Une fois de plus, sur notre terre se sont allumés les feux de la guerre, avec le cortège de misère et de souffrances qui l’accompagnent. Une coalition emmenée par les Etats-Unis d’Amérique a ouvert les hostilités contre l’Irak. Cette opération n’a pas été autorisée par le Conseil de sécurité. Des pays importants de la communauté internationale ont refusé de s’y joindre. Selon la coalition, l’emploi de la force est justifié par le fait que les efforts du Conseil de sécurité pour amener l’Irak à éliminer ses armes de destruction massive n’ont pas abouti.

Les Etats membres des Nations Unies ont voulu bannir la violence dans les relations entre Etats. Ils ont pour cela mis au point des procédures de règlement pacifique des différends et confié au Conseil de sécurité le monopole exclusif, hormis le cas de légitime défense, de l’emploi de la force.

Le Conseil fédéral regrette que les Etats-Unis et les pays qui participent à l’action aient transgressé une Charte à l’élaboration de laquelle ils ont contribué d’une manière essentielle, et qui contient les valeurs et les principes qu’ils défendent. Il n’en reste pas moins que le gouvernement irakien porte une lourde responsabilité dans le déclenchement des hostilités.

Nous vivons dans un monde dangereux où le transfert technologique s’applique également à la prolifération d’armes de destruction massive portées par des vecteurs de plus en plus aisément disponibles. Des gouvernements irresponsables qui, de surcroît, ne jouissent pas de la légitimité démocratique et se maintiennent au pouvoir par la coercition et le contrôle policier, jouent avec le feu.

La coalition dirigée par les Etats-Unis d’Amérique a décidé de recourir à la force sans l’approbation du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Nous sommes donc en présence d’un conflit armé entre Etats dans le cadre duquel le droit de la neutralité s’applique. La Suisse ne prendra aucune part aux opérations militaires, ni directement, ni indirectement. Cela signifie concrètement que le transit terrestre et les survols à des fins militaires liés au conflit ou hors courant normal seront interdits aux pays qui participent à l’intervention militaire en Irak. De même, les exportations de matériel de guerre destiné aux opérations en cours ne seront pas autorisées. L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans la pratique de la Suisse en matière de neutralité.

Nos représentants à Bagdad ont été évacués, ne restent sur place que quelques compatriotes qui ont décidé de rester en connaissance de cause et les membres des équipes du CICR. Les colonies suisses dans les pays riverains exposés sont en contact constant avec nos ambassades, lesquelles ont établi des plans d’urgence et reçu du matériel de protection adéquat.

Sur le plan de la sécurité intérieure, des mesures ont été prises afin de prévenir les éventuelles menaces que le conflit pourrait engendrer. Le Conseil fédéral a pris notamment des dispositions pour parer au risque d’attentats contre les intérêts américains et occidentaux en Suisse.

Le Conseil fédéral suit de près l’évolution du conflit afin de se prémunir contre les éventuelles conséquences économiques pour la Suisse. Il veille notamment à ce que l’approvisionnement en pétrole et en moyens de subsistance soient assurés. Un arrêt total des exportations irakiennes de pétrole ne suffirait pas à créer des difficultés d’approvisionnement sur le plan mondial.

Cependant, les coûts du pétrole, tributaires des fluctuations des marchés, risquent de subir quelques fluctuations. La Suisse a des réserves obligatoires de produits pétroliers qui lui permettent de couvrir sa consommation moyenne pendant quatre mois. En comparaison internationale, notre pays est bien loti en matière d’approvisionnement. Conformément à notre législation, nous ne libérerons ces réserves stratégiques qu’en cas de pénurie et non pour stabiliser les prix.

Les incertitudes politiques pèsent aussi sur les marchés financiers internationaux. La Banque nationale veille au fonctionnement ordonné des marchés et intervient le cas échéant. Les turbulences provoquées par une guerre en Irak pourraient aussi avoir une influence sur les relations économiques que nous entretenons avec les pays concernés par le conflit. Les échanges commerciaux entre la Suisse et les pays du Moyen-Orient seront probablement affectés. Il est plus difficile de prévoir les effets du conflit sur nos relations avec les Etats-Unis, partenaires très importants de la Suisse.

Cette guerre n’a pas lieu aux portes du pays. Néanmoins, nos pensées vont aujourd’hui aux populations civiles directement concernées par le conflit.

La Suisse lance un appel aux parties afin que celles-ci se conforment strictement aux conventions de Genève et aux règles du droit international humanitaire. La Suisse, dépositaire et autre partie contractante des conventions de Genève, s’engagera pour le respect intégral du droit international humanitaire. Un accent particulier doit être mis sur le sort de la population civile, déjà durement affectée par les sanctions internationales depuis 1990.

La division de l’aide humanitaire de la Direction du développement et de la coopération, poursuivra, dans la mesure de ses moyens, la mise en oeuvre de ses programmes d’aide humanitaire en Irak et dans la région. La Suisse participera également aux efforts qui seront déployés par le CICR, les institutions spécialisées de l’ONU et la communauté internationale en général, pour couvrir les besoins de la population, y compris et surtout les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de l’Irak.

Il convient de rappeler quelques faits. Le président irakien, Saddam Hussein, a accédé au pouvoir par la violence. En 1980, il a ouvert une guerre contre l’Iran qui a coûté plus d’un million de vies humaines. En 1988, il a réprimé une rébellion de ses compatriotes kurdes en gazant des milliers d’entre eux. En août 1990, comptant sur la passivité de la communauté internationale, il a occupé le Koweït. L’ONU a réagi et a confié à une coalition internationale conduite par les Etats Unis d’Amérique le soin de libérer le Koweit. Au total, à ce jour, plus d’une dizaine de résolutions de l’ONU ont appelé l’Irak à se conformer aux volontés de la communauté internationale. Nul ne peut nier que les dirigeants irakiens portent une lourde responsabilité dans cette guerre qui s’abat sur eux.

Il n’en reste pas moins que cette guerre n’a pas reçu l’aval du Conseil de sécurité. La Charte des Nations Unies confie un rôle prééminent au Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. C’est un échec pour les Etats qui ont décidé de recourir à la force sans pouvoir se prévaloir d’un mandat de la communauté internationale. C’est un échec pour le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’a pas réussi à rester uni dans la crise irakienne. Enfin, c’est un dangereux précédent pour le système international de sécurité collective.

Pour la Suisse, il est essentiel de rétablir le plus rapidement possible ce rôle prééminent du Conseil de sécurité en matière de paix et de sécurité internationales. La Suisse appelle les membres permanents du Conseil de sécurité à surmonter leurs divisions et à retrouver une approche unie dans l’intérêt de toute la communauté internationale.

Quelle que soit la manière dont le conflit en Irak sera résolu, l’ONU doit continuer à jouer un rôle central pour l’humanité. D’autres conflits attendent des solutions, au Proche-Orient et ailleurs. Il est essentiel d’oeuvrer de concert, d’élaborer des solutions communes ; il n’y a pas d’alternative au multilatéralisme.

Cette guerre pose la question de la neutralité. Le choix de la neutralité s’inscrit dans une longue tradition de la Suisse, laquelle correspond au droit international et marque notre attachement au respect de la Charte des Nations Unies. Le choix de la neutralité n’a rien à voir avec de l’indifférence à l’égard des menaces très graves que représentent la prolifération d’armes de destruction massive et le terrorisme à grande échelle.

Nous participons pleinement à la lutte contre ces menaces. Nous sommes associés aux Etats qui partagent nos valeurs, car notre sécurité dépend de la coopération internationale.

Nous reconnaissons aussi que le recours à la force armée peut s’avérer le moyen ultime pour mettre fin à une situation de très grave danger. Mais l’usage des armes doit être légitime, et pour être légitime, l’usage de la force doit être explicitement autorisé par le Conseil de sécurité ou être justifié par le motif de la légitime défense.

L’un des traits essentiels de la politique étrangère de la Suisse est qu’elle est fondée sur le droit international. Ce point de référence doit conférer à notre politique étrangère un fondement solide, un profil reconnaissable et une ligne prévisible.

Les faits sont là : la guerre est déclenchée et nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il nous reste à espérer que l’intervention américaine pourra contribuer à rétablir une certaine stabilité dans un pays où la population en a grand besoin. Il reste à souhaiter aussi que ce pari sera tenu et que cette intervention ne fragilisera pas l’équilibre précaire qui prévaut au sein des diverses nations du Moyen-Orient et entre elles.

Lors des conflits armés entre Etats, soit qu’ils menacent, soit qu’ils éclatent, le rôle de la Suisse n’est pas de s’y associer. Notre génie historique propre nous invite à tout mettre en oeuvre pour chercher à prévenir le conflit, pour protéger les victimes de la guerre, pour favoriser le retour à la paix et pour lutter contre les causes de la violence. C’est ce à quoi nous vous invitons à vous engager avec le Conseil fédéral.