Président George W. Bush
La Maison Blanche
1600 Pennsylvannia Avenue
Washington, DC 205000

Monsieur le président,

Amnesty International prend très au sérieux les récentes allégations affirmant que les États-Unis toléreraient et même pratiqueraient des actes de torture. Je vous presse de clarifier cela dans un rapport public stipulant que le gouvernement des États-Unis condamne sans équivoque possible la torture, que la torture est une abomination pour les intérêts de la sécurité nationale de ce pays, que toutes les allégations de torture commises ou cautionnées par les États-Unis feront l’objet d’une enquête et seront sanctionnées, et que la torture est contraire aux lois nationales et internationales, ainsi qu’aux valeurs louées par notre nation.

Un article récent de Dana Priest et Barton Gellman paru dans le Washington Post présentait plusieurs comptes-rendus de prisonniers détenus par les États-Unis qui sont sujets à des traitements assimilables à la torture, dans la mesure où les officiels états-uniens les ont restitués à des pays connus pour pratiquer la torture. Amnesty International mène actuellement sa propre enquête sur des allégations similaires. L’article cite des rapports de fonctionnaires états-uniens qui suggèrent que les États-Unis tolèrent le mauvais traitement et la torture des prisonniers. Ces rapports sont extrêmement dérangeants et desservent une clarification et une enquête pressantes, ainsi que le jugement et la condamnation de toute personne convaincue d’actes de torture.
Ces comptes-rendus soulèvent la possibilité de graves violations des lois états-uniennes et internationales, immiscent le trouble sur les hautes responsabilités morales, et placent les soldats états-uniens, hommes et femmes, dans une situation plus dangereuse dans le futur.

Amnesty International recherche également des informations sur les lieux et conditions de détention des individus détenus par les États-Unis et d’autres pays. Nous avons reçu des rapports attestant que les fonctionnaires du gouvernement ont détenu près de 3000 membres présumés d’Al Qaïda depuis le 11 septembre 2001, et que 625 individus sont toujours détenus dans les camps militaires de Guantanamo. Amnesty International cherche des clarifications sur les conditions de détention de tous ceux qui sont détenus par les États-Unis ou qui ont été livrés à d’autres pays pour interrogatoire. Amnesty International a précédemment soulevé la question du traitement des détenus de Guantanamo et a, à plusieurs reprises, demandé l’autorisation de visiter ces camps. Amnesty International a également demandé à accéder à la base US de Bagram en Afghanistan, tenue par les forces états-uniennes, pour enquêter sur les allégations de possibles tortures et de mauvais traitements envers les détenus malades : nous n’avons reçu aucune réponse à nos demandes.

Monsieur le Président, dans votre discours de l’État de l’Union adressé en 2002, vous avez affirmé que les États-Unis « défendraient toujours fermement les principes non négociables de la dignité humaine : la primauté du droit, la limitation de la puissance de l’État, le respect des femmes, la propriété privée, la liberté d’expression, la justice pour tous, et la tolérance religieuse. Au-delà de la guerre contre le terrorisme, nous cherchons l’avènement d’un monde juste et pacifique ». L’importance que les États-Unis luttent pour défendre ces valeurs pour une justice équitable et contre la torture est fondamentale pour le succès de toute campagne contre ceux qui méprisent les Droits de l’homme et la dignité humaine. Il est impératif que les États-Unis luttent pour ces principes de droits universels et inaliénables.

Depuis leur fondation, les États-Unis ont chéri la notion voulant que les individus aient le droit d’être libre de l’oppression et de la torture, et que certains Droits de l’homme soient inaliénables.
La Déclaration des Droits de la Constitution états-unienne interdit « le châtiment cruel et non-usuel », garantit « le droit pour les gens d’être en sécurité » et interdit de porter témoignage contre soi-même pour prévenir toute apostasie extorquée. Parmi les conventions internationales ratifiées par les États-Unis figurent la Convention de Genève, l’Accord International sur les Droits Civils et Politiques, et la Convention Internationale Contre la Torture. Les États-Unis ont ratifié la Convention Internationale Contre la Torture à l’initiative de George H.W. Bush, qui voulait montrer clairement que « les États-Unis doivent continuer leurs efforts pour mettre fin à la torture et aux autres violations des Droits de l’homme où qu’elles aient lieu ». Ceux qui essaient de justifier la torture contribuent à saper le bon fonctionnement des lois. Dans son rapport au Comité des Nations Unies Contre la Torture, le gouvernement états-unien affirmait ces idéaux, établissant que :
« La torture est interdite par la loi partout aux États-Unis. Elle est catégoriquement dénoncée en tant que principe et en tant qu’outil d’autorité étatique. Tout acte de torture sous la Convention [Contre la Torture] constitue une délit pénal tombant sous la loi des États-Unis. Pas un fonctionnaire, qu’il soit du gouvernement, fédéral, d’État, ou local, civil ou militaire, n’est autorisé à commettre ou à ordonner à quelqu’un de pratiquer la torture. Aucune circonstance exceptionnelle ne saurait être invoquée pour la justifier. »

La torture est illégale et immorale, et elle est contre-productive. La torture en tant que méthode d’interrogatoire n’aboutit qu’à de mauvais résultats, car une personne torturée est sujette à dire n’importe quoi susceptible d’abréger sa douleur. Le mauvais traitement conduit au ressentiment et à la colère de l’individu, de sa famille, de ses amis et de sa communauté, et l’on est ainsi certain d’engendrer de farouches opposants.

Amnesty International a mené campagne contre la torture depuis 40 ans et s’est documentée sur le sujet dans plus de 150 pays. L’expérience a montré qu’une fois la torture légitimée, même à petite échelle, sa pratique, et d’autres, cruelles, inhumaines et dégradantes, s’étendent jusqu’à d’innombrables victimes, et au final érodent les principes moraux et légaux sur lesquels est construite toute société. La torture est cruelle, inhumaine et dégradante. La torture n’a pas d’utilité, si ce n’est blesser les êtres humains et créer de nouveaux ennemis.

Avec plus de 1,7 million de membres partout dans le monde, Amnesty International est profondément consciente que la communauté internationale observe de très près les déclarations et les actions des États-Unis. Cet intérêt était reflété dans le numéro du The Economist du 11 janvier, qui posait la question « La torture est-elle toujours justifiée ? » et concluait que non, et qu’ une réponse contraire menacerait les idéaux de démocratie et de sociétés libres :
« L’interdiction de la torture exprime un des plus puissants tabous de l’Occident. Bien que de nombreux régimes autoritaires pratiquent la torture, aucun n’ose l’admettre. Une décision des États-Unis d’employer certaines formes de torture, quelles que soient les circonstances, briserait le tabou. La morale de l’Occident serait gravement remise en cause : pour rester fortes, les démocraties libérales ont besoin d’être certaines qu’elles sont meilleures que leurs ennemis. Il y a une ligne que les démocraties franchissent à leur péril : menacer ou blesser corporellement. D’un côté de cette ligne se situent les sociétés sûres de leurs valeurs civilisatrices. C’est ce côté que l’Amérique et ses alliés doivent choisir. »

En tant que leader mondial, le silence ou l’indifférence de la part des États-Unis serait perçu comme une indication que votre administration cautionne la torture et d’autres mauvais traitements flagrants. Amnesty International vous incite fortement à faire une déclaration publique sans équivoque affirmant que la torture n’est jamais acceptable, qu’elle est contre-productive, et qu’elle s’oppose aux lois nationales et internationales. Amnesty International vous exhorte à vous assurer que toutes les allégations de torture commises ou tolérées par les États-Unis feront l’objet d’une enquête et seront poursuivies en justice, et que toute personne responsable de torture sera punie en accord avec les lois états-uniennes et internationales. Les États-Unis doivent affirmer clairement que la torture est un affront à la dignité humaine qui ne peut jamais être justifié et doit être condamné dans chaque pays du monde entier. Sinon, ceux qui déclarent la guerre aux Droits de l’homme auront gagné la bataille contre la liberté.

Sincèrement,

titre documents joints


Amnesty International : Iraq - Respecting International Humanitarian Law - Background information

Much of the example of past practice focuses on US or UK armed forces. This should not be taken to imply that the actions of Iraqi forces cause less concern - on the contrary. The greater attention to US and UK forces reflects the fact that both have shown, as far as AI is aware, more willingness to respect IHL commitments and to engage in discussing their legal position.


(MNG - 117 kio)

Amnesty International : United States of America - International standards for all, 25 March 2003
(MNG - 29 kio)

Traduction : Romain Nodaud pour le Réseau Voltaire.