« Interview de Colin Powell par les journalistes des nouveaux pays membres du Conseil de sécurité »

Interview With Journalists From New Security Council Member Nations
Süddeutsche Zeitung
Le secrétaire d’État a accordé une interview à cinq grand journaux allemand, angolais, chilien, espagnol et pakistanais, pour s’adresser aux opinions publiques des États disposant pour deux ans d’un siège au Conseil de sécurité.

[AUTEUR] Colin L. Powell est secrétaire d’État des États-Unis. Il a été assistant aux affaires de sécurité nationale du président Reagan de 1987 à 1989 et chef d’état-major de l’armée états-unienne de 1989 à 1993.

[RESUME] Les États-Unis attendent le rapport des inspecteurs, mais nous croyons que Saddam Hussein n’a pas collaboré pleinement et qu’il faudra que le Conseil de sécurité agisse en conséquence. Il est prématuré de savoir s’il y aura une seconde résolution, mais il est évident que les textes nécessaires pour agir contre l’Irak existent déjà. Les États-Unis pourraient donc attaquer ce pays sans nouvelle résolution.
Le président n’a pas encore décidé de partir en guerre. Il souhaite que le problème soit réglé pacifiquement. Toutefois, il est prouvé que l’Irak a menti par le passé et ce régime vient à bout de douze années de diplomatie. Le cas de la Corée du Nord est différent. En effet ce pays a reconnu qu’il détenait des armes nucléaires et nous sommes au début des négociations. Il n’y a donc pas de différence de traitement et les deux pays sont traités avec la même fermeté.
À la fin du mois, nous aurons un dossier sur la non-collaboration irakienne et là il nous faudra nous décider. Nous agirons ensuite rapidement car la question n’a que trop duré et la menace est réelle. Avec la résolution 1441, adoptée à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité, la communauté internationale a exprimé son souhait de voir l’Irak désarmé. Nous espérons qu’elle prendra ses responsabilités le moment venu. Si elle ne le fait pas, les États-Unis devront les assumer seuls avec les pays qui les soutiennent.
Il ne s’agit pas là d’une politique impérialiste. Les États-Unis ne sont pas une nation colonisatrice. Si nous agissons ainsi en dehors de nos frontières, c’est pour libérer les peuples.

« Point de pression »

Pressure Point
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Stephen R. Sestanovich est membre du Council on Foreign Relations, du Center of Strategic and International Studies et professeur de diplomatie internationale à la Columbia University. Il a été envoyé spécial à l’étranger du président Clinton pour les pays de l’ancien URSS (1997-2001).

[RESUME] La double crise irakienne et nord-coréenne a au moins un avantage : elle permet d’affiner notre jugement sur ce qu’il convient de faire. En effet, beaucoup d’opposants à la guerre s’appuyaient sur l’exemple nord-coréen et l’accord de 1994 pour affirmer que nous n’avions pas besoin de faire la guerre à l’Irak et qu’une politique dissuasive était suffisante. D’après eux, si l’Irak avait des armes nucléaires, il en aurait peu et n’oserait pas les utiliser. La détention d’armes de destruction massive par un Irak encerclé n’aurait donc pas d’impact.
Pourtant, avec la crise coréenne, on remarque que la simple détention de ce type d’arme a un impact. Cette crise a provoqué la rupture de l’alliance entre Séoul et Washington, un retour du débat sur la nucléarisation du Japon et une interrogation de ce qui adviendra de ces armes si le régime bizarre de Kim Jong Il disparaît ou est renversé. Ce type d’arme entre les mains d’ennemis des États-Unis peut donc causer de grands dommages, particulièrement dans une région aussi instable que le Proche-Orient, comptant de nombreux groupes terroristes.
Certes, on peut se dire que la dissuasion contre la Corée du Nord sera plus efficace aujourd’hui qu’hier, car maintenant la Chine et la Russie se sentent concernées. Elles ne veulent pas d’une Corée du Nord nucléarisée. Malheureusement, ce que ces deux pays souhaitent, c’est que les États-Unis s’occupent de ce problème.
De même, les États qui ne veulent pas d’une guerre en Irak sont ceux dont ne dépend pas la solution du problème irakien. Si les différents pays, au premier rang desquels la Russie, avaient été plus prompts à la réaction, nous n’en serions pas là. C’est pourquoi les États-Unis mettent la pression afin de contraindre la Russie à assumer ses responsabilités.

« Un dilemme nucléaire : abandonner le vieux pacte largement détourné et attendre la chute de Pyongyang »

A Nuclear Dilemma : Abandon the heavily flawed old pact and wait Pyongyang out
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEURS] Henry Sokolski est directeur exécutif du Nonproliferation Policy Education Center et l’auteur de Best of Intentions : America’s Campaign Against Strategic Weapons Proliferation. Victor Gilinsky est consultant sur les questions énergétiques et a été Commissaire à la régulation nucléaire sous les présidents Ford, Carter, et Reagan.

[RESUME] Beaucoup veulent que les États-Unis reviennent à l’accord de 1994 négocié avec Kim Il Sung par le président Clinton. Cet accord prévoit la construction par les États-Unis de deux réacteur nucléaires à usage exclusivement civil en Corée du Nord en échange de l’arrêt du programme nucléaire militaire.
Cette technologie ne doit surtout pas être donnée à la Corée du Nord et il faut plutôt attendre que le régime de Kim Jong Il s’écroule. En effet, la Corée du Nord a violé l’accord de 1994 et il ne faut pas que la négociation apparaisse comme un renoncement par Washington de sa politique de non-prolifération nucléaire. De plus, leur donner un réacteur nucléaire civil équivaudrait à leur donner les moyens de construire leurs armes quand même. Car, contrairement à ce que nous croyions en 1994, il est possible de dégager du matériel pouvant servir à un usage militaire de ce type de centrale, même si c’est en plus petite quantité.
Si la Corée du Nord a expulsé les inspecteur de l’International Atomic Energy Agency (IAEA) c’est parce qu’elle avait compris que l’administration Bush allait demander un renforcement de celle-ci et qu’elle ne voulait pas s’y soumettre. Il faut cesser d’être naÏf vis-à-vis de la Corée du Nord et abandonner un traité qui légitime le statut nucléaire de Pyongyang.

« Un dilemme nucléaire : commencer à négocier avec la Corée du Nord sur la base de l’accord de 1994 »

A Nuclear Dilemma : Start by building on the 1994 agreement with North Korea
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEURS] Thomas F. McLarty III a été directeur de cabinet de Bill Clinton (1993-1994). Richard Klein a été assistant spécial au département d’État états-unien sur les questions de sécurité internationales.

[RESUME] L’administration Bush est aujourd’hui confrontée à une situation que l’administration Clinton avait déjà rencontrée en 1994 avec la Corée du Nord. À cette époque nous avions étudié les différentes possibilité et nous avions décidé de développer la présence militaire états-unienne en Corée du Sud, d’installer des missiles Patriot autour de Séoul et de préparer secrètement un plan pour anéantir les centres nucléaires nord-coréens sans retombées radioactives pour les populations. Simultanément nous avons envoyé Jimmy Carter négocier pour éviter la guerre. Celui-ci compris lors des négociations que Pyongyang cherchait surtout à obtenir une aide économique, alimentaire et énergétique, aussi est-il parvenu à un accord.
Aujourd’hui la menace est de retour. La Corée du Nord veut un traité de non-agression avec les États-Unis et l’application du traité de 1994. Malheureusement Washington est enfermé dans sa rhétorique de « l’Axe du Mal ».
Les États-Unis veulent l’arrêt des ventes de Scud à l’étranger, l’arrêt du programme nucléaire nord-coréen et le respect des Droits de l’homme basiques, tel que l’accès à la nourriture pour tous quels que soient les opinions politiques ou le statut militaire. Cela ne sera obtenu que par les échanges économiques et la diplomatie. Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que de négocier.

« La crise la dernière fois »

The Crisis Last Time
New York Times (États-Unis)

[AUTEURS] William J. Perry et Ashton B. Carter sont co-directeurs du Preventive Defense Project des universités de Stanford et Harvard. Ils ont été respectivement secrétaire à la Défense et vice secrétaire à la Défense dans l’administration Clinton.

[RESUME] En 1998 nous avons déjà dû faire face à une menace de guerre avec la Corée du Nord après les essais de missiles de longues portées réalisés près du Japon. Certains voulaient alors que nous dénoncions le traité de 1994. Quelles étaient les options qui s’offraient à nous ?
 Déstabiliser le régime ? Cela n’était pas possible car il n’existait pas de groupes d’opposition interne et nous manquions de temps.
 Baser notre stratégie sur une réforme économique de la Corée du Nord identique à celle qu’avait connu la Chine sous Deng Xiaoping ? Là aussi nous manquions de temps.
 Acheter un accord en échange d’une augmentation de l’assistance économique à la Corée du Nord ? Cela aurait été à l’encontre des valeurs américaines.
Finalement nous avons choisi de négocier en parlant d’une même voix avec le Japon et la Corée du Sud. Grâce à cette politique, un accord a été obtenu et Pyongyang a consenti à un moratoire sur ses tests de missiles et a renoué des contacts avec le Japon.
Le président Bush est aujourd’hui confronté à une situation analogue. Il doit garder un certain nombre de principes en tête :
 La Corée du Nord ne doit pas disposer d’armes nucléaires au risque que les autres pays de la région essayent de se doter aussi d’armes atomiques.
 La stratégie des États-Unis ne peut réussir qu’avec le soutien de Tokyo et de Séoul.
 Il faut agir vite et n’utiliser que les politiques pouvant être mises en place rapidement.
Il faut donc rester ferme, se tenir prêt à la guerre, mais encourager la diplomatie.

« La vérité pourrait être enterré dans le désert »

Truth May Sink in Desert Sand
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Robert Wiener a été journaliste pendant plus de 30 ans et a été le producteur exécutif de CNN à Bagdad durant la guerre du Golfe. Il est l’auteur Live from Baghdad : Making Journalism History Behind the Lines.

[RESUME] Dans son documentaire de 1974, Hearts and Minds, Peter Davis montrait comment de Eisenhower à Ford, tous les présidents des États-Unis avaient menti à l’opinion publique à propos du Vietnam. Il espérait alors qu’à la vision de ce documentaire, les hommes politiques réfléchiraient à deux fois avant d’envoyer en guerre les troupes états-uniennes et que les citoyens seraient réticents à les soutenir dans ce genre d’aventures. Aujourd’hui, la guerre en Irak est en question et le sujet est toujours d’actualité.
En 1991, j’étais dans la seule équipe de journalistes états-uniens se trouvant à Bagdad pendant la guerre. Les conditions de travail étaient dures, mais elles étaient encore plus difficile pour nos collègues qui se trouvaient en Arabie saoudite. Ils n’avaient accès qu’à des conférences de presse et ils étaient parfois escortés sur les lieux que l’armée avait sélectionné pour eux, c’est-à-dire uniquement à des informations officielles.
Dans la guerre à venir, la situation sera encore pire car, depuis le 11 septembre, beaucoup de journalistes et de rédacteurs se conçoivent eux-mêmes comme une « police patriotique » et s’autocensurent. La presse états-unienne n’est plus considérée aujourd’hui dans le monde que comme le porte voix de son gouvernement et, par extension, d’Israël. Il est pourtant du devoir de la presse de faire un travail honnête.

« F-16 polonais : il faut plus d’Europe ! »

F-16 polonais : il faut plus d’Europe !
Le Monde (France)

[AUTEUR] Françoise de Veyrinas est député européen (parti populaire européen et démocrates européens).

[RESUME] Le choix de la Pologne d’acheter des F-16 américains est un faux-pas dans l’élargissement de l’Union européenne (UE). Il n’est certes pas sans précédent, puisque les Hollandais et les Anglais se sont portés acquéreurs de JSF, un avion américain qui sera opérationnel dans 10 ans alors que le Rafale existe et a fait ses preuves, mais il est choquant car la Pologne a reçu une forte aide financière de l’UE pour en devenir membre.
Ce choix pose un problème éthique, mais également politique et géostratégique. Il place la Pologne en état de dépendance vis-à-vis des États-Unis qui peuvent un jour avoir des intérêts divergents de ceux de l’Union. Il faut qu’une commission d’enquête parlementaire fasse la lumière sur les avantages accordés, les promesses énoncées, voire les pressions exercées par les États-Unis pour obtenir ce contrat.
De plus il faut mettre en place des mécanisme communautaires pour assurer plus de transparence et de cohérence dans la gestion économique des grands dossiers industriels touchant aux principaux instruments de la souveraineté et la puissance européenne. La mise en place d’un conseil consultatif européen de défense chargé de la prospective stratégique et de ses implications économiques serait un premier pas encourageant. Je compte saisir la Commission européenne sur ce sujet rapidement.

« Établir la confiance dans l’Asie du Nord-Est »

Establishing confidence in Northeast Asia
Japan Times (États-Unis)

[AUTEUR] R. Amarjargal est ancien Premier ministre de Mongolie. Il est président de la Fondation Amarjagal et professeur à l’Institute of Economic Research de la Hitotsubashi University.

[RESUME] Les récents évènements en Corée du Nord démontrent la nécessité de créer un mécanisme pour maintenir la sécurité régionale. L’Asie du Nord-Est est en plein développement économique et politique, mais les relations régionales sont encore marquées par la Guerre froide. Il appartient aux gouvernements et aux ONG de les faire évoluer.
L’un des moyens de promouvoir la sécurité est de développer la coopération économique dans la région, tout comme l’ont fait d’autres pays dans le monde pour être plus forts face à la globalisation. Pour avancer, il faut écouter les hommes d’affaires, moins influencés par les idéologies que les hommes politiques et les bureaucrates, et mettre en place cette coopération dans un cadre strictement économique, laissant de côté les considérations politiques.