54. L’article XII de la Convention établit le principe de l’organisation d’une Conférence quinquennale " afin d’examiner le fonctionnement de la Convention, en vue de s’assurer que les objectifs énoncés dans le préambule et les dispositions de la Convention sont en voie de réalisation. A l’occasion de cet examen, il sera tenu compte de toutes les nouvelles réalisations scientifiques et techniques qui ont un rapport avec la Convention. " Ces conférences, dont la première a eu lieu en 1980 et la cinquième aura lieu du 19 novembre au 7 décembre 2001, à Genève, en Suisse, permettent de faire un bilan de l’application de la CAB et de la faire évoluer pour tenir compte des évolutions enregistrées dans son domaine de compétence. C’est aussi l’occasion, pour les Etats parties, d’échanger des informations et de trouver des compromis politiques pour résoudre des problèmes relatifs au respect et au suivi des dispositions de la Convention.

55. La première conférence a eu lieu à un moment difficile de la guerre froide, le début des années 1980. En 1979, l’accident de Sverdlovsk avait renforcé les doutes des Américains sur le respect de la CAB par l’URSS ; celle-ci subissait également les effets politiques négatifs de la condamnation, par l’Occident et par les Etats non alignés, de l’intervention militaire en Afghanistan et une nouvelle administration américaine, sous la conduite du Président Ronald Reagan, venait d’entrer en fonction avec des visées assez agressives envers l’URSS.

56. Néanmoins, la première conférence a permis de réaliser des progrès modestes mais significatifs, notamment en convenant d’examiner en continu la Convention, au-delà de la conférence unique prévue à l’article XII, de clarifier, à travers des déclarations, la situation en matière d’armes biologiques dans les Etats parties - possédaient-ils ces armes, les avaient-ils détruites en conformité avec l’article II ou n’en avaient-ils jamais possédé ? - d’échanger des informations, à des fins de consultations, sur les législations nationales mises en place pour assurer le respect de la CAB, par l’intermédiaire des Nations unies, et de mettre l’accent sur l’article V et les procédures de consultation et de coopération entre Etats parties, aspect qui s’est développé de manière plus évidente lors des conférences postérieures et dont la première application pratique a eu lieu en 1997, à la demande de Cuba28.

57. Les deuxième et troisième conférences, tenues dans un contexte international plus favorable, ont renforcé les dispositions de la Convention et ouvert la voie à l’établissement de nouvelles procédures de consultation et de coopération sur les objectifs de la CAB. La conférence de 1986 a permis de mettre en place un ensemble de mesures de confiance (MDC) sur l’échange de données sur les laboratoires de recherche qui répondent à des critères de sûreté élevés29 (dans le domaine de la biologie), la notification de l’apparition d’épidémies de maladies infectieuses ou similaires provoquées par des agents biologiques inhabituels, la publication (y compris à destination des milieux non spécialistes) des résultats de recherches sur les armes biologiques et les défenses contre leur utilisation et l’encouragement des échanges scientifiques et de la mise en place de projets de recherche entre Etats parties, dans le domaine du ressort de la Convention.

58. La troisième conférence (1991) a eu lieu dans un environnement international favorable au renforcement des dispositions de la CAB, surtout après les révélations faites à propos du programme d’armes biologiques de l’Irak. La guerre froide touchait aussi à sa fin, et il y avait des perspectives positives en matière de désarmement découlant des régimes de contrôle des armements. Deux nouvelles MDC ont été introduites : la déclaration des activités passées (à partir de 1946) dans les domaines de la recherche et du développement d’armes biologiques ou de défense contre ces armes, et la déclaration d’installations de production de vaccins (où des agents biologiques dangereux peuvent être stockés, manipulés et modifiés). Cette conférence a marqué aussi le début des efforts, par certains Etats parties, pour créer des mécanismes institutionnels chargés de vérifier l’application de la Convention.

59. A cette fin a été formé un groupe ad hoc spécial d’experts gouvernementaux, connu sous l’appellation VEREX. Ce groupe s’est vu confier la tâche d’identifier et d’évaluer, d’un point de vue technique et scientifique, des mesures de vérification du respect des dispositions de la Convention. Après quatre sessions de travail, tenues entre 1992 et 1993, le Groupe VEREX a présenté un rapport final aux Etats parties réunis lors d’une Conférence spéciale en 1994.

60. Le rapport final présente 21 mesures de vérifications envisageables, à la fois des activités sur place ou hors site, dans les domaines du développement, de l’acquisition ou de la production et du stockage d’agents biologiques. Les mesures hors site incluent l’échange de données, le suivi des informations communiquées, la télédétection et les inspections. L’échange de visites, d’inspections et la surveillance permanente sont les trois catégories proposées pour la vérification des activités sur place. La Conférence spéciale a pris acte du rapport final et a décidé d’établir un nouveau groupe ad hoc, le Groupe spécial des Etats parties, pour " examiner les mesures qu’il convient de prendre, y compris des mesures de vérification éventuelle, et les projets de proposition visant à renforcer la Convention. "30

61. La quatrième conférence, tenue en 1996, a élargi le champ de compétence de la Convention aux découvertes, actuelles et futures, dans les domaines de la microbiologie, de la biotechnologie, de la biologie moléculaire, de l’ingénierie génétique et aux applications qui résulteraient des études sur le génome - tous ces secteurs sont aujourd’hui en plein essor et suscitent des débats d’ordre scientifique et éthique importants, au niveau national et international. Cette conférence a été aussi marquée par la persistance de divergences entre Etats parties sur la manière de renforcer la Convention, notamment à propos du contenu d’un protocole spécifique à cette Convention, qui porterait sur les mécanismes de vérification. L’absence de consensus n’a pas permis au Groupe spécial de présenter à temps pour la Conférence le " projet d’instrument ayant force obligatoire " qui devra améliorer le respect et l’application des dispositions de la Convention. Ce projet, destiné à être adopté par consensus, devrait être présenté pour examen par les Etats parties lors de la conférence de 2001.

62. En juillet 1997, un projet de protocole à la Convention a été diffusé pour examen par les Etats parties, et une version presque définitive a été adoptée par les membres du Groupe spécial en février 2000, lors de la 22e session de ce Groupe. Le président du Groupe, l’Ambassadeur Tibor Tóth (Hongrie), a présenté, le 30 mars 2001, un projet basé sur la version arrêtée en 2000 qui a fait l’objet d’intenses discussions lors de la 23e session (23 avril-11 mai 2001). Ce projet de protocole comportait 30 articles, qui reprenaient et complétaient les dispositions principales de la CAB. Il était prévu également de mettre en place une organisation comprenant une Conférence des Etats parties, un Conseil exécutif et un Secrétariat technique. Le recours aux déclarations présentées par les Etats parties devait être renforcé par un régime de vérification assez complet (dont la mise en oeuvre serait complexe étant donné les spécificités de la recherche et de la production dans le domaine de la biologie, des biotechnologies et de la génétique). Le protocole prévoyait aussi la mise en place, au sein de chaque Etat partie, de mesures de mise en oeuvre nationales et la désignation d’autorités nationales chargées de constituer le point de contact avec la future organisation et les autres Etats parties31.

63. Ce projet a dès le départ soulevé des objections de la part des négociateurs américains et, le 21 mai, un article du New York Times32 s’est fait l’écho d’un éventuel refus du projet de protocole par les Etats-Unis. Cet article faisait référence à un " examen confidentiel", préparé par les différentes agences gouvernementales concernées, en consultation avec des représentants de l’industrie, qui recommandait à l’administration américaine de ne pas accepter le projet de protocole en l’état. La principale raison invoquée était que "le protocole, dans sa version actuelle, ne constituerait pas une barrière efficace contre les fraudes, et qu’il ne serait pas possible de pallier toutes ses insuffisances dans les délais impartis pour les négociations".

64. Cette prise de position a été finalement confirmée, de manière officielle, dans une déclaration faite par le chef de la délégation américaine au Groupe spécial, l’Ambassadeur Donald Mahley, le 25 juillet 2001, à Genève. Le refus américain est fondé sur les considérations suivantes :

  " la difficulté inhérente à la mise au point d’un mécanisme approprié pour l’examen de la menace particulière que constituent les armes biologiques. L’approche traditionnelle, qui s’est révélée très satisfaisante pour de nombreux autres types d’armes, ne conviendrait pas pour les armes biologiques ;

  le projet de protocole ne nous permettra pas de mieux vérifier le respect de la CAB. Il ne renforcera pas notre confiance dans ce respect et ne servira guère à dissuader les pays qui cherchent à mettre au point des armes biologiques. A notre avis, ce projet de protocole mettrait en danger la sécurité nationale et les informations confidentielles des entreprises ;

  les mécanismes prévus pour le protocole n’atteindraient pas les objectifs visés, et aucune modification de ces mécanismes ne leur permettrait d’y parvenir ; en outre, si l’on tentait d’aller plus loin, on ne ferait qu’exposer à des risques accrus les activités légitimes exercées par les Etats-Unis (...) ".33

65. Cette prise de position a eu comme effet d’arrêter les travaux du Groupe spécial sur le texte du projet de protocole. Le 3 août 2001, le Groupe a décidé de poursuivre les travaux d’élaboration d’un rapport sur ses six années et demie d’activités et d’étudier de nouvelles manières de renforcer la Convention, en vue de leur présentation à la cinquième conférence qui aura lieu à la fin de l’année 2001. Le 18 août, les travaux de la 24e session du Groupe spécial se sont terminés sans avoir enregistré de progrès considérables sur la question du renforcement de la Convention, tout en reconnaissant qu’" un instrument juridiquement contraignant efficace, approuvé lors de négociations multilatérales menées dans le cadre de la Convention, renforcera cette dernière "34. Il est toutefois probable qu’à la suite des attentats perpétrés le 11 septembre aux Etats-Unis et dans le contexte du combat contre la menace du terrorisme biologique, de nouvelles discussions auront lieu, dans les mois à venir, sur le renforcement, par la mise en place de mécanismes de vérification et de contrôle, des dispositions de la CAB35.


NOTES

28 Après la découverte, en décembre 1996, d’une infestation de " thrips palmi " dans les cultures de l’île.

29 Il y a quatre niveaux croissants de sécurité, en fonction de la dangerosité des agents biologiques.

30 " Consideration of the work of the Ad Hoc Group established by the Special Conference in 1994 " ; Déclaration finale de la Quatrième conférence (25 novembre - 6 décembre 1996) ; http://www.unog.ch/

31 " Executive Summary of the Chairman’s Text " ; http://www.armscontrol.org/ .

32 " US Germ Warfare Review Faults Plan on Enforcement ", The New York Times, 20 mai 2001 ; www.nytimes.com .

33 " Statement by the United States to the ad hoc Group of Biological Weapons Convention States Parties " ; Genève, 25 juillet 2001 ; http://www.usinfo.state.gov/.

34 BWC Protocol Bulletin, 20 août 2001 : " AHG Stumbles on Its Report - More Struggles Predicted ", Jenni Rissanen ; The Acronym Institute ; http://www.acronym.org.uk/.

35 Des voix se sont fait entendre, avec plus de vigueur, demandant une révision de la précédente position de l’administration à la suite des attentats du 11 septembre ; " America’s Sovereignty in a New World ", Robert Wright, The New York Times, 24 septembre 2001 ; http://www.nytimes.com et "U.S., Europeans Resume Talks On Bioweapons " ; USA Today,23 octobre 2001 ; www.usatoday.com .


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/