Le traité ABM et ses aménagements

Le traité ABM, dont le texte est reproduit en annexe, a été signé le 26 mai 1972 par MM. Nixon et Brejnev en même temps que les accords SALT 1 sur la limitation des armes stratégiques offensives. Il a été amendé en 1974, puis précisé en 1997 par des accords d’interprétation qui ne sont cependant toujours pas entrés en vigueur.

En son état actuel, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur, en 1976, du protocole signé en 1974, le traité ABM repose sur les principales dispositions suivantes :

· chaque partie s’engage à limiter les systèmes antimissiles balistiques (ABM) conformément aux dispositions du traité,

· chaque partie s’engage à ne pas mettre en place de système ABM pour la défense de son territoire et à ne pas fournir la base d’une telle défense,

· le déploiement d’un système ABM n’est autorisé que sur un seul site ( le nombre de sites autorisés, fixé à deux en 1972, ayant été ramené à un seul par le protocole de 1974), se situant dans un rayon de 150 kilomètres autour de la capitale nationale ou autour des silos de lancement de missiles balistiques intercontinentaux,

· le site choisi peut être modifié une seule fois,

· un tel système ABM, ou l’un de ses composants, ne saurait être basé en mer, en l’air ou dans l’espace, ni sur des plates-formes terrestres mobiles,

· il ne saurait comporter plus de 100 lanceurs ABM et 100 missiles intercepteurs, chaque lanceur ne pouvant lancer plus d’un missile intercepteur,

· les radars ABM doivent être situés sur les sites de défense ABM autorisés, de nouveaux radars d’alerte avancée n’étant envisageables qu’en périphérie du territoire de la partie concernée et orientés vers l’extérieur.

· le transfert à d’autres Etats ou le déploiement hors du territoire national de chaque partie des systèmes ABM ou de leurs composants est prohibé.

A partir de 1992, s’est engagé, entre Etats-Unis et Russie, une négociation visant non à modifier le traité, mais à établir une " démarcation " dans son champ d’application, l’objectif étant de permettre un déploiement de défenses antimissiles de théâtre. Ces discussions n’ont abouti que plusieurs années plus tard, un accord étant signé le 26 septembre 1997 à Helsinki entre les présidents Clinton et Eltsine.

Cet accord, qui n’est toujours pas entré en vigueur, comportait plusieurs volets :

 un mémorandum désignant la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan comme Etats successeurs de l’Union soviétique,

 un protocole sur les défenses antimissiles de théâtre " basse vélocité ", autorisant le déploiement d’intercepteurs de vitesse inférieure à 3 km/seconde et 3 500 km de portée ; cet accord permettrait aux Etats-Unis de déployer des systèmes PAC-3, THAAD et Navy Area,

 un protocole sur les défenses antimissiles de théâtre " haute vélocité ", couvrant les intercepteurs d’une vitesse supérieure à 3 km/ seconde et interdisant l’essai de tels systèmes contre des missiles dépassant les 5 km/seconde et les 3 500 km de portée, ainsi que le déploiement ou l’essai de composants basés dans l’espace ; les Etats-Unis considérent que cet accord couvre leur système Navy Theater Wide.

La NMD et le traité ABM

La compatibilité de la NMD avec le traité ABM fait l’objet de plusieurs controverses dans le débat interne américain tout comme dans les discussions américano-russes.

Sans entrer dans le détail d’un débat juridique complexe ni déclarer d’emblée, à l’instar de certains analystes républicains, que le traité ABM est caduc depuis la disparition de l’URSS, on peut retenir trois points essentiels :

 le programme NMD comporte plusieurs éléments qui semblent directement contraires aux dispositions du traité ABM,

 l’administration américaine propose donc à la Russie plusieurs amendements au traité,

 certaines décisions relatives à la NMD, si elles demeuraient très limitées, pourraient cependant être mises en oeuvre sans attendre cette révision.

Premièrement, plusieurs éléments du programme NMD paraissent directement contraires au traité ABM. C’est le cas del’objectif même de la NMD, à savoir la protection de l’ensemble du territoire américain, le traité ne permettant que celle d’une région particulière, précisément définie. C’est le cas également du nombre de sites envisagé, fixé à deux dans la dernière phase du programme alors que le traité n’en autorise qu’un seul. Les Etats-Unis ont en outre déclaré comme site ABM leur base de lancement de missiles balistiques intercontinentaux de Grand Forks, au Dakota du Nord, alors qu’ils souhaitent construire leur premier site de lancement en Alaska. Cette localisation était la seule à même de couvrir l’intégralité du territoire américain, incorporant les régions excentrées de l’Alaska et l’Etat de Hawaï. Or l’Alaska n’abrite ni la capitale nationale, ni un site de lancement de missiles balistiques intercontinentaux, et ne peut donc accueillir une défense ABM en l’état actuel du traité. Serait également contraire au traité le déploiement de plus de 100 lanceurs sur un seul site. Le traité ABM comporte également plusieurs stipulations relatives aux moyens d’alerte et de surveillance qui paraissent incompatibles avec le schéma de déploiement de la NMD, qu’il s’agisse de la mise à niveau des radars d’alerte rapide situés dans les pays étrangers (Royaume-Uni, Danemark) et, a fortiori, la construction, dans ces pays, de radars " en bande X ", ou encore des satellites " SBIRS-Low " dotés d’une capacité de trajectographie et de discrimination qui les feraient entrer dans le champ des composantes spatiales d’une défense ABM proscrites par le traité.

Deuxièmement, l’administration américaine a entrepris avec la Russie une négociation sur la base de propositions d’amendement au traité ABM. La démarche suivie par les Etats-Unis ne consiste pas à rechercher d’emblée une modification du traité ABM autorisant le déploiement de l’ensemble de la NMD, telle qu’envisagée dans sa phase finale, mais vise à procéder à des révisions par étape en se limitant, dans un premier temps, à modifier les obstacles au déroulement de la première phase de programme, c’est-à-dire la construction d’un radar " en bande X " et d’un site d’intercepteurs en Alaska.

Bien que les propositions d’amendement américaines n’aient pas été rendues publiques, elles ont été évoquées dans la presse et porteraient sur les points suivants :

· le traité autoriserait le déploiement d’un système limité de défense nationale antimissiles, qui constituerait une alternative, et non un complément, au site ABM autorisé par le traité,

· les radars de longue portée existants pourraient être intégrés à la NMD et chaque partie pourrait déployer un radar ABM supplémentaire sur son territoire,

· un système de vérification destiné à renforcer la confiance entre les parties serait mis en place.

Troisièmement, l’absence d’accord américano-russe sur les amendements du traité ABM ne gèle pas toute avancée de la NMD.

En dehors de l’hypothèse du retrait unilatéral du traité, prévu avec un préavis de six mois par son article XV, si l’une des parties invoque " des événements extraordinaires " ayant compromis ses intérêts supérieurs, l’administration américaine peut ainsi poursuivre les études ou les essais, y compris de systèmes nouveaux, préalablement à la décision de déploiement.

Elle pourrait également décider le démarrage des travaux destinés à la construction du radars " en bande X " sur l’île de Shemya en se limitant aux infrastructures de base (socle en béton, barres métalliques). Une telle option conservatoire, considérée comme compatible avec le traité ABM par les juristes du Pentaagone, bien que l’interprétation prévalant jusqu’alors excluait tout début de construction d’éléments d’un système ABM, présenterait pour l’actuelle administration l’avantage de respecter son calendrier en repoussant à une date ultérieure la conclusion d’un accord avec la Russie. Les premiers travaux pourraient donc être engagés au printemps prochain sur cette île dont les conditions climatiques sévères n’autorisent que quelques semaines de travail par an.


Source : Sénat (France) : http://www.senat.fr