1. Problématique

Le comité est parti de la constatation que le cadre dans lequel devaient s’inscrire les capacités françaises de renseignement avait fondamentalement changé, dans la mesure où l’ennemi principal avait disparu et que ce fait impliquait une nouvelle hiérarchisation des menaces, alors même que de nouveaux foyers de crise apparaissaient dans un monde caractérisé par son instabilité. De prime abord, quatre grands types de questions semblent se poser, qui ont guidé la réflexion des membres du comité et les entretiens qu’ils ont eu avec les différentes personnalités rencontrées ( dont la liste est donnée en annexe ).

1.1 La coopération internationale

En l’absence de risque mortel commun à tous les pays alliés, on peut se demander dans quelle mesure la coopération peut fonctionner de façon harmonieuse tant que subsistent de grandes divergences d’approche des intérêts géopolitiques et une forte concurrence commerciale. Le renseignement n’est il pas un des derniers refuges de la souveraineté des Etats ?

1.2. Les orientations

Les services de renseignement travaillent en principe pour un client principal, qui est l’autorité politique. C’est à cette dernière que revient la tâche d’orienter les services compétents et de coordonner leur action. Mais, et malgré l’existence de nombreux organismes de prévision et de prospective ( SGDN, DAS, CAP ), la fluidité de la situation actuelle ne conduit-elle pas à une auto-orientation des services en fonction de leurs seuls domaines de prédilection ou de compétence ?

1.3. Le contrôle démocratique

La structure et les modalités de fonctionnement actuelles des services de renseignements sont héritées d’une longue période de lutte contre les totalitarismes, nazisme puis communisme. Cela impliquait, au nom d’une défense efficace de la liberté, l’acceptation d’une certaine opacité dans les pratiques et en particulier dans l’utilisation des fonds mis à leur disposition. On peut désormais se poser la question de la nécessité d’un contrôle plus étroit des services par le Parlement ? Dans l’inévitable conflit entre la préservation de la confidentialité des informations et la nécessaire transparence d’une telle démarche, il convient de trouver l’équilibre indispensable. Les exemples des pays anglo-saxons fournissent quelques éléments de réflexion sur ce point. En tout état de cause, il semble bien que l’intérêt des services soient de réfléchir à ce problème en liaison avec l’autorité politique et d’en anticiper les conséquences au risque, sinon, de se le voir imposer.

1.4. Le statut des personnels

Le ressort idéologique et le sentiment de défendre les intérêts essentiels de la patrie ne sont plus des incitations aussi fortes que dans le passé pour inciter un personnel de qualité à accepter les contraintes et les risques d’une profession où les succès restent nécessairement cachés et qui ne jouit pas d’une haute considération auprès de l’opinion.

2. Constatations

2.1. La coopération internationale

Les témoignages des différents intervenants tendent à démontrer que si le principe d’une coopération sur une base bilatérale fonctionne à peu près bien, en revanche, toute idée de coopération multinationale demeure irréaliste en l’état actuel des choses. Dans ce domaine, le comité a bien compris que la règle du donnant-donnant reste fondamentale et explique l’intérêt de disposer de moyens nationaux d’acquisition, humains ou techniques, performants et autonomes. On remarque, au passage, l’absence complète de véritables structures de renseignement au sein de l’OTAN (où la fonction est assurée, pour l’essentiel par des moyens nationaux, en particulier américains) ou de l’Union Européenne.

2.2. Les orientations

Le comité a observé qu’il existe une insuffisante coordination entre les services, surtout dans le domaine des missions sauf pour quelques cas particuliers, comme la lutte anti-terroriste, qui méritent d’être soulignés. Par contre, les témoignages concordent pour souligner qu’il n’existe pas de guerre des services et qu’à la base, la coordination se fait plutôt bien. Les services ont alors tendance à s’auto-orienter et à ne pas prendre au pied de la lettre les instructions qui leur sont données. Le problème concerne donc moins la recherche du renseignement que son exploitation et sa synthèse.

La situation constatée qui procure parfois un sentiment de confort pour les services, même s’ils la déplorent, peut s’expliquer pour deux raisons :

l’usage qui est fait des structures de coordination existantes. Parmi celles-ci, une place particulière doit être réservée au Comité Interministériel pour le Renseignement (CIR) responsable sous l’autorité du SGDN de l’élaboration du Plan National du Renseignement (PNR) dont certains intervenants se sont plus à souligner le rôle, en particulier dans le cadre de groupes de travail spécialisés sur des thèmes précis. Sans doute l’usage de ces structures doit-il être dynamisé et rationalisé pour obtenir de meilleurs résultats. En tout état de cause, ces dernières semblent constituer une bonne base de réflexions pour l’amélioration du système. L’idée récurrente d’un conseil national de sécurité à la française trouve ici sa place.

la contradiction majeure dans la gestion du temps entre des autorités politiques qui inscrivent le plus souvent leur action dans le court voire au mieux le moyen terme (syndrome de la dépêche d’agence de presse) et des services de renseignement qui ont, par nature, besoin de temps pour conduire leurs actions. Il faut au moins trois ans pour recruter une bonne source humaine de l’avis même d’un expert. D’où la nécessité d’une bonne anticipation, ce qui nous ramène au point précédent sous peine de voir les services disperser leurs efforts dans une logique de réaction à l’instantané.

Le comité a également constaté notre faiblesse dans la recherche du renseignement scientifique, industriel et technologique, dont l’importance devient croissante dans un contexte de guerre économique à outrance. Certains voudraient même y voir une priorité. Il ne s’agit pas tant de manque de moyens matériels que d’une formation insuffisante du personnel et d’une absence générale de culture du renseignement chez ceux de nos compatriotes qui seraient bien placés pour fournir des informations. Dans ce domaine, la France est handicapée par rapport aux pays anglo-saxons ou au Japon. Ce domaine reste difficile à mettre en ouvre tant que n’aura pas été clarifiée la limite entre information ouverte (intelligence économique) dont la collecte et la distribution doit encore être organisée dans notre pays, et renseignement fermé qui doit rester le seul champ d’action de la communauté du renseignement.

2.3. Le statut et les carrières

Le renseignement bénéficie encore largement d’une image de marque défavorable en France, surtout par rapport aux pays anglo-saxons, Grande Bretagne en tête. Métier de seigneurs d’un côté de la Manche, barbouzes de l’autre. Une revalorisation de la profession est indispensable pour y attirer les meilleurs. Depuis 1992 toutefois, la création de la DRM et l’accent mis sur l’importance de la fonction renseignement dans tous ses aspects ont permis de redorer le blason de cette communauté. Même si on observe que les militaires qui choisissent de se consacrer au renseignement se voient généralement pénalisés dans leur carrière et leur avancement, ce qui, récemment encore, ne contribuait évidemment pas à attirer les meilleurs, force est de constater que les choses s’améliorent. La création de la DRM et l’accroissement des postes ouverts à la dgse permettent maintenant de définir des plans de carrière dans la filière et facilitent la cohérence de la politique de recrutement/sélection. On constate par contre que les civils de la DGSE, jouissant d’un statut particulier, bénéficient d’un recrutement dont la qualité augmente d’année en année.

3. Recommandations du comité

3.1. Dans le domaine de la coordination

Un renforcement du rôle du SGDN paraît souhaitable, afin de faire prendre conscience aux politiques de l’importance et de l’intérêt des services de renseignement. Cette évolution devrait éviter la tendance généralisée à l’autosaisine. Dans ce cadre, il paraît également important de dynamiser le CIR. En dépit des contraintes d’ordre constitutionnel, et même dans l’hypothèse d’une situation de cohabitation aujourd’hui devenue fréquente, il semble opportun de réfléchir à une évolution vers un conseil national de sécurité, responsable entre autres tâches, de l’orientation de la communauté du renseignement dans un cadre interministériel.

3.2. Dans le domaine des carrières

Avec le temps, il faut poursuivre l’amélioration de l’image des hommes et des femmes du renseignement en revalorisant leurs carrières. Cela concerne moins les civils, encore que l’on puisse déplorer l’absence de mobilité administrative pour le personnel de la DGSE, que les militaires. Pour ceux-ci, une affectation au sein de la communauté du renseignement, restera nécessairement longue en raison du caractère très spécifique des missions demandées qui requièrent le plus souvent une grande expertise. Elle devrait s’inscrire dans une logique de cursus de carrière à l’intérieur des différents organismes de la communauté, seule capable de restaurer des perspectives de sélection et d’avancement comparables à celles d’un cursus plus traditionnel.

3.3. Dans le domaine de renseignement économique et technologique

C’est notre grande faiblesse, et c’est pourtant une des voies d’avenir des services de renseignement. Dans le domaine de l’information ouverte, le ministère de l’Economie et des Finances devrait s’impliquer davantage et jouer un rôle de coordination, notamment parce qu’il dispose du réseau des postes d’expansion économique. Il faudrait également promouvoir un vivier de correspondants, sorte de " réserve civile " pour les scientifiques et hommes d’affaire, afin que, convenablement sensibilisés et orientés, ils mettent davantage leur expérience et leur compétence au service du pays. L’IHEDN, du fait de son rôle pionnier dans l ’enseignement de l’intelligence économique et de son réseau d’anciens auditeurs a certainement ici un rôle important à jouer.

Concernant l’information grise ou fermée, domaine d’action préférentielle de la communauté du renseignement, il convient d’en rationaliser l’orientation en la coordonnant en particulier avec la précédente. Il restera alors à régler le délicat mais essentiel problème de la diffusion des renseignements recueillis.


Source : Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) http://www.ihedn.fr