Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs,

Je pense ressentir la même chose que mes autres collègues : en un jour comme aujourd’hui, j’ai du mal à mener un débat, important certes, mais néanmoins habituel, sur un poste budgétaire. Compte tenu du déclenchement des premières opérations militaires, je dirai, comme l’a fait Kofi Annan hier lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, que nous vivons un jour triste. Et j’ajouterai que c’est pour le gouvernement fédéral et pour moi-même une nouvelle amère, car la guerre est la pire des solutions.

La guerre ne doit toujours être que l’ultime recours. Au Kosovo comme en Afghanistan, notre gouvernement n’a pas vu d’alternative et c’est pourquoi, aussi difficile que cette décision ait pu être, il a eu recours à ce tout dernier moyen. Cependant, avant d’avoir recours à ce tout dernier moyen, il faut toujours clarifier quels sont les risques en présence et si tous les moyens pacifiques sont réellement épuisés. Voilà avant tout les raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral s’oppose à cette guerre et n’y participera pas.

Si l’on considère la situation en Iraq, ce constat s’impose : Saddam Hussein est un terrible dictateur. Il a attaqué ses voisins à deux reprises. Il disposait d’armes de destruction massive et il existe le soupçon fondé qu’il continue d’en disposer aujourd’hui. Pour toutes ces raisons, on n’a cessé de pratiquer à l’égard de l’Iraq, depuis la première guerre du Golfe, une politique d’endiguement ; des zones d’interdiction de vol ont été mises en place et un embargo sévère a été décrété, qui a eu des conséquences fatales d’ailleurs pour une grande partie de la population.

Pendant tout ce temps, il n’a toutefois pas été pratiqué de politique d’apaisement à l’égard de l’Iraq. Il a cependant été décidé au Conseil de sécurité de formuler une nouvelle résolution. Sur la base de la résolution 1441, les inspecteurs ont pu revenir en Iraq. Ces inspecteurs ont progressé dans leur travail. L’Iraq n’a coopéré que de manière hésitante, au départ plus mal que bien. Il n’empêche que l’instrument des inspections a permis de minimiser le danger. Une coopération hésitante peut-elle sérieusement être invoquée comme motif pour déclencher une guerre alors que les contrôles ont été parallèlement renforcés et que les risques ont été réduits ? Notre réponse est un "non" clair et net.

Les inspections se sont avérées un instrument efficace. On avance régulièrement comme argument que cet instrument ne fonctionne qu’en connexion avec la menace d’une intervention militaire comme coulisse. Nous devons aujourd’hui cependant remettre en cause cette affirmation. Tous ceux qui ont lu les journaux américains ces derniers jours, que ce soit le "Washington Post", le "New York Times" ou le "Wall Street Journal", sont tout à fait conscients qu’il s’est agi d’un déploiement militaire qui va au-delà d’un scénario sur fond de menace et qui a eu des effets en conséquence.

Dans ce contexte apparaît également le caractère limité des reproches formulés hier par le chef de l’opposition, Mme Merkel, à l’encontre du chancelier fédéral et de son gouvernement. Il est à mes yeux tout simplement absurde de faire de tels reproches au gouvernement fédéral.

Il y avait une alternative pacifique à cette décision en faveur de la guerre. Précisément la journée d’hier l’a montré de nouveau clairement. Hans Blix avait pris une décision concernant les missiles Al-Samoud. Ces missiles faisaient partie du rapport présenté conformément à la résolution du Conseil de sécurité. Les inspecteurs ont fait leur travail et ils ont constaté que la portée de ces missiles dépassait la portée autorisée. Après ce constat, il était clair que les missiles en question devaient être désarmés, détruits. Hans Blix avait fixé le 1er mars comme date pour le début de la destruction des missiles et il avait déterminé la marche à suivre.

Je suis certain que si Saddam Hussein s’était montré récalcitrant à ce moment-là, nous aurions été lancés encore bien plus tôt dans une opération militaire. Lorsque les inspections ont commencé à produire leurs effets - plus de 70 missiles Al-Samoud ont été détruits à ce jour -, il a été décrété soudain que c’était sans importance. Hier, c’est pourtant sur cette base justement que M. Blix a présenté son rapport d’activité concret.

Pourquoi vous dis-je tout cela ? Je le fais parce que je suis fermement convaincu, tant personnellement que d’un point de vue politique, que nous avions la chance de désarmer complètement l’Iraq par des moyens pacifiques et d’éliminer le danger qui émane de ce pays en raison de l’existence éventuelle d’armes de destruction massive.

Il faut néanmoins le dire sans équivoque - et c’est ce que j’ai déjà fait à plusieurs reprises - : nous n’aurions, c’est certain, pas pu écarter ainsi Saddam Hussein du pouvoir. Mais cela n’a jamais fait l’objet de la résolution du Conseil de sécurité et de la politique défendue par ce même Conseil.

J’en arrive au point crucial : pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à combler le fossé qui s’est creusé au sein du Conseil de sécurité ? Je ne comprends pas la position centrée sur la politique intérieure pas plus que le calcul de politique intérieure qui amène à reprocher entre autres au gouvernement fédéral de s’être fixé trop tôt. Cela n’a rien à voir avec la réalité objective.

Nous en avons à nouveau fait l’expérience hier au sein du Conseil de sécurité : après des mois de débat et des situations très délicates pour certains membres, rien n’a réellement changé dans le rapport de majorité au sein du Conseil de sécurité qui est resté identique à ce qu’il était au départ. La très nette majorité du Conseil de sécurité est d’avis, tout comme le gouvernement fédéral, qui est représenté au nom de la République fédérale d’Allemagne au sein du Conseil de sécurité, que c’est une erreur d’avoir recours à des moyens militaires alors que les moyens pacifiques ne sont pas épuisés. Voilà également ce qu’a démontré la journée d’hier. Il faut prendre enfin conscience que la grande majorité du Conseil de sécurité est contre cette décision.

Cela n’a rien à voir avec le fait que quelqu’un se soit fixé trop tôt, qu’il doive être isolé ou quelque chose de semblable. Il s’agit en partie de partenaires très proches - comme nous - des États-Unis d’Amérique, par exemple le Mexique ou le Chili. Ce ne sont pas des pays dont les relations avec les États-Unis puissent poser le moindre doute, tout comme cela n’est pas non plus le cas des Européens. On ne peut que constater que ce sont des arguments graves qui sont en cause.

Si j’évoque à nouveau ce fait dans cette enceinte, c’est parce que je crois que cela joue un grand rôle au-delà de la journée d’aujourd’hui. Et je vais vous dire pourquoi : même si je ne me base pas sur le scénario de menace le plus noir, cela ne sera pas la dernière situation problématique de ce genre que connaîtra la planète. Vous le savez aussi bien que moi. Cela implique-t-il que le nouvel ordre mondial reposera sur des guerres visant à désarmer des dictateurs que l’on soupçonne de posséder des armes de destruction massive ou pour lesquels on dispose d’indices fondés qu’il en est ainsi ? Ne devons-nous pas plutôt miser sur le fait - et c’est ce que pense la majorité du Conseil de sécurité - que les structures et les instruments que nous avons mis au point maintenant et qui sont liés aux Nations Unies, sont davantage porteurs de sécurité pour nous ? Un régime de non-prolifération efficace doit réellement lutter contre les nouveaux risques et dangers. Mais il ne doit pas reposer sur les décisions individuelles d’une seule puissance ; il doit reposer sur des règles de sécurité collective qui devront être élaborées ensemble ainsi que sur les instruments correspondants. Telle est la position du gouvernement fédéral.

Nous sommes très préoccupés du sort des êtres humains. Nous espérons tous - et je tiens ici à inclure expressément les soldats en mission sur place - voir les hostilités cesser le plus rapidement possible, et nous espérons avant tout voir protégée la population civile qui, ces dernières décennies, a suffisamment souffert sous ce dictateur et aussi sous d’autres facteurs. Il ne faut en aucun cas - et j’insiste encore une fois sur ce point - quel’on en vienne à utiliser des armes de destruction massive et il ne faut en aucun cas non plus qu’une attaque soit menée contre Israël. J’espère que nous sommes tous bien d’accord sur cela.

Autrement que par le passé, il était tout naturel pour le gouvernement fédéral que nous fournissions à Israël les missiles Patriot qui nous étaient demandés.

Il faut tout mettre en œuvre pour éviter une catastrophe humanitaire, comme l’a illustré hier une contribution impressionnante faite par Kofi Annan à la fin de la réunion du Conseil de sécurité.

Les Nations Unies ont beaucoup fait dans ce domaine ces dernières années. Plus de 2 millions d’êtres humains ont été et sont directement tributaires des aides alimentaires fournies par l’ONU. Ces livraisons sont vitales en particulier pour les plus faibles - malades, vieillards, personnes handicapées et enfants. C’est pourquoi il est tout à fait décisif que nous renforcions notre engagement dans ce domaine. Je tiens dès maintenant à remercier vivement les groupes parlementaires pour leur réponse positive qui permettra à cette intention de se concrétiser. Car nous devons faire le maximum pour empêcher une catastrophe humanitaire.

Mais il est décisif que le Conseil de sécurité et les Nations Unies demeurent les instances centrales. Il en est de même pour les négociations relatives à un règlement politique et au rétablissement de la paix dans la région. Cela revêt une importance essentielle si nous voulons véritablement mettre un terme aux menaces.

Permettez-moi un bref retour en arrière. Après les événements du 11 septembre, je me suis efforcé lors de mes visites à Washington les 18 et 19 septembre de mener un débat sur d’éventuels déficits. L’un ou l’autre collègue parmi vous s’en souvient, car nous en avons discuté en tête-à-tête ou parfois à trois avec des représentants de l’opposition. Je connais donc vos doutes et vos préoccupations. S’il y a eu un déficit après le 11 septembre, la question décisive n’est pas de savoir si le monde doit changer pour faire face aux nouvelles menaces, mais comment il doit changer.

Le débat stratégique dans l’espace transatlantique n’a pas eu lieu justement. C’est là, à mon avis, le problème décisif. Ce n’est pas en nous livrant à des réminiscences historiques - et en disant cela, je pense au plus grand groupe de l’opposition - que nous pourrons surmonter ce problème. Nous devons comprendre que nous ne devons pas tout accepter en raison de notre orientation stratégique. Loin de moi l’idée de lancer une polémique. Mais on est bien forcé de voir que, dans presque toutes les démocraties en dehors des États-Unis, la population résiste massivement à la guerre. Cela s’applique aux très proches alliés des États-Unis en Amérique latine au même titre qu’aux très proches alliés européens.

Ces résistances reflètent exactement ce déficit de débat. Comment le nouvel ordre mondial doit-il être organisé ? Doit-il être fondé sur la coopération ? Doit-il être bâti sur des fondements multilatéraux ? Ou bien s’agit-il d’un ordre mondial unilatéral qui opère des différences substantielles correspondant à la répartition des pouvoirs ? Les Européens surtout doivent se pencher sur ces questions, non pas pour tenir tête aux États-Unis, mais pour développer nos propres capacités.

Je ne trouve pas grave du tout que les Européens reconnaissent qu’ils ne sont pas encore d’accord sur ce point. L’Union européenne a toujours su tirer profit des crises et des nouveaux défis. Et j’ajouterai explicitement que je comprends fort bien l’autre point de vue défendu par de nombreux Européens de l’Est, tout spécialement par nos amis polonais. Ayant connu quatre divisions de leur pays, impliquant la Russie mais nous aussi, il est tout à fait normal qu’ils aient une autre vue des choses. Pour avoir fait l’expérience du rapprochement à la suite du rétablissement de l’unité allemande, nous, Allemands, sommes bien placés pour savoir quelles difficultés cela représente, et de quelle patience et de quelle sensibilité il faut faire preuve pour aller les uns vers les autres.

Cette Union élargie sera aussi plus fortement marquée par ses différences. Il faudra beaucoup, beaucoup d’expérience pour parvenir à surmonter la division de l’Europe qui a duré 50 ans. Une nouvelle génération devra naître. Mais cela suppose aussi qu’il nous faudra créer parallèlement des institutions stables, capables d’intégrer cette Union élargie et plus complexe. Telles sont les prémisses. Nous, Européens, devons donc assumer une responsabilité plus grande, également une responsabilité à l’échelle mondiale. C’est là aussi l’une des conséquences des expériences de ces derniers mois. Nous devrons nous montrer à la hauteur de cette responsabilité.

Car si l’Europe symbolise une notion de sécurité élargie, si l’Europe est synonyme de multilatéralisme, de nouvel ordre mondial fondé sur la coopération, alors l’Europe doit également être dotée de toute la palette des moyens et de la volonté politique, ainsi que des institutions et des capacités qui lui permettront de s’acquitter de cette mission. Notre pays, qui est le plus grand État membre de l’Union européenne, devra y contribuer pour une part tout à fait décisive.

Le débat stratégique doit être mené au-delà de la situation actuelle et il doit aussi déboucher sur des décisions. Aujourd’hui justement, lorsque les chefs d’État et de gouvernement se réuniront, ils ne devront pas l’oublier.

Je le rappelle : c’est pour moi une nouvelle amère que cette guerre car il existait concrètement une alternative pacifique.

(…) C’est une journée amère. Nous sommes préoccupés du sort des êtres humains. Nous souhaitons et nous espérons voir cette guerre cesser le plus rapidement possible. Notre principal souci est d’empêcher une catastrophe humanitaire. Dans le cadre et sous l’égide des Nations Unies, nous entendons contribuer à ce qu’une telle catastrophe ne se produise pas.

En outre, nous sommes favorables à un ordre de paix multilatéral, nous voulons une ONU forte. Je considère comme tout simplement erronée la thèse selon laquelle le Conseil de sécurité se trouverait affaibli par ce qui s’est passé. Pour que l’ONU soit forte, il faut que les Européens se rejoignent et qu’ils contribuent eux aussi à ce qu’un ordre de paix multilatéral fondé sur une sécurité coopérative devienne une réalité.