« La gauche ne devrait pas pleurer si Saddam est renversé »

The left should not weep if Saddam is toppled
The Guardian (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Tony Blair est le Premier ministre britannique. Il prononce aujourd’hui un discours devant le séminaire préparatoire de la conférence sur la gouvernance progressiste qui se tiendra à Londres en juillet.

[RESUME] Notre approche de l’Irak reste dans la droite ligne des principes progressistes qui nous guident dans notre politique. Nous estimons que si Saddam Hussein désobéit à l’ONU, la volonté des Nations Unies doit être défendue et que ce dictateur ayant le régime le plus brutal de la planète, personne à gauche ne devrait pleurer sa chute.
Notre démarche et notre combat contre la prolifération des armes de destruction massive entrent dans le cadre plus large de notre agenda international qui inclut également la recherche de la paix au Proche-Orient, l’action contre la pauvreté et le changement de climat. Cette politique s’inscrit dans la tradition travailliste adaptée au monde moderne :
 Dans le domaine économique, nous défendons une discipline fiscale tout en investissant dans le capital humain, la science et les transferts de technologies.
 Dans la société civile, nous défendons le respect de la loi, des libertés individuelles et le sens des responsabilités.
 Dans les services publics, nous investissons pour assurer l’égalité des chances.
 En politique étrangère, nous défendons une justice globale.
Cette approche a permis de concilier des positions qui semblaient inconciliables à la gauche par le passé et a permis de rassembler les démocrates états-uniens et les sociaux-démocrates européens tout en tenant compte des transformations qu’a connu le monde depuis la fin de la bulle spéculative des nouvelles technologies et depuis le 11 septembre.

« Nous devons gérer l’Irak »

Iraq has to be dealt with
International Herald Tribune

[AUTEUR] John Howard est le Premier ministre australien. Il devait rencontrer le président états-unien George W. Bush à Washington aujourd’hui. Cette tribune est extraite d’un discours prononcé devant le Parlement australien le 4 février.

[RESUME] En Irak, c’est toute la crédibilité de l’ONU qui est en jeu. Ce pays ne doit plus pouvoir posséder d’armes de destruction massive et le monde ne doit plus tolérer cette menace.
Saddam Hussein veut dominer tout le Proche-Orient et pour cela il développe un programme d’armement chimique, biologique et nucléaire. L’Irak ne considère pas ce type d’arme comme un dernier recours et les a déjà utilisées contre ses voisins et contre son propre peuple. Si on ne désarme pas Saddam Hussein, les voisins de l’Irak seront dans l’obligation, pour se défendre, d’acquérir également des armes de destruction massive et le comportement du dictateur irakien sera imité par d’autres États voyous. Cela augmentera le risque que ces armes soient utilisées ou qu’elles tombent dans les mains d’organisations terroristes. Risque d’autant plus grand que l’Irak a une longue histoire de liens avec ces organisations.
Même si de trop nombreux pays possèdent des armes de destruction massive, deux seulement ont osé violer le traité de non-prolifération nucléaire : l’Irak et la Corée du Nord. Si la Corée ne l’a fait que récemment, cela fait douze ans que Bagdad bafoue ces règles. C’est pour cela que nous devons agir contre ce pays. Si le Conseil de sécurité ne fait rien, il perdra toute crédibilité.

« Les données brutes fournissent rarement des certitudes »

Raw Data Rarely Produce Certainty
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] William M. Arkin est analyste en questions militaires, rédacteur du site internet The U.S. Military Online. Il est chroniqueur du Los Angeles Times.

[RESUME] Il y a trois semaines, un fonctionnaire de l’administration Bush m’appelait pour me demander l’autorisation d’utiliser une photographie que j’avais prise, en 1991, d’un immeuble irakien bien camouflé, afin de la reproduire dans une publication justifiant le renversement militaire de Saddam Hussein intitulée « Apparatus of Lies ».
Le bâtiment en question avait été bombardé pendant la Guerre du Golfe. Les responsables militaires états-uniens de l’époque avaient affirmé qu’il s’agissait d’une usine produisant des armes biologiques masquée par une usine de lait en poudre, tandis que les Irakiens avaient prétendu qu’il ne s’agissait que d’une usine de lait en poudre.
La Defence Intelligence Agency étudiait ce centre comme pouvant potentiellement produire des armes biologiques depuis 1988, mais n’avait aucune certitude, simplement des soupçons. Ceux-ci se fondaient sur les efforts exceptionnels entrepris par les Irakiens pour la protéger et la camoufler. C’est sur la base de cette présomption qu’elle a été bombardée. Il se trouve que des inspections ultérieures ont confirmé qu’il s’agissait bien d’une usine d’armement.
Cette histoire illustre toute la différence qui existe entre le renseignement et la prise de décision, les différences entre les interprétations et la certitude. Ainsi, le dossier de Colin Powell est, à l’origine, une succession de données brutes qui ont été interprétées par des analystes. Même les plus sophistiqués des services de renseignements ne peuvent supprimer la marge d’imprécision et d’incertitude, ni faire l’économie de la décision politique. Je ne remets pas en cause la sincérité de Colin Powell ou celle de l’administration Bush, mais il est possible qu’il aille trop loin dans l’interprétation de renseignements qui ne sont que des données, pas des preuves. De même, la Maison-Blanche croit sans doute sincèrement posséder les preuves des liens entre Saddam Hussein et Al Qaïda.

« Un manque évident d’intelligence »

A distinct lack of intelligence
The Daily Telegraph (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Con Coughlin est l’auteur de Saddam, the Secret Life, une biographie à charge de Saddam Hussein.

[RESUME] En tant que personne ayant passé de nombreuses années à étudier la vie et les crimes de Saddam Hussein, j’ai été surpris des derniers efforts du gouvernement pour convaincre une opinion publique britannique sceptique que les armes de destruction massive de Saddam Hussein posaient une menace pour le monde entier. Le rapport rendu public par Tony Blair comprenait des éléments raisonnables concernant les mensonges de Saddam Hussein à l’ONU et les sévices qu’il fait subir à son propre peuple, mais la partie concernant la structure du système de sécurité irakien ne menait à rien et avait en réalité était recopiée des travaux d’un étudiant californien, Ibrahim Al-Marashi.
Alastair Campbell, le directeur de communication de Tony Blair et son ministre de la propagande anti-Saddam a reconnu que 11 pages sur 19 de ce rapport, que Colin Powell avait présenté comme un élément de poids prouvant la culpabilité de l’Irak, n’étaient que du remplissage.
Ce document est l’illustration des tensions entre les services de renseignements, voulant garder leurs informations secrètes, et M. Campbell, qui a pour mission de convaincre l’opinion britannique. Vu ce que les services de renseignements ont accepté de voir diffuser, Campbell a été obligé de prendre des éléments ailleurs pour donner plus de poids au dossier. Ce faisant, il a gravement endommagé la crédibilité du gouvernement et celle des services de renseignements, tout en perdant toute chance de convaincre l’opinion britannique concernant l’Irak.

[CONTEXTE] Sur cette question, lire également « Tony Blair avoue le bidonnage du rapport britannique contre l’Irak » et concernant le rôle d’Alastair Campbell :
« Le Royaume-Uni et les États-Unis font propagande commune ».

« Une haine contre-terroriste »

Counter terrorist hatred
The Washington Times (États-Unis)

[AUTEURS] Wolfgang Ischinger et Boudewijn J. van Eenennaam sont, respectivement, ambassadeur d’Allemagne et des Pays-Bas aux États-Unis.

[RESUME] La reprise des combats dans la région de Spin Boldak a montré aux gouvernements néerlandais et allemand que la guerre en Afghanistan n’est pas terminée. Ils restent impliqués dans la lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, l’International Security Assistance Force (ISAF) de l’ONU en Afghanistan est actuellement sous la direction du général Norbert Van Heyst.
Il reste de nombreux fanatiques en Afghanistan et les combats continuent, toutefois. Il ne faut pas considérer cette guerre seulement comme une chasse à l’homme contre des individus, c’est aussi une guerre contre les causes du terrorisme. Pour lutter contre le terrorisme, il faut faire de l’Afghanistan un pays prospère, gagner la confiance des populations et organiser un système éducatif prônant la tolérance pour lutter contre les prophètes de la haine. Cependant, la première condition pour assurer la stabilité, c’est la sécurité. Cela nécessite un engagement sur le long terme. L’OTAN a la capacité d’assumer ce type de mission et de combattre le fanatisme, la haine et la violence en Afghanistan et ailleurs.

« Comment allons nous gérer le pétrole ? »

How Will We Manage the Oil ?
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Michael J. Economides est professeur au Cullen College of Engineering de l’University of Houston et l’auteur de The Color of Oil.

[RESUME] Après avoir envahi l’Irak, les États-Unis vont devoir se plier aux règles d’occupation définies par la convention de Vienne de 1969. Or, selon ces règles, la prise de contrôle du pétrole irakien par les États-Unis, que certains présentent comme le but de guerre réel, est un crime de guerre. C’est pour cette raison que de nombreux responsables militaires expriment leur scepticisme concernant la période d’occupation de l’Irak.
Selon cette convention, les ressources d’un pays ne peuvent pas être utilisées au profit de l’occupant, sauf pour payer les frais d’occupation. Et les habitants ne peuvent pas être contraints à travailler au bénéfice de l’occupant. Ainsi, en Irak, une partie du pétrole pourrait permettre de financer l’occupation du pays, mais le reste ne pourrait être utilisé qu’au bénéfice de l’Irak et des Irakiens. Les États-Unis vont donc devoir gérer les énormes réserves de l’Irak en tenant compte des problèmes techniques, économiques et légaux. Ils vont devoir prendre un certain nombre de décisions concernant le niveau de production qui auront un impact sur les prix mondiaux tout en respectant la Convention de Vienne. Il leur faudra également choisir quelles compagnies extrairont le pétrole.

« L’option nucléaire avance lentement »

Nuclear option creep
Christian Science Monitor (États-Unis)

[AUTEUR] J. Peter Scoblic est rédacteur d’Arms Control Today, la publication mensuelle de l’Arms Control Association à Washington, D.C.

[RESUME] L’administration Bush étudie la possibilité d’utiliser l’arme nucléaire de façon préventive contre l’Irak. Ce serait une erreur car cela convaincrait les États voyous qu’ils doivent absolument posséder ce type d’arme pour se protéger des attaques états-uniennes.
Jusqu’ici, la règle a toujours été pour les États-Unis que notre pays n’utiliserait pas l’arme atomique contre un État n’en possédant pas ou n’étant pas allié à une puissance la possédant, sauf si le pays en question avait utilisé des armes chimiques ou biologiques. Aujourd’hui, d’après William Arkin, le Pentagone veut remettre en cause cette doctrine nucléaire et envisage son utilisation contre des installations souterraines irakiennes ou pour empêcher l’utilisation d’armes chimiques ou biologiques par Saddam Hussein.
Le traité de non-prolifération nucléaire se fondait sur l’idée que plus le nombre de pays possédant l’arme atomique est élevé, plus le risque de leur utilisation l’est ; plus la menace d’une attaque nucléaire est grande, plus le nombre de pays cherchant à la posséder est grand. Il ne faut pas changer la doctrine nucléaire, sous peine de briser les efforts pour empêcher des pays comme l’Iran, la Corée du Nord, la Libye et la Syrie de posséder l’arme atomique.

« Qui est terroriste, M. Poutine ? »

Qui est terroriste, M. Poutine ?
Le Monde (France)

[AUTEUR] André Glucksmann est philosophe et essayiste.

[RESUME] Tout comme le Rwanda il y a dix ans, la Tchétchénie est oubliée et ne suscite aucune mobilisation. Pourtant, aujourd’hui, au nom de la lutte contre le terrorisme, une capitale de 400 000 habitants a été rasée. George W. Bush a même félicité Vladimir Poutine pour avoir résolu la prise d’otage de Moscou, sans s’arrêter sur la méthode qui avait été employée, ni sur les causes de cette prise d’otage. Oui, la prise d’otage de Moscou était un acte terroriste, mais la politique de Moscou en Tchétchénie ne l’était pas moins.
L’expérience Tchétchène dramatise une controverse décisive sur la définition du terrorisme en jeu depuis le 11 septembre. Les démocraties définissent le terroriste comme un homme en arme (quelle que soit sa bannière) qui agresse délibérément des êtres désarmés, tandis que les gouvernements russes et chinois, notamment, présentent le terroriste comme un irrégulier qui met en cause une autorité établie (quoi qu’elle fasse). C’est au nom de cette deuxième définition que Poutine conseille au journaliste curieux d’aller se faire castrer et maintient la Tchétchénie dans la « nuit et le brouillard ».
La Tchétchénie pose plus largement le problème de l’édification d’une dictature en Russie puisque cette guerre est l’excuse qui permet de museler les mass media. Elle pose également un problème mondial : le silence de l’humanité face au drame tchétchène augurant mal de son avenir. L’Europe de l’Ouest s’est constituée dans un triple refus, celui du nazisme et des nationalismes racistes, celui de Staline et du rideau de fer et celui des aventures coloniales. En se taisant et en acceptant tacitement le massacre des Tchétchènes, l’Europe se renie elle-même.