A) LES EFFETS DE LA PRIVATISATION D’ELF : UN DESENGAGEMENT DE L’ETAT ?

Les avis sont partagés sur l’impact de la privatisation d’Elf-Aquitaine et ont été recueillis avant l’annonce de la fusion Elf-TotalFina.

M. Dominique Perreau, directeur des affaires économiques et financières au ministère des Affaires étrangères, a souligné que : "le cadre institutionnel des relations de l’Etat avec les compagnies Elf et Total a changé depuis leur privatisation. L’Etat n’exerce plus de pouvoir régalien envers ces compagnies. Le rôle du ministère des Affaires étrangères se borne dorénavant à des considérations légalistes. En ce qui concerne les participations à la société, en 1992 l’Etat qui détenait encore 32 % du capital de Total en a cédé 26 %, puis 5 % en 1996, le 1 % restant a été vendu en mai 1998. La participation de l’Etat au capital d’Elf est passée de 50,78 % du capital en 1993 à 0,75 % ; elle est constituée de certificats pétroliers échangés le 7 mai 1998."

M. Claude Angeli a estimé que "ce n’était pas la privatisation d’Elf qui avait fait évoluer la situation. La France garde la volonté de défendre ses entreprises. Néanmoins, les fonds de pensions américains sont entrés dans le capital d’Elf. Il y a un risque d’OPA et il est évident que le gouvernement fera tout pour défendre Elf. Privatisée ou nationalisée, Elf continue de demander à l’Etat d’intervenir en sa faveur sur tel ou tel dossier. Elf privatisée n’ira pas contre les intérêts de la France."

D’après M. Stephen Smith, journaliste à Libération, "la privatisation d’Elf a changé la manière dont s’opèrent les affaires, elle a un impact certain. Le président directeur général de la compagnie sait aujourd’hui que ce n’est pas l’Etat qui lui renouvellera son mandat mais ses actionnaires."

M. Jean-François Bayart, directeur du CERI, a expliqué que la privatisation d’Elf changeait la donne : "La privatisation d’Elf, donnée qui échappe à beaucoup d’observateurs, voire aux chefs d’Etat africains, est également un facteur de transformation rapide. Les problèmes du PDG d’Elf Aquitaine aujourd’hui se situent plus à Wall Street, en raison de l’attitude des fonds de pension américains, que dans les capitales africaines. Il semble que cela change les données du problème y compris dans ses aspects sulfureux. Elf a mesuré les inconvénients de sa situation hégémonique au Gabon et au Congo, elle comprend son intérêt à ne pas être le seul opérateur pétrolier dans ces pays politiquement fragiles. Même si le monde pétrolier est celui de la concurrence acharnée, les joint ventures existent. Les compagnies pétrolières ont souvent intérêt à allier leurs forces pour diminuer leur visibilité, leur risque financier et politique."

Cet avis est partagé par la mission, quelle que soit sa culture d’entreprise, Elf-Aquitaine est contrainte d’évoluer dans ses relations avec les chefs d’Etat africains et sa fusion récente avec TotalFina devrait accentuer ce processus. Les deux compagnies n’ont pas la même approche de leurs relations avec les pays producteurs et les mêmes traditions. Total a rarement été considérée comme un prolongement de l’Etat.

B) LES EFFETS D’UNE FUTURE FUSION ENTRE TOTALFINA ET ELF-AQUITAINE : UNE VISIBILITE ACCRUE DU GROUPE SUR LA SCENE INTERNATIONALE

S’il devenait le 4ème pétrolier mondial, le groupe TotalFina Elf accroîtrait sa puissance sur la scène internationale et nationale. Un tel rapprochement devrait accélérer le passage d’une culture d’interdépendance par rapport à l’Etat à une logique de "Shareholders value" (de pression des actionnaires privés). Les fonds de pensions américains, britanniques ou néerlandais y joueront un rôle non négligeable. Toutefois la future compagnie restera française de culture et d’origine. A ce titre elle demeurera un des vecteurs de l’image de la France à l’étranger, ce qui doit conduire à une réflexion plus approfondie sur le rôle d’un tel groupe exploitant une matière première stratégique. Sa visibilité sera telle qu’il sera plus vulnérable aux mouvements d’opinion et aux critiques des ONG comme à la pression de ses actionnaires.

L’OPE de TotalFina sur Elf Aquitaine a déclenché une campagne publicitaire et une offensive de communication de grande ampleur des deux groupes. Sur le plan éthique, seule la question du nombre de licenciements a été opportunément posée mais aucune des deux compagnies n’a évoqué sa stratégie vis-à-vis des régimes des pays où elles opèrent.

Comme BP-Amoco, Exxon Mobil et Shell, le futur groupe TotalFina Elf devra à terme réviser sa stratégie à l’égard des régimes politiques de certains pays producteurs de pétrole. Faute de quoi il pourrait se trouver dans une situation comparable à celle qu’a connu Shell, du fait des conditions passées de sa présence au Nigeria, en Europe du Nord. La modernisation des relations entre l’Etat et les grands groupes multinationaux qui ont leur siège en France ne s’effectuera que si l’émergence de contrepoids à leur puissance est favorisée.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr