Mesdames et Messieurs,

Une fois de plus, le Moyen-Orient connaît l’épreuve de la guerre, son cortège de misère et de morts, le sentiment d’injustice dans une région déjà tant meurtrie. Convaincue qu’il y avait une alternative à la guerre par le désarmement pacifique de l’Irak, la France a tout fait pour l’éviter. Elle souhaite, avec la fin du régime de Saddam Hussein, que l’espoir puisse très vite renaître.

A l’heure où menacent les fractures du monde, la haine et l’intolérance, les forces du terrorisme et de l’intégrisme, la prolifération des armes de destruction massive, nous devons construire ensemble un monde de paix, offrant à chacun sa place, respectant toutes les cultures. Devant tous ces défis, le monde hésite sur la voie à suivre. D’un côté se fait jour la tentation de la force, de l’action unilatérale et préventive. De l’autre, la volonté de justice et de dialogue, fondée sur la primauté du droit et la légitimité de l’action internationale, que seules détiennent les Nations unies. Aujourd’hui, toutes les inquiétudes convergent vers le Moyen-Orient, au cœur de tant de souffrances et de blessures. Comment ne pas comprendre la douleur et la peine, celles que chantent tant de poètes de la modernité arabe, depuis le temps d’Ahmed Chawki et de Khalil Moutran, celles qui résonnent à travers la voix de Mahmoud Darwich : Et les jours s’habituent à trouver morts Les vivants… ou encore d’Adonis glacé par l’effroi : J’ai vu mes pieds se transformer en rivière débordante de sang Aujourd’hui, nous mesurons bien l’urgence : ancrer la paix au Moyen-Orient. Tracer le sillon d’un nouvel avenir sur cette terre si proche, si essentielle pour la France et pour l’Europe, si déterminante pour l’équilibre du monde. Je veux parler aujourd’hui aux hommes et aux femmes de cette région. Je veux explorer avec vous le chemin de la liberté, interroger les voies de la modernité, questionner cette identité source de tant de douleurs, mais porteuse aussi de tant de promesses.

Comment oublier nos origines alors que la Méditerranée unit depuis si longtemps nos destinées ? Songeons à l’épopée d’Alexandre, à Hérodote cheminant de Grèce vers la Mesopotamie, quand la culture savait rayonner sur les deux rives de la Méditerranée. D’Alexandrie à Volubilis, d’Ephèse à Massada, de Jerash à Tipaza, la mémoire chevauche les vestiges de pierre, le passé parle au présent et nous rappelle la diversité de nos héritages communs. Songeons à Bethléem, ce village d’un enfant juif, fondateur du christianisme, vénéré comme prophète par les musulmans. Des lieux comme Jérusalem et Nazareth, où se noue aujourd’hui le drame de la discorde, évoquent les liens de notre histoire commune, de notre propre origine.

Depuis toujours, la rencontre de l’Orient et de l’Occident constitue la grande aventure : du rêve de l’Andalousie, sous le califat de Cordoue, aux légendes épiques de Charlemagne. De la lecture des Mille et Une Nuits par l’Europe fascinée des temps classiques à l’oeil critique des Persans de Montesquieu parti à la recherche de lui-même à travers le regard de l’autre, ou à la voix de Zadig le Babylonien qui donne au lecteur la grande leçon du bonheur sous la plume de Voltaire. Pensons à la grande aventure de la poésie et du chant amoureux, de Roumi à Dante ou à Aragon. Et je n’oublie pas Naguib Mahfouz, qui découvre l’idée même du roman à travers Balzac et Charles Dickens.

Bien sûr, cette rencontre fut aussi celle des armes et des soldats en marche, quand Tarik portait l’Islam en Europe ; quand les Croisades plus tard engendraient la brutalité et l’incompréhension, décrites par Francesco Gabrielli ; quand, bien plus tard, les Européens s’engageaient dans l’entreprise coloniale. Je n’oublie pas la violence et les dépossessions qui ont marqué cette époque. Mais la lucidité et le courage de dirigeants visionnaires ont permis au Moyen-Orient de saisir là l’occasion d’un défi exemplaire. De l’Egypte de Mohamed Ali, envoyant le jeune Mohammed Rifaa à Paris pour y traduire tous les livres et y puiser toutes les sciences, à la Turquie d’Atatürk ou à l’Iran de l’indépendance pétrolière, ils se sont réapproprié leur souveraineté en intégrant les apports occidentaux. Pour nourrir la Renaissance qu’ils souhaitaient pour leurs pays, la "Nahda", les intellectuels arabes apprivoisèrent le monde extérieur et s’ouvrirent aux apports d’un enrichissement fécond. Par sa Lettre aux Français, la haute figure de l’Emir Abdelkader montra sa foi dans le renouveau du monde arabe par le progrès et la culture. Il sut instaurer une relation d’estime et de confiance avec Napoléon III, qui projetait d’établir une alliance entre la France et un royaume arabe dont l’émir aurait été le chef.

Revenue des conquêtes, la France sait tout ce qu’elle doit à l’héritage arabe et moyen-oriental. Sans Averroès, aurions-nous connu Aristote ? Sans l’encyclopédie médicale d’Avicenne, qu’aurions-nous su de Gallien et d’Hippocrate ? Les sciences sociales auraient-elles pu se passer d’un Ibn Khaldoun, l’astronomie d’un Al Biruni ? Les mathématiques d’un Al Khawarizmi ? Cet héritage va bien au-delà des sciences et des idées. Notre langue porte en elle votre présence dans notre histoire : chiffres, algèbre, sofa, amiral, ou carmin, autant de mots arabes qui témoignent de nos univers entremêlés. * Aujourd’hui, nos cultures sont indissociables l’une de l’autre. Au sein de la population française, près de cinq millions de musulmans, dont deux tiers d’origine arabe, apportent à notre nation une autre aspiration et un autre regard. Je salue ces musulmans de France qui vivent l’Islam dans l’authenticité, l’accueil de l’autre et l’ouverture. Paris est riche d’une grande presse arabophone et de nombreux étudiants arabes et musulmans, mais aussi de la présence de l’Institut du monde arabe, centre de rayonnement incomparable.

La France a tissé une mosaïque de liens toujours plus intimes dans un dialogue entrelacé d’échos et de réminiscences. La grande figure de Rachi, méditant près de Troyes sur la Bible et le Talmud à l’écart des tumultes du Moyen ge, atteste la très ancienne relation qui nous unit au peuple juif, à son histoire souvent tragique mais aussi à sa culture immense et foisonnante. Marqué dans sa chair par les plus grands drames du monde mais aussi par sa diversité et sa richesse, ce peuple entretient depuis tant d’années une relation profonde avec une France et ses valeurs de respect et de tolérance ! Dans ce passé partagé, nous puisons la force de notre lien.

Autant de raisons pour jeter de nouveaux ponts et multiplier les passerelles entre l’Europe et le Moyen-Orient. Autant de promesses à condition que nous ne cédions pas à la tentation de la peur. Car dans ce monde marqué par l’interdépendance, il n’y a ni refuge ni isolement possible. Notre avenir dépend de notre capacité à vivre et à évoluer ensemble.

Les peuples du Moyen-Orient aspirent à la liberté, à la sécurité et à la justice. Et le monde aujourd’hui, en s’unifiant davantage, apporte une nouvelle chance d’échange. Seule une mondialisation humanisée, respectueuse des identités et des cultures, sera bénéfique pour tous les peuples et toutes les cultures. Ne cédons pas à l’idéologie du déclin, sans issue et sans ressort : nous Européens, l’avons souvent expérimentée à nos dépens. Après tant d’épreuves sur notre sol, nous savons que la voie de la nostalgie et de la revanche se referme sur elle-même. Idolâtrer un âge d’or mythique, c’est refuser l’avenir. Rompre l’isolement, c’est au contraire se donner toutes les chances de prendre en main son destin.

La démocratie est ouverte à tous, quel que soit leur degré de développement, et bien au-delà du monde occidental : je pense à l’Inde, je pense au Japon. Chacun doit avancer à son rythme, dans le respect de ses traditions et de ses différences. La démocratie doit au contraire renforcer le respect des diversités.

Abordons ensemble un nouvel âge de notre histoire. Partout où les identités s’entrechoquent et se rencontrent, elles peuvent révéler leur face négative, guerrière, qui se définit contre l’autre. Mais partout elles aspirent aussi à s’ouvrir, à connaître le souffle du changement, à s’agrandir d’un horizon de liberté et d’espoir. Entre tradition et modernité, entre passé et avenir, entre culture et technique, il y a un chemin exigeant à tracer. Un travail permanent de réconciliation et de tolérance, d’éducation et de partage. C’est vrai à l’échelle individuelle, mais aussi à celle des peuples. Et je veux croire qu’à travers la liberté et l’échange s’ouvriront les portes d’une identité retrouvée.

Le monde arabe et musulman n’a-t-il pas, dans ses traditions, des pratiques anciennes de consultation ? Aujourd’hui, nous voulons encourager les pays qui ont choisi le chemin de la démocratie et souhaitons que ce mouvement s’étende. Nous entendons renouveler aujourd’hui le "pacte séculaire entre la France et la liberté du monde" que décrivait le général de Gaulle. Seules les valeurs des droits de l’homme et de démocratie peuvent rassembler l’ensemble des peuples et créer l’union face aux forces de division.

A travers leur histoire, le monde arabe et le Moyen-Orient ont enfanté tant de novateurs et de réformateurs, tant d’hommes de religion et de dirigeants éclairés, de l’émir Fakhr el Dîn du Liban au roi Mohamed V du Maroc ! Aujourd’hui encore, leur legs offre les fondements et l’inspiration d’une nouvelle Nahda.

Et, dans ce nouveau monde, le Moyen-Orient dispose de formidables atouts : une jeunesse enthousiaste, avide d’apprendre, porteuse d’énergie et d’espoir. Le trésor d’une sagesse ancienne, toujours vivante, où retremper sa foi dans les épreuves. Une culture foisonnante, juxtaposant la littérature la plus savante et la musique la plus populaire. Toutes ces forces d’ouverture seront au rendez-vous de l’histoire. Par-delà les blessures du passé, quel message d’espoir et d’avenir nous a été donné par l’enthousiasme de l’Algérie lors de la récente visite d’Etat du Président Chirac ! * Je veux vous apporter un message de confiance : la confiance de la France dans la sagesse et dans l’esprit de responsabilité des peuples arabes et des musulmans. Non, il n’y a aucune incompatibilité entre modernité et monde arabe, entre progrès et Islam. Alors que plus d’un milliard de musulmans vivent sereinement leur foi, comment imaginer que l’Islam puisse être par lui-même source d’intolérance ? Face au terrorisme, nous ne devons accepter aucune faiblesse. Depuis des siècles, la France est porteuse de principes qui sont bafoués par toutes les formes de fanatisme. A nous d’affirmer nos valeurs et de défendre nos convictions : seuls le respect et la tolérance peuvent endiguer la haine et la violence.

Ensemble, refusons les amalgames d’un monde aveuglé par la peur. L’intégrisme est le produit d’une rencontre manquée entre deux mondes. Il se nourrit de l’injustice et de l’ignorance, non de la religion. Il s’appuie sur les identités meurtries de tous ceux qui, en Occident comme en Orient, ne trouvent pas leur place. De tous ceux qui subissent le rejet, et développent la haine en retour. Des populations entières se sentent aujourd’hui laissées pour compte, exclues du rythme du monde. Rétablissons de nouveaux liens avec l’ensemble des peuples et des cultures. A l’incompréhension et au fanatisme, je veux opposer une main tendue vers ceux qui ont confiance en l’homme.

Pour avancer, il faut d’abord répondre aux aspirations de liberté des peuples, désireux de s’approprier leur destin partout dans le monde. Aujourd’hui la communauté internationale est unie pour appuyer ces progrès : il n’y a pas d’un côté ceux qui veulent agir et les autres mais une interrogation sur la meilleure façon d’agir. Le chemin de liberté peut-il être dicté, imposé de l’extérieur ? Notre conviction au contraire est que cette liberté doit se nourrir de la culture de ces peuples, de leur histoire, de leur tradition, de leur ambition.

Bien sûr, la communauté internationale a une responsabilité pour accompagner cette exigence dans le respect de l’identité de chacun. Dans cette voie, la France se veut fidèle à elle-même, forte de ses idéaux et de ses convictions, forte aussi de son expérience et de ses liens anciens, avec cette région du Moyen-Orient, avec l’Asie ou encore l’Afrique. Nous avons médité les leçons de notre propre passé et mesuré la complexité que doit en permanence prendre en compte l’action.

Pour avancer, il faut ensuite retrouver la voie de la paix et de la stabilité dans la région. Le conflit israélo-arabe alimente toutes les tensions, au Moyen-Orient et au-delà. Partout, il agite nos sociétés. Aucun pays ne peut demeurer étranger à cette crise, nourrie d’un rejet mutuel des deux peuples pendant quarante ans, et entretenue par l’échec des processus de paix. L’impasse renforce le sentiment d’injustice et de colère, la frustration et le désespoir. Elle accroît toutes les souffrances et va jusqu’à servir d’alibi au terrorisme international.

Depuis la reprise de l’Intifada, en septembre 2000, le fossé s’est élargi. Dans les Territoires palestiniens réoccupés, la répression est brutale, l’appauvrissement tragique. Le terrorisme aveugle a ébranlé le camp de la paix en Israël. Et pourtant, de part et d’autre, malgré le poids du quotidien, malgré la misère et la peur, les sociétés civiles veulent croire en l’avenir.

Jamais un consensus aussi fort n’a existé sur les bases d’un règlement : réaffirmant les résolutions 242 et 338, la résolution 1397 du Conseil de sécurité établit le principe de deux Etats vivant côte à côte dans la sécurité. A Beyrouth, en mars 2002, le monde arabe, inspiré par le prince Abdallah d’Arabie saoudite, s’est solennellement engagé à normaliser ses relations avec Israël dès que l’occupation aura cessé, suivant ainsi la voie ouverte par l’Egypte avec les accords de Camp David en 1978.

Israël, comme tous les Etats légitimes et souverains, a droit à la sécurité et à la reconnaissance de ses voisins. Il sait que jamais la France n’acceptera que son existence, reconnue par la communauté internationale à travers les Nations unies au lendemain de la barbarie nazie, soit mise en cause ou menacée. Les Palestiniens ont eux aussi droit à un Etat souverain, viable et démocratique. La France a été l’une des premières, voici vingt ans, à le réclamer. Victimes d’une histoire que leur mémoire collective a retenue comme la Nakba, la " catastrophe ", les Palestiniens sont devenus un peuple sans terre.

Rejetons toutes les illusions trompeuses : d’un côté, celle de la victoire par l’Intifada et le terrorisme ; de l’autre, celle de la victoire par la force militaire. Quel est l’avenir des Palestiniens ? Comment croire qu’après avoir tant enduré ils pourraient renoncer ? Les Palestiniens resteront sur cette terre qui est la leur. Et quel avenir pour les Israéliens ? Sans la paix, l’Etat d’Israël obtiendra-t-il jamais la sécurité légitime à laquelle il aspire ? * Aujourd’hui, nous avons un impératif de paix. Le droit international doit être appliqué, et nous voulons résoudre ce conflit ensemble, avec une exigence de justice et de responsabilité. C’est pourquoi il faudra apporter à chacun les garanties indispensables, prendre en compte les peurs et les inquiétudes, pour construire un avenir commun pour tous les peuples de la région.

L’Europe, les Nations unies, les Etats-Unis et la Russie se sont rassemblés au sein du Quartet, et la feuille de route fixe les grandes phases du processus. Etape après étape, faisons ensemble les choix qui s’imposent.

Première étape : préparer les bases d’un accord. Dès maintenant, la feuille de route du Quartet doit être transmise aux parties et publiée. Les conditions sont aujourd’hui réunies, avec la désignation d’Abou Mazen comme Premier ministre de l’Autorité palestinienne et la mise en place récente du gouvernement israélien. Tous auront à la mettre en œuvre sans délai, avec l’objectif d’un Etat palestinien en 2005.

Deuxième étape : interrompre l’engrenage de la violence. Israéliens et Palestiniens doivent réaffirmer publiquement le choix de la négociation et de la paix en commençant par déclarer ensemble une trêve. Ce geste d’apaisement fera renaître l’espoir pour tous ceux qui vivent chaque jour dans la peur. Avec d’autres partenaires, la France serait prête à y participer par une présence sur le terrain.

Pourquoi les deux peuples ne pourraient-ils pas s’exprimer directement en donnant mandat à leurs gouvernants de faire la paix dans la perspective de la coexistence de deux Etats ? Pourquoi ne pas donner la parole aux électeurs qui pourraient, par un référendum, réaffirmer ce choix de la paix et restaurer l’espoir dans les consciences collectives ? Troisième étape : établir les conditions de la paix. Les services publics palestiniens doivent être en mesure d’assumer leurs responsabilités et, pour cela, bénéficier si nécessaire de l’appui de la communauté internationale. Pour explorer les voies d’un soutien technique efficace, la France souhaite que l’on réfléchisse sans a priori à une présence internationale qui se mettrait en place en accord avec les parties sans se substituer à leurs responsabilités souveraines.

Quatrième étape : ouvrir les chemins de la paix. La France propose d’accueillir, à l’issue de la première phase de la feuille de route du Quartet, une conférence internationale qui devra tracer les perspectives pour aider à conclure, avec le soutien de la communauté internationale, une "paix des braves".

Cinquième étape : la proclamation de l’Etat palestinien. Elle correspond à la fin de la deuxième phase de la feuille de route. Nous souhaitons qu’à cette échéance l’Etat palestinien, dans des frontières provisoires, devienne une réalité et nous sommes prêts à en tirer toutes les conséquences diplomatiques si l’application du plan du Quartet venait à prendre du retard.

Ces étapes balisent la route. Il nous semble en effet nécessaire de marquer le choix de la volonté par des actions concrètes, car les espoirs ne doivent pas être une nouvelle fois déçus. Chacun des partenaires doit montrer son entière détermination. * Soyons lucides. Aujourd’hui, la recherche d’une solution ne peut résulter que de la mobilisation de tous. Du côté israélien, chacun le voit : la sécurité ne viendra que de la paix, et la paix appellera des concessions difficiles. Mais il faut accepter l’autre, malgré les drames. Écoutons Amos Oz : Ce que nous avons fait est triste et amer, comme est amer et triste ce que nous ont fait nos ennemis.

Du côté palestinien, la renonciation à la violence, qui n’offre aucune issue, est plus que jamais nécessaire. C’est par l’Autorité palestinienne que le peuple palestinien doit s’exprimer. Enfin, tous les pays arabes doivent accepter Israël comme un Etat de cette région, reconnaître pleinement ce pays voisin en lui donnant des garanties de sécurité et en développant avec lui, dans la paix, des relations normales.

Nous voulons croire à un Moyen-Orient en paix. Parce que c’est une nécessité pour la sécurité, sans laquelle il n’y a pas d’avenir possible. Parce que c’est la réponse qu’attendent tous vos peuples. Parce qu’enfin le monde a besoin d’un Moyen-Orient capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale, et d’apporter sa pierre au grand défi commun de l’avenir. La paix devra être globale, et concerner également la Syrie et le Liban. Aujourd’hui, la présence israélienne sur le Golan a-t-elle une justification de sécurité ? La question de l’eau et du lac de Tibériade doit pouvoir faire l’objet d’un accord équitable conforme aux pratiques reconnues par le droit international en ce domaine. Quant au Liban, il retrouvera, dans le contexte d’une paix globale, sa pleine indépendance et son entière souveraineté.

Sans oublier les souffrances ni les morts, mettons fin à la violence, qui brise les vies humaines et entretient le désir de vengeance. Laissons les enfants israéliens et palestiniens retourner à l’école sans craindre d’être fauchés sur le chemin. Laissons les parents aller travailler sans appréhension. Laissons l’économie renaître, les hommes et les femmes voyager et circuler librement, les relations humaines et culturelles reprendre entre pays voisins, qui partagent tant de souffrances. Ecartons l’angoisse et la peur, qui étreignent les deux populations depuis des mois.

Rétablir la confiance : tel est le grand défi du Moyen-Orient. Les affrontements internes à la région durant le siècle passé n’exprimaient-ils pas d’abord une appréhension générale à l’égard des intentions des pays voisins ? N’est-ce pas l’absence de confiance qui a entravé hier la paix au Sahara occidental, entre l’Iraq et l’Iran, et qui bloque encore aujourd’hui le règlement du conflit israélo-palestinien ? Une confiance retrouvée permettrait une nouvelle intégration régionale. Marquée par des siècles de guerre, l’Europe a su tracer ce chemin de paix et d’intérêts partagés. Aujourd’hui, fort d’une prospérité sans précédent, notre continent autrefois déchiré règle tous ses différends par le dialogue et le partage des responsabilités. L’Europe est plus que jamais appelée à s’affirmer et à se renforcer. Pourquoi le Moyen-Orient ne se tournerait-il pas lui aussi vers une telle démarche de paix et de développement, lui qui souffre chaque jour davantage de ses divisions ? Tant d’efforts ont déjà été faits dans ce sens par les organisations politiques ou économiques de votre région, de la Ligue des Etats arabes à l’Union du Maghreb arabe ou au Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe ! Les poursuivre et les intensifier constituerait un facteur puissant de développement économique, de stabilité et de modernisation des sociétés. Aujourd’hui, le temps n’est-il pas venu de réfléchir aussi à des systèmes de sécurité collective régionaux ? Chacun le sait : la sécurité conditionne l’investissement et la croissance. En 2000, les investissements internationaux se sont élevés à 1 270 milliards de dollars, dont seul 0,5 % s’est dirigé vers le monde arabe et le Moyen-Orient. La région ne bénéficie pas assez des grands flux économiques et financiers mondiaux.

Mobilisons-nous pour inverser cette tendance. Renouvelons la coopération entre l’Europe et la région dans tous les domaines : l’éducation et la formation professionnelle, mais aussi l’adaptation aux techniques modernes de production et de communication, et la qualité des infrastructures. L’Etat de droit, la bonne gouvernance, l’indépendance des systèmes judiciaires, sont des composantes fondamentales d’un développement efficace, équilibré, bénéficiant à tous. Dans tous ces domaines, ne relâchons pas les efforts, sachons aller plus loin ! Beaucoup a été fait depuis 1995, à l’initiative notamment de la France. Le processus euro-méditerranéen a été lancé, à Barcelone, pour fonder un partenariat ambitieux entre l’Europe et le sud de la Méditerranée. En sept ans, ce sont plus de douze milliards d’euros qui ont été mis à la disposition des partenaires de la rive sud, dans des secteurs très divers. Tous ces projets ont pour objectif le développement et la modernisation.

L’Europe s’est engagée. Les Etats partenaires aussi. Presque tous ont signé des accords d’association avec l’Union ou sont en passe de le faire. Ces accords créent entre nous des liens forts et concrets. Pour les entreprises des pays associés, la concurrence européenne est un défi qui permet d’accéder à de nouveaux marchés. Partout, la puissance publique doit pouvoir accompagner ces efforts. Nous voulons mettre à la disposition de ceux qui le souhaitent les techniques et les méthodes éprouvées dans nos pays. C’est pourquoi je propose que chacun des vingt-sept partenaires désigne une personnalité de haut niveau pour réfléchir aux moyens de donner un nouveau souffle au processus de Barcelone afin d’aboutir à une association renforcée de nos voisins de la rive sud avec l’Union européenne.

L’avenir du Moyen-Orient doit se construire autour d’un défi commun : la paix. C’est vrai au Proche-Orient. C’est vrai en Iraq. Prenons acte de la communauté de conscience de toute la région : on ne peut séparer les douleurs. Aujourd’hui, l’Iraq traverse des bouleversements considérables. Et c’est un grand défi pour ce pays, pour le Monde Arabe, pour la communauté internationale. Chacun d’entre nous sait ce que représente Bagdad dans l’histoire et l’imaginaire du monde arabe, héritière de civilisations millénaires de la Mésopotamie, capitale de l’empire abassyque, cœur des sciences et des lettres arabes pendant des siècles. Voilà bien le pays de Haroun Al Rashid, où Callimaque découvre émerveillé les jardins suspendus de Babylone. Tout cela nous touche, nous parle. L’avenir de l’Iraq nous engage, mais d’abord, bien sûr, l’ensemble du monde arabe. Mais il faut faire face à l’urgence. Mes pensées vont aux populations civiles de ce pays, à ces femmes, à ces enfants, à ces hommes fauchés par la guerre. Dès maintenant, l’action humanitaire impose la mobilisation de tous. Au-delà de cette terrible période de guerre, s’ouvrira une phase de sécurisation de l’Iraq, dont la responsabilité reviendra au premier chef aux pays de la coalition. Ensuite viendra le temps de la reconstruction. Reconstruction économique, mais avant tout politique. Les Nations unies devront avoir un rôle central. Parce qu’elles seules pourront donner aux autorités iraquiennes de demain la légitimité indispensable et mobiliser la communauté internationale tout entière. Parce que, face à l’épreuve que traverse l’Iraq, nous avons une exigence de lucidité, exigence d’efficacité, exigence de solidarité : voilà ce qui guidera en permanence la position française. Le peuple iraquien, qui n’a connu que la guerre et l’oppression depuis plus de trente ans, doit pouvoir vivre durablement en paix avec lui-même et avec ses voisins. Veillons ensemble à toujours convoquer, au rendez-vous de la reconstruction de l’Iraq, le respect, la fierté et l’honneur, ainsi que l’espoir de ce grand peuple. Avec la communauté internationale, avec la Ligue arabe, tournons-nous vers l’avenir. Nous avons trois objectifs prioritaires : Premièrement, établir en Iraq, dès que les circonstances le permettront, des institutions nationales souveraines, indépendantes et stables, respectueuses des droits de l’homme et au service de tous les Iraquiens. Cette réforme du cadre légal et institutionnel devra être confiée aux Iraquiens eux-mêmes. Il faudra donc préserver l’unité et l’intégrité territoriale de l’Iraq et permettre à ce pays de recouvrer le contrôle de l’ensemble de son territoire.

Deuxièmement, définir les conditions d’une cohabitation harmonieuse de l’ensemble de la population. Il faut que les Iraquiens, dans la diversité de leurs appartenances, soient représentés par des institutions souveraines. Le retour de la population du Kurdistan iraquien dans l’ensemble national devra s’accompagner de la définition d’un statut adapté d’autonomie.

Il revient donc aux nouvelles autorités de Bagdad d’assurer à tous les Iraquiens, quelle que soit leur confession, la liberté de leur culte, dans le respect et la sécurité de chacun.

Troisièmement, il sera indispensable d’aider les autorités iraquiennes à améliorer rapidement la situation économique de l’ensemble de la population.

Toutes les richesses de l’Iraq devront être mobilisées pour le développement et la reconstruction du pays, au bénéfice des Iraquiens. Il importe, en particulier, que les ressources pétrolières de ce pays profitent, dans un système transparent, à tous les Iraquiens.

Comment réaliser ces objectifs ? D’abord, nous devrons rechercher et inventer ensemble des formules pour que les questions de la dette et des réparations pour dommages de guerre ne grèvent pas le développement du pays.

Ensuite, nous nous mobiliserons pour réinsérer l’Iraq dans son environnement régional comme au sein de la communauté internationale. Tous les voisins de l’Iraq, sans exception, auront un rôle à jouer dans cette réconciliation. Il est important que les autorités iraquiennes prouvent rapidement leur volonté de restaurer des liens pacifiques avec ces Etats, dans un esprit d’ouverture, de transparence et de réconciliation. La vérité devra être établie sur toutes les questions des prisonniers et des disparus de guerre de ces vingt dernières années. Les peuples de la région et la communauté internationale doivent se mobiliser pour qu’un Iraq uni, souverain, digne, libre et moderne puisse renaître. Un nouveau système de sécurité régionale devra être fondé sur des mesures de confiance et de non-agression, prenant notamment en compte le projet de zone exempte d’armes de destructionmassive prôné par l’Egypte et mentionné dans la résolution 687 du Conseil de sécurité. La France et l’Europe seraient prêtes là encore à mettre leur expertise à la disposition d’un tel projet. Je sais combien est grand le sentiment de peine et d’injustice qu’éprouve aujourd’hui le monde arabe, et combien la solidarité de l’Egypte s’exprime pour ces populations. Mais je veux croire que les Iraquiens, aidés par la communauté internationale et les Nations unies, feront de cette épreuve l’occasion de retrouver leur liberté et leur pleine autonomie. Je veux croire que cette nouvelle crise constituera malgré tout une source supplémentaire, pour chacun de nous, de réflexions partagées autour de l’idée de responsabilité collective, de réconciliation et de paix.

Mesdames, Messieurs, Le Moyen-Orient est traversé de graves conflits et de crises. Mais les peuples aujourd’hui déchirés doivent garder l’espoir. La communauté internationale est plus que jamais prête à se mobiliser : comment accepter que les tragédies continuent d’endeuiller des populations entières ? Le Moyen-Orient peut devenir la plus riche mosaïque de peuples et de cultures, l’image positive de la communauté de destin qui relie chaque jour davantage tous les hommes et toutes les histoires. Cet espoir s’appuie sur les sociétés civiles remarquables qui composent tous les pays de la région. Aujourd’hui encore, malgré les souffrances et les antagonismes, elles continuent à entretenir des contacts nourris et inspirés par le désir de paix. Je forme le vœu que ces regards tournés vers l’avenir ne soient pas emportés par l’histoire. Et je veux appeler à la vigilance, face à la montée de la violence et des frustrations qui risquent de faire le lit de la haine, de l’intolérance, du racisme et de l’antisémitisme. Je veux le faire ici, au Caire, comme nous le faisons dans notre propre pays, quand hier encore le président de la République appelait à combattre avec la plus extrême rigueur tous les actes de nature à remettre en cause la sécurité et le respect des personnes, des biens et des symboles religieux. Je tiens à le redire avec conviction : la France fait le choix de la fidélité. Fidélité à l’égard de peuples auxquels elle est liée depuis si longtemps par une amitié réciproque et partagée. Fidélité à elle-même et à l’esprit des Lumières et des droits de l’homme. La France fait le choix de l’exigence, convaincue qu’il y a, malgré le fracas des armes, une urgence qui s’impose et une chance à saisir. Elle veut se situer, comme elle l’a toujours fait, du côté de la liberté et de la justice, de la démocratie et du respect de la morale internationale. Car il y a urgence à bâtir un chemin, à répondre au désespoir et à l’inquiétude. C’est toute une région qui veut la vie. Ce sont des peuples qui veulent la vie. Ensemble, mobilisons-nous pour construire un monde qui soit à la hauteur de nos aspirations communes : un monde fondé sur la paix et le respect de l’autre.

Je vous remercie./.