Alors que les trésors culturels de l’Iraq viennent de subir de lourdes pertes, notamment à Bagdad, Mossoul et Tikrit, une première évaluation de l’état du patrimoine iraquien, riche d’une Histoire plurimillénaire, va être tentée par une trentaine d’experts de haut niveau, réunis à l’UNESCO le 17 avril en vue de déterminer les mesures de sauvegarde d’urgence qui s’imposent.

Suite aux actes de pillage commis dans le Musée archéologique de Bagdad, le Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, a demandé aux autorités américaines et britanniques, qu’il avait déjà exhortées le 11 avril à protéger les richesses archéologiques du pays, de « prendre immédiatement des mesures de surveillance et de gardiennage des sites archéologiques et institutions culturelles iraquiens ».

Il a également appelé les autorités des pays limitrophes, les autorités de police et de douane internationales et les principaux acteurs du marché de l’art à s’engager aux côtés de l’UNESCO dans une « action d’envergure pour faire en sorte que les objets volés ne puissent trouver d’acquéreurs ».

Lors de la réunion qui se tiendra le 17 avril à huis clos - mais dont la séance d’ouverture à 9h est ouverte à la presse -, les quelque 30 experts* iraquiens et internationaux s’efforceront de dresser un inventaire des récentes destructions culturelles. Ils produiront également des recommandations concernant les éléments du patrimoine iraquien dont l’état requiert une action prioritaire et les mécanismes de coordination nécessaires. Un point de presse aura lieu à 14h45**.

On a coutume de qualifier l’Iraq de « berceau de grandes civilisations ». Dès la fin du cinquième millénaire avant J.-C., l’ancienne Mésopotamie a en effet concentré les innovations techniques et culturelles. Grâce à une combinaison exceptionnelle de facteurs géographiques et climatiques, la production agricole excédentaire a favorisé le développement de sociétés sophistiquées, l’invention de l’écriture et l’établissement des premiers habitats urbains et des premiers codes juridiques. Dans des périodes plus récentes, Bagdad a été la capitale du califat abbasside et le centre politique et culturel du monde musulman.

De nombreux sites et les collections des musées nationaux épargnés par les pillages en témoignent encore et constituent un héritage précieux pour l’humanité. Avant sa mise à sac, le Musée de Bagdad comptait par exemple quelque 100 000 pièces attestant de la grandeur des civilisations qui se sont succédé dans le pays « entre les deux fleuves » : préhistorique, sumérienne, babylonienne, assyrienne, néo-babylonienne, perse, parthe, sassanide, grecque et islamique.

Parmi les sites exceptionnels, on peut citer, entre autres, l’Ur des Chaldéens où serait né Abraham, Babylone et sa légendaire Tour de Babel, Ninive, Ashur, Samarra et Hatra. Cette grande cité fortifiée où se conjuguent des influences grecques, romaines et orientales, est le seul site iraquien inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (1985).

Sept autres sites figurent sur une « liste indicative » fournie en 2000 par les autorités iraquiennes en vue de leur inscription prioritaire sur la Liste du patrimoine mondial. Il s’agit de Mossoul, Nimrud, Ashur, Samarra, Ukhaidhir, Wasit et Ur.

Suite à la réunion du 17 avril, l’UNESCO devrait dépêcher une mission d’experts en Iraq dès que les conditions le permettront. Cette mission permettrait de dresser un bilan préliminaire de l’état de conservation des musées, des monuments et des principaux sites afin d’identifier les besoins prioritaires, d’évaluer les capacités locales dans le domaine de la réhabilitation du patrimoine, d’identifier des partenaires iraquiens et internationaux et de dégager un plan d’action et une stratégie pour mobiliser des financements. L’Italie a d’ores et déjà annoncé qu’elle mettait une première somme de 400 000 euros à la disposition de l’UNESCO.

Dès 1976, l’UNESCO a commencé à travailler, en concertation avec les autorités iraquiennes, à la sauvegarde du patrimoine culturel du pays. Dans les années 80, elle a notamment contribué à la restauration de Babylone et de Bassora. Plus récemment, l’Organisation a essentiellement agi dans trois directions principales.

L’UNESCO s’est tout d’abord employée à lutter contre le pillage et le trafic illicite de biens culturels qui se sont développés pendant et après le conflit de 1991. L’UNESCO a notamment transmis une liste d’objets disparus fournie par les autorités iraquiennes à divers musées et salles des ventes, au Conseil international des musées et à INTERPOL. En 1995, elle a également alerté le marché de l’art et la communauté internationale au sujet de vols d’objets et du pillage du site de Hatra.

A partir de 1998, l’UNESCO a apporté son concours à la réhabilitation du musée de Bagdad, qui souffrait d’un manque de maintenance. Elle a notamment contribué à l’installation d’un système de vidéo-surveillance et d’un dispositif d’air conditionné. Dans la capitale iraquienne, l’Organisation a également soutenu le travail de réhabilitation du Qasr Al-Abbasi, qui abrite la célèbre institution culturelle Bayt Al-Hikma, fondée au IXe siècle par le calife Al-Mamoun.

L’UNESCO a aussi dépêché plusieurs missions en Iraq entre 2000 et 2002, en particulier pour trouver des solutions permettant de sauver Ashur, la première capitale du royaume assyrien menacée par un projet de barrage. La proposition d’inscription de ce site en péril sur la Liste du patrimoine mondial devrait être examinée en juin 2003, lors de la prochaine session du Comité du patrimoine mondial.

« La récente expérience de l’UNESCO dans d’autres régions déchirées par la guerre et dans des contextes d’après-guerre a montré que la culture peut jouer un rôle clé dans la consolidation du processus de paix, la restauration de l’unité nationale et la renaissance d’un espoir pour le futur », rappelle le Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura. Au cours des dernières années, l’UNESCO a contribué à réhabiliter le patrimoine et à relancer des activités culturelles au Cambodge, dans des pays de l’ex-Yougoslavie et en Afghanistan, entre autres.


* A ce jour, la présence des experts suivants a été confirmée :

Experts iraquiens : Salma El Radi, Université de New York ; Abdulsattar J. Mousa, Département de la Culture et de l’Information, Directeur du patrimoine-Sharjia ; Walid Yasin Ismail, Conseiller pour l’archéologie au Département des Antiquités et du Tourisme Al Ain ; Lamia Al-Gailani Werr, spécialiste des sceaux basée à Londres ; Donny George, Directeur général de la restauration au Musée de Bagdad ; Zainab Bahrani Van-Mierop, professeur associé au Département d’histoire de l’art et d’archéologie de l’Université Columbia aux Etats-Unis ; Ghahim Wahida, de l’Université de Cambridge au Royaume-Uni.

Experts internationaux : Barthel Hrouda (Allemagne), Directeur des Missions allemandes à Isin et Ashur ; Helga Trenkwalder (Autriche), Directrice de la Mission autrichienne à Borsippa ; Léon De Meyer (Belgique), Directeur de l’Expédition archéologique belge en Iraq, Recteur honoraire de l’Université de Gand ; Ingolf Thuesen (Danemark), Directeur de l’Institut Carsten Niebuhr pour les études proche-orientales ; McGuire Gibson (Etats-Unis), Directeur des Missions archéologiques américaines à Nippur et Tell Razuk et Président de l’Association américaine pour la recherche à Bagdad ; Simo Parpola (Finlande), Directeur du Projet sur les archives d’Assyrie, Institut d’études asiatiques et africaines ; Béatrice André-Salvini (France), Conservatrice en chef au Département des antiquités orientales au Musée du Louvre ; Annie Caubet (France), Conservatrice au Département des antiquités orientales au Musée du Louvre ; Giuseppe Proietti (Italie), Directeur général pour l’Archéologie du ministère de la Culture ; Roberto Parapetti (Italie), Directeur du Centre italo-iraquien pour la restauration des monuments ; Ken Matsumoto (Japon), Directeur de l’Expédition archéologique Kokushikan à Kish ; Diederik J.W. Meijer (Pays-Bas), de l’Université de Leiden, Faculté d’archéologie ; Piotr Bielinski (Pologne), Directeur des Missions archéologiques polonaises à Tell Rijm et sur le site du projet de barrage d’Eski Mossoul ; Joan Oates (Royaume-Uni), de l’Ecole britannique d’archéologie en Iraq et des Missions britanniques à Tell al-Rimah et à Nimrud ; Alastair Northedge (Royaume-Uni), de l’Institut d’art et archéologie de l’Université Paris 1 ; Neil MacGregor (Royaume-Uni), Directeur du British Museum ; John Curtis (Royaume-Uni), Conservateur du Département des antiquités orientales du British Museum ; Abdelaziz Daoulatli (Tunisie), Conseiller pour le patrimoine auprès de l’ALECSO ; Veysel Donbaz (Turquie) Directeur du Public Tablet Archive au Musée archéologique d’Istanbul, Cristina Menegazzi, du Conseil international des musées (ICOM) ; Michael Petzet, Président de l’Institut international des monuments et des sites (ICOMOS) ; Ross Shimmon, Président de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) et du Comité international du Bouclier bleu (ICBS) ; Abdullah A. Kareem El Reyes, Président de la Branche régionale arabe du Conseil international des archives (CIA).

Source : UNESCO