On connaît dans l’histoire du mouvement laïque plusieurs exemples de « Bibliothèque anticléricale ». Une des plus connues, hélas, fut la série publiée sous ce titre à la fin du siècle dernier par Léo Taxil. Quelques titres permettrons de situer le niveau : Les Jocrisses de sacristie, Les Soutanes grotesques (fascicule relatant les aventures de l’abbé Cul-de-singe), La Chasse aux corbeaux…et même C’est nous qui fouettons ces vieux polissons. On peut jouer de l’outrance comme d’un art à l’instar des surréalistes, ou de l’injure comme d’un style à l’instar des situationnistes. Ce n’était pas le cas de Léo Taxil qui n’était que vulgaire en prétendant être populaire.

D’autres séries de brochures furent publiées durant la première moitié du siècle : La Documentation antireligieuse, Les meilleures œuvres des auteurs rationalistes, La Bibliothèque du libre penseur, comprenant chacune plusieurs dizaines de titres. Avec cinquante, soixante, parfois cent pages, ces publications étaient rédigées par des militants, avec des rééditions de classiques tels les philosophes des Lumières. L’époque explique que la critique du catholicisme y soit privilégiée. Malgré le parti pris évident, on y trouve d’honnêtes réussites et même quelques documents remarquables.

La sélection bibliographique suivante présente plusieurs différences. Elle se limite à dix titres tout en ayant l’ambition d’offrir un panorama complet des sujets traités. Toutes les religions monothéistes sont mises à la question dans les deux premiers titres, puis le judaïsme, le catholicisme, le protestantisme et l’islam ont droit chacune à deux volumes spécifiques. Les auteurs ne sont pas issus du sérail anticlérical, même si on peut les définir comme des laïques au sens large. Outre le sujet, c’est la qualité de leur travail qui justifie leur sélection, avec une inévitable subjectivité.

Gilles Kepel, La Revanche de Dieu
(Ed Seuil, col. Points actuels n°117, janvier 1991)

Un tableau saisissant des « chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête de monde » selon le sous-titre. S’il n’y avait qu’un seul ouvrage à consulter dans cette liste se serait celui-ci. Il faut en tout cas commencer par lui. Il décrit la percée spectaculaire des mouvements religieux dans l’espace politique des années soixante-dix : en 1976 Jimmy Carter est élu président des Etats-Unis, en 1977 Menahem Begin devient premier ministre d’Israël, en 1978 Karol Wojtyla est choisi comme pape par les cardinaux, en 1979 c’est le retour de l’ayatollah Khomeyni à Téhéran…

Cette « offensive par le haut » est relayée par une « offensive par le bas » dans l’espace social, culturel, associatif : « fondamentalisme » et « évangélisme » aux USA, pentecôtistes protestants et charismatiques catholiques, judaïsme nationaliste ou orthodoxe (loubavitch) en Israël et dans la diaspora, islam piétiste (tabligh) ou révolutionnaire… Beaucoup plus efficace sur le long terme, ces réseaux sociaux rassemblent plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde. La lecture attentive de cet ouvrage de bonne vulgarisation permet d’acquérir la compétence minimale nécessaire à une réflexion et à des actions adaptées.

Mon Dieu, pourquoi tous ces interdits ?
(Revue Panoramiques n°11, Editions Corlet)

Les croyants ont-ils le droit d’imposer à tous les interdits qu’ils respectent pour leur part ? Il serait ridicule de réduire une religion aux interdits qu’elle impose. L’existence de listes officielles d’interdits dans le judaïsme (il y en a 365) et dans l’islam (il y en 70), tout comme le tabou général jeté sur la sexualité par le christianisme rendent toutefois la question légitime. L’ordre moral étant fondé sur les interdits. Les débats sur la bioéthiques sont imprégnés de ces questions, parfois inconsciemment.

Ce numéro de la revue Panoramiques rassemble une trentaine de contributions sur ce thème central. Quelle religion interdit quoi ? Le nombre des prohibitions n’est pas en relation avec leur force. Les tabous alimentaires (alcool, porc…) et sexuels (fornication, homosexualité…) sont analysés. L’encyclique Humanae Vitae, sur la contraception, la stérilisation et l’avortement, est particulièrement étudiée. Tous les points de vue sont représentés, avec des interventions sur la censure de l’image, l’eugénisme…et les interdits imposés en Chine, en Inde et aux Japon. L’ensemble est conclu par un dictionnaire d’une quarantaine d’entrées.

Ilan Halevi, Question juive. La tribu, la loi, l’espace
(Editions de Minuit)

Indispensable pour comprendre la religion mère des monothéismes, cet ouvrage relate sans a-priori une histoire pas toujours « sainte ». L’auteur montre comment les textes constituant la Torah (la Loi, première partie de l’Ancien Testament) ont été choisis, manipulés, par la caste cléricale au pouvoir, comment elle a perdu ce pouvoir au profit de rois qui ne valaient guère mieux, et comment les fameux prophètes ne firent que réclamer ce pouvoir à grands coups de malédictions.

Offrant de nombreuses informations peu connues, Ilan Halévi décrit ensuite la formation de la diaspora, les conditions concrètes d’existence de cette « quasi-nation », son implantation et son rôle dans les mondes musulman et chrétien, la naissance de la « question juive » et du sionisme, nationalisme paradoxal se réclamant de la Bible tout en étant critiqué par les courants les plus religieux.

Maxime Rodinson, Peuple juif ou problème juif ?
(Editions La Découverte poche n°23, mai 1997)

L’auteur a réuni ses principaux textes sur le judaïsme, le sionisme et les différentes judéophobies. Ce recueil rigoureux s’est imposé comme une référence dans un domaine où règnent les idées confuses. Maxime Rodinson a réussi à mener « une réflexion sur les problèmes juifs qui n’est pas judéocentriste , qui se veut même critique de l’optique judéocentriste ».La préface est axée sur le sionisme ainsi que d’autres textes synthétiques clairs « Israël, fait colonial ? », « Dialogue avec les Palestiniens », « Sur les visions arabes du conflit »

Ces études politiques sont heureusement complétées par des études historique-culturelles d’un intérêt majeur : de définitions précises à l’analyses des diverses judéophobies… Le texte essentiel est sans aucun doute les soixante pages de sa préface à la Conception matérialiste de la question juive, ouvrage que le marxiste Abraham Léon avait écrit avant de mourir en déportation en 1944.

Robert Joly, L’intolérance catholique
(Editions Espace de libertés Centre d’Action Laïque Bruxelles)

De la doctrine des pères de l’Eglise jusqu’au dernier catéchisme, on trouvera ici un exposé érudit des thèses catholiques sur la tolérance. L’auteur est un philologue qui a enseigné au célèbre Institut d’études des religions et de la laïcité (IERL) de l’Université Libre (laïque) de Bruxelles. Pourtant ces recherches, aussi approfondies soient-elles, ne s’adressent pas aux spécialistes.

Loin d’être un pamphlet, il s’agit d’un développement clair, lisible par tous, qui met fin à une idée reçue, y compris dans nos milieux. L’intolérance catholique, et plus largement chrétienne, ne naît pas d’une déviation du message évangélique. Au contraire, elle résulte de la nature même du christianisme. Elle est « un corollaire strict de la charité ». Ce n’est pas par « méchanceté » que l’amour chrétien veut s ’imposer, mais au contraire pour sauver les âmes, fût-ce malgré elles.

Dépassées, les valeurs catholiques ?
(Revue Panoramiques n° 23, 1995)

Nous nous retrouvons ici en terrain connu, presque traditionnel. Introduit par un entretien avec le cardinal Paul Poupard, ce numéro de Panoramiques fut la première publication prenant prétexte de « l’affaire Clovis ». Il s’agit d’une confrontation entre catholiques engagés et laïques militants, reprenant certains thèmes déjà traités lors des controverses de la Belle Epoque.

Les trente-quatre interventions renouvellent toutefois le genre en faisant, des deux cotés, assez largement appel aux sciences humaines pour affiner leurs discours. Ceux-ci ne sont pourtant pas édulcorés comme le prouvent les textes sur le monothéisme en général, l’amour qui fait l’objet de larges développements, la culture, la sexualité et la démocratie qui ont droit chacune à un chapitre entier. Malgré des ambiguïtés dues à la confusion entre « chrétiens » et « catholiques » et un certain décalage entre les deux parties, on trouvera là des argumentaires fournis.

Robert Dôle, Le cauchemar américain
(Editions VLB Montréal Québec, mai 2000)

Robert Dôle est un américain descendant, tant par son père que par sa mère, de familles puritaines installées en Nouvelle Angleterre depuis 1620. Diplômé d’Harvard, il est très représentatif de ce milieu. Écrit à la suite d’un exil volontaire en Europe puis au Québec, son essai sur la mentalité américaine actuelle est « l’autobiographie d’une tribu », « la tribu la plus riche, la plus puissante et la plus impérialiste de l’histoire mondiale ».

L’auteur montre comment cette mentalité est le produit du puritanisme de XVII° siècle. Ceci va bien au delà de l’hypocrisie en matière sexuelle ou du mouvement « born again » (né de nouveau à la foi protestante).Robert Dôle identifie quatre principaux vestiges, souvent inconscients : l’individualisme sauvage (issu du face-à-face entre l’individu et Dieu), la distinction entre élus et non-élus (qui se traduit en riches et pauvres), la cruauté sociale (les démunis sont responsables de leur sort) et le goût de la confession publique, générant une bonne conscience conquérante et un matérialisme vulgaire.

Dominique Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin
(PUF, coll Science histoire et société, février 1998)

Dominique Lecourt décrit avec précision le stupéfiant obscurantisme que les fondamentalistes protestants américains professent en biologie : le créationnisme. Dès les années vingt, l’évolution biologique mise en évidence par les travaux de Charles Darwin avait été niée car elle est contraire aux affirmations de la Bible. Le fameux « procès du singe » qui vit, en 1925, la condamnation d’un enseignant du Tennessee, Thomas Scopes, pour avoir exposé l’Evolution à ses élèves, est resté dans les annales.

Les profondes causes sociales de ce procès ont généré depuis un puissant mouvement rétrograde. Loin d’être une querelle mineure, la question du « créationnisme » permet à Dominique Lecourt de montrer comment elle révèle les structures de l’éducation, de la science et de la politique aux USA. Cette analyse est d’autant plus nécessaire que ce pays a acquis une hégémonie quasi mondiale.

Maxime Rodinson, L’islam. Politique et croyances
(Pocket Coll Agora)

Le grand islamisant présente ici un recueil d’articles sur différents aspects de l’islam, qu’il se refuse à considérer comme une « totalité conceptuelle ». Trop d’ouvrages abordent cette religion en la considérant comme un tout enfermé dans une doctrine exprimée intégralement par le Coran. Mais, comme pour toutes les religions, la foi s’est adapté, les rituels se sont modifiés, des écoles différentes sont apparues, les modifications politiques se sont multipliées…

Maxime Rodinson examine la communauté originelle, la situation géopolitique du monde musulman, les divers schismes, les minorités en général et les communautés religieuses au Liban en particulier, les classes sociales et leurs relations à l’histoire économique, l’éthique et ses variations, l’« intégrisme » et son réveil, le terrorisme et les conceptions de l’ayatollah Khomeiny. La présentation de ces divers aspects confirme la pertinence du refus de parler de l’« islam » en général. Cela étant bien sûr valable pour toutes les religions.

Gilles Kepel, A l’ouest d’Allah
(Editions Seuil Coll Points essais n° 246)

Bien que la charia ne s’applique pas aux non musulmans (sauf en terre d’islam), ceux-ci sont concernés par l’essor islamique en Europe et en Amérique. Gilles Kepel présente en détails trois dossiers qui font la une des médias. Bien que 20% des esclaves vendus aux Etats-Unis aient été musulmans, l’islam n’apparaît vraiment que dans les années vingt sous une forme très particulière. Il connaît un développement notable sous l’impulsion d’Elijah Muhammad, de Malcom X et de Louis Farrakhan qui structure la Nation de l’islam.

En Grande Bretagne, c’est « l’affaire Rushdie » qui met sur le devant de la scène une communauté très organisée qui dénonce par un autodafé les Satanics Verses un mois avant la fatwa de l’ayatollah Khomeiny. Le modèle communautariste hérité de la période coloniale s’est imposé pour environ un million de musulmans. En France, où les personnes de culture musulmane sont quatre ou cinq millions, c’est « l’affaire du voile » qui a joué un rôle de détonateur. Elle est examinée en relation avec la guerre civile en Algérie.