« Un moment crucial »

At a Critical Juncture
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Yuri Ushakov est l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Washington.

[RESUME] En dépit de nos divergences sur l’Irak, Moscou et Washington doivent rester partenaires pour continuer ensemble à lutter contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Nous sommes partenaires et nous devons accepter que nous pouvons être en désaccord sur certaines questions tout en maintenant notre coopération sur les sujets majeurs.
En deux ans nous avons fait des progrès importants, mais nous ne sommes pas encore parvenus à construire des fondations durables à notre relation bilatérale afin qu’elles puisse surmonter les périodes de crise. Nous devons apprendre à nous faire confiance l’un l’autre. Or, nous entendons sans cesse des accusation sans fondements sur les activités des entreprises russes. Il nous faut nous rassembler et discuter de nos relations, analysant là où nous pourrions les développer davantage.
Il existe un fort sentiment anti-russe aux États-Unis, mais ce n’est pas le problème de la Russie, c’est celui des États-Unis qui doivent lutter contre ce sentiment pour prouver qu’ils veulent développer la coopération. Personne ne nous a encore qualifié de « vieille Russie », ni n’a parlé de « nouvelle Russie » mais, à en juger par les évènements récents, nous n’en sommes pas loin. Nous devons sortir de ce type de schéma et développer nos relations bilatérales.

« Cessez d’être conciliant avec la Russie »

Stop appeasing Russia
Washington Times

[AUTEUR] Svante E. Cornell est vice-directeur de l’Asia-Caucasus Institute de la School of Advanced International Studies->http://www.sais-jhu.edu/] de la Johns Hopkins University.

[RESUME] Affirmer que la Russie a vendu des armes à l’Irak ces derniers mois est une accusation grave, mais pas surprenante. En effet, la Russie a tenté de lutter contre les intérêts nationaux états-uniens au Proche-Orient, dans le Caucase et en Asie du Nord-Est tout en se prétendant être un allié. L’administration Bush sait tout cela, mais se tait pour ne pas compliquer les relations avec Moscou. Le moment est pourtant venu de mettre fin à une politique d’apaisement contre-productive.
La vente d’armes à l’Irak par des entreprises russes a diminué la supériorité états-unienne sur le terrain et met des vies américaines en danger. Malgré les preuves, les Russes ont été jusqu’à nier l’existence des entreprises incriminées pendant des mois. Pourtant, il est impensable, bien que les entreprises soient privées, que le gouvernement n’ait pas été informé des transactions. Elles ne sont, de toutes façons, que la dernière et la plus marquante des actions russes contre les intérêts américains.
La Russie conserve des liens avec Pyongyang, donnant ainsi une légitimité à Kim Jong Il, et continue de l’armer. De même, Moscou fournit à l’Iran la technologie pour fabriquer des armes nucléaires. La Russie équipe donc militairement les trois pays de l’ « Axe du Mal ». De plus, avec la France et la Chine, elle veut construire un monde multipolaire pour priver les États-Unis de leur rôle dirigeant dans le monde. En outre, la Russie essaye d’empêcher les États-Unis de s’installer dans le Caucase.
Les États-Unis doivent faire comprendre à Vladimir Poutine qu’il ne peut pas à la fois se prétendre notre allié et armer nos ennemis.

« On n’unira pas l’Europe contre l’Amérique »

On n’unira pas l’Europe contre l’Amérique
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Wolfgang Schaüble est vice-président du groupe CDU-CSU au Bundestag. Ce texte est extrait d’une conférence qui s’est tenue mardi à Paris à l’initiative de la Konrad-Adenauer Stiftung.

[RESUME] Peu importe de savoir à qui en revient la faute, nous devons constater que nous ne sommes pas parvenus à désarmer l’Irak pacifiquement. Cette situation a affaibli la légitimité du Conseil de sécurité comme garant de l’ordre mondial, le partenariat atlantique et le processus d’unification de l’Europe.
La coopération franco-allemande doit prendre pour base une analyse réaliste de la situation du monde. Une entente sur la nature de sa conception politique doit correspondre à nos intérêts et responsabilités. Aujourd’hui, les États-Unis sont à la fois la seule superpuissance et la principale cible du fondamentalisme. Les partenaires atlantiques dépendent les uns des autres car nous partageons les mêmes valeurs et parce que l’Occident attire, par notre richesse et la modernité de notre civilisation, les convoitises et les réactions de défense.
Notre sécurité dépend du partenariat atlantique et cela demande de la confiance même si parfois nous avons du mal à nous comprendre. Les Européens, et surtout les Allemands, reculent d’effroi devant la simple évocation de la guerre alors que les États-Unis sont beaucoup plus volontaristes.
La politique allemande vis-à-vis de l’Irak a été mauvaise. Nous n’avons pas exercé la pression sur Saddam Hussein pour le pousser à coopérer et nous avons voulu unifier l’Europe contre les États-Unis. Nous avons perdu de vue que la coopération franco-allemande ne doit pas se faire dans l’opposition à Washington et Londres. Nous devons nous souvenir que l’unification européenne et le partenariat atlantique sont inséparables. C’est dans cet esprit que nous devons construire une défense européenne et pousser à l’unification européenne avec la France.

« L’Irak n’est pas une démocratie naturelle »

Iraq is not a natural democracy
The Independant (Royaume-Uni)

[AUTEUR] John Major est ancien Premier ministre conservateur britannique (1991-1997). Il travaille aujourd’hui au sein du Carlyle Group, la société de gestion de portefeuille des familles Bush et Ben Laden. Cette tribune est adaptée d’un discours prononcé devant une conférence économique à Hong Kong.

[RESUME] La croyance commune qui veut que la coalition veuille démembrer l’Irak et contrôler le pétrole ne va pas disparaître grâce à des discours. Il faut prendre garde aux actions que nous menons.
Quelle que soit l’organisation que nous mettrons en place après la guerre -probablement un gouverneur militaire-, il faut que l’ONU soit impliquée dans l’administration d’intérim. Un conseil consultatif représentant les différents intérêts tribaux pourrait également être mis en place. Pour que l’opinion arabe accepte notre action, nous devons rappeler que les frontières de l’Irak ont un caractère sacro-saint et que la propriété et l’exploitation des ressources pétrolières resteront dans les mains des Irakiens.
L’Irak n’est pas une démocratie naturelle et les divisions entre communautés sont importantes. Il est essentiel que l’administration par intérim anticipe une éventuelle chute du pouvoir à Bagdad dans les mains des Chiites. En effet, cela créerait un Irak Chiite à côté d’un Iran Chiite et une forte collaboration entre les deux pays serait gênante, notamment pour l’Arabie saoudite qui, avec d’autres, craint une telle alliance.

« la stratégie militaire dans les brumes de la guerre »

Military Strategy in the Fog of War
Moscow Times (Russie)

[AUTEUR] Vitaly Shlykov est ancien ministre de la Défense russe. Il est membre du Council on Foreign and Defense Policy.

[RESUME] Donald Rumsfeld a fréquemment affirmé que les militaires états-uniens ne concevaient pas la phase de « Shock and awe » en référence à l’opération « Tempête du désert ». Pourtant de nombreux analystes russes s’appuient sur les différences de résultats entre les deux offensives terrestres de 1991 et 2003 pour affirmer que tout ne se passe pas comme prévu pour Washington.
En 1991, les troupes alliés ont fait 30 000 prisonniers de guerre durant les trois premiers jours de l’offensive au sol contre 4 000 aujourd’hui. En 1991, la coalition dirigée par les États-Unis avait détruit la majeure partie de l’armée irakienne et tué entre 25 000 et 100 000 soldats irakiens, en n’en perdant que 148, alors qu’aujourd’hui les pertes irakiennes sont bien moins élevées, même en s’appuyant sur les déclarations des États-Unis.
Cependant, il est difficile de dire que le plan ne se passe pas effectivement comme prévu. En effet, comme le rappelle Von Clausewitz, la conduite d’une guerre dépend de ses buts. Par conséquent, les guerres de 1991 et de 2003 n’ont rien à voir. En 1991, il fallait libérer le Koweït en annihilant les forces irakiennes s’y trouvant, tandis qu’aujourd’hui le but est de renverser Saddam Hussein et de désarmer le pays ce qui nécessite la destruction de l’armée irakienne, la conquête du territoire, la destruction de la volonté de résistance irakienne.
Comme les États-Unis n’ont pas abandonné l’idée que l’armée irakienne puisse renverser Saddam Hussein, les faibles pertes en hommes et en matériel de l’armée irakienne peuvent s’expliquer. C’est pour cela également que Hussein concentre son armée dans les villes, sous la surveillance du parti Ba’as. La tâche la plus difficile de la coalition sera de briser la volonté de résistance des Irakiens. Elle tente de se concilier la population en évitant au maximum de viser les civils et, quand cela arrive, elle place ces pertes sur le même plan que les morts par tir ami dans ses troupes. Elle ne présente pas cela comme une nécessité militaire, mais comme une bavure.
En fait, les troupes de la coalition n’ont pas été freinées par les troupes irakiennes, mais par d’autres facteurs (les pertes dues au combat entre armée sont faibles). Peut-être veulent-elles attirer la garde républicaine hors des villes ? Toujours est-il que la coalition vaincra Saddam Hussein tant sa supériorité militaire est évidente. La seule chose que peut faire Hussein pour aller à l’encontre du scénario prévu est d’utiliser ses armes de destruction massive. Ce serait alors sa dernière action et la coalition y est sans doute déjà préparée.

« Le ’pays de la liberté’ est-il en train de restreindre les reportages ? »

Does the `land of the free’ restrict reporting ?
Asahi Shimbun (Japon)

[AUTEUR] Ahmed Mustafa est rédacteur économique d’Al-Jazira.

[RESUME] Le New York Stock Exchange a interdit à Al-Jazira de diffuser ses chroniques boursières en direct de la bourse de New-York pour, officiellement, des raisons de sécurité et de place. Deux jours plus tard, nous avions la vraie raison de notre éviction : la couverture de la guerre en Irak par notre chaîne ne correspond pas à ce qu’attendent les responsables politiques et militaires de Londres et Washington.
Dans les deux capitales, on n’a pas apprécié la façon dont Al-Jazira a rendu compte des pertes militaires de la coalition, des dégâts pour les civils que causent les bombardements, ni que nous laissions la parole aux opinions arabes en plus des communiqués des officiels américains et britanniques. Les démocraties occidentales n’admettent pas qu’un média arabe puisse être professionnel, indépendant, objectif et impartial. Alors même que les valeurs occidentales se fondent sur le respect des libertés individuelles et sur le libéralisme économique, les dirigeants du « monde libre » et le marché « libéral » veulent fait taire la voix libre du monde arabe.
Le patriotisme ne doit pas détourner du professionnalisme et Al-Jazira présente les évolutions boursières à 35 millions de téléspectateurs arabes, dont les investissements à l’étranger représentent 1000 milliards de dollars.
Les attaques dont nous faisons l’objet ne parviendront pas à nous forcer à suivre les ordres des dirigeants de la Coalition comme le font les médias occidentaux relayant la propagande.