Introduction

1. Le concept du crime dit d’honneur est une notion complexe mais qui peut être qualifiée de crime qui a été justifié ou expliqué (voire atténué) par son instigateur comme une conséquence de la nécessité de défendre ou de protéger l’honneur de la famille.

2. Sous l’étiquette des crimes dits d’honneur figurent les "meurtres d’honneur", les mariages forcés, la violence domestique, les mutilations des organes génitaux féminins ou les vendettas. Aux fins du présent rapport, l’accent sera placé sur les "meurtres d’honneur" avec quelques références aux mariages forcés et à la violence domestique.

3. Il ne faut pas confondre les crimes dits d’honneur avec les crimes passionnels. Ces derniers se limitent normalement au crime commis par un partenaire (le mari ou la femme) en relation avec l’autre en tant que réponse spontanée (émotionnelle ou passionnée) (en matière de défense, on parle souvent de "provocation sexuelle"). Les crimes dits d’honneur comprennent les violences ou le meurtre (généralement) de femmes par un membre de la famille ou une relation familiale (y compris les partenaires) au nom de l’honneur individuel ou de la famille.

4. Dans ce contexte, l’utilisation du terme "honneur" devrait être faite avec beaucoup de circonspection puisque c’est l’instigateur d’un crime particulier qui peut en donner la signification. Ainsi en laissant de côté le fait que le crime a été commis contre la victime, ceci permet à l’auteur du crime de "fabriquer" une relation visant à établir une défense et d’en supprimer les motifs réels.

5. Le concept de l’honneur peut se résumer en une expression individuelle ayant sa propre signification ou dans l’acceptation de sa valeur aux yeux des autres ; ou par l’opinion personnelle par les autres ; ou par l’interaction des trois. Compte tenu de l’interprétation donnée à ce terme, les vues divergent très souvent entre celle donnée à l’honneur de la femme et celle de l’homme ; celui de la femme comprend les concepts de virginité, de modestie ou d’amour désintéressé alors que l’honneur masculin est considéré comme la capacité de défendre l’honneur de la femme.

6. Les crimes dits d’honneur sont une pratique ancienne consacrée par la culture plutôt que par la religion, enracinée dans un code complexe qui permet à un homme de tuer ou d’abuser d’une femme de sa famille ou de sa partenaire pour cause de "comportement immoral" réel ou supposé.

7. Ce « comportement immoral » (une simple allégation suffit) peut recouvrir une infidélité conjugale, le refus d’accepter un mariage arrangé, une demande de divorce, le fait de flirter ou de recevoir des appels téléphoniques d’hommes, le fait de n’avoir pas servi un repas en temps voulu, ou de « s’être laissée violée ». Une femme violée jette l’opprobre sur la communauté et déshonore sa famille, tout autant que si elle avait une liaison.

8. Le dénominateur commun pour tous les crimes dits d’honneur reste, toutefois, celui des maltraitances, de la violation des droits humains, du meurtre généralement commis sur les femmes au nom de l’honneur ou du soi-disant honneur tels que définis par le(s) auteur(s) du crime.

9. Les crimes dits d’honneur se produisent et affectent un large éventail de cultures, de communautés, de religions et d’ethnies. Les crimes dits d’honneur sont perpétrés dans un grand nombre de pays dont l’Afghanistan, le Bangladesh, le Brésil, l’Egypte, l’Inde, l’Iran, Israël, la Jordanie, le Liban, le Nigéria, le Pakistan, la Palestine, le Pérou, les Etats-Unis d’Amérique, la Turquie, le Royaume-Uni, l’Italie, la Norvège, la Suède, l’Allemagne, etc.

I. Les crimes dits d’honneur

10. Les "meurtres d’honneur" se réfèrent au meurtre d’une femme par un membre de la famille ou son partenaire suite à un scandale (réel ou supposé) sur la famille par un acte (un soupçon ou une allégation suffisent) commis par la femme.

11.  Selon Asma Jahangir, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, 5 000 femmes dans le monde en sont victimes chaque année.

12. Toutefois, il est pratiquement impossible d’évaluer avec précision le nombre de crimes dits d’honneur. Le sentiment de honte et des menaces au sein de la communauté (en connexion avec le fait que les victimes de violence domestique ne parlent pas car elles n’ont pas conscience qu’un crime a été commis) et le fait qu’elles sont émotionnellement et économiquement dépendantes de l’agresseur leur donnent une fausse perception car elles pensent "mériter" la punition si bien que les témoins ne se manifestent guère et que les décès sont généralement classés parmi les accidents et les suicides. En effet, sur les 183 décès de femmes ayant succombé à des brûlures prétendument causées par un accident domestique, signalés à Lahore, en 1998, seules 21 plaintes ont été déposées à la police et seules trois personnes ont été arrêtées.

13. Une telle situation n’est guère surprenante compte tenu du fait que, jusqu’à ce qu’il soit abrogé en 1990, l’article 300(1) du Code pénal pakistanais énonçait que l’homicide volontaire ne constituait pas un meurtre si, perdant son sang-froid sous l’effet d’une provocation grave et soudaine, son auteur causait la mort de la personne responsable de la provocation.

14. En avril 2000, le Général Pervez Musharraf a déclaré que de tels actes n’avaient pas leur place dans la religion ou le droit pakistanais et que l’homicide au nom de l’honneur était un meurtre et serait traité comme tel. Malgré cette déclaration rassurante du Président pakistanais, on continue de faire état d’histoires terrifiantes d’assassinats de femmes. En effet, en janvier 2001, le Dr Shaheen Sardar Ali, Président du Comité national sur le statut des femmes du Pakistan, a déclaré que les crimes dits d’honneur étaient "basés sur les traditions et les coutumes comprenant l’honneur des familles rurales, féodales et tribales. Ceci ne s’arrêtera pas tant que les gens penseront que les femmes sont leur propriété personnelle." Toutefois, comme l’a mentionné la Commission indépendante des Droits de l’Homme du Pakistan, en 2002, 372 femmes ont été tuées dans ce pays au nom des crimes dits d’honneur.

15. La plupart des crimes dits d’honneur sont perpétrés dans les pays musulmans ou au sein des communautés d’immigrés musulmans. Le paradoxe c’est que l’islam ne préconise pas la peine de mort pour inconduite liée à l’honneur et beaucoup de dirigeants islamiques condamnent cette pratique et affirment qu’elle n’a pas de fondement religieux.

16. Toutefois, tout en condamnant la pratique des crimes dits d’honneur en tant que non-islamiques, les mêmes dirigeants (selon leur point de vue) ferment les yeux devant l’imposition des interprétations "classiques" ainsi que des sanctions de la jurisprudence islamique (loi de la Charia) mises en oeuvre par l’Etat pour les actes sexuels en dehors du mariage (comme par exemple le Hadd ou les ordonnances "Zina" au Pakistan, au Soudan ou au nord du Nigéria). C’est ainsi, par exemple, que le 12 janvier 2002, Safya Husseini Tungar Fudu, une jeune femme nigériane de 35 ans, a été condamnée à être enterrée vivante jusqu’à la poitrine et lapidée jusqu’à ce que mort s’en suive pour avoir mis au monde un enfant sans être mariée. Elle fut victime d’un viol. Heureusement, suite à une pression internationale considérable, y compris par les membres de la Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe, la Cour d’appel de la Charia de Sokoto a accepté l’appel de Safya.

17. L’utilisation de la jurisprudence comme moyen de défendre les crimes dits d’honneur est largement répandue. En mars 1991, la Cour Suprême de Parana au Brésil a acquitté Joao Lopes du meurtre de sa femme soi-disant adultère en acceptant sa plaidoirie basée sur la loi coloniale portugaise. De semblables défenses au Vénézuéla, en Argentine etc.. ont comme source la loi coloniale espagnole.

18. L’on constate un manque de réaction face aux crimes dits d’honneur dans les pays où elles sont justifiées par les traditions et les coutumes des minorités (comme par exemple au Royaume-Uni ou en Suède) ou de la majorité (Liban, Pakistan, Jordanie, etc..). En juin 2001, Mr Faqir Mohammed, de retour chez lui (à Manchester, au Royaume-Uni) après s’être rendu à la prière, a trouvé le petit ami clandestin de sa fille âgée de 24 ans, Shahida Parveen Mohammed allongé sur son lit (tout habillé). M. Faqir a empoigné sa fille par le cou et l’a poignardée à plusieurs reprises à la tête et à l’estomac. Pour sa défense, M. Faqir a soutenu qu’il avait été "poussé à tuer sa fille" par honte. L’argument implicite de la défense était que M. Faqir a agi selon les coutumes et les traditions.

19. Selon le Code pénal turque, la sanction pour un meurtre au premier degré est de 24 ans. En outre, si le meurtre est commis par un membre de la famille, la peine peut aller jusqu’à l’emprisonnement à vie sans liberté conditionnelle. Toutefois, les crimes dits d’honneur sont considérés comme des crimes répondant à une provocation extrême et les peines sont souvent minimales. En effet, le Code pénal turque autorise une réduction de la peine lorsque le meurtre est perpétré pour sauver l’honneur de la famille. L’Article 453 autorise une réduction de la peine si un enfant illégitime est tué dès sa naissance. L’article 463 réduit l’emprisonnement d’1/8ème si le meurtre est commis immédiatement avant, pendant ou immédiatement après un cas d’adultère ou de fornication supposée.

20. Les moyens permettant de minimiser un crime dit d’honneur sur les fondements de la coutume et de la tradition servent à commettre un crime dans les mêmes conditions qu’une jurisprudence étatique traite ce genre de défense. L’auteur du crime peut définir la signification de l’honneur pour lui permettre que ce concept devienne le point central de sa défense plutôt que le fait central et matériel ayant amené à ce qu’une femme ait été violentée et/ou assassinée. Lorsqu’un Etat ne punit pas ou lorsqu’il constate que la violence domestique ou les violences constituent une faute excusable, il stipule que la justice privée est acceptable. De plus, il "autorise" les auteurs des crimes à présenter des personnes lui permettant d’avoir une défense juridique - par exemple, dans le cas où les hommes souhaitent se débarasser de leur femme pour se remarier ou pour les membres masculins de la famille qui essaient de cacher le viol des femmes de leur propre famille. "L’excuse" de la défense au nom de l’honneur a également été utilisée comme moyen de régler des différends concernant les propriétés que ce soit en Inde (pour le paiement des dots) ou au Pakistan.

21. En avril 2001, l’Union Européenne (par le biais de l’envoyé suédois à Genève, Johan Molander) a déclaré devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies à Genève que "… les facteurs sociaux, culturels et religieux ne peuvent être invoqués pour justifier la violation des droits des femmes et des jeunes filles". Le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, a déclaré le 25 novembre 2000 qu’il "y a eu une mobilisation mondiale contre les pratiques traditionnelles nuisibles que l’on nomme "meurtres d’honneur" et qu’il préfère qualifier de "meurtres de la honte".

II. Cas de crimes dits d’honneur en Europe

22. Dans les pays d’Europe occidentale, la majorité des crimes dits d’honneur se produisent au sein des communautés d’immigrés.

23. De nombreuses femmes immigrées ou réfugiées en Europe se sentent isolées et laissées en marge de la société d’accueil. Le plus souvent incapables de parler la langue du pays d’accueil, elles sont encore plus exposées aux violences de toutes sortes et ne peuvent avoir accès à l’aide juridique de l’Etat ou ne connaissent pas leurs droits. La menace de l’expulsion en raison de la non-conformité des lois sur l’immigration donne une dimension encore plus complexe à leur situation.

Allemagne

24.  Le 11 novembre 1999, un Kurde de 34 ans s’est donné la mort par balle sous les yeux de policiers, après avoir massacré sept membres d’une famille kurde. La police a avancé comme motif le « sentiment de l’honneur bafoué » car les membres de cette famille avaient refusé de laisser l’assassin prendre pour deuxième femme leur fille âgée de 19 ans.

Suède

25. En janvier 2002, à Uppsala, un immigré kurde a tué sa fille, Fadime Sahindal, parce qu’elle refusait de se plier à la tradition kurde du mariage arrangé et avait une liaison avec un Suédois. Son assassinat a également soulevé la question du décès de son amant considéré initialement comme la conséquence d’un accident de voiture. Avant son assassinat, Fadime s’était même exprimée devant le Parlement suédois sur les difficultés rencontrées par les jeunes filles immigrées qui souhaitent vivre à l’occidentale. Le père de Fadime a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité.

26. En 1999, des réfugiés kurdes irakiens vivant en Suède sont retournés au Kurdistan irakien pour passer des vacances et marier à un Irakien leur fille de 19 ans, élève d’un établissement d’enseignement secondaire de Stockholm. Lorsqu’elle a refusé, la jeune fille a été tuée par son oncle.

27. L’idéologie de « l’honneur familial » est un obstacle à l’intégration des femmes dans la société suédoise. Les parents kurdes ne tolèrent pas que leur fille ait, ou ait eu, un petit ami, alors que souvent, ils acceptent que leur fils ait une petite amie.

Royaume-Uni

28. En mai 1999, la Cour d’Assises de Nottingham a condamné une mère pakistanaise et son fils à la réclusion à vie pour avoir tué la fille de cette femme, Rukhsana Naz, (une mère enceinte, ayant deux enfants). A leurs yeux, Rukhsana avait fait honte à la famille en ayant une liaison hors mariage. Son frère l’a étranglée tandis que sa mère l’empêchait de se débattre.

29. En février 1999, le cas de Jack et Zena Briggs de Bradford, a été soulevé au sein de la Chambre des communes. Leur seul crime était qu’ils s’aimaient. Zena était promise par ses parents à un cousin du Pakistan qui ne lui convenait absolument pas. La famille l’a condamnée à mort et a employé des détectives privés, des chasseurs de primes et des hommes de main, heureusement sans succès. Ce couple a cependant connu des années de détresse et de difficultés étant constamment obligé de s’échapper et de se cacher.

30. Au Royaume-Uni, au cours des cinq dernières années, on a enregistré au moins 20 décès liés à des crimes dits d’honneur.

Turquie

31. En avril 2001, deux sœurs âgées de 12 et 14 ans et leur cousine de 17 ans auraient été abattues par des hommes de leur famille parce qu’on les avait vues en compagnie de garçons.

32. Abdullah Karadeve a égorgé sa femme enceinte avec un couteau, simplement parce qu’il la soupçonnait d’avoir une liaison.

33. Une femme a été assassinée parce qu’une chanson lui avait été dédiée à la radio et que sa famille, soupçonneuse, en a déduit qu’elle avait un amant.

34. Cezvet Murat a tué deux de ses sœurs Ayten Murat et Gulten Solylemez parce qu’elles sont rentrées tard et il pensait qu’elles s’étaient prostituées.

35. Salih Esmer, âgé de 28 ans, a tué sa sœur Semra Esmer pour avoir fréquenté des hommes. Il a ensuite tué sa mère parce qu’elle n’avait pas bien élevé sa sœur.

III. Cas de meurtres dits d’honneur aux Etats-Unis d’Amérique

36. En mars 1993, la Cour Suprême du Missouri a entendu le cas d’une mère catholique romane brésilienne et de son mari palestinien et musulman qui ont été déclarés coupables au premier degré pour le meurtre de leur fille âgée de 16 ans, Palestina Isa. Elle avait trouvé un travail après l’école contre le souhait de ses parents et avait commencé à fréquenter un homme afro-américain. Pendant que sa mère la tenait, le père l’a poignardée au moins 16 fois.

37. En 1992, Lubaina Bhatti a été contrainte de se marier avec Nawaz Bhatti. Quelques années plus tard, Lubaina a accusé son mari de violence domestique mais sans le poursuivre devant le tribunal, de crainte que son époux ne ramène son fils au Pakistan. En février 1999, elle a finalement demandé le divorce. Le 11 septembre 1999, Nawaz Bhatti a assassiné sa femme, sa sœur, son père et sa nièce (il pensait que cette dernière avait aidé sa femme) pour défendre son "honneur", qui avait été entâché par les agissements déloyaux de sa femme.

IV. Responsabilité de l’Etat en matière de crimes dits d’honneur

38. Le rapporteur spécial des Nations Unies chargé de la question de la violence contre les femmes classe les crimes dits d’honneur perpétrés contre les femmes dans la catégorie des violences domestiques, c’est-à-dire exercées contre les femmes au sein de la famille ou de la communauté. Sur la base de la division entre la sphère privée et la sphère publique, les actes de violence familiale étaient auparavant perçus comme relevant du domaine privé et non pas comme une question se rattachant aux droits civils et politiques. Les Nations Unies ont explicitement reconnu la violence à l’égard des femmes comme une question de droit de l’homme engageant la responsabilité de l’Etat. Le rapporteur spécial a affirmé que : « Dans sa forme la plus complexe, la violence domestique constitue un puissant instrument d’oppression. La violence contre les femmes en général, et la violence domestique en particulier, servent dans certaines sociétés, de composantes essentielles de l’oppression des femmes puisque non seulement la violence contre les femmes découle des stéréotypes sexistes dominants mais elle les entretient, et est utilisée pour contrôler les femmes dans le seul espace sur lequel traditionnellement elles aient la haute main, à savoir le foyer ». 

39. Dans certains pays, on considère que les coutumes et traditions doivent être respectées en tant que manifestations authentiques d’une culture nationale ou communautaire et n’ont pas à être examinées dans la perspective des droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. La Conférence mondiale sur les droits de l’homme a adopté la déclaration et programme d’action de Vienne qui stipule à l’article 5 que « tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. … S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des Etats, quel que soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. En décembre 1993, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui engage les Etats à « ne pas invoquer de considérations de coutume, de tradition ou de religion pour se soustraire à l’obligation de l’éliminer."

40. La convention relative aux droits de l’enfant a été ratifiée par tous les Etats sauf deux dont les Etats-Unis d’Amérique. Son article 19 (1) oblige les Etats à protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalité infligée dans le domaine privé y compris par les parents, le ou les tuteur(s) légaux ou toute autre personne à qui il est confié. « Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

41. L’article 18 de la déclaration et du programme d’action de Vienne de la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme de 1993 stipule que « …les violences qui s’exercent en fonction du sexe et toutes les formes de harcèlement et d’exploitation sexuels, y compris celles qui sont la conséquence de préjugés culturels… sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et doivent être éliminées. On peut y parvenir au moyen de mesures juridiques et grâce à une action nationale et à la coopération internationale dans divers domaines comme le développement économique et social, l’éducation,… et l’aide sociale ». Comme l’a souligné le rapporteur spécial chargé de la question de la violence contre les femmes, « les Etats ont l’impérieux devoir de lutter contre ces pratiques culturelles qui se traduisent par des violences contre les femmes, les avilissent et les humilient et qui, partant, les empêchent d’exercer pleinement leurs droits fondamentaux. Les normes internationales exigent que les Etats mènent une action concertée pour éradiquer ces pratiques, même si ceux qui les défendent affirment qu’elles découlent de croyances et de rites religieux ».

42. L’Etat ne doit pas tolérer les crimes dits d’honneur qui représentent une violation des droits internationalement reconnus de la femme qu’il incombe à l’Etat de faire respecter.

43. L’obligation pour les Etats de prendre des mesures contre les violations des droits de l’homme par des personnes privées est énoncée dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Pour les pays européens, la Convention européenne des Droits de l’Homme et la jurisprudence de ses organes sauvegardent notamment le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité et le droit à un procès équitable.

44. Si l’Etat manque à son obligation d’agir avec la diligence voulue pour prévenir les mauvais traitements, y compris la violence à l’égard des femmes au nom de l’honneur, mener des enquêtes et sévir, il est responsable au regard du droit international en matière de droits de l’homme.

45. En novembre 2000, la troisième commission de l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté un projet de résolution sur les mesures à prendre en vue d’éliminer toutes les formes de violence contre les femmes. C’est la première fois dans l’histoire des Nations Unies que la question des crimes dits d’honneur est examinée au sein de l’un de ses organes. La délégation des Pays-Bas a mis cette question à l’ordre du jour de la Commission sociale, humanitaire et culturelle sous le point intitulé « promotion de la femme ». La résolution appelle tous les pays à s’opposer à des crimes de ce type, (et, par conséquent, toutes les formes de violence contre les femmes) et reconnaît que cela exige des changements fondamentaux dans les attitudes de la société et l’utilisation de mesures législatives, d’éducation, des mesures sociales et des prises de conscience. Elle a été adoptée par 120 voix pour et 25 abstentions (pour la plupart, des pays islamiques, mais aussi la Russie, la Chine et le Salvador). Ces pays ont argumenté leur abstention en déclarant que le but des auteurs de la résolution était de "toucher une culture", qu’elle était simpliste dans sa compréhension de la nature des crimes dits d’honneur et sélective pour plaider l’élimination d’un certain type de violence contre les femmes.

46. Il ne faudrait pas que les Etats se bornent à prendre des dispositions législatives mais qu’ils élaborent une politique d’ensemble comprenant la formation des fonctionnaires (par exemple : les juristes, les juges, la police, les autorités sanitaires, les services sociaux, les autorités familiales, les services d’immigration), l’éducation des immigrés (leur langue et leurs droits) et des programmes de sensibilisation à l’égalité entre les sexes (comme dans le document du Home Office du Royaume-Uni publié en juin 1999 "Vivre sans crainte : une approche intégrée pour combattre la violence contre les femmes"). La mise en œuvre de ces mesures est l’un des indicateurs permettant d’évaluer l’ampleur des efforts déployés.

V. Initiatives juridiques européennes pour la protection des femmes migrantes

47. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés énonce simplement cinq motifs de reconnaître à quelqu’un le statut de réfugié : c’est une personne « craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques… On a suggéré d’ajouter un sixième motif fondé sur le sexe. Toutefois, la jurisprudence du monde entier fournit amplement la preuve que les plaintes liées à la discrimination sexuelle doivent être traitées dans le cadre du texte en vigueur. Les persécutions fondées sur le sexe, comme les menaces d’être victime de crimes dits d’honneur, sortent de l’ombre.

48. Certains pays européens, l’Allemagne en tête, continuent de soutenir que, pour qu’un individu puisse bénéficier du statut de réfugié, les persécutions redoutées doivent être le fait de l’Etat (ou d’un agent de l’Etat). Cependant, le HCR fait valoir que l’important, ce n’est pas de savoir qui est l’auteur des persécutions mais si l’Etat est désireux et capable de protéger la victime.

49. En avril 2001, la Commission européenne a soumis à l’examen une proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales relatives pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres. La Commission a recommandé que les intérêts de certains demandeurs d’asile soient pris en compte, notamment ceux des « victimes de viol ou d’autres formes de violence fondée sur le sexe » (article 20), en précisant que ces victimes devraient être « hébergées dans des centres spéciaux pour personnes traumatisées ou [avoir] accès à des programmes spéciaux de réadaptation » (article 26).

50. En septembre 2001, la Commission a soumis une proposition de directive concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d’autres raisons, a besoin d’une protection internationale. Elle énonce notamment que « la notion de groupe social recouvre les groupes pouvant se définir en fonction de certaines caractéristiques essentielles comme l’orientation sexuelle » (article 12) et que la crainte d’être persécuté … est fondée, que la menace … provienne de l’Etat … ou d’acteurs non étatiques dans les cas où l’Etat ne peut pas ou ne veut pas accorder une protection effective (article 9).

VI. Actions positives des Etats européens

51. Le cas du meurtre de Fadima Sahindal a soulevé un vif débat en Suède sur les difficultés des immigrés à s’adapter à la vie en Suède.

52. Depuis ce meurtre, le Gouvernement a pris des mesures pour protéger les jeunes filles de famille immigrée. Des lieux d’hébergement plus sûrs sont mis à la disposition des jeunes filles qui ont besoin de protection.

53. La loi sur le mariage a été modifiée de sorte que les non Suédois(es) vivant dans le pays sont également soumis(es) à une loi interdisant le mariage avant 18 ans.

54. Au Royaume-Uni, on a beaucoup travaillé sur les mariages forcés. Une commission mixte a été créée par le Ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères en 1999 : "le groupe de travail sur les mariages forcés". Plus récemment, la police a donné des consignes claires concernant les mariages forcés, l’éducation des enfants concernant les violences et les abus dont les femmes sont souvent l’objet.

Bien qu’il n’y ait pas de preuve substantielle (si ce n’est les rumeurs) pour prouver le lien entre le mariage forcé et les "meurtres d’honneur", la preuve anecdotique suggère que la menace d’un crime dit d’honneur peut persuader une femme d’accepter la conclusion d’un mariage contre sa volonté.

VII. Recommandations

55. Les gouvernements devraient considérer les meurtres d’honneur comme des crimes et comme une forme de violence contre les femmes.

56. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient prendre des mesures urgentes dans les trois domaines principaux : juridique, de prévention et de protection.

57. Mesures juridiques

  veiller à ce que les services de l’immigration reconnaissent qu’une femme puisse obtenir le droit d’asile pour échapper à la violence (quel que soit l’agresseur) et ne soit pas menacée d’expulsion ou de retour forcé s’il y a ou s’il y a eu des actes de violence ou de menaces de violence ou d’abus ;

  veiller à ce que les allégations de violence et d’abus soient traitées comme des plaintes d’homicide sérieuses et qu’une enquête soit faite d’une manière sérieuse ;

  veiller à ce que le crime soit réellement puni sans autoriser l’assassin des « crimes d’honneur » à utiliser l’orgueil et l’honneur familial pour atténuer ses actes. Il faut plutôt appliquer la loi pénale le plus sévèrement possible afin d’arriver à dissuader les autres ;

  prendre toutes les mesures nécessaires pour que les décideurs et les fonctionnaires de police et de justice aient une meilleure connaissance des causes et conséquences de ces crimes ;

  assurer une présence féminine dans les organes judiciaires qui s’occupent de tels cas.

58. Mesures de prévention

  lancer des campagnes nationales de sensibilisation, mettant en jeu les médias, le système éducatif et les institutions religieuses afin d’éliminer et de prévenir les crimes d’honneur ;

  proposer des programmes éducatifs spéciaux pour les femmes issues de communautés où des crimes d’honneur sont perpétrés ;

  dispenser aux fonctionnaires de police et de justice une formation aux questions d’égalité entre les sexes afin qu’ils puissent traiter de manière impartiale les plaintes pour violences au nom de l’honneur ;

  veiller à ce que les enfants, et les garçons en particulier, soient sensibilisés à la question de l’égalité et ce, dès leur plus jeune âge (comme il est préconisé dans le document de 1999 du Ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni "vivre sans crainte".)

59.  Mesures de protection

  apporter aux victimes d’une tentative de « meurtre d’honneur » et aux victimes potentielles une aide sous forme de protection individuelle, d’assistance juridique et de réadaptation psychologique ;

  créer les conditions de sécurité et de confidentialité incitant la population à signaler ces crimes ;

  soutenir les ONG et les associations de femmes qui dénoncent ces pratiques.

Source : Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe