Pétrole, corruption, commissions occultes, rétro-commissions, paradis fiscaux, etc... ces termes ont été et sont encore fréquemment utilisés de concert. La communauté internationale a longtemps été passive face à la grande corruption. Mais la multiplication des scandales liés à l’accroissement brutal des transactions financières a conféré aux corrupteurs comme aux corrompus des moyens inespérés, la plupart des Etats se bornant à rendre pénalement responsables les titulaires de l’autorité publique c’est-à-dire leurs ressortissants. Chaque pays protégeant son propre Etat des dérives, en rendant passibles des tribunaux ceux de ses agents publics coupables de corruption passive et par ricochet les auteurs de la corruption active, on ne se souciait guère de la corruption lorsqu’elle concernait des fonctionnaires étrangers, car dans ce cas, seuls les Etats étrangers en étaient victimes. Ainsi non sans cynisme tolérait-on la corruption de fonctionnaires étrangers, ce qui était préjudiciable à certains pays où l’Etat de droit, et les principes de la bonne gouvernance n’étaient pas ancrés. Mais l’idée même de "cantonner" la corruption à l’étranger a été mise à mal par la découverte d’un certain nombre d’affaires qui ont montré qu’une partie des "enveloppes" destinées à l’étranger revenait, par un biais ou par un autre, dans le pays des corrupteurs. Les corrupteurs sont devenus des corrompus, risquant ainsi de mettre en péril les fondements mêmes de la démocratie. De plus, les liens entre corruption internationale et blanchiment des fonds d’origine criminelle ont été établis et ont rendu nécessaire un contrôle.

A) DES LEGISLATIONS NATIONALES AUX EFFETS LIMITES

Dans quelques rares Etats la loi sanctionne la corruption internationale. Aux Etats-Unis "le Foreign corrupt Practice Act" (FCPA) de 1977 interdit, d’une manière générale, sous peine de sanctions pénales, aux sociétés américaines d’effectuer des paiements à des officiels étrangers, en vue d’obtenir ou de conserver des avantages commerciaux. Cinq éléments doivent être réunis pour caractériser une infraction au FCPA : le lien avec les Etats-Unis, la volonté de corrompre, le paiement, la qualité du bénéficiaire et l’existence d’une contrepartie commerciale. L’auteur du paiement doit être dirigeant, employé ou agent d’une entreprise ayant son siège aux Etats-Unis, ainsi qu’actionnaire s’il agit au nom de l’entreprise. Les entreprises étrangères ayant leur principale activité aux Etats-Unis ainsi que les individus de nationalité américaine ou étrangère à condition qu’ils aient la qualité de résidents aux Etats-Unis sont également visés. Ce dispositif rend plus malaisé les retours de commissions vers les Etats-Unis.

L’auteur du paiement doit avoir pour but la corruption d’un officiel étranger en vue d’inciter celui-ci à abuser de sa fonction à l’occasion d’une opération commerciale ; le paiement quant à lui peut être constitué par le versement ou la promesse de versement de sommes d’argent ou d’autres objets de valeur. Le bénéficiaire du paiement doit être soit un officiel étranger, soit un parti politique étranger, soit un candidat à un poste officiel étranger.

Le texte interdit les paiements effectués en vue de réaliser ou de faire réaliser à autrui une opération commerciale mais prévoit des exceptions pour certains paiements entrant dans la catégorie des "routine governmental action" qui ont pour but de faciliter des démarches administratives, douanières, etc... L’auteur du paiement est également exonéré lorsque son versement est légalement autorisé par la législation du pays étranger concerné, ce qui limite singulièrement la portée de ce texte. Les entreprises contrevenantes encourent une amende d’un montant pouvant s’élever à 2 millions de dollars : les dirigeants, employés, actionnaires encourant pour leur part une amende d’un montant de 100.000 dollars ainsi qu’une peine d’emprisonnement d’une durée maximum de 5 années.

Au Royaume-Uni, la corruption d’agents publics est sanctionnée par plusieurs textes. Le Public bodies corrupt practices Act de 1998, institue une infraction de corruption pour les seuls agents des organismes publics et définit les peines applicables : 6 mois d’emprisonnement et jusqu’à 7 ans d’emprisonnement en cas de récidive. Des peines complémentaires sont également prévues (déchéance des droits civiques, inéligibilité...). Le Prevention of corruption Act de 1906, qui vise toutes les personnes, publiques ou privées, placées dans une relation de type employeur-employé. Enfin, le Prevention of corruption Act de 1916, qui précise la définition d’organisme public visé par la loi de 1889 en y incluant toute personne morale exerçant une activité d’intérêt général. Ce texte introduit une présomption de corruption pour les agents poursuivis quand il est établi que l’avantage proposé ou offert l’a été par une personne cherchant à obtenir un marché public.

En France, la pratique a été longtemps très critiquable, M. Philippe Durand, sous-directeur à la direction de la législation fiscale au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, l’a d’ailleurs rappelé lors de son audition. En effet, au cours des années soixante, pour développer les "grands contrats", notre pays a institué une procédure dite du "confessionnal" qui revenait à légaliser la corruption internationale. Lorsqu’une entreprise avait besoin de verser une commission non justifiée par un travail réel correspondant à son montant, l’entreprise pouvait a priori demander l’accord du Ministère de l’économie et des finances pour que cette commission soit déductible du bénéfice imposable. Après une explication sur le nom du bénéficiaire - qui demeurait confidentiel - et la vérification que la commission était d’un montant "raisonnable" ne laissant pas présumer un retour d’une partie des fonds à des nationaux, l’accord était donné, et quand le contrôle des changes existait, les autorisations de transfert étaient attribuées. Cette procédure avait un double inconvénient : d’une part elle légalisait la corruption des fonctionnaires étrangers, d’autre part, en obligeant à créer des circuits financiers pour les transferts de fonds, elle créait un "cadre juridique et pratique" favorable à la corruption par retour de commissions de fonctionnaires et d’élus français. Ceci conduisit le Parlement à la supprimer en 1993 créant par là même un certain vide juridique ...

Diverses actions internationales contre la corruption ont été menées dans le cadre de l’Union européenne, de l’ONU, du FMI, de la Banque mondiale et surtout de l’OCDE qui fournissent des éléments permettant de combler ce vide.

B) L’INTRODUCTION DE NOUVELLES NORMES INTERNATIONALES

Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 26 mai 1997 une convention relative à la lutte contre la corruption active et passive impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l’Union européenne qui vise à instaurer une incrimination harmonisée des faits de corruption active (le corrupteur) et passive (l’agent public corrompu) de fonctionnaires, dans l’ensemble des pays de l’Union et à renforcer la coopération judiciaire entre les Etats membres dans la lutte contre la corruption et à remédier aux problèmes de chevauchement ou d’absence de compétence.

Au sein du Conseil de l’Europe un programme d’action contre la corruption a été adopté par les Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire la quasi totalité des Etats d’Europe continentale. Parallèlement, une convention pénale est actuellement en cours d’élaboration dans le cadre du groupe multidisciplinaire contre la corruption du Conseil de l’Europe.

L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté fin 1996 une résolution qui enjoint aux Etats membres d’incriminer la corruption d’agents publics étrangers et de supprimer la déductibilité fiscale des paiements illicites.

Au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, les conditions des prêts de ces deux institutions prennent en compte désormais les performances des pays débiteurs en matière de "gouvernance" publique, dans la mesure où elles influent sur leurs performances économiques. Des versements de prêts à certains pays ont ainsi été stoppés ou repoussés en attendant la mise en œuvre de mesures appropriées, notamment l’application de mesures destinées à prévenir des actes de détournement de fonds publics ou de corruption. La Banque mondiale a récemment réformé ses procédures de prêt afin d’éviter toute possibilité de détournement ou de corruption dans les opérations financées. Pour l’instant ces mesures semblent avoir eu un impact réduit s’agissant des prêts du FMI à la Russie.

En 1997, lorsqu’à l’OCDE a commencé la négociation finale de la Convention sur la lutte contre la corruption, aucun autre pays en dehors des Etats-Unis et du Royaume-Uni ne réprimait la corruption de fonctionnaires ou agents publics étrangers dans les transactions internationales. Bien qu’étant l’un des promoteurs de cette Convention le Gouvernement français n’a proposé que cette année au Parlement d’en autoriser la ratification. L’autorisation a été donnée, mais la ratification attend toujours...

La Convention de l’OCDE est un texte ambitieux à vocation universelle s’appliquant à l’ensemble des agents publics, quelle que soit leur nationalité. Elle ouvre la voie à l’incrimination des faits de corruption active (c’est-à-dire l’infraction commise par la personne qui verse le pot-de-vin) de tout agent public étranger, qu’il soit ou non ressortissant d’un pays signataire de la convention : la présente convention a une vocation mondiale et elle vise les corrupteurs. Elle oblige les Etats signataires à engager la lutte contre la corruption active dans leur ressort de compétence, quelle que soit la nationalité des agents publics corrompus. Sont considérés comme agents publics au sens de la convention, les personnes qui détiennent un mandat législatif, administratif ou judiciaire, celles qui exercent une fonction publique ainsi que les agents des organisations internationales publiques. Les fonctionnaires qui exercent une fonction publique pour une entreprise publique (cas des dirigeants des entreprises publiques) peuvent être considérés comme agent public au sens de la Convention, à moins que la société en question n’exerce son activité dans le secteur concurrentiel sur une base équivalente à celle de ses concurrents privés. La notion d’agent public retenue comprend également les dirigeants de partis politiques, lorsqu’ils exercent une autorité publique de fait, ce qui est souvent le cas dans les Etats à parti unique, nombreux parmi les producteurs d’hydrocarbures.

La Convention pose le principe de sanctions pénales et civiles efficaces, proportionnées et dissuasives, applicables aux personnes physiques et aux personnes morales et encadre les conditions de mise en œuvre des poursuites. Prescrivant à ses signataires de ne pas se laisser influencer par des considérations d’intérêt diplomatique ou économique national, elle enjoint les Etats à enquêter sérieusement sur les plaintes de corruption d’agents publics étrangers et à mettre à disposition des autorités chargées des poursuites les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

Malgré sa précision, la Convention renvoie au droit interne pour sa mise en œuvre, les Etats ayant l’obligation d’adopter des législations qui lui soient conformes. Or, M. Pierre Brana, Rapporteur du projet de loi de ratification de cette Convention s’est montré fort dubitatif sur les effets de cette convention. Il a rappelé que l’expérience des Etats-Unis qui ont depuis 1977 une législation réprimant la corruption de fonctionnaires étrangers, ne peut qu’inciter à la prudence. En vingt ans, on n’y a examiné qu’une vingtaine de dossiers et poursuivi que dans cinq cas, la sanction la plus sévère prononcée ayant été d’une année d’emprisonnement avec sursis (contre une peine de vingt ans maximum prévue). Il est impossible de préjuger quelle sera la pratique des autorités de poursuites. Toutefois la FCPA a semble-t-il permis d’éviter que ne soient renouvelés les scandales politico-commerciaux qui avaient pesé sur les relations entre les Etats-Unis et certains de leurs alliés dans le cadre de l’affaire Lockheed, celle-ci s’étant soldée en 1974 par la mise en cause des plus hauts responsables de plusieurs pays dont le Japon et les Etats-Unis. Ces scandales furent à l’origine de l’élaboration du FCPA.

La généralisation de l’incrimination précitée pourrait ne pas être aussi efficace et coordonnée que les Etats s’étaient engagés à l’effectuer.

Mme Nancy Zucker Boswell, président-directeur général de l’ONG "Transparency International", entendue aux Etats-Unis, a d’ailleurs observé que :"cette Convention ne constituait qu’un premier pas dans la bonne direction. Il restait selon elle nombre de lacunes permettant de la contourner à travers notamment les filiales de droit local ou les centres off shore. Celle-ci s’est toutefois montrée confiante dans les effets à long terme des législations anti-corruption expliquant que plus les règles sont rigoureuses, plus les sociétés peuvent s’appuyer sur elles pour refuser de se plier aux systèmes locaux de corruption. Cependant il faut que ces normes soient appliquées en même temps et avec la même rigueur par tous."

Tout en estimant que la convention de l’OCDE constitue un progrès, la mission s’interroge sur son impact. Elle a constaté que de nombreuses entreprises craignant les effets pervers de cet instrument sur l’obtention de certains marchés, procédaient à des études sur les moyens légaux de la contourner. L’existence de paradis fiscaux limite grandement les effets des normes anti-corruption, à moins que des contrôles extrêmement stricts ne soient mis en place par les Etats concernés qui jusque là n’ont pas brillé par leur volontarisme.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr