Avec l’élargissement et l’élaboration d’un Traité constitutionnel, l’Union européenne sera demain plus forte, mais aussi plus diverse. Notre conviction commune est que l’Europe doit être capable de s’exprimer d’une seule voix et de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. A cette fin, nous pensons qu’il est nécessaire de donner un nouvel élan à la construction de l’Europe de la Sécurité et de la Défense. En effet, l’Union européenne doit disposer d’une politique de sécurité et de défense crédible. Car l’action diplomatique n’est crédible - et donc efficace - que si elle peut également s’appuyer sur des capacités civiles et militaires réelles.

L’Europe a en partage avec l’Amérique, avec laquelle elle a affronté les défis de sécurité depuis plus d’un demi-siècle, des valeurs et des idéaux qui sont le fruit de son histoire. Le partenariat transatlantique demeure une priorité stratégique fondamentale pour l’Europe. Ce partenariat est une condition nécessaire de la sécurité et de la paix mondiale. Dans le prolongement de la Déclaration du Sommet de Washington, nous souhaitons poursuivre l’adaptation de l’Alliance atlantique, qui reste le fondement de la sécurité collective de ses membres, aux défis du 21ème siècle. Nous sommes déterminés à mettre en œuvre les décisions du Sommet de Prague, car nous comprenons nos engagements dans l’Alliance atlantique et dans l’Union européenne comme complémentaires. Le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN, qui s’appuie sur les déclarations des Sommets de Berlin et de Washington, a d’ores et déjà permis à l’Union européenne de recourir aux moyens de l’OTAN pour conduire sa première opération dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Nous souhaitons que demain les arrangements mis en place entre les deux organisations permettent à l’Union européenne d’assurer la relève de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine.

C’est dans cet esprit que, dans le prolongement du Sommet de Saint-Malo et du Conseil européen de Cologne, la Politique européenne de Sécurité et de Défense s’est progressivement développée depuis le Conseil européen d’Helsinki en décembre 1999.

Nous pensons que le moment est venu de franchir une nouvelle étape dans la construction de l’Europe de la Sécurité et de la Défense, fondée sur des capacités militaires européennes renforcées qui contribueront également à donner à l’Alliance atlantique une nouvelle vitalité et ouvriront la voie à une relation transatlantique renouvelée.

Pour donner un nouvel élan à la Politique européenne de Sécurité et de Défense, nous proposons que la Convention sur l’avenir de l’Union européenne et la Conférence intergouvernementale endossent les principes suivants et les intègrent dans le Traité constitutionnel :

• La possibilité de conduire des coopérations renforcées en matière de défense ;

• Une clause générale de solidarité et de sécurité commune liant tous les Etats membres de l’Union européenne et permettant de faire face aux risques de toute nature envers l’Union européenne ;

• La possibilité pour les Etats membres qui le souhaitent de souscrire des obligations supplémentaires, dans le cadre d’une coopération renforcée et sans que cela n’entraîne des obligations pour les tierces parties ;

• La reformulation des tâches Petersberg, permettant à l’Union européenne d’utiliser des moyens civils et militaires afin de prévenir les conflits, de gérer des crises, y compris les missions les plus exigeantes ;

• La création d’une Agence européenne de développement et d’acquisition de capacités militaires avec comme objectif d’augmenter les capacités militaires européennes et de renforcer l’interopérabilité et la coopération entres les forces armées des Etats membres. Cette Agence contribuera à la création d’un environnement favorable à une industrie de défense européenne compétitive ;

• La création d’un Collège européen de Sécurité et de Défense, afin de favoriser le développement et la diffusion d’une culture de sécurité européenne.

Nous proposons, en plus, que la Convention adopte le concept d’Union européenne de Sécurité et de Défense (UESD). A titre de contribution à la réflexion que nous souhaitons poursuivre avec les Etats intéressés, nous pensons que l’UESD devrait avoir comme vocation de réunir les Etats membres qui sont prêts à aller plus rapidement et plus loin dans le renforcement de leur coopération en matière de défense. En particulier, les Etats participant à l’UESD :

• Prendront l’engagement de se porter secours et assistance face aux risques de toute nature ;

• Rechercheront systématiquement l’harmonisation de leurs positions sur les questions de sécurité et de défense ;

• Coordonneront leurs efforts en matière de défense ;

• Développeront leurs capacités militaires ;

• Augmenteront leurs efforts en matière de sécurité et de défense, plus particulièrement en ce qui concerne les investissements en équipements miliaires.

La participation à l’UESD impliquera :

• La participation à des programmes européens d’équipement majeurs, tel que l’A400M ;

• Le renforcement de l’efficacité des capacités militaires européennes, par le recours, dans la plus large mesure possible, à la spécialisation et la mise en commun des moyens et des capacités ;

• Le renforcement de la mise en commun des moyens en matière de formation des officiers, d’exercices, d’engagement et de logistique ;

• La disponibilité à contribuer à des opérations de maintien de paix sous l’égide des Nations Unies.

L’UESD serait ouverte à tous les Etats membres actuels et futurs disposés à s’inscrire dans son cadre. Nous souhaitons que cette coopération concrète soit intégrée dans le Traité constitutionnel de l’Union européenne, de sorte qu’à terme, tous les Etats membres actuels et futurs puissent en faire partie.

Dans le domaine militaire, nous avons décidé, en ce qui nous concerne, de mettre en œuvre, dès à présent et dans l’esprit des déclarations de Saint-Malo et de Cologne, un certain nombre d’initiatives concrètes destinées à favoriser le rapprochement de nos outils de défense nationaux. Ces projets visent à éviter les duplications inutiles entre Armées nationales et à renforcer ainsi l’efficacité des moyens de défense des Européens. Ils sont ouverts à tous les Etats membres actuels et futurs intéressés.

Ces initiatives suivantes s’inscrivent dans la perspective de notre participation commune à des opérations conduites dans le cadre de l’Union européenne ou de l’OTAN :

1. Le développement d’une capacité européenne de réaction rapide. Le progrès réalisé dans ce domaine contribuera à atteindre les objectifs de l’Union européenne, à renforcer la contribution européenne au développement de Force de réaction de l’OTAN et à garantir leur interopérabilité. Afin d’améliorer la capacité européenne de réponse rapide, nous créerons une capacité de départ autour de la brigade franco-allemande dans laquelle seront intégrés des éléments commandos belges et des éléments de reconnaissance luxembourgeois. Cette capacité européenne de réaction rapide pourra être renforcée par des troupes d’autres Etats intéressés et sera disponible pour des opérations européennes, des opérations de l’OTAN et des opérations conduites par l’Union européenne sous l’égide des Nations Unies.

2. La création, au plus tard en juin 2004, d’un commandement européen de transport aérien stratégique, disponible pour des opérations européennes et de l’OTAN. Le programme A400M revêt une importance cruciale pour le développement d’une telle capacité européenne de transport aérien stratégique. A plus long terme, nous envisageons de créer, avec les Etats participant à ce programme, une unité commune de transport aérien stratégique et de subordonner cette unité au commandement européen de transport aérien stratégique. Par ailleurs, nous étudierons avec les Etats intéressés la création d’un commandement commun pour le transport stratégique (air, mer et terre).

3. La création d’une capacité européenne de protection NBC conjointe avec comme objectif la protection des populations civiles et des troupes déployées dans des opérations européennes.

4. La création, en liaison avec la Commission et ECHO, d’un système européen d’aide humanitaire d’urgence lors de catastrophes (EU-FAST - European Union First Aid and Support Team) permettant à l’Union européenne d’associer des moyens civils et militaires pour dépêcher dans les 24 heures une première aide humanitaire d’urgence. Ce système reposera sur la mise en commun de moyens et de capacités existants. Il s’agira d’un mécanisme collectif pour lequel les pays qui le souhaitent prendront la responsabilité à tour de rôle ;

5. La création de centres européens de formation : unité de formation tactique commun pour les équipages des A400M ; centre de formation des équipages d’hélicoptères ; rapprochement des cursus de formation à la mer des officiers de marine dans la perspective de la création d’une flotte-école européenne ; rapprochement des cursus de formation des pilotes des armées de l’air en valorisant les initiatives en cours, notamment dans le domaine tactique.

6. Le renforcement des capacités européennes de planification opérationnelle et de conduite d’opérations. Les Etats membres de l’Union européenne ont décidé au Conseil européen de Cologne en juin 1999 de mener des opérations de gestion de crise en recourant aux moyens et aux capacités de l’OTAN ou de manière autonome.
Pour ce qui est des opérations pour lesquelles les moyens et les capacités de l’OTAN seront utilisés, un arrangement permanent entre l’Union européenne et l’OTAN a été mis en place. L’opération européenne dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine se déroule actuellement en application de cet arrangement, qui constitue l’un des piliers du partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN.
S’agissant des opérations de l’Union européenne sans recours aux moyens et capacités de l’OTAN, dans le prolongement des différentes propositions faites à la Convention, nous pensons qu’il est nécessaire d’améliorer les capacités de planification opérationnelle et de conduite d’opérations de l’Union européenne tout en évitant les duplications et concurrences inutiles entre capacités nationales.
A cette fin, nous proposons à nos partenaires la création d’un noyau de capacité collective de planification et de conduite d’opérations pour l’Union européenne. Ce noyau serait, pour emploi, renforcé par du personnel national. Ouvert à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne qui le souhaitent, il aurait vocation d’établir des arrangements de liaison avec ses homologues nationaux. Afin d’assurer un lien étroit avec l’OTAN, il aurait également vocation à établir des arrangements de liaison avec le SHAPE, y compris sa possible utilisation en vue d’appuyer le DSACEUR dans son rôle de candidat premier pour assurer le commandement d’opérations menées par l’Union européenne avec recours aux moyens et aux capacités de l’OTAN.
Dans cet esprit, et jusqu’à la mise en place d’une telle capacité par l’Union européenne, les Etats intéressés établiront un noyau de capacité collective qu’ils mettraient à la disposition de l’Union européenne, en lieu et place de moyens nationaux, pour la planification opérationnelle et la conduite d’opérations menées par l’Union européenne sans recours aux moyens et capacités de l’OTAN. Une telle mise en commun de moyens permettrait d’éviter des duplications nationales et améliorerait l’interopérabilité de manière significative. La décision concernant la création d’une telle capacité pourrait être prise d’ici la fin de l’année avec l ’ensemble des pays intéressés en vue de sa mise en place à l’été 2004 à Tervuren

7. Dans le souci d’améliorer les capacités de commandement et de contrôle disponibles tant pour l’Union européenne que pour l’OTAN, les quatre Ministres de la Défense entreprendront les démarches nécessaires en vue d’établir, pour l’année 2004 au plus tard, un quartier-général multinational déployable pour des opérations conjointes et qui serait basé sur des quartiers-généraux déployables existants.

Nous souhaitons pouvoir définir avec l’ensemble des Etats intéressés les contours de l’Union européenne de Sécurité et de Défense, qui contribuera au renforcement du pilier européen de l’Alliance atlantique, et mettre en œuvre les projets concrets destinés au rapprochement de nos outils de défense nationaux.

Dans cet esprit, nous souhaitons que ces propositions puissent faire l’objet d’un premier échange de vues lors du prochain Gymnich dans la perspective d’une présentation de travaux plus détaillée lors du prochain Conseil européen de Salonique.

Jacques Chirac, Président de la République française
Gerhard Schröder, Chancelier de la République fédérale allemande
Jean-Claude Juncker, Premier Ministre du Grand-Duché de Luxembourg
Guy Verhofstadt, Premier Ministre de Belgique