Iain Duncan Smith : Le leader de la Chambre [John Reid] dit que des voyous dans les services secrets sont en train d’ébranler la confiance dans le gouvernement et que leur nombre est en train d’augmenter. Le Premier ministre est-il d’accord avec cela ?

Tony Blair : Il est évident, d’après l’émission Today - si l’on doit croire cette source -, que certainement, il y avait quelqu’un à l’intérieur des services secrets qui a parlé aux médias. Je tiens à dire que les services de sécurité et les services secrets de ce pays font un superbe travail. Sur les six années durant lesquelles j’ai été Premier ministre, ils ont été magnifiques dans l’information délivrée, dans leur professionnalisme et leur intégrité.

Iain Duncan Smith : La question n’est pas l’émission Today, mais les allégations très sérieuses du leader de la Chambre à propos des services secrets. Je reconnais avec le Premier ministre que les services accomplissent un travail monumental pour le gouvernement, mais le leader de la Chambre dit qu’ils cherchent délibérément à saper l’autorité du Premier ministre. Le Premier ministre peut éclaircir cela maintenant. Peut-il nous indiquer à quel point ces gens sont haut placés, combien sont-ils et qu’est-ce qu’il compte faire à propos de ces allégations ?

Tony Blair : Honnêtement le leader de la Chambre n’a pas dit que les services secrets étaient compromis dans quoi que ce soit, mais que quelqu’un dans les services organisait des fuites - et c’est évident. Le très honorable parlementaire me demande qui est-ce et quel est son grade, mais selon la BBC, cette source est anonyme. Je ne peux donc répondre que : « je ne sais pas ».
Il y a un point grave dans la question de l’honorable parlementaire : je ne pense pas que cette personne soit membre du Comité joint des services [structure chapeautant le SIS et le GCHQ], et je tiens à ce que cela soit clair devant la Chambre parce que je viens d’en discuter avec le président du Comité et le Comité lui-même. Il n’y a eu aucune faute d’aucun officiel, d’aucun ministre ou d’aucun de mes collaborateurs pour fausser le jugement des services ou du Comité, y compris à propos de ce que l’on appelle les « 45 minutes », une appréciation faite par le Comité et lui seul.

Iain Duncan Smith : Mais le Premier ministre est équivoque.

[Interruption]

Le président : Du calme. Laissez le leader de l’opposition s’exprimer.

Iain Duncan Smith : Le leader de la Chambre, dans un entretien au Times et dans l’émission Today, n’a pas parlé d’une seule personne, mais d’un nombre croissant de membres des services secrets. Le leader de la Chambre a proféré des allégations sur les services secrets...

Exclamations sur les bancs des parlementaires : Oh !

...et le Premier ministre ne le supporte pas. Nous entendons aussi des allégations d’autres sources selon lesquelles le Premier ministre a trompé le Parlement et la nation pour pousser à la guerre. Ce sont de très sérieuses accusations. Le meilleur moyen de traiter ce problème ne serait-il pas que le Premier ministre rende public le dossier que le Comité lui a donné avant celui qu’il a publié en décembre ? Le fera-t-il aujourd’hui ?

Tony Blair : La Commission parlementaire du renseignement et de la sécurité peut accéder librement à ces documents et rédiger un rapport. Compte tenu de l’importance du sujet, je pense qu’il n’est que justice qu’elle le publie pour que les gens puissent juger d’eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, ces allégations sont tout simplement fausses. En particulier, celle selon laquelle c’est sur intervention de mes collaborateurs qu’aurait été inséré que Saddam Hussein pouvait utiliser ses armes 45 minutes après en avoir donné l’ordre. C’est complètement et totalement faux. De même l’allégation selon laquelle cette insertion aurait provoqué un trouble dans les services de renseignement qui auraient désapprouvé cette mention - j’en ai discuté, comme je l’ai dit, avec le président du Comité. Cette allégation est complètement et totalement fausse. Au lieu d’écouter une ou plusieurs sources anonymes, je suggère à ceux qui ont des preuves de les produire.

Iain Duncan Smith : Mais le leader de la Chambre n’est pas une source anonyme ! Le Premier ministre est parmi nous pour nous dire que ces allégations sont fausses. Si c’est le cas, et s’il n’a pas ajouté le point « 45-minutes » au dossier, pourquoi ne rend-t-il pas public le dossier initial que le Comité lui a donné avant qu’il n’ait publié celui de septembre ? Voilà qui clarifierait les choses, d’autant qu’on nous a présenté comme allant de soi que ce document pouvait être versé au domaine public. Il peut agir ainsi et clarifier les choses. Bien sûr, nous nous réjouissons que la Commission parlementaire du renseignement et de la sécurité puisse en prendre connaissance, cependant je rappelle à la Chambre que le Premier ministre ne laissera voir à la Commission que les rapports qu’il voudra lui laisser voir. Ceci est de sa seule compétence et il peut décider de classifier ces documents en partie ou en totalité.

Tony Blair : Aussi loin que je me souvienne, le leader de la Chambre ne prétendait pas que les renseignements étaient faux. Au contraire, il réfutait l’allégation que les services avaient tort. Concernant la Commission parlementaire du renseignement et de la sécurité, il est faux que je cacherai des notes du Comité. Je les donnerai toutes. De plus, elle peut, selon l’usage, auditionner les personnes qui, au sein des services, ont rédigé le rapport du Comité. C’est sûrement la bonne façon de procéder. Je ferai alors publier le rapport.
Si je puis me permettre de dire à l’honorable parlementaire, il dispose aussi des briefings de renseignement. Je me demande si son problème n’est pas qu’il a hésité ces derniers jours à sauter ou non dans le wagon de queue, et qu’il a fait le mauvais choix.

Iain Duncan Smith : Quelle amabilité...

Exclamations sur les bancs des parlementaires : Encore !

Le président : Du calme !

Iain Duncan Smith : Les allégations du leader de la Chambre aujourd’hui ont tout changé. Il avance que des éléments des services secrets essayent en fait de porter atteinte au gouvernement. Le Premier ministre ne peut prétendre que c’est une chose sans importance. La crédibilité de son gouvernement repose sur la réfutation de ces accusations. J’essaye seulement de dire au Premier ministre que ces accusations ne vont pas se dissiper d’elles-mêmes. Un de ses anciens ministres dit qu’il a trompé le gouvernement ; un autre déclare qu’il a commis une bourde monumentale ; et, aujourd’hui, le leader de la Chambre s’en prend aux services secrets. Le fait est que la seule chose qui reste à faire est de mettre en place une enquête judiciaire indépendante s’il ne veut pas produire les preuves, et le faire aujourd’hui.

Tony Blair : J’ai déjà dit que nous produirons toutes les preuves devant la Commission parlementaire du renseignement et de la sécurité. Je pense réellement que c’est la manière juste et appropriée de procéder. Elles donneront lieu à une interprétation réfléchie et je publierai le raport de la Commission. Je répète, toutes ces allégations sont complètement dénuées de substance. Et puisque l’honorable parlementaire insiste, j’irai plus loin. Par exemple, on a prétendu qu’il y aurait eu, à New York, une entrevue entre le secrétaire des Affaires étrangères [Jack Straw] et Colin Powell au sujet de leurs doutes concernant des armes de destruction massive. Or, ce jour-là, le secrétaire des Affaires étrangères était en France. De même, l’allégation, parue dans The Mail on Sunday selon laquelle le ministre des Affaires étrangères allemand, Joshka Fisher, m’a pris en embuscade sur les armes de destruction massive : des mensonges ! J’ai la déclaration suivante de l’ambassade allemande : « L’Allemagne dément vivement les allégations du The Mail on Sunday, publiées aujourd’hui en première page. Le contenu et les citations attribués au ministre des Affaires étrangères sont pure fiction. » Voilà une réponse. On a prétendu que la source des 45 minutes était un transfuge irakien de crédibilité douteuse. Ce n’était pas un transfuge irakien, mais une source institutionnelle et fiable.

Iain Duncan Smith : La vérité est que personne ne croit un traître mot prononcé par le Premier ministre. C’est la vérité. Nous avons maintenant le comportement peu édifiant du leader de la Chambre montant au créneau sur instruction du Premier ministre et attaquant les services secrets. Le Premier ministre publiera-t-il ce dossier maintenant ou devrons-nous mandater une enquête indépendante pour que le public puisse se faire son opinion ?

Tony Blair : Encore une fois, laissez-moi dire à l’honorable parlementaire que tout ce qu’a dit le leader de la Chambre est vrai : des gens parlent anonymement aux médias. Je tiens à redire que, quoi qu’il en soit, sur l’Irak comme sur les autres sujets que j’ai eu à traiter par le passé, nos services de renseignements ont été absolument formidables. Avec le respect que je dois à l’honorable parlementaire, tant de choses ont été dites sur le conflit irakien : que des centaines de milliers de gens allaient mourir ; que cela allait être mon Vietnam ; que le Proche-Orient serait en flammes ; et enfin que les armes de destruction massive étaient une invention complète du gouvernement britannique. La vérité est que certaines personnes supportent mal le fait qu’il était juste de faire la guerre. Merci à la contribution admirable des troupes britanniques. L’Irak est maintenant libre et nous devrions en êtres fiers.

[...]

Charles Kennedy : Sachant que le Premier ministre affirme qu’il faut plus de temps et qu’il a quémandé la patience du public pour trouver des preuves définitives d’armes de destruction massive, ne comprend-il pas que beaucoup de gens dans ce pays et internationalement, traitent cette affaire avec beaucoup de suspicion ? Parce que plus de temps et de patience, c’était exactement les demandes de M. Hans Blix. Le Premier ministre n’a pas voulu les lui accorder bien qu’il ait voté pour elles. Pourquoi espère-t-il que les gens les lui accorderont ?

Tony Blair : Pour deux raisons, la situation est complètement différente. La première concernant Hans Blix : je n’ai pas les déclarations en face de moi, mais je pense que ce que j’ai dit à la chambre, au cours des nombreuses fois où j’ai été interrogé à ce sujet, c’est que si Saddam coopérait pleinement, le temps n’était pas un problème. Le processus pouvait prendre tout le temps dont le Dr Blix avait besoin. Cependant, si Saddam ne coopérait pas complètement, ce que M. Blix trouva à ce moment-là, alors il violait la résolution 1441, c’est le premier point.
Le second point, c’est que la situation est différente depuis la destitution de Saddam. La priorité de l’après-guerre - et c’est avec raison l’objet des pressions que nous subissons - est de prendre les mesures humanitaires et de reconstruction nécessaire pour remettre l’Irak sur pieds. La mission d’enquête sur l’Irak est forte de 1300 à 1400 hommes. Elle est en charge d’aller en Irak, d’enquêter sur tous les sites, d’interroger les scientifiques et les témoins. Ce groupe commence juste son travail - juste maintenant. C’est pourquoi je demande aux gens d’être patients : ce groupe vient juste d’arriver en Irak. Il faut lui laisser faire son travail, visiter les sites, interviewer les témoins et présenter son rapport.

Charles Kennedy : Sachant le scepticisme du public, qu’il soit fondé ou pas, admettra-t-il que ce sentiment de suspicion risque de se développer, vu les remarques du leader de la Chambre au sujet des voyous dans les services de sécurité ? Qui le public doit-il croire si le gouvernement nous fait savoir qu’il ne peut faire confiance à ses propres services de sécurité ? Ceci ne souligne-t-il pas la nécessité d’un point de vue judiciaire indépendant ?

Tony Blair : Les renseignements qui sont à la base du dossier que nous avons publié en septembre proviennent du Comité. Il n’y a jamais eu de pression de ministres, d’officiels ou de quiconque pour tenter de passer outre.

[...]

Robin Cook : Le Premier ministre se souvient-il avoir affirmé au cours du débat de septembre que nous savons que Saddam essaye d’acheter de l’uranium en Afrique ? Ses conseillers l’ont-ils informé depuis qu’il est désormais établi que les documents créditant ces allégations étaient contrefaits ? Je n’ai jamais eu de doute sur la bonne foi de mon très honorable ami, aussi pourrait-il économiser le temps de la Commission parlemetnaire du renseignement et de la sécurité en corrigeant maintenant ce qui a été dit sur l’uranium d’Afrique et sur les armes opérationnelles en 45 minutes et dire qu’il regrette, en toute bonne foi, avoir fourni à la Chambre une information qui s’est révélée fausse ?

Tony Blair : Non, je crains de devoir dire à mon très honorable ami que je ne peux pas le faire. Il y a deux allégations séparées. Mon très honorable ami a commencé avec les allégations sur l’uranium d’Afrique. Il y avait des renseignements à ce sujet. Je ne vais pas rentrer dans les détails sur quels renseignements, mais ils avaient été jugés crédibles à ce moment-là par le Comité. Nous ne sommes pas en mesure, tant que nous n’auront pas conduit les enquêtes appropriées, d’affirmer si cette estimation était juste ou non. Quant aux 45 minutes, c’est une toute autre imputation. Je dois dire à mon très honorable ami que le Comité a pris sa décision en sa présence et sans objection de personne. Je ne vais certainement pas vous dire ici que cette allégation était fausse alors que le Comité l’a appréciée comme vraie. Pour cette appréciation, le Comité est plus compétent que tout autre, y compris moi, et, avec le respect que j’éprouve pour mon honorable ami, y compris lui.

[...]

Keneth Clarck : Lorsque le Premier ministre était en train de discuter la question de l’Irak avec ses homologues au G8, il leur a probablement rappelé qu’ils avaient tous unanimement soutenu la résolution 1441 du Conseil de sécurité, indiquant que la force militaire, si nécessaire, serait requise pour désarmer Saddam.
A-t-il rappelé au président Bush que les conditions d’une guerre en Irak, sans seconde résolution et face à l’opposition de la majorité du Conseil de sécurité, étaient que ces armes posent une menace tellement imminente qu’il faille recourir à l’invasion militaire sans accorder plus de temps au Dr Blix et à ses inspecteurs ?
Dois-je comprendre que la position du Premier ministre aujourd’hui est qu’il y croit toujours et qu’il maintient devant la Chambre qu’il pense que cette assertion était précisément fondée, qu’elle est aujourd’hui précisément fondée, et qu’il sera prouvé qu’elle est précisément fondée ? S’il maintient ce point de vue et si tout cela s’avère faux, mesure-t-il le sérieux des conséquences sur notre confiance que les problèmes de l’Iran et de la Corée du Nord seront traités de manière multilatérale et sur une base légale ?

Tony Blair : Le très honorable et bien informé parlementaire et moi sommes parfois d’accord, mais je crains que nous nous opposions complètement sur ce sujet. D’abord, laissez-moi souligner que la base sur laquelle nous sommes entrés en conflit était que la résolution 1441 donnait à l’Irak la possibilité de se soumettre complètement et inconditionnellement aux inspecteurs des Nations unies. La conclusion à laquelle nous sommes parvenus six mois plus tard était qu’il ne s’y soumettait pas. Le problème au Conseil de sécurité était que nous ne parvenions pas à nous mettre d’accord pour déterminer si ce refus de se soumettre complètement et inconditionnellement aux inspecteurs suffisait à justifier une action. C’était évidemment inacceptable [...].

Clare Short : En essayant de guérir les divisions qui sont apparues dans le monde lors de la crise irakienne, le Premier ministre s’est-il excusé auprès du président Chirac pour nous avoir tous trompé sur la position de la France au sujet d’une seconde résolution ? Je pense qu’il a dit à la Chambre, et à beaucoup d’entre nous, que la France opposerait son veto à n’importe quelle seconde résolution. Il est maintenant clair que le président Chirac a dit, le 10 mars, que les inspecteurs avaient besoin de plus de temps, mais que, s’ils échouaient à désarmer l’Irak, le Conseil de sécurité devrait mandater une action militaire. Ceci veut-il dire qu’il nous a trompé et qu’il doit aussi s’excuser devant nous ?

Tony Blair : Je suis désolé, encore une fois, nous ne sommes pas du tout d’accord. Premièrement, les remarques du président Chirac sont maintenant enregistrées et appartiennent à l’Histoire : elles indiquaient que la France dirait non quelles que soient les circonstances. Mais il y a un point plus important. Ce que je voudrais dire à ma très honorable amie et à la Chambre, c’est que la France a clairement affirmé n’accepter aucune résolution impliquant un recours automatique de la force si Saddam refusait de se soumettre, ni même accepté un ultimatum. C’est-ce que je lui ai dit, et que j’ai dit à la Chambre et c’est la vérité.

Source : Chambre des communes. Texte original publié au Hansard.
Traduction : Diala Achkar pour le Réseau Voltaire.