Général LEBOURG : Nous abordons maintenant les actions civilo-militaires (ACM) et la communication. Les actions civilo-militaires, vous le savez, servent à la fois à appuyer l’action des forces sur le théâtre, à faire face aux besoins humanitaires d’urgence et à contribuer au rétablissement de la vie de la cité. Le problème de leurs coordinations se pose, notamment avec les organisations de toute nature qui sont sur le théâtre et le colo-nel Potts en a cité une ou deux tout à l’heure. La rentabilisation également des actions civilo-militaires, à travers le principe d’un juste retour d’investissement vers les pays qui s’impliquent et qui agissent, est aussi un sujet qui peut faire l’ob-jet de nombreux débats. Quant à la communication, sans surprise, elle prolonge, elle démultiplie, voire elle aide à justifier les actions de nos forces. Le général de division Jung, général adjoint de la Force d’action terrestre allemande, va nous expliquer la façon dont l’armée allemande s’est organisée récemment pour assumer ces deux fonctions opérationnelles. Sapeur, il a notamment servi la division parachutiste, il a commandé la belle division de montagne de Munich et il a été chef d’état-major du commandement nord-est OTAN. Dans des temps un peu plus reculés, mon Général, je crois que vous avez également suivi les cours de défense du collège interarmées indien à Madras, mais ce n’est pas de cela dont vous allez nous parler maintenant. A vous la parole.

Général JUNG : Mon général, mesdames et messieurs, je suis très content d’avoir la possibilité de vous parler de la coopération civilo-militaire.

La coopération civilo-militaire revêt un importance décisive vis-à-vis de la population. Je voudrais illustrer cela en prenant l’exemple de notre engagement dans les Balkans. L’objectif initial, pour cette opération, était d’assurer la sécurité et de prendre des mesures d’urgence en matière d’aide humanitaire. Entre-temps, c’est le relèvement de l’administration et de l’économie, lié à l’amélioration des conditions de vies, qui est passé au premier plan. Plus vite ces pays et les différentes ethnies peuvent recommencer à vivre ensemble de façon pacifique, et à organiser de leur propre chef leur vie étatique et économique, plus vite nous serons capables de faire rentrer nos troupes, d’autant plus que ces opérations sont coûteuses. Les ACM sont des instruments qui permettent aux chefs militaires sur le théâtre de participer activement à ce processus. En même temps, ils participent à l’objectif important qui est que nos propres soldats, impliqués dans l’opération, sont mieux acceptés par les popula-tions locales.

Laissez-moi commencer par l’aspect ACM .

Les activités ACM allemandes en ex-Yougoslavie sont motivées par le droit au retour, garanti par les accords de Dayton, par notre intérêt national d’encourager le retour des 340 000 réfugiés qui vivent en Allemagne, et par notre volonté de participer à la reconstruction du pays détruit.

L’unité ACM (100 militaires environ), nous a permis de saisir très systématiquement les conditions de vie dans le pays, et notamment de participer à l’effort de reconstruction, tout particulièrement en ce qui concerne les logements pour les réfugiés. La majorité de ces réfugiés, environ 300 000, est rentrée dans son pays, ce qui a permis à l’économie d’économiser 20 milliards de marks par an. C’est quand même une somme assez importante ! Pour notre fonction ACM, nous avons développé un système de commandement très complexe, mais efficace qui nous permet de coordonner les différents besoins nationaux et internationaux ainsi que les objectifs, au niveau du commandement des forces terrestres en liaison avec le ministère de la défense. Ce processus est extrêmement compliqué. Les directives politiques sont élaborées au niveau interministériel et incorporées dans la mission ACM des troupes.

Je vais vous résumer quels étaient nos objectifs en matière d’ACM pour les opérations de la SFOR et de la KFOR.

1/ L’étude des possibilités de retour des réfugiés.

2/ La protection des conditions de vie, tout particulièrement pour les minorités, afin de participer à leur réconciliation.

3/ La reconstruction des infrastructures publiques et privées.

4/ Le soutien et l’aide à la reconstruction des structures administratives.

Les effets des ACM s’ajoutent aux aspects déjà mentionnés. Il y a toujours une dimension extrêmement politique à ceci. Cela inclut en particulier les aspects suivants :
 L’acceptation de nos soldats par les populations, et donc leur protection. En d’autres mots, cela participe à la protection des troupes sur le théâtre, et en Allemagne, les ACM participent à l’acceptation de ces opérations par les soldats et la population civile.
 Nos moyens ACM sont sous le commandement et la conduite des opérations d’un QG de théâtre. Dans le cas de la SFOR nous travaillons avec une compagnie ACM et au sein de la KFOR, nous avons un bataillon ACM. 
 Jusqu’à présent, les forces armées allemandes n’avaient pas d’unité ACM d’active et c’est pourquoi les personnels viennent des trois armées et des diffé-rents domaines militaires et ils sont formés pour cette tâche spécifique.
 En plus de l’élément de commandement, il y a un centre ACM qui sert de point de contact pour la population civile. Chaque groupement tactique ACM a des capacités.

Laissez-moi souligner dans ce contexte le fait que nos experts ACM n’ont pas de manuel technique. Ils fournissent des directives pour aider les gens à s’aider eux-mêmes. En vertu de nos enseignements tirés, les ACM sont devenues un instrument excellent pour les commandants de théâtre et pour nos chefs politiques en Allemagne. C’est même devenu indispensable !

Afin que les activités ACM soient à l’avenir plus efficaces, nous allons institutionnaliser des spécialistes du B5, et ces personnels du B5 vont être intégrés dès le temps de paix aux niveaux division et brigade.

De plus, l’Allemagne va participer au groupe nord OTAN sur les ACM, qui va être opérationnel à partir de l’été 2002. Ses spécialistes seront en mesure de couvrir des qualifications dépassant l’éventail des missions réalisées jusqu’à présent dans les Balkans.

Outre les ACM, le domaine des informations opérationnelles est devenu un multiplicateur de forces particulièrement efficace.

Les moyens de communication de masse peuvent avoir une influence décisive sur le déroulement et l’issue d’un conflit. La propagande, la désinformation et la manipulation des opinions publiques participent à la lutte pour et avec l’information. On se rappelle ce que l’on a vu lors des campagnes aériennes au Kosovo. Dans un climat d’informations tendancieuses et de possibilités d’information restreintes, les campagnes politiques, idéologiques et autres peuvent prospérer et favorisent les actions violentes et créent une escalade des conflits.

Pour écarter ce risque, il est nécessaire d’utiliser nos propres moyens d’information afin d’expliquer et de soutenir la mission de nos unités et des forces alliées. Dans ce domaine, l’information opérationnelle fournit une contribution essentielle qui améliore également la protection de nos propres soldats.

L’armée allemande dispose d’un bataillon d’information opérationnelle en mesure d’influencer directement les groupes cibles à l’aide de vidéos, porte-voix, tracts, et autres. A côté de ce bataillon, il y a un état-major de soutien avec des experts scientifiques confirmés dans les sciences de la communication, de la psychologie, et de l’ethnologie. Ces moyens spécialisées apportent leur soutien aux trois armées.

L’information opérationnelle est en principe de la responsabilité nationale. Toutefois l’Allemagne participe avec ses unités à des opérations multinationales et fournit du personnel PSYOPS au profit des quartiers généraux multinationaux. Dans nos directives nationales, nous nous inspirons du Psychological Operations Policy de l’OTAN - le MC 402.

La Bundeswehr a participé avec ses propres moyens aux opérations de la SFOR et de la KFOR. Au cours de ce processus, le personnel engagé dans les opérations d’information opérationnelle a été intégré aux unités tactiques.

Dans le cadre de la SFOR, le magazine pour la jeunesse MIRKO, publié par le QG de la SFOR est rédigé par le personnel spécialisé dans l’information opérationnelle et c’est un magazine qui était très populaire parmi la jeunesse, en Bosnie Herzégovine.

Dans le cadre de la KFOR, il existait un quotidien de 4 pages, publié par la brigade Multinational Sud en albanais, et ce journal récemment a été remplacé par un magazine hebdomadaire.

Sur ces deux théâtres d’opérations, il est devenu évident que l’information qui prépare et accompagne une opération est un instrument indispensable pour les chefs militaires.

Dans tous les cas, le facteur le plus important reste la création d’un climat de confiance avec des informations vraies, vérifiables et sûres. L’information a donc une importance croissante pour les chefs militaires et augmente en parallèle avec les progrès des techniques de communication.

Quelles conclusions pouvons nous tirer pour l’avenir ?

Les opérations de la SFOR et de la KFOR ont montré que nos moyens d’opérations sur l’information ne sont pas suffisants pour couvrir les besoins du théâtre.

C’est pourquoi la Bundeswehr va mettre sur pied un nouveau Centre d’information opérationnelle avec un deuxième bataillon. L’information opérationnelle sera subordonnée au service de soutien interarmées. Le volume de personnels va augmenter d’environ 60 %. C’est une condition pour que l’Allemagne puisse remplir ses obligations dans le cadre du European Headline Goal et appuyer continuellement les opérations en cours.

Les activités ACM et l’information opérationnelle vont de pair. S’y ajoute un troisième élément dont nous ne parlerons pas ici, les opérations spéciales. L’ensemble formera à l’avenir l’un des centres d’effort de nos engagements. C’est pourquoi nous avons fourni ces moyens à la fois à la SFOR et à la KFOR et nous leur avons donné une importance toute particulière dans la nouvelle structure de nos forces.

Jusqu’à présent, c’est un effort tout à fait national. Mais l’Allemagne est tout à fait prête à participer au sein à ce type de missions dans le cadre de l’OTAN ou l’Union européenne. Pour le moment, ce n’est pas encore envisagé.

Il est possible qu’un jour, cette conférence soit l’occasion de donner un signal. Je vous remercie de votre attention.


Source : Forum de doctrine militaire 2001 : Vers une vision européenne d’emploi des forces terrestres, CDES, Ministère de la Défense http://www.cdes.terre.defense.gouv.fr