Colonel POTTS : Merci beaucoup, mon Général. C’est un grand plaisir d’être avec vous aujourd’hui, et je suis vraiment très impressionné par la possibilité qui m’est offerte de m’adresser à vous et d’être parmi des intervenants aussi éminents. Je suis d’Irlande du Nord, et donc si je m’adresse à vous rapidement comme les deux auteurs Swift et Joyce, vous allez avoir du mal, donc je ferai attention !

Je vais vous présenter comment les fonctions communication et renseignement impactent sur le commandement. Je n’aborderai que les questions les plus importantes.

Concernant les "opérations de soutien de la paix" dans le contexte qui suit la fin de la guerre froide, nombreux sont ceux qui ont tenté de réfléchir sur ces situations, et la seule certitude, c’est l’incertitude ! La seule certitude, c’est que nous aurons à faire face à des ennemis extrêmement variés en termes de capacités, mais aussi de perception et de motivation.

Les criminels, les " seigneurs de la guerre " et d’autres acteurs non conventionnels seront en mesure d’agir d’une main violente et hostile jusqu’au centre de nos pays respectifs, et ils représentent, en fait, des menaces aussi graves que celles des forces traditionnelles antérieures. Dans cet environnement très incertain, il est très difficile de prévoir quels seront nos ennemis, et nous ne pouvons pas non plus être certains des nations au coté desquelles nous allons combattre.

Nous ne pouvons pas maîtriser le choix du terrain et nos ennemis vont essayer d’appliquer leurs forces dans les domaines où nous sommes plus faible. Notre cohésion militaire, même si elle est fermement établie, nos sensibilités, nos inquiétudes seront terriblement soumises à tension jusqu’à ce qu’elles cèdent. La clarté de nos finalités et la clarté de nos règles de comportement seront terriblement surveillées et seront attaquées en tant que telles.

Le dernier modèle britannique considère la prévention des conflits sous la forme d’un spectre continu, dans lequel nos forces sont susceptibles d’intervenir dans n’importe quelle configuration et pas nécessairement de façon séquentielle. La situation de post-conflit peut se transformer en situation de pré-conflit, et un conflit larvé peut dégénérer rapidement et de façon imprévisible. La prévention des conflits, l’activité pré/post conflit peuvent se produire de façon simultanée dans la même zone d’opérations.

La conclusion de tout ceci est que les capacités de destruction et de protection qui sont habituellement associées à un combat de haute intensité, concernant à la fois le personnel et les équipements, doivent être mis à disposition de toutes formes d’intervention. C’est un des fondamentaux de la réflexion sur la défense pour certaines nations.

Finalement, l’analyse commune sur ce qu’est un conflit moderne est un pré-requis absolument essentiel pour développer des capacités de commandement de nos forces, de façon efficace dans les opérations. Par exemple, nous devrions essayer de ne pas développer des capacités de commandement et de contrôle applicables à un seul aspect des conflits, comme par exemple les opérations de soutien de la paix. En revanche, nous devons développer des capacités adaptables à l’ensemble de la gamme que je viens de décrire. Il se peut cependant qu’une spécialisation soit nécessaire pour les opérations de soutien de la paix. La nature de ces opérations est naturellement multinationale et il est évident qu’il faudra des commandements et des états-majors expérimentés capable de conduire les opérations de façon interarmées.

Dans de telles situations, l’élément militaire n’est qu’une partie de la solution. Les opérations sont de plus en plus conduites dans un environnement multifonctionnel et ne peuvent pas être déconnectées de cet environnement. L’intégration avec d’autres organisations non militaires est absolument nécessaire pour assurer le succès. Notre capacité de commandement doit par conséquent permettre une planification des campagnes parfaitement intégrée d’un bout à l’autre du spectre économique, politique, médiatique et éthique. Les opérations doivent naturellement prendre en compte les opérations de type maintien de l’ordre et nous avons à nous préparer à agir dans ce contexte.

L’approche doit être générale, c’est la condition de la réussite. Cela permet d’évi-ter les solutions en "tuyaux d’orgue". Il faut avoir une approche complète et glo-bale pour permettre une unité de finalité au profit du succès de l’opération.

Cependant, ceux qui organisent et planifient n’ont pas une vision complète de l’état final comme cela devrait être. Il peut être nécessaire de fixer des objectifs intermédiaires et non pas un objectif terminal, et c’est sur cela que nous devrions focaliser nos efforts. Au fur et à mesure que nous commençons à apprécier la situation, les états finaux possibles deviennent de plus en plus clairs. Il y a effectivement des pressions médiatiques extrêmement fortes, qui nous permettent de ne jamais oublier que la guerre obéit à des finalités politiques. Les hommes politiques peuvent parfois s’impliquer dans les détails tactiques.

Cependant, l’action militaire peut aussi à son tout influencer l’action, la détermi-nation des processus politiques. L’ensemble doit être coordonné à l’échelon straté-gique. Ce sont là les réalités pour le commandement et il faut s’en préoccuper. Le ciblage est par exemple une des activités militaires clés, conduites par les chefs militaires et par leurs états-majors mais il s’agit là également d’une contrainte poli-tique majeure. La sélection des cibles, les moyens utilisés pour les attaquer, les dommages collatéraux et la preuve des dommages causés, sont du domaine politique. C’est une préoccupation de l’opinion publique. Il y aura toujours des conflits entre les besoins de transparence politique et les besoins de sécurité opérationnelle. Dans les opérations modernes, ce sont des réalités et nous, militaires, devons prendre des dispositions adaptées.

Dans l’environnement multinational des opérations de soutien de la paix, il y a un élément politique à considérer : c’est le rôle, par exemple, des organismes internationaux sous l’égide desquels la planification va se dérouler, de même que les capitales des différents pays contributeurs avec ce système compliqué de calendrier, de motivations, de responsabilités. Chaque point de jonction dans ce réseau est un point faible contre lequel nos ennemis vont essayer de faire peser une pression forte. Il faut gérer chaque menace de manière très soigneuse, très pointue. Au bout du compte, il n’est peut-être pas surprenant de voir que le général Michaël Jackson commandant de l’ARRC, avait dit que la cohérence politique peut être très utile si vous arrivez à l’obtenir ! Bien entendu, nous devons porter tous nos efforts pour qu’il y ait une interface politico-militaire, le maintien des capacités de commandement et de conduite des opérations et des objectifs clairs pour les opérations militaires. Mais nous devons également préparer nos commandants, nos chefs, à opérer dans des circonstances dans lesquelles la situation est complexe, voire même chaotique, et où les directives politiques ne sont pas claires. Chaque nation participante a ses propres besoins politiques, son propre chef de contingent également, qui s’occupe de gérer les intérêts nationaux. Nous devons parvenir à ce que les commandants de contingent puissent s’accorder, au moins un minimum, pour renforcer la compréhension et la confiance mutuelle. La cohésion de la communauté internationale est proche du centre de gravité, et un commandant ne doit jamais perdre de vue l’objectif de sa mission. Il doit tout faire dans son plan de campagne pour atteindre cet objectif.

On peut dire, en termes politiques, que l’importance d’une opération est directe-ment proportionnelle au niveau de l’intérêt médiatique plutôt qu’à la véritable nature de l’opération elle-même. Les projecteurs des médias sont présents en permanence, un commandant ne peut pas laisser son état-major en première ligne.

Son engagement doit être direct, même si ce n’est pas dans son habitude de se mon-trer ainsi. La façon de présenter les actions doit être aussi réfléchie que les actions elles-mêmes et la réussite des opérations dépendra de la façon de les présenter ! La communication vers l’extérieur est importante, mais, pour autant, il ne faudrait pas oublier l’importance de la communication vers l’intérieur c’est-à-dire la communication vers nos propres forces. Il faut travailler très dur afin d’assurer la sécurité, la clarté et la rapidité de nos propres méthodes pour que nos officiers n’apprennent pas les nouvelles par les médias. Notre communication interne doit être taillée sur mesure en fonction des différents contingents nationaux. En dernier lieu, je souhaiterais évoquer certains aspects du commandement des forces multinationales dans les missions de soutien de la paix. Au combat, les commandants, surtout ceux des niveaux les plus élevés, sont au sommet d’une chaîne de commandement, donnent des directives à des subordonnés, et ce sont ces subordonnés qui prendront les directives et auront un impact direct sur les troupes. Les commandants n’exercent une autorité qu’à travers les forces qui sont sur le terrain.

Dans les opérations de soutien de la paix, les commandants, à tous les niveaux, doivent traiter les uns avec les autres. L’accent est mis sur l’action personnelle et sur la négociation entre personnes. Cela est facilité par la connaissance des capacités des autres, de leurs moyens et de la volonté de les utiliser. L’ouverture au dialogue et l’impact que l’on peut avoir sur les acteurs du théâtre, et en dehors du théâtre sont extrêmement importants. Les chefs seront testés personnellement sur leur capacité personnelle et celle de leurs troupes à réagir à des incidents qui sont souvent très bien orchestrés. Il y a des différences entre le commandement des opérations de soutien de la paix et d’autres types d’opérations, des différences très subtiles. Les différentes doctrines, les différents systèmes d’armes, les différentes logistiques et les différents degrés d’expertise militaire doivent être fusionnés. Il doit y avoir une égalité dans les risques pris, et dans les souffrances subies par les forces. Les contingents doivent être utilisés au mieux. Il faut éviter de comparer la qualité et les aptitudes opérationnelles des différents contingents.

L’important est l’unité des idées. Il y a un besoin, c’est de développer une philosophie commune de commandement pour que nos partenaires, dans la coalition puissent travailler ensemble. Certains commandants savent bien adapter la nature de leur doctrine et d’autres sont capables d’adapter leur sens de l’initiative aux changements dans la mission.

D’autres personnes espèrent pouvoir commander et être commandées avec des ordres extrêmement détaillés et en pouvant redemander à leur chaîne de commandement très souvent des instructions supplémentaires. Comme il a déjà été observé dans les opérations de soutien de la paix, une force qui comprend différemment les ordres reçus, les détails qui doivent être inclus dans les directives et la liberté d’action donnée aux organismes subordonnés, peut engendrer une confusion énorme pour l’ensemble de la force. En conséquence, dans l’avenir immédiat, il faut que nous ayons une approche commune du commandement afin de maximiser nos capacités en opération de soutien de la paix, tout en reconnaissant et tout en acceptant des approches différentes.

Il faut également que nous soyons capables de comprendre que la conduite de missions n’est pas un dogme auquel il faut se conformer un peu bêtement, mais l’appliquer intelligemment. En particulier, nous devons admettre le besoin des opérations sur l’information. Pour qu’un message centralisé passe, il faut présenter clairement les objectifs des opérations de soutien de la paix, souvent très complexes. Le commandement implique que les subordonnés aient les informa-tions et les transmettent. Il faut une vision de l’espace de bataille qui soit extrême-ment claire, qu’il y ait des flux d’informations clairs, et c’est à partir de ces flux que les problèmes d’information et de formation peuvent être réglés.

La légitimité du commandement doit être également évoquée. Les règles de commandement de l’OTAN, hors article 5, datent de la Bosnie. Le général Reinhardt, par exemple, a montré que ces réglementations connaissaient 59 variantes , car il avait 59 contingents au Kosovo ! Il faut que nous prenions du temps avant les déploiements, avec les autorités concernées, pour préciser ces modalités, en même temps, nous devons créer des mécanismes qui nous permettent d’organiser et de gérer mieux les déploiements.

Je crois également qu’il est important que les chefs engagés dans les opérations de soutien de la paix comprennent bien s’ils sont au niveau tactique, opérationnel ou stratégique. Cette distinction est un petit peu devenue floue, voire même inutile, les niveaux de commandement pouvant être occasionnellement fusionnés ensemble. Cependant, il reste essentiel que les commandants et leurs états-majors mènent à bien les fonctionnalités et les opérations qui dépendent de leur niveau de commandement. Un état-major ne peut pas travailler tout seul de façon efficace à tous les niveaux, et un mélange entre les différents niveaux est certes possible, voire attirant pour certains, mais il peut entraîner une confusion dans une situation déjà complexe à la base.

Paradoxalement, comme les technologies numériques aident le commandement et la conduite des opérations, il y a de moins en moins besoin de groupes de liaison humains. Pourtant, dans les opérations multinationales et dans les opérations complexes de soutien de la paix, où il faut explorer de nouveaux domaines, les éléments de liaison restent importants. Cela inclut l’ONU et d’autres organisations internationales. Dans ce type d’opérations, les relations personnelles entre les commandants seront le point déterminant et ceux-ci doivent nouer et entretenir des relations personnelles entre eux.

Le domaine le plus significatif, dans lequel nous devons faire des efforts, est la formation à ces opérations de soutien de la paix. C’est un défi majeur. Il consiste à apprendre aux commandants à passer d’un objectif stratégique simple de la guerre froide à une prise de décision dans un nouvel environnement stratégique assez ambigu.

Nous devons avoir les moyens de développer l’interopérabilité des idées entre les partenaires potentiels d’une coalition pour qu’ils aient la même compréhension, la même approche des problèmes et qu’ils pensent aux mêmes solutions. Nous devons également continuer à envoyer nos meilleurs hommes dans ces opérations de soutien de la paix et tirer le meilleur parti du retour d’expérience.

Je souhaiterais finir en évoquant l’importance du leadership. Les commandants des forces en présence dans les opérations de soutien de la paix ont besoin de pouvoir commander seuls ces forces pour tout type d’engagement. Le succès de toute opération multinationale de soutien de la paix dépendra du leadership, plus que tout autre facteur. Les chefs doivent être les meilleurs. Ils doivent être sûrs d’eux. La reconnaissance diplomatique et politique n’est pas en option. Il faut qu’ils aient l’appui du pays dont ils commandent le contingent. Ils devront être capables de réviser sur le terrain leurs priorités, prendre le temps de se déplacer à l’étranger pour parfaire leur connaissance du commandement et développer un climat de confiance avec les gens qu’ils auront sous leurs ordres. Je trouve extrêmement rassurant de voir l’émergence d’une génération d’officiers supérieurs dans tous les pays, qui ont en abondance ces capacités et ces qualités.


Source : Forum de doctrine militaire 2001 : Vers une vision européenne d’emploi des forces terrestres, CDES, Ministère de la Défense http://www.cdes.terre.defense.gouv.fr