoires.

Elle a transmis à la mission Rocard, un projet de création de structures communes pour les mutuelles sœurs les " groupements d’intérêts mutualistes ", visant à rechercher une cohérence par une structure de tête à laquelle les mutuelles de base délégueraient certaines de leurs activités.

M. Jean-Pierre Davant, président de la FNMF, s’est montré très prudent devant la commission d’enquête à propos du problème général de la transposition des directives : " Si l’on transpose sans nuance des directives qui ont été fabriquées pour les sociétés commerciales d’assurance, on handicape et l’on dénature considérablement le mouvement mutualiste. (...) Vous dire de quelle manière cette transposition affectera le mouvement mutualiste, je ne peux le faire aujourd’hui. Je ne pourrai vous le dire que lorsque le projet de loi aura été adopté. "

 La position de la Fédération française des sociétés d’assurance

M. Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d’assurance, entendu par la commission d’enquête, a tout d’abord contesté le principe de la délégation de gestion de la sécurité sociale pour les fonctionnaires et les étudiants et pas pour les salariés du privé. " Un certain nombre de mutuelles relevant de la FNMF disposent donc de remises de gestion par délégation, fixées de manière que je qualifierais de spécifique. Or nous aimerions faire le même type d’opérations avec les remises de gestion pratiquées par la CNAM. " Il a toutefois tempéré un peu plus loin cette revendication en disant : " Bien entendu, la confusion, dans un organisme qui réalise à la fois des opérations de base de manière délégataire - avec les remises de gestion - et de la protection sociale complémentaire qui relève du marché, peut être à l’origine des dysfonctionnements dont la presse s’est fait l’écho et qui justifie votre commission d’enquête. La protection complémentaire doit relever d’organismes complètement séparés avec des comptabilités séparées, des personnels séparés et de moyens séparés. "

M. Denis Kessler considère que les mutuelles bénéficient d’avantages, en particulier dans le domaine fiscal, à l’origine de graves distorsions de concurrence sur le marché de l’assurance et il souhaite la transposition intégrale des directives assurance à la mutualité. Ce que M. Denis Kessler illustre par la formule : " Bienvenue au club, le port de la cravate est obligatoire. " Et il ajoute un peu plus loin : " Nous avons le sentiment qu’une transposition complète des troisièmes directives vie est le meilleur moyen d’éviter de nouveaux problèmes tels que ceux rencontrés par la MNEF. "

M. Denis Kessler décline alors toutes les conséquences de cette transposition intégrale : " ... une spécialisation claire de l’activité d’assurance. Dans les directives une clarté des comptes est imposée aux assureurs : les opérations figurent dans un compte, et les comptes doivent correspondre à l’activité d’assurance. Cela permet d’établir des bilans et des comptes d’exploitation qui n’expriment que les opérations d’assurance. "

" Les normes de solvabilité - qui existent pour les institutions de prévoyance et les assureurs - seraient identiques, de façon à garantir, à l’égard des mutualistes, la solvabilité des organismes mutualistes auxquels ils adhèrent. "

" L’obligation de transparence. Il y a là l’idée d’un plan comptable afin que les opérations soient dûment répertoriées et publiées. La sagesse commence par la comptabilité ! "

Viennent enfin la " suppression des différentiels fiscaux ", la " liberté de transfert des portefeuilles " et la " liberté de réassurance ".

En ce qui concerne la définition spécifique de règles éthiques propres à l’assurance complémentaire maladie, excluant par exemple la sélection des risques, sa position est tout aussi inconciliable : " La protection sociale complémentaire relève, en France, du libre choix des individus depuis 1945. (...) Les assurés choisissent le contrat qui correspond à leur souhait de couverture. Les garanties ne sont pas les mêmes, les prix non plus et les contrats sont donc différents. "

M. Denis Kessler a également indiqué à la commission d’enquête : " Tout le monde pense que l’assurance est obsédée par la sélection des risques, alors que ce n’est pas le cas. Le risque joue moins dans le domaine de l’assurance santé où s’appliquent les conditions de la loi Evin (10) que dans le domaine de l’assurance-vie où des personnes viennent assurer des capitaux très importants. "

Aux questions réitérées du rapporteur et des commissaires sur l’assurance maladie et la sélection des risques, M. Denis Kessler a répété que cette question relève du libre choix des assurés sans répondre sur le principe d’une interdiction ou d’une limitation de la sélection des risques , en précisant cependant : " Si le risque est déjà survenu, il ne peut être question de l’assurer ".

Cependant la couverture complémentaire maladie ne peut être traitée comme une autre assurance parce que son existence conditionne la réalité de l’accès aux soins et l’efficacité globale du système de protection sociale.

C’est sans doute pour cette raison que le mouvement mutualiste prédomine très largement en France dans ce secteur. Comme le fait remarquer M. Michel Rocard : " L’ensemble de la mutualité compte 22 millions de cotisants et 30 millions d’ayants-droit. Ce système repose également sur une tradition historique et une légitimité immense. "

C’est pourquoi il est urgent de le rénover afin de le préserver. Car comme l’a également souligné M. Michel Rocard, si pour les taux de remboursement de l’assurance maladie obligatoire, la France est lanterne rouge en Europe, avant-dernière avant la Grèce avec un taux de 52 % pour le remboursement des soins ambulatoires, " elle est la seule, parmi les Quinze, à disposer de cet extraordinaire système mutualiste qui apporte les critères de non-sélection des risques, de solidarité par profession ou par région, et de non-tarification en fonction des risques. Partout ailleurs, l’assurance maladie est soumise aux règles du marché dans ce qu’elles ont de brutal, c’est-à-dire l’absolue sélection des risques. "

Il faut donc persévérer dans la démarche d’une transposition aménagée qui nécessitera inévitablement des modifications du Code de la mutualité.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr