« La Grande Bretagne côte à côte avec les États-Unis… si Bush peut construire un dossier d’accusation »

Britain Shoulder to Shoulder With the U.S. — if Bush Can Make the Case
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Graham Allen est député travailliste à la Chambre des communes. Il a voté contre une guerre prématurée en Irak

[RESUME] La semaine dernière, 199 députés britanniques, dont 121 du Parti travailliste, ont envoyé un message clair à Tony Blair et à George W. Bush en votant une motion affirmant que le dossier justifiant une guerre contre l’Irak ne prouvait rien.
Les Britanniques ne sont pas devenus plus complaisants avec Saddam Hussein ou avec les terroristes, mais ils ne sont pas convaincus que la guerre est juste ou nécessaire. Si Blair nous pousse à la guerre uniquement pour être aux côtés de Bush, il pourrait voir son gouvernement tomber. Le Premier ministre a affirmé qu’il repasserait devant les députés pour un vote final après l’adoption d’une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU. Il est probable que d’ici là, la rébellion parlementaire augmentera si l’ONU n’autorise pas la guerre ou qu’il n’y a toujours pas de preuves convaincantes. Nous sommes dans une démocratie et nous n’avons pas à suivre aveuglément le dirigeant de notre parti.
La guerre en Irak apparaît pour les Britanniques comme le fait d’une minuscule coterie autour de Bush. On ne nous a pas convaincu qu’elle entrait dans les intérêts britanniques. Les États-Unis sont notre meilleur ami et, à ce titre, il faut leur donner un bon conseil : la guerre en Irak doit rester le dernier recours.

« Qui est au pouvoir ? »

Who is in charge ?
Al-Ahram (Égypte)

[AUTEUR] Edward Saïd est un essayiste palestinien et professeur à l’Université de Columbia à New York (Son site).

[RESUME] La marche unilatérale des États-Unis vers la guerre est le symbole du détournement d’une République puissante par un petit groupe d’individus qui n’a jamais été élu.
La guerre qui se prépare est la plus impopulaire de l’histoire moderne alors que les États-Unis et leur ridicule toutou Tony Blair ne l’ont pas encore commencé. En raison de mon opposition à la guerre, des Koweïtiens m’accusent de soutenir Saddam Hussein, alors que j’avais dénoncé en 1985 le financement du fascisme Ba’asiste par le Koweït, pays fier alors de contribuer à la guerre contre "les Perses". Je ne tolère pas non plus, la posture ridicule de certains membres de l’opposition irakienne qui soutiennent l’impérialisme états-unien en prétendant qu’il amènera la démocratie en Irak.
Aujourd’hui, beaucoup d’États-uniens pensent qu’il est trop tard pour revenir en arrière et que leur pays court à la catastrophe. En effet, même l’opposition démocrate ne dénonce pas la politique de George W. Bush. Au Congrès, le lobby sioniste, l’extrême droite chrétienne et le complexe militaro-industriel, trois groupes extrêmement minoritaire mais influents, font passer toutes leurs idées sans contestation ni débat.
Ces groupes tiennent aussi les médias qui ont fait disparaître de leur antenne tout propos dissonant et participent pleinement à l’effort de guerre. Les discours vont tous dans le même sens : on parle des 17 résolutions que l’Irak n’a pas respecté mais pas des 64 résolutions non respectées par Israël, on ne parle pas plus des souffrances du peuple irakien causées par douze années d’embargo.
La junte de Bush ment aux Américains sur les véritables buts de sa guerre privée. On ne dit pas à la population que Wolfowitz, Feith, Perle et Donald Rumsfeld, dont aucun n’est élu, veulent depuis longtemps une guerre en Irak, puis une autre en Iran et l’annexion par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. On ne compare pas le nombre de Palestiniens tués par Israël avec le soutien de Washington aux nombres de morts causés par Saddam Hussein. On ne dit pas aux États-uniens que pour tenir l’Irak, il faudra peut-être 400 000 hommes dans le pays pendant dix ans, ce qui coûtera 1000 milliards de dollars.
Les États-Unis glorifient la démocratie dans les discours, mais elle est en fait humiliée par une petit groupe d’hommes influents.

« Une nouvelle langue transatlantique »

Une nouvelle langue transatlantique
Libération (France)

[AUTEUR] Denis MacShane est ministre délégué travailliste aux Affaires européennes en Grande-Bretagne

[RESUME] Les journaux français et états-uniens n’ont pas agit mieux les uns que les autres et leurs écarts de langage doivent nous pousser à réinventer une langue diplomatique transatlantique.
Fort heureusement, pour l’instant, les discours des dirigeants politiques sur la crise irakienne sont restés mesurés, mais sont à prendre dans le contexte intérieur des différents pays. Le 11 septembre, les États-Unis ont été frappés plus durement qu’à Pearl Harbor. De leur côté, les partis de gauche en France et en Italie ne se comportent pas comme quand ils étaient au pouvoir (n’avaient-ils pas accepté le bombardement de Belgrade sans accord de l’ONU ?) car leur statut d’opposants les oblige à plus écouter leurs activistes. Quand on est au pouvoir, il faut parfois s’opposer à l’opinion. Il faut être responsable et garder en mémoire que ni Londres, ni Berlin, ni Paris ne peuvent parler pour l’Europe entière.
L’Histoire n’est pas du côté des dictateurs, mais du droit et des institutions internationales, même si leur progression n’est pas linéaire et connaît des phases de blocage. Ainsi, la politique étrangère commune se mettra-t-elle un jour en place même s’il ne s’agira jamais d’une politique étrangère unique. Certains sujets sont plus propices que d’autres à un discours commun et nous parviendrons à la mettre en place si nous créons des mécanismes de dialogue politique entre élus, afin de confronter les points de vue avant que les crises n’éclatent.
De même nous devons créer des mécanismes similaires entre élus états-uniens et européens. En effet, les récriminations sur la façon de traiter un dictateur soutenant le terrorisme comme Saddam Hussein ne peuvent faire plaisir qu’aux tyrans et aux terroristes qui aiment voir les défenseurs de la liberté s’entredéchirer. L’Europe et les États-Unis ont beaucoup de valeurs communes, il leur faut désormais trouver une façon de les exprimer ensemble.

« Un jeu parfaitement stérile »

Un jeu parfaitement stérile
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Pierre Lellouche est député (UMP) de Paris, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.

[RESUME] La raison a quitté le débat sur l’Irak pour laisser place à l’idéologie et aux passions. Aujourd’hui, on ne parle plus de l’Irak, de Saddam, du millions de morts qu’il a sur la conscience (s’il en a une), ni de ses armes de destruction massive, mais d’une crise mondiale dominée par le divorce franco-américain.
Ce conflit est centré sur une seule question : dans l’après Guerre froide dominée par les menaces terroristes et celles des armes de destruction massive, le destin du monde doit-il être confié aux États-Unis ou au Conseil de sécurité de l’ONU ? La France de Jacques Chirac se veut l’architecte d’un monde multipolaire face aux États-Unis qui se voient comme une puissance bienveillante en guerre contre tous les voyous. Les États-Unis ne comprennent pas la liesse des foules arabes après le 11 septembre ni que ses alliés, pour qui ils ont versé leur sang, il y a 60 ans, les laisse aujourd’hui tomber. Les États-Unis rêvaient de liberté d’action (ni du protocole de Kyoto, ni de la Cour pénale internationale, ni de l’OMC, ni de l’ONU, ni de l’OTAN) et ils se trouvent face à une hostilité croissante du monde qu’ils ne comprennent pas.
À court terme, Saddam Hussein est le principal bénéficiaire de cette crise entre démocraties. À long terme, le divorce franco-allemand est encore plus dévastateur car les deux pays oublient la réalité. Les États-Unis ont oublié qu’ils ne pouvaient pas diriger le monde sans alliés. La France, qui n’a pas perdu non plus son attitude unilatérale vis-à-vis des "petits pays", est en train de s’allier avec la Russie qui tue en Tchétchénie et avec la Chine qui détruit le Tibet.
Il est vrai que remodeler le Proche-Orient est risqué, mais les frontières actuelles sont toujours celle des accords Sykes-Picot de la Première Guerre mondiale. Récemment nous avons fait exactement la même chose dans les Balkans. La tornade franco-allemande est stérile. Dans un monde dangereux, il vaut mieux une alliance des démocraties, alliance qui est la dernière chance d’obtenir un désarmement pacifique de l’Irak.

« Une guerre non-nécessaire, évitable et dangereuse »

An unnecessary, avoidable, dangerous war
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] Robert Malley est directeur du Middle East Program de l’International Crisis Group. Il a été l’assistant spécial du président Bill Clinton sur la question israélo-arabe (1998-2001).

[RESUME] Après des mois de zig zag rhétorique, il est clair aujourd’hui que la guerre contre l’Irak n’a rien avoir avec le désarmement et se concentre sur le changement de régime. Donc, que Saddam Hussein désarme et collabore autant qu’il le veut n’empêchera pas la guerre.
Exposer plus tôt ce but de guerre aurait clarifié le débat. C’était du devoir d’un gouvernement démocratique. En effet, c’est une chose de demander à des hommes et des femmes états-uniens de risquer leur vie pour affronter une menace nucléaire, biologique et chimique réelle, c’en est une autre de prendre ce risque pour renverser une dictature, augmentant ainsi les risques d’utilisation de ces armes. L’administration Bush n’a jamais fourni de réponse convaincante à ceux qui soutiennent qu’une politique d’endiguement et de dissuasion est préférable. Et pour cause : le véritable objectif étant de changer le régime et de réorganiser la région, la politique d’endiguement serait un frein.
Connaître le vrai but de guerre aurait permis aux États-uniens de se faire leur opinion en calculant les avantages de la guerre et ses coûts, qui sont déjà énormes puisque l’OTAN est en crise. Nous connaissons des tensions avec les pays arabes. Nous avons perdu notre crédibilité internationale et l’antiaméricanisme se développe. De plus, l’islamisme risque de profiter bien plus du conflit que la démocratie. C’est tout l’Occident qui risque d’en payer le prix. Cela montre bien comment le président George W. Bush considère le reste du monde.

« Ce qu’une petite guerre en Irak pourrait faire »

What a Little War in Iraq Could Do
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] Michael Walzer est philosophe, historien de la pensée politique et théoricien de la « guerre juste ». Il est membre de l’Institute for Advanced Study de l’Université de Princeton et administrateur de l’université hébraïque de Jérusalem

[RESUME] Les États-Unis vont vers la guerre comme s’il n’y avait pas d’alternatives et se sont mis dans une situation où toute autres solution apparaîtrait comme une victoire de Saddam Hussein ou de Jacques Chirac. Cette situation pourrait être pire que la guerre car les Français prétendraient avoir sauvé la paix, Saddam Hussein prétendrait avoir vaincu les États-Unis et les États-Unis devraient quand même faire la guerre, plus tard, dans de moins bonnes conditions et face à un Irak plus fort.
Les opposants à la guerre ne parviennent pas non plus à fournir une alternative crédible à la guerre. Pourtant, cette alternative existe : il faut maintenir et intensifier la petite guerre menée actuellement, fondée sur l’embargo et les zones d’exclusion aérienne. Pour l’instant, cette petite guerre incombe exclusivement à la coalition anglo-américaine alors que ceux qui veulent éviter une grande guerre n’y participent pas.
George W. Bush doit donc demander à la France, à la Russie et à l’Allemagne de prêter leur concours, ce qui permettrait d’éviter la guerre tout en continuant d’affaiblir Saddam Hussein. Nous pourrons également étendre la zone d’exclusion aérienne à tout le territoire, sanctionner les pays et les firmes qui ne respectent pas l’embargo, renforcer les inspections et les faire accompagner par des casques bleus qui pourront garder les sites qui ont été visités.
Coincés dans leur logique, les Français seront obligé d’accepter la demande états-unienne et cela évitera la grande guerre.

« Pas prêts aux conséquences »

Unready for the Aftermath
Washington Post (États-Unis)

[AUTEURS] Kenneth H. Bacon est ancien porte-parole du secrétaire de la Défense (1994-2001) et président de Refugees International. George Rupp est président d’International Rescue Committee et de l’Université de Columbia à New York.

[RESUME] Malgré des mois de préparation par l’administration Bush pour répondre aux enjeux humanitaires de la guerre, les souffrances causées par le conflit pourraient être amplifiées par le manque de ressources et de coordination.
Les trois millions de rations alimentaires ne sont rien en comparaison des besoins d’une population dont 16 millions d’habitants sont dépendants des distribution de nourriture. D’après Ramiro Lopes da Silva, directeur du programme alimentaire mondial de l’ONU à Bagdad, dix millions de personnes pourraient être à court de nourriture, six semaines après le début de la guerre. Selon le HCR, dans un scénario moyen, 1,45 millions de personnes risquent de fuir le pays en cas de guerre et 900 000 se déplaceront à l’intérieur de l’Irak. Or pour y faire face, l’ONU n’a que 20 des 60 millions de dollars nécessaires pour gérer cette crise.
L’administration Bush ne veut pas que l’armée états-unienne consacre beaucoup de son temps aux problèmes humanitaires et veut que ces questions soient très vite prises en main par l’ONU et les ONG. Malheureusement, les ONG, souvent financées par Washington, n’ont pas les moyens d’agir car les États-Unis ne leur ont donné qu’un million de dollars pour régler la question alors qu’ils en dépensaient 2,4 milliards pour déployer leurs troupes dans le Golfe. En outre, rien n’a été prévu pour les populations touchées par des armes de destruction massive.
Dans les guerres modernes, la précision des bombes limite les victimes civiles, mais la plupart des morts et des souffrances viennent de l’après guerre, après guerre qui n’a pas été préparée.