La Russie a pour l’instant refusé d’envisager la révision du traité ABM souhaitée par les Etats-Unis, sans que l’on puisse pour autant écarter toute évolution ultérieure de sa position.

Le refus russe de modifier le traité ABM

Le refus russe de modifier le traité ABM a été exprimé très nettement à plusieurs reprises et, en dernier lieu, lors de la visite officielle du Président Clinton à Moscou du 3 au 5 juin dernier.

Lors de l’approbation par le Parlement russe de l’accord de réduction des armes stratégiques START II, le Président Poutine a subordonné l’application de cet accord à la renonciation des Etats-Unis à la modification et, a fortiori, à la dénonciation du traité ABM. Il a également conditionné cette entrée en vigueur à la ratification, par le Sénat américain, des protocoles, signés en septembre 1997 à Helsinski, le premier repoussant l’application de START II au 31 décembre 2007 et le second opérant une " démarcation " dans le champ d’application du traité ABM afin d’en exclure les défenses antimissiles de théâtre. Ce dernier protocole est manifestement incompatible avec les exigences américaines actuelles puisqu’il confirme, a contrario, que la NMD ne peut être déployée sans contrevenir au traité ABM. 

Ce refus de la Russie s’appuie sur deux types de considérations :

 les unes d’ordre général et relatives à la contestation de l’utilité de la NMD et aux risques de course aux armements inhérents à son déploiement,

 les autres, beaucoup plus directement liés à ses propres impératifs de sécurité.

Au rang des critiques d’ordre général, la Russie fait valoir que la présentation américaine de la menace n’est pas conforme à la réalité et qu’en tout état de cause, l’hypothèse de l’agression délibérée des Etats-Unis par une " rogue state " est peu plausible. La Corée du Nord, aux prises avec des difficultés économiques considérables, ne lui semble pas pouvoir développer un programme balistique ambitieux, ni se risquer à défier les Etats-Unis par une attaque balistique.

La Russie souligne par ailleurs le rôle joué par le traité ABM en faveur de la stabilité stratégique et le risque important de " nouvelles spirales de la course aux armements ", selon l’expression employée par le ministre des affaires étrangères, M. Ivanov, qu’entraînerait le déploiement de la NMD.

Mais la Russie redoute également les conséquences de la NMD sur son propre système de défense, et notamment sur la crédibilité de la dissuasion nucléaire. En effet, elle considère que le système limité proposé par l’administration américaine pourrait être perfectionné avec le temps et dépasser les caractéristiques actuellement envisagées, ce qui pourrait, à terme, affaiblir les capacités de son arsenal nucléaire par ailleurs en voie de réduction.

Les conséquences de la NMD sur la politique de défense russe

Dans l’hypothèse d’un désaccord persistant sur la révision du traité ABM et d’un déploiement unilatéral de la NMD par les Etats-Unis, la Russie a fait connaître son intention de prendre des " mesures en retour ". Ces dernières pourraient concerner le relèvement de son propre système de défense antimissiles ou la conduite d’une politique nucléaire militaire plus ferme. Si les difficultés économiques actuelles nourrissent des doutes sur les capacités russes à entretenir et, a fortiori, à développer son arsenal nucléaire, une dénonciation du traité ABM pourrait conduire la Russie à ne pas appliquer les accords START II, par exemple en ne démantelant pas ses missiles à têtes multiples, ce qui lui permettrait de maintenir davantage de têtes nucléaires.

En dépit de cette position de principe, qui pourrait perdurer jusqu’à l’élection du nouveau président américain, l’éventualité d’un accord russo-américain ne doit pas être écartée.

La Russie pourrait en effet maintenir son refus jusqu’à l’obtention, de la part des Etats-Unis, de contreparties suffisamment substantielles. Ces derniers auraient ainsi déjà proposé de reprendre le programme d’observation RAMOS (Russian-american observationnal satellite), le partage de renseignements ou une coopération pour la remise à niveau des radars d’alerte avancée, autant de mesures qui ne semblent pas, pour l’instant, susciter l’intérêt des Russes.

La Russie pourrait également tenter d’obtenir satisfaction sur ses demandes, dans le cadre de la négociation d’un accord START III, en vue d’abaisser à 1 500, au lieu des 2 000 à 2 500 envisagées en 1997, le nombre de têtes de chacun des deux arsenaux nucléaires. Ce niveau est en effet plus compatible avec les possibilités financières de la Russie et lui permettrait donc de réduire ses coûts de maintien en condition tout en préservant la parité avec l’arsenal américain.

Elle pourrait enfin chercher à lever, dans ce futur accord START III, l’interdiction des missiles sol-sol à têtes nucléaires multiples prévue par START II. Déliée de son obligation de démanteler ses têtes multiples, elle aurait ainsi l’opportunité de diminuer plus rapidement le nombre de ses missiles pour alléger sa contrainte financière sans réduire dans la même proportion le nombre de ses têtes nucléaires.


Source : Sénat (France) : http://www.senat.fr