1. L’élection de George W. Bush comme nouveau Président des Etats-Unis a renforcé les Américains dans leur sentiment que le problème se pose de savoir, non si un système national de défense antimissile balistique (NMD - National Missile Defense) sera établi, mais quand il le sera. La nouvelle administration s’est empressée de promettre des consultations avec les alliés à ce sujet et d’atténuer le caractère du qualificatif "national" en exprimant sa volonté de placer tous les alliés des Etats-Unis sous la protection d’un système antimissile. Les initiales "NMD" ont d’ailleurs cédé leur place aux initiales plus globalisantes "MD" (Missile Defense) dans les discours officiels des représentants du gouvernement américain. Depuis les attentats qui ont frappé les Etats-Unis le 11 septembre dernier, les débats autour de la nécessité d’une défense antimissile n’ont cessé d’être alimentés à la fois par les partisans et les détracteurs de ce système.

2. La raison pour laquelle les Etats-Unis souhaitent inclure leurs alliés européens dans ce projet de défense est évidente. Une Europe qui se sentirait vulnérable à des attaques de missiles n’encouragerait sans doute pas les Etats-Unis à recourir - et participerait encore moins à leurs côtés - à des interventions militaires dans le cadre de conflits régionaux. Or, les Etats-Unis ont besoin du soutien politique et militaire de leurs alliés pour mener à bien leurs interventions militaires. Un système de défense antimissile qui ne garantirait pas la sécurité de l’Europe pourrait donc avoir pour effet de distendre les liens transatlantiques. Dans le contexte actuel de " terreur " internationale, les Américains tentent donc de convaincre leurs alliés européens, ainsi que la Russie et la Chine, de la nécessité de la mise en place immédiate d’un tel bouclier.

3. Mais le principal obstacle, dans le domaine antimissile, reste le Traité sur la défense antimissile balistique de 1972 (Traité ABM - Anti-Ballistic Missile), qui interdit aux Etats-Unis et à la Russie de déployer des systèmes NMD, c’est-à-dire des systèmes qui protégeraient leur territoire national contre des attaques de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM - Intercontinental Ballistic Missile). Chaque camp est autorisé à conserver un petit site comportant 100 intercepteurs pour protéger sa capitale ou une installation de missiles offensifs, mais non l’ensemble de son territoire national. Les défenseurs du concept de maîtrise des armements, au premier rang desquels la Russie, font valoir que le Traité ABM - issu du dialogue SALT (Strategic Arms Limitation Talks) de 1969 à 1972 - a ouvert la voie aux traités sur la limitation et la réduction des armements stratégiques (START - Strategic Arms Reduction Treaty) en donnant à chaque partie l’assurance que les missiles subsistants seraient capables d’atteindre leurs cibles, ce qui permettrait le maintien d’une dissuasion à l’aide d’un plus petit nombre de missiles.

4. Nombre de partisans européens de la maîtrise des armements sont opposés à l’idée de ce bouclier antimissile car ils craignent que l’abrogation du Traité ABM ne conduise la Russie à abandonner le processus START et à conserver 6 000 missiles à un moment où elle ne peut pas se permettre de maintenir un tel arsenal en toute sécurité. Ils craignent aussi que la Chine ne se sente obligée d’augmenter considérablement son arsenal de 18-20 ICBM pour pouvoir continuer de se prémunir contre une attaque américaine, bien qu’elle ait adopté un ton plus conflictuel envers les Etats-Unis et qu’elle prévoie de toute manière de constituer cet arsenal. Toutefois, une montée en puissance de la Chine pourrait conduire à une course aux armements avec l’Inde et le Pakistan qui risquerait d’avoir des répercussions à l’échelle mondiale. En conséquence, l’intérêt des Européens est d’encourager des négociations entre les Etats-Unis et la Russie au lieu de se contenter de faire connaître leur hostilité ou leurs réserves.

5. C’est dans cette optique que l’Assemblée de l’UEO a recommandé au Conseil, dans le cadre de sa Quarante-septième session, le 17 mai 20012, "D’élaborer à 28, en tant que forum élargi de réflexion stratégique, une position commune en ce qui concerne une défense antimissile européenne, fondée sur une évaluation et une définition communes des dangers balistiques et sur l’élaboration d’un concept européen antimissile non stratégique, concept qui devrait harmoniser le programme antimissile américain, la proposition russe sur un Euro-ABM et les intérêts européens dans ce domaine, et de présenter cette proposition au sein de l’Alliance".

6. Les Européens doivent se poser la question des moyens propres dont ils disposeront pour la protection de leurs forces en opération : il n’est pas certain que l’on pourra dans l’avenir engager des forces sans couverture antimissile au moins basse couche, tout particulièrement dans les régions où la présence d’armes de destruction massive peut être suspectée. Les Européens doivent donc prendre une décision sur leur dépendance totale ou seulement partielle vis-à-vis des Etats-Unis (ou de l’OTAN) à cet égard3. Il demeure toutefois une différence importante entre la notion d’une défense nationale contre les ICBM, qu’interdit le Traité ABM, et une défense contre des missiles à plus courte portée, qu’il autorise. Les Etats-Unis et plusieurs autres pays de l’OTAN développent actuellement des systèmes de défense contre les missiles de théâtre (TMD) destinés à contrer des missiles de plus courte portée. L’OTAN a elle-même engagé une étude de faisabilité pour un système antimissile tactique qui est actuellement dans une phase d’appels d’offres aux industriels. La TMD englobe la défense contre toute la gamme de menaces à courte portée pesant sur les concentrations de troupes et elle va jusqu’aux systèmes à l’échelle du théâtre, dont le but est de protéger un territoire contre tous les missiles de portée inférieure à 3 500 km. Etant donné que plusieurs menaces de missiles potentielles se situent en deçà de cette distance de l’Europe, un système TMD pourrait servir à défendre la totalité du territoire national d’un pays européen. En revanche, les menaces pesant sur les Etats-Unis et le Canada proviendraient des ICBM.

7. De son côté, l’Assemblée de l’UEO a adressé à deux reprises au Conseil des recommandations sur ce thème. Tout d’abord, dans son rapport sur "La coopération transatlantique dans le domaine de la défense antimissile", présenté lors de sa Quarante-sixième session, le 6 décembre 2000, elle recommande au Conseil "De charger le Groupe de travail spécial de reprendre immédiatement sa réflexion sur la défense antimissile en lui assignant [...] d’établir un programme européen de R&D visant à démontrer les capacités techniques et industrielles de l’Europe dans ce domaine4". Puis, dans son rapport sur "La défense antimissile européenne : un rôle pour la Russie5", présenté lors de sa Quarante-septième session, le 17 mai 2001, elle lui recommande "D’utiliser le cadre du GAEO pour évaluer les incidences d’une défense antimissile sur l’industrie européenne en tenant compte du fait que les capacités technologiques et industrielles européennes seront dûment incorporées dans un éventuel système commun ; [et] que l’Europe doit se doter d’une capacité d’alerte précoce, telle qu’envisagée par la Déclaration de Noordwijk de l’UEO".

8. Malgré ces initiatives, l’intérêt des Européens pour une défense antimissile européenne demeure limité, et ils n’envisagent en tout état de cause que des systèmes basse couche. Seuls les Turcs souhaitent acquérir une défense du territoire (probablement contre les avancées balistiques iraniennes). Néanmoins, les contrats industriels de développement ne seront pas passés avant 2004. Les événements du 11 septembre dernier ont toutefois fait prendre conscience aux Quinze de la nécessité d’accélérer la mise en place d’une Europe de la défense et de la justice. Les chefs d’Etat et de gouvernement des Quinze ont en effet déclaré souhaiter rendre plus vite opérationnelle la politique de défense et de sécurité.

9. Ce rapport commencera par examiner l’état actuel et l’évolution probable du programme américain de défense antimissile à longue portée, ainsi que des programmes TMD dans le cadre de l’OTAN, avant d’évaluer les avancées du programme russe de défense antimissile. Il étudiera ensuite les positions chinoise, puis européenne dans ce débat, pour déboucher sur une analyse des capacités techniques et industrielles de l’Europe dans le domaine de la défense antimissile.


1 Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée le 5 décembre 2001, au cours de la onzième séance, sur la base du projet de recommandation amendé.

2 Document A/1737 sur " La défense antimissile européenne : un rôle pour la Russie ", présenté par Mme Kestelijn-Sierens et M. Martínez Casañ, 20 juin 2001.

3 Voir article de Camille Grand, "Missile Defense : The View From the Other Side of the Atlantic", Arms Control Today, septembre 2000.

4 Document A/1717 sur "La coopération transatlantique et la défense antimissile", présenté par M. Atkinson, 6 décembre 2000.

5 Document A/1737 sur la "Défense antimissile européenne : un rôle pour la Russie", présenté par Mme Kestelijn-Sierens et M. Martínez Casañ, 20 juin 2001.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/