La contrainte pesant sur les budgets de la défense et la durée des cycles classiques d’acquisition ont conduit certains pays européens à rechercher des modes de financement permettant de différer ou d’étaler dans le temps leur charge financière. Il convient d’examiner en détail ces formules, qui amènent les administrations concernées à associer des tiers publics ou privés aux risques inhérents aux programmes d’infrastructures et de matériels, afin de voir dans quelle mesure elles pourraient éventuellement être mises en pratique par le ministère de la défense. Ces financements innovants (private finance initiative - PFI -, crédit-bail ou emprunt) suscitent de multiples attentes, parce qu’ils sont supposés faciliter le lissage du cycle budgétaire et la " sanctuarisation " des crédits affectés aux matériels.

Le Royaume-Uni a fait _uvre de pionnier en mettant en place, à partir de 1992, une politique de financement privé d’investissements publics : la PFI. Aux termes de ce mode de financement, les investissements dans certains types de matériels et les risques qui y sont associés sont financés par un opérateur privé, le plus souvent le constructeur de l’équipement, en contrepartie d’une redevance fixe, versée sur une durée assez longue par l’Etat. Ces dépenses ne peuvent faire l’objet de mesures de régulation budgétaire. Intervenu dans un contexte budgétaire favorable, le recours à ce mécanisme s’inscrit dans une logique d’accroissement capacitaire.

Cette procédure, largement utilisée pour le soutien de certains équipements (bâtiments de la Royal navy, Tornado de la Royal air force) présente néanmoins des limites : la PFI n’est envisageable que s’il existe une offre commerciale susceptible de répondre aux besoins de la défense ; la sélection des offres est plus complexe que pour une acquisition classique, car les critères d’évaluation dépassent le prix pour intégrer le degré de risque que l’opérateur accepte de prendre et l’ampleur des innovations qu’il envisage ; enfin, il convient de bien mesurer les clauses du contrat de PFI, car celui-ci engage les parties pour une longue durée. Il semblerait en outre que le commandement britannique porte une appréciation nuancée sur l’application du concept de PFI aux tâches de soutien des matériels, notamment en raison du constat assez fréquent de malfaçons. L’expérience appelle donc à observer une certaine prudence en ce domaine.

La PFI n’est pas l’unique moyen de desserrer la contrainte budgétaire pour réaliser des investissements : il existe également des modes de financement échelonnés, reposant soit sur des emprunts bancaires ou des avances publiques, soit sur le crédit-bail. Ces deux méthodes reviennent à recourir à l’endettement pour lisser la dépense dans le temps et permettre de faire face à de nouvelles dépenses d’équipement à budget constant.

En Italie comme en Espagne, les emprunts ont pris la forme d’avances budgétaires consenties par les ministères de l’industrie ou de la technologie, en raison des implications économiques des programmes d’armement en cause. En France, on peut considérer que c’est l’inverse qui se produit, puisque le ministère de la défense finance une partie du budget civil de recherche et de développement (190 millions d’euros en 2002), rattaché au ministère de la recherche. De toute manière, la solution de l’emprunt n’est pas vraiment satisfaisante : les avances consenties par un autre ministère ne font que déplacer le problème des remboursements et, si la créance est annulée, le déficit budgétaire s’en trouve accru d’autant.

Le crédit-bail, c’est-à-dire la location de matériels avec parfois une option d’achat, est une autre possibilité, expérimentée avec plus ou moins de succès par l’Italie, comme l’illustre l’encadré ci-après, l’Espagne et le Portugal, où deux lois organiques de 1999 et 2001 encadrent cette pratique, en la limitant à 30 % des dépenses annuelles d’équipement.

L’EXPÉRIENCE ITALIENNE DU CRÉDIT-BAIL

En 1994, l’Italie a acquis 24 Tornado en leasing auprès du Royaume-Uni, pour une durée de dix ans. La solution ne fut pas concluante : elle s’avéra en effet des plus coûteuses pour le maintien en condition opérationnelle des matériels.

La solution du leasing de 24 F 16 américains fut cependant elle aussi préférée à l’acquisition classique de Mirage 2000, dans l’attente de la mise en service de l’Eurofighter. L’originalité de cette seconde opération fut de louer non plus des appareils, mais 8000 heures de vol par an pour une durée de cinq à six ans. Les seules charges que doit supporter l’armée de l’air italienne, hors annuités de crédit bail, sont les coûts de carburant et d’entretien courant. Les budgets annuels sont dégagés par le retrait anticipé d’appareils obsolètes.

Seule la solution d’une location d’un nombre d’heures d’utilisation opérationnelle de certains équipements (aéronefs de transport, voire de combat, véhicules de transport de troupes ou navires rouliers civils destinés à la projection d’unités, par exemple) peut se révéler intéressante, du point de vue de ses coûts. Il ne peut donc s’agir que de commodités visant à lisser les annuités de certains achats, lorsque le contexte budgétaire n’est pas favorable.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr