Monsieur le Président de la Fédération de Russie,
Herr Doktor Bundeskanzler,
Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs,
C’est un honneur pour moi de prendre la parole aujourd’hui devant votre éminente assemblée pour évoquer des questions aussi essentielles que le droit et la sécurité. Aussi, permettez-moi de remercier très chaleureusement le Président POUTINE de m’avoir associé à cette initiative, aux côtés de mon ami le Chancelier Fédéral d’Allemagne, Gerhard SHROEDER que je félicite à nouveau pour son grade de Docteur honoris causa de l’une des plus prestigieuses Université et Faculté de droit de notre monde contemporain.
Je me réjouis aussi d’être à Saint-Pétersbourg. A Paris, en février dernier, lors de sa visite d’Etat, j’avais confié au Président de la Fédération de Russie toute mon admiration, ma très grande admiration pour la ville qui l’a vu naître. Cette extraordinaire cité, née du rêve de Pierre le Grand, fruit d’un courage inouï, d’une volonté inébranlable. Cette ville sortie de la mer à la voix d’un homme ; symbole, voici trois siècles, d’une nouvelle Russie, amarrée à l’Europe, résolument tournée vers les Lumières de la raison, de la science et du progrès. Cette ville, dont le nom retrouvé est en quelque sorte le symbole du retour de la Russie à son histoire, à l’Europe, à la démocratie et à la grandeur.
Mesdames et Messieurs,
Rassembler pour un colloque consacré à la sécurité et au droit international le Président de la Fédération de Russie, le Chancelier Fédéral d’Allemagne, le Président de la République française a valeur de symbole, celui de trois nations appartenant à un continent qui, après les totalitarismes, deux conflits mondiaux, l’Holocauste, près de cinquante années de guerre froide, a fait le choix de se libérer des jeux de puissance. Une Europe réconciliée avec elle-même et qui a désormais effacé ses anciennes fractures.
Cette Europe, elle a longtemps hésité entre lumières et ténèbres. Elle a longtemps privilégié la force sur le droit, mais elle a voulu aussi se dépasser en puisant son inspiration dans les valeurs de la démocratie.
Cette Europe, n’oublions pas ce qu’elle doit à l’Amérique dans la prise de conscience, au lendemain de la première guerre mondiale, que la politique étrangère doit être guidée aussi par les valeurs de la démocratie. Et le monde sait également que la contribution des Etats-Unis a été déterminante pour fonder sur ces valeurs l’Organisation des Nations Unies en 1945.
A l’ère des blocs, la Charte des Nations Unies a pu sembler un idéal hors de portée : comment encadrer le recours à la force, comment assurer la suprématie du droit, dans un monde animé par une logique d’affrontement et de course aux armements ?
Pendant près de cinquante années, l’équilibre des moyens de destruction, la crainte d’une apocalypse nucléaire, ont été, dans la réalité, le fondement de l’ordre international.
Nous voyons maintenant que la prétendue "fin de l’histoire" s’est traduite par le retour de la guerre comme option de règlement des conflits. Paradoxalement, dans le même temps, la victoire de nos valeurs communes nous permet d’espérer et d’inventer un monde où, selon les principes de responsabilité collective et de solidarité, les Etats acceptent librement de voir la force assujettie au droit. Un monde où, dans le cadre des Nations Unies, la définition collective de l’équilibre nécessaire entre diplomatie et force est source d’équité. Un monde où il ne peut y avoir de recours à la force que soutenu par la Communauté internationale. Nous retrouvons ainsi les fondements de la Charte des Nations Unies.
C’est ce monde de droit et de justice, appuyé par un partenariat harmonieux entre grands ensembles, que nous appelons de nos voeux. Il n’est pas une utopie. Au Koweït en 1991, au Cambodge, dans les Balkans, en Sierra Leone, au Timor Oriental, l’ordre international, décidé et assumé collectivement, a prévalu.
De même, au lendemain de la tragédie du 11 septembre, la Communauté internationale s’est immédiatement rangée aux côtés des Etats-Unis agressés. L’ONU a, sans délai, légitimé le recours à la force contre ceux qui avaient commis ou rendu possible cet acte odieux. La cause était juste, la guerre en Afghanistan était légitime, la Communauté internationale était unie dans sa détermination.
Le monde dans lequel nous vivons est un. Le combat que nous menons contre les nouvelles menaces, le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, doit respecter les principes que nous défendons. Le respect du droit est la vraie force des démocraties. Il n’est pas un aveu de faiblesse, mais une exigence morale et politique et un facteur d’efficacité.
Guidée par les valeurs de la démocratie, l’action internationale doit s’appuyer sur des normes collectives incontestables et s’accompagner de la mise en place d’une justice internationale qui donne à ces normes juridiques toute leur force. Aucun ordre international durable ne peut reposer sur une logique de puissance.
Le dialogue, la compréhension et le respect de l’autre sont également des éléments nécessaires d’un ordre international juste. Assurer le dialogue entre les cultures, entre les civilisations, entre les religions, c’est éviter que leur affrontement ne fasse le jeu des fanatiques et des ennemis de la liberté. C’est oeuvrer dans le sens de nos valeurs.
Nous savons aussi que le droit et le dialogue ne peuvent pas toujours être la seule réponse. Pour être crédible, la diplomatie doit pouvoir s’appuyer sur la force militaire. L’Europe sait ce qu’il en a coûté aux démocraties de ne pas avoir su se résoudre à temps à cette nécessité. L’usage de la force est parfois le prix de la paix mais, conformément à la Charte des Nations Unies, ce doit être l’arme du dernier recours, quand toutes les autres solutions ont été épuisées.
Mesdames et Messieurs,
Dans la crise de l’Iraq, la Communauté internationale s’est divisée. Le différend n’a jamais porté sur la condamnation d’une dictature, dont la chute réjouit la France, comme toutes les démocraties. Notre différend a porté sur la manière de gérer le monde, ses crises et notamment les crises de prolifération.
J’ai la conviction que la Communauté internationale peut se retrouver autour des valeurs qui fondent les Nations Unies.
Aujourd’hui, la priorité est de faire face à l’urgence et de répondre au plus vite aux besoins humanitaires des populations éprouvées.
Demain, après la phase de sécurisation nécessaire, les Nations Unies devront jouer un rôle central pour assurer le retour à la souveraineté de l’Iraq et rendre au peuple Iraquien sa dignité dans la liberté retrouvée. C’est la vocation et la mission des Nations Unies qui incarnent le droit au service des peuples et le respect de leur diversité.
Nos pays, dans le cadre des Nations Unies, sont prêts à prendre toutes leurs responsabilités pour permettre la reconstruction de l’Iraq et sa démocratisation. C’est ainsi que l’Iraq de demain pourra reprendre toute sa place dans la Communauté internationale et contribuer, par sa stabilité, à l’équilibre de l’ensemble de la région.
C’est notre ambition. Nous pensons aujourd’hui qu’elle peut être largement partagée dans le monde. Nous mettrons tout en œuvre pour qu’elle se réalise, parce que l’action des Nations Unies est la meilleure garantie pour donner aux Iraquiens la maîtrise de leur destin et apaiser le sentiment de frustration des peuples de la région.
Nous savons que les Nations Unies ont, à travers leurs agences, les moyens d’agir efficacement. Elles ont l’expérience requise pour assister le peuple iraquien dans le gigantesque effort de reconstruction et de renouveau politique qui s’ouvre devant lui.
Au-delà de la question de l’Iraq, au-delà de la nécessaire relance du processus de paix au Proche-Orient, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est bien notre capacité à donner des fondations solides à un nouvel ordre mondial reposant sur l’adhésion des peuples, sur leur liberté et sur le respect de leur identité.
Nous pouvons reconstruire notre unité autour des valeurs qui nous sont communes, qui sont communes à toutes les grandes démocraties. L’esprit de solidarité et de responsabilité collective doit sortir renforcé de cette épreuve. C’est en tout cas l’esprit qui anime la France.
Je vous remercie.
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