A) ENCOURAGER LE DIALOGUE ENTRE MULTINATIONALES ET ASSOCIATIONS DE DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DE L’ENVIRONNEMENT

Le souci de leur image préoccupe à juste titre les groupes multinationaux. La mission estime que l’évolution de certains d’entre eux s’est effectuée sous la pression des ONG et de l’opinion publique. Shell et BP-Amoco ont dû intégrer dans leur pratique des normes éthiques à la suite de ces pressions. La France est restée en retrait pour des raisons culturelles. Comme le constatait M. Marc Drillech dans un ouvrage intitulé "Le boycott". "A l’influence des groupes de pression, la France oppose les pouvoirs des intellectuels... la pétition est un art national qui provient d’une position privilégiée et unique d’un groupe social qu’on nommait autrefois "les intellectuels" et qui s’est élargi aux professions artistiques."

Certes, la France dispose d’un mouvement associatif étoffé, mais compte tenu d’une législation qui dans le domaine fiscal ne favorise pas les dons, les associations manquent de moyens financiers indépendants. La plupart de celles qui défendent les droits de l’Homme sont d’ailleurs en grande partie subventionnées par l’Etat. Leur capacité à se porter partie civile devant les tribunaux est limitée par une législation complexe et décourageante. Par rapport à la puissance des grandes ONG anglo-saxonnes ce lourd handicap doit être surmonté. Elles ont des difficultés à construire un rapport de force avec les multinationales et à dialoguer avec elles. La mission estime ce dialogue nécessaire de part et d’autre. Les dirigeants des compagnies pétrolières ne s’y sont pas tous, dans leur déclarations, montrés hostiles.

Si l’on en croit M. Thierry Desmarest : "Le dialogue avec certaines ONG est aisé. Il est difficile avec celles qui pratiquent la désinformation et refusent de reconnaître des éléments purement factuels. Amnesty International travaille de manière efficace en cherchant les moyens de mobiliser les entreprises, en tenant compte des possibilités réelles d’action de chacun, en revanche avec certaines autres ONG, le dialogue est moins constructif."

Les compagnies pétrolières, soucieuses de leur image, se sont dotées à des degrés divers de chartes et de codes de conduite. Elles ne sont pas forcément hostiles à ce mouvement, mais restent fermées à tout contrôle externe du respect des normes dont elles se dotent. Aussi faut-il créer des structures qui les y encouragent et promouvoir au sein des entreprises françaises implantées à l’étranger, la notion de label social tel que le définit le Parlement européen (voir supra).

 Créer un observatoire de l’application des normes sociales et environnementales par les entreprises

En France, un collectif d’associations, "Ethique sur l’étiquette", réfléchit sur la manière de promouvoir des normes indiquant clairement au consommateur que la fabrication d’un produit s’est effectuée dans le respect des conventions établies par l’OIT, notamment en ce qui concerne le travail des enfants. Promodès, entreprise de distribution, a annoncé son soutien à la norme SA 8000, une certification sociale imaginée par un regroupement d’associations américaines, le Council on economic priorities.

D’autres pays ont mis en place des cellules de réflexion sur ces sujets. L’Allemagne débat des labels sociaux dans le cadre d’une agence gouvernementale regroupant syndicats, entreprises et organisations non gouvernementales.

Aussi la mission préconise-t-elle la mise en place d’un organisme indépendant chargé en France de veiller à l’application des normes éthiques par les entreprises françaises.

Composée de partenaires sociaux et d’ONG implantées dans les pays en développement, un tel organisme permettrait de promouvoir ces normes et de s’assurer de leur respect. Il serait à même de mettre à jour les difficultés à chaque région du monde et à chaque secteur d’activité dans lequel opèrent les grands groupes français.

S’agissant du secteur pétrolier, la mission reconnaît que celui-ci doit faire face à des problèmes spécifiques. La protection des installations pétrolières et du personnel qui travaille est à juste titre un souci majeur des compagnies, surtout dans des pays instables. Comment concilier cette sécurité et le respect des droits de l’Homme dans des pays où les régimes militaires détiennent le pouvoir et commettent des exactions ? Comment faire en sorte que la rente pétrolière soit correctement utilisée sans faire échec à la souveraineté des Etats producteurs ? Comment s’assurer que les sous-traitants respectent les normes sociales et environnementales ? Autant de vraies questions qui doivent être débattues dans la transparence et trouver des réponses acceptables pour tous.

Une telle structure pourrait y aider. De même, elle pourrait veiller à limiter le "dumping "social et écologique qui nuit aux intérêts des habitants dans les pays développés sans pour autant aider ceux des pays en développement. Parallèlement, la mise en place d’un bureau des droits de l’Homme au Ministère des Affaires étrangères comblerait une lacune.

 Créer un Bureau des droits de l’Homme au ministère des Affaires étrangères

La mission suggère la création au Ministère des Affaires étrangères d’un Bureau des droits de l’Homme qui, comme au Royaume-Uni serait chargé de dialoguer et d’informer les entreprises qui le désirent, sur ces questions et d’assurer la liaison avec les ONG. Cette structure, qui fonctionne avec succès depuis 1997 au Royaume-Uni, permettrait d’assurer au sein du ministère un suivi du respect des droits de l’Homme, des normes sociales et environnementales par les entreprises françaises. Elle contribuerait à leur information et pourrait les conseiller.

Il manque en effet au ministère des Affaires étrangères un organisme embrassant l’ensemble des questions ayant trait aux droits de l’Homme au sens large. Les exposés de M. Dominique Perreau, directeur des affaires économiques et financières et M. Jean de Gliniasty, directeur des Nations Unies et des organisations internationales le démontrent.

M. Dominique Perreau a ainsi expliqué le rôle de la direction dont il a la responsabilité. "Il consiste à entretenir un dialogue avec les compagnies notamment celles qui travaillent à l’étranger, à les informer des contraintes existant dans certains pays, et à leur donner des indications sur les conditions de vie des ressortissants français dans ces pays. Le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Industrie se partagent le suivi des grandes sociétés dont les compagnies pétrolières en raison de leur rôle stratégique dans la sécurité des approvisionnements de la France."

M. Jean de Gliniasty a ainsi exposé ses fonctions : "Il avait à connaître de par ses fonctions une partie de la problématique posée par la mission d’information, à savoir la politique sociale et les questions que soulèvent les sanctions. La direction des Nations Unies gère les aspects organisationnels du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) mais n’est pas véritablement compétente sur le fond."

Bien que transversales, ces deux directions, pas plus que celle des affaires juridiques, ne sont spécialement chargées d’un suivi global des questions relatives aux droits de l’Homme. La sous-direction des droits de l’Homme à la direction des Affaires juridiques du ministère a pour mission d’assurer le suivi juridique des procédures devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle n’est pas chargée d’effectuer le suivi de l’application de la légalité internationale par les multinationales.

L’application des droits de l’Homme et des normes sociales et environnementales est appréciée pour chaque pays par les directions compétentes sur le plan géographique. Mais, par définition, ces directions ne disposent pas d’une vision globale. Elles estiment également qu’il leur incombe surtout essentiellement de défendre les intérêts des entreprises françaises. Or, la mission considère qu’on ne peut intervenir militairement au nom des droits de l’Homme au Kosovo et s’engager aux côtés de l’ONU au Timor oriental en manifestant un intérêt moindre pour la manière dont les grandes entreprises françaises se comportent à l’étranger sur ces questions.

Par ailleurs, la France est très en retrait par rapport à ses partenaires européens et aux Etats-Unis dans la défense d’une consommation responsable. En effet, les possibilités de recours au boycott sont entravées en raison des périls juridiques auxquels s’exposent les ONG qui formulent de tels appels.

B) LIMITER LES CONDAMNATIONS POUR RECOURS AU BOYCOTT

Le caractère licite des mots d’ordre de boycott est controversé en raison des périls auxquels ils exposent les entreprises boycottées. Les consommateurs, en se détournant massivement des produits ou services d’une entreprise ou d’une profession, peuvent la conduire à la ruine et son personnel au chômage. Or, pour certaines ONG cette forme d’action peut se révéler utile et efficace.

Mme Marie-Line Ramackers, secrétaire nationale d’ "Agir Ici" a évoqué cette question délicate en ces termes : "Au moment de la campagne sur la Birmanie et le Nigeria, une députée norvégienne Kaci Kullmann Five affirmait qu’en Norvège, il était possible d’appeler à ne plus acheter un produit si une entreprise avait un comportement négatif. De plus, les responsables politiques pouvaient prendre position. Aussi un ministre avait-il publiquement annoncé qu’il n’achetait plus son essence chez Shell."

"Aujourd’hui, en France ce n’est pas possible, aucune loi n’interdit formellement cette forme d’action appelée boycott mais elle est très risquée. Appeler par exemple à ne pas acheter un produit d’une compagnie pétrolière si celle-ci ne respecte pas les droits de l’Homme dans un autre pays ou détruit l’environnement ou soutient indirectement une dictature est difficile. Selon le peu de jurisprudence existante, il n’y aura pas de lien direct entre l’objet acheté et la situation dénoncée (un boycott n’est légitime que si par exemple l’essence était frelatée !). Or cette forme de pression est un moyen efficace de faire évoluer le comportement des entreprises. C’est grâce à des années de mobilisation que la compagnie Shell met actuellement en place un code de bonne conduite. Bien sûr, ce code ne pourra être efficace que si des procédures de vérifications indépendantes sur les sites de production sont mises en place."

Cependant Amnesty International a adopté une position plus nuancée selon le vice-président de la section française, M. Francis Perrin : "Amnesty n’utilise pas l’arme du boycott, mais rappelle aux entreprises qu’elles doivent user de leur capacité d’influence en faveur des droits de l’Homme. En outre, Amnesty développe une argumentation générale qui souligne que les pays violant les droits de l’Homme présentent un risque politique et propose aux entreprises sa capacité d’expertise afin que les compagnies puissent l’évaluer avant une décision d’investissement. Amnesty sensibilise aussi les entreprises au fait que leur image de marque peut souffrir de leur passivité et qu’elles ont intérêt dans le long terme à ce que les Etats respectent l’ensemble des règles internationales, dont les droits de l’Homme, ce qui suppose un système judiciaire qui fonctionne bien."

Toutefois, M. Jean Blanchard dans son ouvrage "droit de la distribution et de la consommation" rappelle (page 256) que le boycott qu’aucun texte n’interdit, est licite. Mais il ne saurait être exercé sans contrôle ni limite. Il précise que "Ce sont les motifs de l’appel au boycott, nécessairement collectif, qui constituent l’instrument de ce contrôle et peuvent engager la responsabilité de l’organisation de consommateurs (chaque consommateur isolé étant à l’évidence libre de ne pas acheter tel produit). La jurisprudence a toujours condamné l’appel au boycott, lorsqu’il était fait pour des mobiles étrangers à la défense des consommateurs, notamment pour des raisons politiques ou lorsqu’il était excessif ou peu objectif."

Deux affaires ont fixé la jurisprudence sur le boycott paralysant l’action des associations qui risquent d’être condamnées à de lourds dommages et intérêts sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil. "L’Union fédérale des consommateurs (UFC) fut condamnée, pour avoir lancé un appel au boycott général des produits de Shell-France, à la suite (...) du naufrage de l’Amoco-Cadiz au large des côtes bretonnes " (Trib. Gr. Inst. Paris, réf. 5 avril 1978). Le tribunal, après avoir rappelé que si l’émotion soulevée par ce naufrage pouvait "entraîner un mouvement d’opinion tendant à la recherche des responsabilités encourues et à la détermination des mesures de prévention pour l’avenir", a estimé que le mot d’ordre de boycott et la campagne de dénigrement contre les produits Shell... constituent à l’égard de cette société, une voie de fait illégitime dans sa forme et dans ses mobiles, dès lors que cette société n’était ni le propriétaire, ni l’affréteur de l’Amoco-Cadiz, ni le destinataire de la cargaison. En appel la Cour de Paris (13 juin 1978) ne condamnait pas en soi le boycott, mais en fixait les limites de son exercice dans un but d’apaisement des esprits qui ne peut être que profitable à tous."

Une deuxième affaire en 1985 confortait cette jurisprudence : "En 1985, l’U.F.C. qui lança un appel au boycott de la viande de veau se voyait interdire, en référé, la publication (par elle-même ou par autrui) de tout article appelant à un tel boycott, jugé injuste contre l’ensemble des quelques 10 000 producteurs de veaux, qui ne peuvent être rendus responsables de deux ou trois affaires constatées en 1985. Trib ; gr instance Paris, réf 22 avril 1985 (Consommateurs actualités 1985, n° 463)"

Par ailleurs l’article 225-2, alinéa 2 du nouveau code pénal prévoit une sanction pénale à toute action ou omission consistant à "entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque". De par sa nature le boycott pourrait être considéré comme tel. Il n’y a pas eu encore de jurisprudence concernant l’appel au boycott sur le fondement de cette disposition. Mais les ONG françaises et les associations de défense des droits de l’Homme hésitent à appeler au boycott des produits d’une entreprise qui ne respecte pas les droits de l’Homme ou des normes sociales à l’étranger. Le risque d’une condamnation à des dommages et intérêts est trop grand. Aucune ONG ou association française n’a les moyens financiers de risquer de telles condamnations qui risqueraient de réduire considérablement ses ressources.

La mission estime que l’appel au boycott comme arme ultime d’une consommation responsable, doit être considérée comme licite dès lors qu’il est établi par des rapports crédibles d’organisations internationales et d’ONG dignes de foi qu’une multinationale viole délibérément et gravement la légalité internationale. Les tribunaux doivent se montrer soucieux du respect des normes internationales par les entreprises françaises opérant à l’étranger. Les arrêts précités interprétés a contrario pourraient d’ailleurs les y encourager.

En effet, sans l’utilisation du boycott aux Etats-Unis et dans certains pays membres de l’Union contre certaines entreprises utilisant le travail des enfants dans les pays en développement, la sensibilisation à ce phénomène n’aurait pas été possible. Il convient de rappeler que l’Assemblée nationale a adopté le 27 mai 1999 une proposition de loi visant à inciter au respect des droits de l’Enfant dans le monde. Son article 2 dispose : "Pour les achats de fournitures destinés aux établissements scolaires, les collectivités publiques et établissements concernés veillent à ce que la fabrication des produits achetés n’ait pas requis l’emploi d’une main d’œuvre enfantine dans des conditions contraires aux conventions internationalement reconnues."

Cette proposition de loi très opportune démontre que le mouvement de consommation responsable touche la France. Il convient donc de l’encourager. Cependant, les associations se heurtent en France à un autre écueil : les modalités strictes des règles d’action devant les juridictions pénales.

C) ETENDRE LE DROIT D’AGIR EN JUSTICE DES ASSOCIATIONS DE DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DE L’ENVIRONNEMENT

Me William Bourdon, secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’Homme, a estimé qu’une "réflexion devait être entreprise sur la possibilité d’élargir le droit pour les associations de défense des droits de l’Homme de déposer directement plainte avec constitution de partie civile". Il a ajouté "qu’en France moins qu’aux Etats-Unis ou en Belgique, il est possible pour une association de se constituer partie civile".

L’action des associations devant les juridictions pénales est limitée. Les associations ne peuvent se constituer partie civile en France devant les juridictions pénales que dans certains cas, très précisément énumérés par la loi. Aussi a-t-on assisté, depuis quelques années, à un foisonnement d’interventions législatives dans ce domaine. M. Pierre Albertini, auteur d’un rapport sur l’exercice de l’action civile par les associations, constatait que l’article 2-1 du code de procédure pénale qui énumère les catégories d’associations autorisées à se constituer partie civile ressemblait à un inventaire à la Prévert. Les associations de défense des droits de l’Homme sont généralement habilitées à agir, mais seulement dans les cas suivants : racisme et discrimination fondée sur l’origine (art. 2-1), crime de guerre ou crime contre l’humanité (art. 2-4). Cela limite effectivement leurs possibilités d’action.

Une réflexion à ce sujet est nécessaire ; pour être utile, elle doit appréhender le phénomène associatif dans sa globalité, comme le préconise le rapport précité, afin d’ouvrir plus largement aux associations de défense des droits de l’Homme, de l’environnement et des consommateurs l’accès aux juridictions pénales.

On pourrait envisager d’insérer une telle disposition lors de l’examen prochain des textes réformant la procédure pénale en cours de discussion. Pour être utile et efficace, un tel texte doit avoir une portée générale comme le préconisent nombre de juristes.

Plus complexes encore sont les difficultés de mise en œuvre en France de la responsabilité pénale des personnes morales pour des infractions commises à l’étranger.

D) ENCOURAGER L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE DES PERSONNES MORALES DEVANT LES TRIBUNAUX.

La "FIDH" et "Agir ici" ont insisté sur les difficultés qu’elles rencontraient pour mettre en œuvre la responsabilité pénale des personnes morales.

Mme Annick Jeantet, chargée de mission d’ "Agir Ici" a expliqué que "la responsabilité pénale des personnes morales paraissait relever du rêve, puisqu’on ne peut pas même mettre en cause celle des personnes physiques et on constate, comme dans le cas de l’ex-Yougoslavie, qu’il est très difficile de faire appliquer le droit pénal international. C’est peut être plus efficace de faire appliquer le droit pénal au niveau international en donnant une portée extra-territoriale à certaines lois, comme c’est le cas aux Etats-Unis."

Me William Bourdon a exposé que "si l’on pouvait constater qu’à l’avenir il sera plus facile de poursuivre sinon de condamner les "Pinochet", il sera de plus en plus difficile, dans bien des cas, de poursuivre les entreprises multinationales, qui à travers certaines unités délocalisées dans des zones de "non-droit", sont à l’origine de violation des droits de l’Homme. Elles sont, dans ces conditions, à l’abri de toute justice alors que leurs actions mettent en cause les droits économiques et sociaux sinon les droits civils et politiques les plus élémentaires."

"En France, les infractions économiques s’accroissent parce que le droit international est inadapté et le droit interne difficilement applicable. On peut recourir au juge de la nationalité de la victime ou de l’auteur de l’infraction. En France les crimes perpétrés par un Français à l’étranger sont punissables mais les délits ne le sont que si le délit est incriminé dans le pays où a été réalisée l’infraction. Toutefois on peut se demander si Total ne serait pas passible des juridictions françaises s’agissant du crime de séquestration ou d’arrestations arbitraires en Birmanie et au minimum du délit de non dénonciation de crime."

Il a cependant précisé "qu’en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales, la France n’a pas obtenu lors de la conférence de Rome qui a abouti à l’adoption du statut de la Cour Pénale Internationale que les personnes morales puissent être poursuivies, les Anglo-Saxons y étant hostiles. Il est vrai que la responsabilité personnelle des dirigeants est susceptible d’être mise en cause ; le droit international est en gestation s’agissant de la justiciabilité des droits économiques et sociaux."

Le nouveau code pénal énumère les infractions susceptibles d’engager en France la responsabilité des personnes morales. Encore faut-il pour que cette responsabilité soit engagée, que l’infraction soit commise en France contre un ressortissant français. Comme l’indiquait Me William Bourdon, on ne peut mettre en œuvre la responsabilité d’une personne morale pour des infractions commises à l’étranger si celles-ci n’y sont pas réprimées. Les multinationales peuvent aisément s’exonérer du respect de normes contraignantes quand elles opèrent dans des pays où l’Etat de droit, la législation sociale et environnementale est embryonnaire.

Toutefois, la mise en cause de la responsabilité pénale des personnes morales pour les crimes contre l’humanité est prévue par l’article 213-3 du Code pénal. Il convient de souligner que la personne morale peut être poursuivie aussi bien en qualité d’auteur principal que de complice. En effet, l’article 121-2 renvoie expressément aux dispositions des articles 121-6 et 121-7 du nouveau Code pénal relatifs à la complicité. La circulaire du 14 mai 1993 précise que la responsabilité pénale d’une personne morale en tant que complice est engagée par les actes de complicité commis pour son compte par ses organes ou représentants.

La responsabilité d’une personne morale pour crime contre l’humanité ou complicité d’un tel crime devrait pouvoir être mise en œuvre devant les juridictions françaises quel que soit le lieu de l’infraction si se généralisait l’application par la justice française du mécanisme de compétence universelle mis en place par la convention de l’ONU du 10 décembre 1984 sur la torture.

En effet en juillet dernier, le tribunal de Montpellier a mis en détention provisoire, sur plainte de la FIDH et de la Ligue des droits de l’Homme, un capitaine de l’armée mauritanien accusé par deux de ses compatriotes réfugiés politiques en France d’avoir commis sur eux en 1990 des actes de torture alors qu’ils étaient emprisonnés près de Nouakchott. Ce militaire mauritanien a été récemment libéré et mis sous contrôle judiciaire mais la régularité de la procédure suivie n’a pas été contestée. La mise en œuvre pour la première fois en France du principe de compétence universelle pour les crimes les plus graves n’est pas sans similitude avec la loi américaine (voir supra).

La France se doit d’utiliser les mécanismes juridiques internes ou internationaux lui permettant de réguler voire de sanctionner les infractions des multinationales. Leur puissance économique et leur caractère transnational confirmés par le rapport publié le 27 septembre dernier par la CNUCED ne doit pas les mettre au-dessus de la légalité internationale et du droit interne.

Si comme certaines le prétendent, les multinationales souhaitent être des vecteurs de développement, une réflexion doit s’amorcer. Comment allier mondialisation des échanges et développement durable ? Telle est l’interrogation qui sous-tend ce constat.

Les grands groupes pétroliers sont au cœur de cette problématique. Paradoxalement, c’est dans les pays en développement qu’est exploitée une grande part des réserves pétrolières mondiales. Mais cette manne ne leur a apporté ni la sécurité, ni la stabilité intérieure et extérieure parfois même - c’est le cas des pays africains - loin d’aider à leur enrichissement, elle les a appauvris, la rente pétrolière devenant un frein au développement.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr