Les missiles balistiques constituent les vecteurs privilégiés des armes de destruction massive, nucléaires, bactériologiques ou chimiques, et se caractérisent par leur capacité de frappe à distance très supérieure à celle d’un avion ou d’un missile de croisière grâce à leur vitesse très élevée (de 1 à 5 kilomètres par seconde), qui permet une durée de vol extrêmement brève, et à leur trajectoire, qui se déroule en majeure partie dans l’espace exoatmosphérique, à une altitude comprise entre 100 et 1 000 km. La défense contre les missiles balistiques exige donc des propriétés très différentes de celle contre les avions ou les missiles de croisière, puisqu’il s’agit d’être en mesure, dans des délais très brefs, de détecter, de suivre puis d’intercepter des cibles extrêmement rapides, qui peuvent de surcroît se disperser lors de leur rentrée dans l’atmosphère.

Les Etats-Unis, comme l’Union soviétique, s’étaient depuis longtemps préoccupés de mettre au point des systèmes de défense antimissiles qui sont toutefois rapidement apparus d’un intérêt restreint face à des arsenaux nucléaires très développés, puis ont été sérieusement limités dans le cadre de la doctrine de la " destruction mutuelle assurée ". La prolifération balistique, touchant des Etats envers lesquels la dissuasion nucléaire n’apparaissait pas aussi déterminante, a relancé l’intérêt de ces programmes.

DÉPENSES ENGAGÉES AUX ETATS-UNIS POUR LES PROGRAMMES DE DÉFENSE CONTRE LES MISSILES BALISTIQUES (1957-1999)

en milliards de dollars 2000

Programmes Coût
Nike Zeus 1962-1965 3,5
Nike X 1964-1968 10,0
Safeguard 1968-1978 23,1
IDS - NMD - TMD 1987-1999 68,7
Autres 1957-1999 16,6
122,0

(Source : Atomic Audit, S. Schwartz - Brookings Institution Press (1998), mis à jour par L. Heeter, Center for Strategic and Budgetary Assessments (mars 2000))

La défense antimissiles face à la menace soviétique : des années 1950 à l’Initiative de défense stratégique

Amorcées aux lendemains de la seconde guerre mondiale, après que l’Allemagne eut lancé ses missiles V2, les recherches sur la défense antimissiles aux Etats-Unis ont été activées à partir de 1957. C’est en effet au cours de cette année, qui vit également le lancement par les Soviétiques du satellite Spoutnik, que fut lancé le programme de défense antimissiles Nike Zeus, devenu quelques années plus tard Nike X, et destiné à tenter de répondre à la menace provenant d’un arsenal nucléaire soviétique en rapide progression. Imaginé autour d’intercepteurs lancés à partir de quelques 3 600 satellites évoluant en orbite basse, ce projet est abandonné en 1964 pour des raisons tant technologiques que financières. Le programme de défense antimissiles sera repris à partir de 1967 avec le projet Sentinel du Président Johnson, présenté comme devant protéger le territoire américain d’une attaque chinoise. Le système envisagé reposait sur une vingtaine de radars d’alerte et de désignation d’objectifs et sur 2 500 missiles dotés d’une charge nucléaire répartis sur 25 sites de lancement. Alors qu’à partir de 1966 les Soviétiques commencent à déployer leurs propres défenses antimissiles autour de Moscou, le Président Nixon réoriente en 1969 le programme Sentinel, rebaptisé Safeguard, en vue de défendre les silos de missiles stratégiques américains. Le déploiement n’est alors envisagé que sur deux sites de lancement.

La signature, le 26 mai 1972, du traité ABM (Anti-Ballistic Missiles) entre la Russie et les Etats-Unis marque une étape très importante dans l’évolution des programmes de défense antimissiles. Conscients des risques liés au développement parallèle des défenses antimissiles et des arsenaux nucléaires, les deux parties s’engagent à renoncer à une protection globale de leur territoire ou d’une région particulière de ce territoire, seuls deux sites de défense ABM étant autorisés, l’un pour la protection de la capitale, l’autre pour celle d’une base de missiles sol-sol, ces systèmes de défense ne pouvant par ailleurs être basés en mer, dans l’air, dans l’espace ou sur des plates-formes terrestres mobiles. En 1974, un protocole additionnel réduira le nombre de sites autorisés de deux à un seul pour chacune des parties.

Sur cette base, les Soviétiques ont mis en oeuvre un système de défense antimissiles balistiques autour de Moscou reposant sur un réseau de satellites d’alerte, plusieurs radars et un ensemble d’intercepteurs dotés de charges nucléaires.

Les Etats-Unis avaient, pour leur part, commencé à déployer, à partir de 1975, leur système Safeguard sur le site de Grand Forks (Dakota du Nord) abritant des silos de missiles sol-sol intercontinentaux. Toutefois, les doutes pesant sur l’efficacité du système face aux missiles soviétiques à têtes multiples et l’analyse des effets que produirait la détonation des charges nucléaires de l’intercepteur comme du missile intercepté conduisent le gouvernement américain à décider l’abandon du projet en janvier 1976.

Il faut attendre le discours dit de la " guerre des étoiles ", prononcé le 23 mars 1983 par le Président Reagan, pour voir spectaculairement relancé le thème de la défense antimissiles du territoire américain. En présentant l’Initiative de défense stratégique (IDS), le Président Reagan remettait en cause la notion de " destruction mutuelle assurée ", qui fondait la doctrine de dissuasion nucléaire, et proposait un bouclier spatial qui rendrait les armes nucléaires " impuissantes et obsolètes ". L’IDS avait en effet pour ambition de protéger les Etats-Unis d’une attaque massive de plusieurs milliers de têtes nucléaires soviétiques.

En janvier 1984 était créée l’Organisation pour l’initiative de défense stratégique (SDIO) en vue de rassembler et de regrouper tous les programmes de recherche menés par le département de la Défense.

Il est difficile de décrire précisément les systèmes envisagés dans le cadre de l’IDS tant ont été rassemblés sous cette appellation un grand nombre de programmes de défense antimissiles. Le concept de déploiement défini en 1988 prévoyait une première phase censée parer l’attaque de la moitié des missiles SS-18 soviétiques, grâce à divers types de capteurs à terre ou dans l’espace et à deux types d’intercepteurs, l’un basé à terre et l’autre dans l’espace (Brillant Pebble). Le système devait ultérieurement être complété par d’autres capteurs ainsi que par plusieurs autres moyens de destruction des missiles ennemis, notamment un laser spatial, un laser basé à terre et un canon à très haute vitesse.

L’IDS marque une étape importante dans les programmes américains de défense antimissiles avec l’abandon du concept d’interception indirecte par des missiles dotés de têtes explosives, à l’instar des défenes ABM déployées autour de Moscou pourvues de charges nucléaires, et le choix de techniques d’interception directe par collision (concept hit to kill) exigeant un degré de précision beaucoup plus élevé.

Caractérisée par l’utilisation de technologies spatiales et la recherche d’une destruction précoce des missiles durant leur phase de propulsion, l’IDS a constitué un important moyen de pression américain sur l’Union soviétique en vue de la conduire à négocier dans le domaine du désarmement. Plus de 26 milliards de dollars auraient été consacrés, dans le cadre de l’IDS, à des programmes de recherche dont les retombées, dans le domaine de la défense antimissiles comme dans d’autres secteurs technologiques, ont été très conséquentes.

La fin de la guerre froide et la réorientation vers la protection contre des frappes limitées : du GPALS à la NMD

Dans un discours prononcé le 29 janvier 1991, le Président Bush, tirant les conséquences de l’évolution du contexte stratégique et des évaluations menées par la SDIO, annonçait la fin de l’IDS et le lancement d’un nouveau programme axé sur la défense contre une frappe balistique limitée, accidentelle ou non autorisée. Le programme GPALS (Global Protection Against Limited Strikes) devait permettre de répondre à une menace de 200 têtes nucléaires. Composé, dans sa configuration initiale, de 750 intercepteurs basés à terre sur le site de Grand Forks, de 1 000 intercepeurs basés dans l’espace, de satellites d’alerte et de radars, ce système devait protéger l’ensemble des Etats-Unis, y compris Hawaï et l’Alaska. Tout en comportant des éléments spatiaux pour la surveillance et les communications, le programme s’éloignait toutefois du concept de bouclier spatial et reposait plus largement sur une défense basée à terre.

En 1991 toujours, le Congrès adoptait le Missile Defense Act qui entérinait l’idée d’une défense circonscrite à la protection des Etats-Unis contre des frappes balistiques limitées et fixant des objectifs dans trois secteurs différents :
 la défense antimissiles de théâtre (Theater Missile Defense - TMD),
 la défense nationale antimissiles (National Missile Defense - NMD),
 la recherche sur les intercepteurs spatiaux de destruction par énergie cinétique ou rayonnement dirigé (programme Brillant Pebbles).

La loi préconisait cependant une renégociation du traité ABM afin de préserver la stabilité stratégique.

L’élection du Président Clinton marque, dans un premier temps, une rupture assez nette, les négociations entreprises avec la Russie pour redéfinir le traité ABM et permettre le déploiement du système GPALS étant abandonnées et la priorité étant donnée à la défense contre les missiles de théâtre (TMD). Au demeurant, en mai 1993, la SDIO, créée par l’administration républicaine, est transformée en Ballistic Missile Defense Organisation (BMDO), signifiant que les préoccupations stratégiques passaient au second plan après la défense contre les missiles à courte portée susceptibles de frapper les troupes américaines engagées sur les théâtres extérieurs ou des alliés des Etats-Unis, notamment en Asie et au Moyen-Orient.

La National Missile Defense (NMD) entre alors dans une phase de veille technologique, les objectifs de déploiement étant abandonnés.


Source : Sénat (France) : http://www.senat.fr