La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Jayle.

Mme Nelly OLIN, Présidente.- Si vous en êtes d’accord, pour que les travaux soient aussi riches que possible, nous allons vous laisser présenter votre point de vue, votre action, ce que vous entendez mettre en place, pendant une dizaine de minutes environ. Ensuite, le rapporteur se livrera aux questions. Après, pour que le débat soit très riche, il y aura des questions de nos collègues sénateurs. Ceci étant, nous ne regarderons pas, Monsieur le Président, à une ou deux minutes, sachez-le, mais nous sommes contraints dans le temps par cette mission.

Je vous donne très volontiers la parole.

M. JAYLE.- Merci Madame la Présidente, Messieurs les Sénateurs.

J’ai compris que vous souhaitiez que ce soit relativement bref pour que l’audition soit plus un débat, un échange sur les différents problèmes qui nous préoccupent.

Comme vous le savez, je suis arrivé à la mission interministérielle il y a trois mois maintenant. J’ai pu faire un petit peu un état des lieux. Je vais peut-être rappeler très rapidement ce qu’est la mission interministérielle.

Cette mission est placée auprès du Premier ministre et est composée d’une quarantaine de personnes, dont 22 chargés de mission, qui sont des fonctionnaires mis à disposition par les différents ministères concernés. Ce sont des cadres A ou A+ de bon niveau, qui ont une vraie expertise sur les problèmes de toxicomanie.

Je crois que l’intérêt de cette mission et du fait qu’elle soit placée auprès du Premier ministre permet précisément d’être un lieu extrêmement ouvert de débats, d’échanges, où les points de vue des différents ministères peuvent se confronter et arriver à trouver des améliorations dans le dispositif.

Pour vous donner une idée, à la MILDT il y a, j’ai fait un pointage, entre 10 et 20 réunions interministérielles par mois au niveau des administrations, qui regroupent deux, trois, quatre, cinq ministères ou plus, en fonction des thèmes traités.

Cette semaine, j’ai moi-même participé à quatre réunions interministérielles à la MILDT. C’est une mission interministérielle qui fonctionne vraiment, sans doute insuffisamment au niveau des cabinets. C’est un de mes rôles de la rendre plus proche des différents cabinets.

En dehors de cette équipe, la MILDT bénéficie d’un budget de crédits d’intervention, qui se monte à 40 millions d’euros. C’est ce qui a été voté en tout cas en 2003. Ils sont répartis de différentes manières, d’abord en direction des ministères directement, sur projet. Ils vont utiliser directement cet argent.

Je vous donne un exemple. A l’Education nationale, pour les comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté, la MILDT donne, entre un et deux millions d’euros, pour leur fonctionnement. C’est vrai pour les ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Santé etc. Cela représente à peu près, en fonction des années, entre cinq et dix millions d’euros.

Une autre ligne est déconcentrée et gérée par des chefs de projet départementaux qui, en fonction du contexte local, vont utiliser ces crédits pour faire soit des formations, soit des interventions. Egalement en milieu scolaire dans les CESC, ils vont financer un certain nombre de projets et en rendre compte à la MILDT. Les crédits déconcentrés représentent environ 20 millions d’euros. C’est la part la plus importante des crédits d’intervention.

Par ailleurs, la MILDT finance des groupements d’intérêt public (GIP), qui sont Drogues Alcool Tabac Info-service, le 113, qui fonctionne actuellement 24 heures sur 24 et subventionne également à 100 % l’OFDT, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, chargé de mener un certain nombre d’études et de recherches dans ce domaine.

La MILDT est une structure relativement légère, pluridisciplinaire et véritablement interministérielle dans sa conception et dans son fonctionnement.

Vous savez qu’il y a eu un plan triennal 1999-2002, qui vient de s’achever. Actuellement, l’OFDT a été chargé de fairel’évaluation de la politique de ces trois ans. Les bilans m’arrivent tous les jours en ce moment. Les conclusions ne sont pas encore totalement terminées. Elles le seront au début du mois prochain.

Il est vrai qu’il faut souligner et se féliciter, je pense, de l’esprit de la MILDT et du travail de mon prédécesseur, qui a vraiment voulu donner un sens à l’évaluation, quand nous savons combien celle-ci peut être difficile, et a chargé l’OFDT, certes subventionné par la MILDT, mais qui a un collège scientifique absolument indépendant et qui a fait ce travail, qui je dois dire en voyant les premiers résultats est très critique par rapport à certains résultats observés si nous les comparons aux objectifs définis au départ.

Le champ d’action de la MILDT concerne les drogues illicites mais également l’alcool et le tabac. Je pense que c’est important quand nous savons aujourd’hui que les polyconsommations sont de plus en plus fréquentes et que nous imaginerions mal retirer ces substances psychoactives licites notamment en termes de prévention, d’information au-delà des mécanismes neurophysiologiques. Je crois qu’il est important, pour avoir une politique globale, de pouvoir traiter également de ces sujets, mais je pense que j’aurai l’occasion de m’en expliquer pendant la discussion.

Je vais peut-être vous dire un mot du calendrier. J’ai été nommé début novembre. J’ai reçu une lettre du directeur de cabinet du Premier ministre me demandant les axes forts que je comptais développer. Je lui ai donc envoyé une note pour lui donner les axes que j’avais l’intention de développer.

Une réunion interministérielle va avoir lieu incessamment à Matignon pour confirmer ces orientations.

Je vais recevoir une lettre de cadrage du Premier ministre, qui va nous permettre d’écrire le prochain plan, que je souhaite quinquennal pour différentes raisons, parce que c’était une des recommandations de la Cour des comptes, également le bilan de mon prédécesseur, en articulation avec la loi de programmation de santé publique qui est sur cinq ans et c’est la durée de mandat. Le plan sera donc vraisemblablement sur cinq ans, si cela est accepté, confirmé par la réunion interministérielle.

Mme la Présidente.- Pardonnez-moi Monsieur le Président, il est donc prématuré que vous puissiez nous parler de ce plan ?

M. JAYLE.- Je pense que je peux en dire un peu, tout en sachant que les axes n’ont pas encore été validés. Je crois que le rôle de la mission est de réunir les conditions de réflexion, d’être une force de propositions pour que le Gouvernement décide d’une politique, nous charge de la mettre en oeuvre avec les départements ministériels concernés et surtout d’en suivre l’évolution et l’évaluation.

Je vais aller très vite, parce que je vois que le temps finalement passe effectivement plus vite que nous ne le souhaiterions.

En termes d’organisation de la MILDT je crois qu’il y a un gros problème, qui est celui justement de la déconcentration. Il me paraît très intéressant que les décideurs et ceux qui vont engager les crédits d’intervention puissent être le plus près possible de la population et donc des départements, des communes. Le problème est qu’actuellement les chefs de projet départementaux, il y en a un par département, sont nommés par le préfet. La MILDT en est informée. Ces chefs de projet sont le plus souvent les DDASS, dans deux tiers des cas, et dans un tiers le directeur de cabinet du préfet.

Même si le directeur de cabinet du préfet peut être extrêmement intéressé par le problème de la toxicomanie, ce n’est qu’un dossier en plus de beaucoup d’autres qu’il a à gérer et je crois que la MILDT manque vraiment d’un meilleur maillage au niveau local et d’une coordination régionale avec des personnels MILDT. La région me paraît être une bonne dimension pour pouvoir avoir des coordonnateurs régionaux, donc 22 coordonnateurs régionaux qui travailleraient avec des chefs de projet départementaux qui ne seraient pas forcément les DDASS et pas forcément le directeur de cabinet du préfet.

Je crois qu’il faut réimaginer une déconcentration véritablement efficace, parce que nous saurons plus précisément ce qui se fait dans les départements, nous pourrons plus facilement évaluer et nous aurons des personnes à plein temps sur les problèmes de toxicomanie et d’addiction.

Je ne vous en dirai pas plus sur la déconcentration.

Sur les axes forts, je pense qu’en termes de recherche il faut poursuivre la politique de recherche qui a été menée et même la renforcer. Elle est faite à différents niveaux, par l’OFDT pour une part, mais aussi directement par la MILDT, en collaboration avec l’INSERM, puisqu’un appel d’offres annuel sur l’ensemble des problèmes de neurosciences, mais aussi de sciences sociales, humaines, de santé publique est fait.

Cet appel d’offres mobilise les équipes de recherche, qui vont se pencher grâce à la régularité justement de ces financements possibles et nous aider à avoir une vision plus claire sur beaucoup de thèmes sur lesquels il reste encore des incertitudes et des connaissances insuffisantes. Donc continuer la recherche et peut-être lui donner une dimension plus européenne. J’espère pouvoir monter des programmes avec nos voisins de l’Union européenne, en particulier avec les Allemands, les Espagnols, pour pouvoir avoir déjà au niveau de la recherche un début de trace, faire travailler des équipes européennes ensemble.

En termes de prévention, je vais survoler très vite, je crois que parmi les objectifs prioritaires il y a certainement le cannabis, pour lequel un travail de communication est nécessaire. Il n’y a jamais eu en France de campagne sur le cannabis. Je crois qu’il faut faire une information du grand public, des jeunes, des parents et diffuser des repères clairs sur les effets de la consommation de cannabis. L’objectif est évidemment de retarder l’âge de l’expérimentation, c’est une urgence, de repérer les consommations problématiques, d’en assurer une prise en charge efficace et de réduire l’accessibilité au produit.

Tout cela fait un programme de communication qui sera basé sur un certain nombre de connaissances quand même assez bien établies sur les effets du cannabis et nécessitant une information non seulement du grand public, des jeunes, mais aussi des professionnels.

Je suis médecin. En discutant avec mes collègues, je me rends compte combien ils sont mal informés. Le médecin est pour les familles la première personne que l’on va consulter si l’on a un problème avec des drogues. C’est d’ailleurs dans la dernière étude EROPP, qui a été publiée il y a une semaine par l’OFDT. 72 % des personnes disent que si elles ont un proche concerné par un problème de drogue, la première personne qu’elles iront voir est le médecin.

Les médecins en France ne sont pas suffisamment informés, ni sur les effets des produits ni sur les conseils à donner aux familles. Je crois que les généralistes ont un rôle essentiel. Je compte bien m’appuyer sur eux pour qu’ils puissent faire le tri entre une consommation qui doit éveiller sur un problème psychologique ou psychiatrique grave et des conseils plus légers.

Eventuellement, je pense qu’il serait intéressant dans un certain nombre de cas de mobiliser des spécialistes d’autres domaines, comme les tabacologues, sur le cannabis, parce qu’en plus l’association est extrêmement fréquente, et les tabacologues pourraient tout à fait participer. J’ai parlé à un certain nombre d’entre eux, ils sont assez partants pour réfléchir, parce que quelquefois des interventions brèves ou basées sur des méthodes comportementalistes légères pourraient certainement être efficaces sur ce problème.

Je sais que le tabac est un peu en marge du champ d’action de la Commission, mais je vais juste en dire un mot, parce que je crois que tout ce que nous pouvons faire sur la prévention du tabac et notamment en milieu scolaire par l’application de la loi Evin aura un effet positif sur la prévention de la consommation de cannabis.

Nous voyons très bien dans les études que la consommation du cannabis vient environ 18 mois, deux ans après la consommation de tabac et qu’en retardant l’expérimentation du tabac et en essayant de limiter l’accès des jeunes au tabac, nous aurons certainement un effet sur la consommation de cannabis et nous pourrons le mesurer.

Je n’en dirai pas plus sur le cannabis, nous y reviendrons dans la discussion.

En ce qui concerne les autres drogues, sur l’héroïne, qui était la drogue autour de laquelle s’est constitué l’ensemble du dispositif de prise en charge et la prévention, nous avons quand même réalisé de gros progrès. Nous avons montré que nous pouvions faire des choses.

La politique de substitution, de réduction des risques qui a émergé en raison de l’épidémie de VIH et des hépatites a montré qu’elle pouvait effectivement avoir un effet extrêmement important sur la consommation. Le nombre de consommateurs d’héroïne est en baisse. Quand on dit qu’aujourd’hui il y a 150 000 ou 170 000 héroïnomanes en France, il faudrait retrancher le nombre de ceux pris en charge par les traitements de substitution et qui est supérieur à 100 000. Environ 50 000 consommateurs d’héroïne n’ont pas accès actuellement aux traitements de substitution.

Je pense qu’il faut prendre des initiatives, continuer. Il y a une espèce de vieillissement, de lassitude des équipes s’occupant des traitements de substitution. Il faut leur donner des opportunités pour réactiver un peu les choses. Je crois qu’il ne faut pas avoir peur d’innover dans ce champ et se poser des questions que nous nous sommes posées pendant des années, mais nous n’avons absolument pas avancé, notamment, je vous donne un exemple, sur l’utilisation possible d’une substance de produit de substitution par voie injectable. Cela me paraît être quelque chose d’important et sur lequel je compte organiser là aussi des consultations d’experts et interministérielles.

De la même façon en ce qui concerne la prise en charge, je ne suis pas non plus un partisan du tout substitution et je ne pense pas que la substitution puisse régler tous les problèmes. Il me semble que nous avons peut-être un peu négligé d’autres modes de prise en charge.

J’aimerais bien pouvoir relancer ce que nous appelons les programmes sans drogue, qui sont des démarches un peu sur la base des narcotiques anonymes, qui reprennent le mécanisme des alcooliques anonymes, et également réfléchir à des communautés thérapeutiques, extrêmement peu importantes en France à cause des dérives d’une grande association que vous connaissez, c’est le Patriarche.

Le principe des communautés thérapeutiques est extrêmement intéressant. Il y a à peu près 50 places dans les communautés thérapeutiques en France, contre plusieurs milliers en Italie par exemple. Je crois qu’il faut vraiment faire un effort dans ce sens.

En ce qui concerne la cocaïne, je crois que là il y a vraiment un travail de recherche à faire. Nous ne disposons pas pour la cocaïne des traitements de substitution que nous avons pour l’héroïne. Nous sommes extrêmement démunis dans la prise en charge. En plus, il y a très souvent un contexte de polyconsommations, qui rend les choses très difficiles. Là, il faut vraiment stimuler les recherches fondamentales certainement, mais beaucoup aussi les recherches cliniques et ouvrir des centres de référence de traitement pour les personnes dépendantes à la cocaïne et également au crack.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président, je ne veux pas être discourtoise, mais j’aimerais que nous puissions, si vous voulez, non pas vous interrompre de cette manière mais peut-être donner la parole au rapporteur, qui à mon avis va rebondir probablement sur un certain nombre de points que vous avez exposés et en même temps poser des questions qui vous permettront d’aller encore plus avant dans l’exposé, de manière que nous puissions arriver à avoir le maximum de réponses, Monsieur le rapporteur.

M.Bernard PLASAIT, Rapporteur.- Madame la Présidente, merci.

Docteur, merci de votre exposé. L’un de nos soucis est de porter un regard, de faire une évaluation sur l’efficacité des politiques qui ont été menées jusqu’ici, de telle manière que nous puissions en tirer des leçons et faire des propositions.

Vous êtes celui qui prend la direction du principal outil du Gouvernement pour la lutte contre la toxicomanie. Je crois que votre problème est un peu le même : établir le bilan de ce qui a été fait et de son efficacité, en tirer les leçons pour une efficacité accrue.

Je voudrais donc revenir sur l’évaluation des politiques. Vous avez tout à l’heure tiré un rapide bilan du plan triennal 1999-2001. Première question : pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Deuxième question, la prévention est évidemment essentielle. Considérez-vous qu’elle a été faite de façon globalement satisfaisante ? Vous avez dit plutôt un peu insuffisante, si j’ai bien compris. Est-ce tout ce que l’on peut en dire ? Avez-vous des idées précises sur les actions en matière de prévention primaire et de prévention secondaire qu’il convient de faire ?

Troisième question, ceci, à la lumière d’une évaluation que l’on doit faire des résultats de la politique de réduction des risques, car je conviens avec vous qu’elle a eu des effets tout à fait bénéfiques, mais en même temps elle a consisté à négliger la prévention primaire en tout cas de la drogue et en quelque sorte considéré que c’était un fait qui n’était pas le plus important et qu’il fallait faire avec. Cela a sans doute démotivé dans la lutte, dans la guerre contre la drogue. J’en veux pour preuve qu’à chaque fois que l’on parle de cette question, on prend pour pratiquement acquis que maintenant le cannabis est devenu quelque chose de courant, de quasi culturel, de banal. C’est ma question suivante, dans les documents de la MILDT il y en a un petit d’information sur la drogue, au demeurant très bien fait, mais dont le titre interpelle puisque c’est : « Drogue : savoir plus, risquer moins ». Il me semble que c’est un effet direct de la politique de réduction des risques. Il faudrait dire : « Savoir plus pour ne rien risquer du tout », c’est-à-dire pour ne pas se droguer.

Je voudrais que vous répondiez à cette première série de questions destinées à y voir un peu plus clair sur le résultat de la politique notamment en matière d’information qui a été menée jusqu’ici.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président.

M. JAYLE.- Merci. En ce qui concerne le bilan de l’action de la MILDT, je voudrais quand même rendre hommage à mon prédécesseur sur le travail d’organisation qu’elle a fait, qui était de construire un véritable outil, avec une réflexion, des recherches, la notion de faire une politique en fonction de données scientifiques validées. Un travail d’information sur les drogues a été fait et dans l’ensemble plutôt bien.

Dans les actions importantes qui ont été menées, il y a les conventions départementales d’objectifs, qui sont en fait des conventions justice santé pour mieux articuler le travail des juges, de la répression et de la prise en charge sociosanitaire. Je crois que l’objectif était bon, que l’évaluation va montrer que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances et qu’il faudra réorienter cette politique de manière que les services répressifs et les services de santé travaillent plus ensemble. Mais il ne faut pas que ces CDO, ces conventions se contentent d’abonder les associations ou les structures de prise en charge sanitaire et se focalisent plus sur une meilleure articulation entre la justice et la santé.

Dans le bilan, il y a évidemment eu cet apport en traitant à la fois du tabac et de l’alcool, de faire aussi prendre conscience qu’à travers des addictions il y en avait à des produits licites et illicites. Je crois que cela a fait évoluer les mentalités.

Bien sûr, toute approche trop globalisante et pouvant apparaître simplificatrice peut avoir des effets pervers. Je pense qu’elle a eu quand même un effet assez positif pour que les gens prennent conscience que lorsqu’ils consomment de l’alcool, il y a un danger et que le tabac, avec l’alcool, est le responsable du plus grand nombre de décès par an en France. La politique de la MILDT a eu le mérite de le montrer.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président, je suis désolée de vous interrompre, mais M. le Président du Luart souhaiterait rebondir sur ce que vous venez de dire. Vous avez très volontiers la parole Monsieur le Président.

M. du LUART.- Merci. Monsieur le Président, si vous le permettez, j’ai été il y a 18 mois auteur d’un rapport de contrôle sur le fonctionnement de la MILDT.

Je vous rends hommage, dans la mesure où vous considérez que votre prédécesseur a bien travaillé.

J’aimerais vous poser deux questions.

La première : avez-vous gardé les mêmes chargés de mission depuis que vous êtes en fonction ?

Deuxième point, ce qui m’avait paru extrêmement dommageable dans le fonctionnement de la MILDT était que toute l’action était lancée sur les dangers de l’alcool et du tabac, mais l’on considérait le cannabis comme un fait acquis et banal. Lorsque dans mon rapport et à plusieurs reprises auprès de votre prédécesseur j’ai souligné les dangers du mélange du cannabis et de l’alcool, on disait que c’était secondaire. Or, tous les rapports scientifiques aujourd’hui démontrent le contraire. C’est là où je suis un peu surpris quand vous dites que le travail de vos prédécesseurs a été extrêmement efficace. J’aimerais avoir plus de précisions sur ce sujet.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président Gouteyron.

M. GOUTEYRON.- C’est une question qui porte aussi sur le passé immédiat. Vous nous avez dit, Monsieur le Président, que le budget de la MILDT, l’enveloppe dont vous disposez, était de 40 millions d’euros,. Vous nous avez décrit quels étaient les destinataires de ces 40 millions d’euros. Pouvez-vous nous donner une indication sur la consommation de ces crédits ? Qu’en est-il exactement ? Quelle situation avez-vous trouvée ? Peut-être que par un biais cela rejoint la question de notre collègue M. du Luart.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président, vous voyez, le débat commence.

M. du LUART.- Nous étions intéressés par votre déposition.

M. JAYLE.- La première question que vous m’avez posée est de savoir si j’ai les mêmes chargés de mission. Vous savez, la MILDT est l’administration. J’ai demandé un certain nombre de nouveaux collaborateurs sur des postes qui étaient vacants et j’ai obtenu cette semaine deux nouveaux chargés de mission. Quant aux autres, il y a un turn-over. Les chargés de mission viennent de l’administration. Le Président de la MILDT définit une politique en accord avec le Gouvernement et les chargés de mission la suivront, parce que ce sont de bons fonctionnaires.

En ce qui concerne votre deuxième question il est clair, mais je crois que ce ne l’était pas tellement pour beaucoup de gens et toujours pas, qu’il y a eu une explosion de consommation de cannabis aux Etats-Unis, en Europe et en France. Nous le voyons, elle est particulièrement importante en France. C’est là où cela pose un problème, parce que la France est dans l’Union européenne un des pays qui a les lois les plus répressives sur le cannabis.

J’étais à Bruxelles la semaine dernière. On nous montrait une étude européenne, l’eurobaromètre, qui indiquait que la France est n° 1 dans la consommation de cannabis chez les jeunes de 16 à 24 ans, avant la Hollande. Il y a donc un problème.

Je crois que cela s’explique en grande partie par le fait qu’il n’y a jamais eu de campagne d’information et d’information des professionnels pour parler des effets et des méfaits du cannabis.

Dans l’expertise collective INSERM, qui a été commandée par la MILDT, sur le cannabis, d’ailleurs un petit document en fait la synthèse, il est clairement montré que le cannabis a des dangers. Ils sont relativement bien documentés et le sont encore plus depuis ces derniers mois, où un certain nombre d’études internationales ont montré qu’il y avait des effets néfastes du cannabis.

Nous devons tenir compte aussi de ces connaissances acquises et de ces nouvelles pour renforcer une action d’information, qui clairement a été insuffisante dans les années passées, pas seulement pendant le plan triennal, car même avant, il n’y a jamais eu d’information sur le cannabis.

Si vous voulez, je vais vous donner juste quelques chiffres. Dans l’eurobaromètre, sur les jeunes Français de 16 à 24 ans qui ont consommé du cannabis dans le mois précédant l’enquête, le taux moyen en Europe est de 11,3 %, le taux français de 19,8 %, le taux hollandais de 14,4 %, le taux suédois de 2,4 %. Vous voyez qu’il y a quand même un décalage et que nous devons tenir compte des informations scientifiques et des résultats des enquêtes menées pour mettre en oeuvre une politique, qui j’espère sera efficace et fera en sorte que la France ne sera pas le premier pays consommateur de cannabis. Clairement, ce sera une des priorités de notre action.

M. PLASAIT.- Pardonnez-moi. Bien sûr, je comprends bien que vous ne souhaitiez pas apparaître comme un procureur vis-à-vis de votre prédécesseur, mais je suis quand même interpellé par vos propos.

Lorsque vous parlez d’explosion de la consommation de cannabis en France, lorsque vous nous dites qu’en plus celle-ci est particulièrement importante en France par rapport aux autres pays européens, nous plaçant en position de leader, je me dis que déjà cela est un formidable constat d’échec de la politique qui a été menée, même si par ailleurs celle-ci, par la réduction des risques, a eu quelques effets positifs. En tout cas en ce qui concerne la lutte contre la drogue, c’est évidemment un échec.

J’ai une question double à vous poser. Vous dites que l’on ne savait pas tout. Permettez-moi de vous dire que l’on savait beaucoup. Des choses se sont précisées depuis quelques mois. Le rapport Roques c’est 1999 et le rapport de l’INSERM, demandé par la MILDT, dans lequel effectivement il y a à peu près tout, date d’un peu plus d’un an, de deux ans. Je ne crois pas, en tout cas les experts que nous avons interrogés ne nous ont pas dit qu’il y avait eu beaucoup d’études nouvelles depuis. Simplement, ils nous ont confirmé que tout ce que nous avions appris depuis ne faisait qu’appuyer ce qui était dans le rapport de l’INSERM. 

Par conséquent, Monsieur le Président, je voudrais savoir quel jugement vous portez sur le rapport Roques ou plutôt sur l’interprétation qui en a été faite, parce qu’en réalité c’est l’interprétation qui compte, puisque c’est sur celle-ci que s’est fondée la politique d’information de la MILDT et par exemple les messages que la MILDT donnait quand des parents téléphonaient pour savoir ce qu’ils devaient faire quand leurs enfants avaient fumé. On leur répondait en gros : « Ce n’est pas grave. Laissez-les fumer leurs joints ». Quel est votre jugement, sur l’interprétation qui en a été faite et sur le rapport de l’INSERM ? Vous l’avez déjà dit, mais répétez-nous qu’effectivement dans ce rapport de l’INSERM, il y a à peu près tout ce qu’il faut savoir sur la dangerosité du cannabis.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président.

M. JAYLE.- Nous avons ressorti du rapport Roques une espèce de classement des dommages entraînés par les différentes drogues. Celui-ci ne niait pas que le cannabis puisse poser des problèmes. C’est peut-être plus dans les commentaires qui en ont été faits disant que les conséquences de l’alcool, du tabac étaient beaucoup plus graves pour la santé publique que celles liées au cannabis.

Il est évident que la presse également s’en est fait l’écho. C’était la même chose après l’expertise INSERM. Comme vous l’avez dit, Monsieur le Sénateur, dans l’expertise collective INSERM il y a à peu près tout, même s’il y a des études récentes et de grosses études internationales, notamment suédoises, australiennes, vraiment intéressantes.

Il y avait tout, avec tout de même une introduction qui montrait que les données étaient encore parcellaires et encore contradictoires et qu’il fallait attendre. Je crois que là nous avons suffisamment attendu et que nous savons suffisamment de choses pour écrire.

Nous ne sommes pas maîtres des commentaires qui peuvent être faits par la presse. Quand vous lisiez trois quotidiens au lendemain de l’expertise collective INSERM, vous aviez un peu l’impression d’avoir affaire à trois rapports différents.

La MILDT, pas plus aujourd’hui qu’hier, n’est responsable des commentaires qui peuvent être faits à partir des études. Je crois que la MILDT a la responsabilité d’engager des campagnes, de formation des professionnels et d’information du grand public pour que les choses changent.

M. PLASAIT.- Je poserai la question à votre prédécesseur de savoir pourquoi la MILDT n’a pas réagi devant la présentation fallacieuse du rapport Roques par la presse. En effet, elle n’est pas responsable de ce que dit la presse, mais elle pouvait très bien réagir à la présentation fallacieuse.

Je voudrais ajouter autre chose, puisque quelqu’un a évoqué tout à l’heure l’action du Sénat contre le tabac. Oui, effectivement, il a fallu attendre que le Sénat fasse une proposition pour renforcer la prévention du tabagisme chez les jeunes, pour connaître une avancée significative.

Dans la politique de la MILDT, je n’ai pas aperçu d’efficacité en matière de lutte contre le cannabis, non plus contre l’alcool et le tabac. Il n’y a pas eu de grande campagne, de rappel à leurs obligations des vendeurs d’alcool et notamment de bières à 12 degrés, ni le rappel de la nécessité d’appliquer la loi Evin dans les établissements scolaires. Je n’ai pas le sentiment, à travers ce que vous nous dites, que nous puissions nous féliciter vraiment de l’efficacité de la MILDT en matière de prévention des drogues d’une manière générale.

M. GOUTEYRON.- J’avais posé une question sur la consommation des crédits, Monsieur le Président. Pouvez-vous me répondre ?

M. JAYLE.- Les crédits sont consommés.

M. GOUTEYRON.- Complètement ?

M. JAYLE.- Oui, complètement. Il y avait eu un problème l’année dernière avec le gel républicain, qui avait gelé 30 % des crédits de la MILDT, qui ont été partiellement dégelés. 10 % des crédits sont quand même passés à la trappe. Ces crédits ont d’ailleurs été pris sur les enveloppes destinées aux ministères directement, qui paraissaient à mon prédécesseur moins essentiels que les crédits directement vers les associations. Les crédits sont entièrement consommés.

M. GOUTEYRON.- Y compris les crédits déconcentrés ?

M. JAYLE.- Oui. Je ne vais pas rentrer dans les détails. A cause du retard justement de l’engagement, un certain nombre de crédits sont malheureusement reportés. Les associations sont donc dans une position difficile en début 2003, mais ils sont consommés.

Sur les CESC, pour répondre à votre question, là nous avons vraiment besoin d’une volonté politique forte de la part de l’Education nationale et des élus pour que ce qui se passe actuellement dans les établissements scolaires cesse. Malheureusement, il ne suffit pas de le dire pour que les choses se transforment.

Là, c’est un peu mon rôle d’aller voir non seulement les ministres, je l’ai déjà fait, mais les recteurs, les syndicats d’enseignants, parce que dans un établissement quand un professeur offre une cigarette à ses élèves et fume avec eux dans la cour, il faut qu’il soit convaincu de son rôle d’exemple vis-à-vis des élèves.

Je crois d’ailleurs que cela ne ferait pas de mal au narcissisme des professeurs d’avoir conscience de cette responsabilité qu’ils ont vis-à-vis des plus jeunes et qu’ils fassent attention non seulement de ne pas fumer, même pas dans la cour avec les élèves, qu’éventuellement dans certains établissements il puisse y avoir des salles fumeurs pour les professeurs qui ne soient pas celle des professeurs.

Dans mes fonctions antérieures, au CRIPS, je suis allé dans des dizaines de lycées. Les salles des professeurs sont des fumoirs. Il faut qu’il y ait éventuellement une salle bien excentrée. Certains proviseurs l’ont fait, où il faut parcourir 100 mètres pour aller dans la salle fumeurs, qui est bien aérée et où justement on ne va plus parce que l’on ne rencontre plus les collègues. Il faut changer l’état d’esprit dans les établissements scolaires.

Si la MILDT continue de financer les CESC, ce doit être en échange d’un programme précis de prévention mené dans les établissements. Nous ne pouvons pas financer des CESC dans des établissements qui n’appliquent pas la loi Evin. C’est ma position.

M. PLASAIT.- Nous avons bien compris quelles orientations générales vous vouliez prendre.

Il est évident qu’une bonne politique doit aussi évaluer l’efficacité de la loi actuellement en vigueur, qui est la loi de 1970 et notamment dans son idée philosophique, qui est de rappeler l’interdit, d’avoir bien entendu une sanction lorsqu’il y a transgression de l’interdit, mais d’offrir une alternative par l’injonction thérapeutique. Avez-vous un jugement, une appréciation sur l’esprit de cette loi, sur la façon dont elle a été appliquée et sur ses résultats ?

M. JAYLE.- La loi de 1970 a été conçue pour l’héroïne. Je crois qu’à l’époque c’était une loi utile, dans la mesure où elle permettait aux personnes dépendantes à l’héroïne d’avoir accès gratuitement, anonymement aux soins.

Aujourd’hui, elle est un peu obsolète et ne répond pas à l’ensemble des problèmes posés par les substances psychoactives. Il est vrai que la réduction des risques a fait que cette loi s’est un peu vidée de sa substance et qu’aujourd’hui vis-à-vis du cannabis, elle n’est évidemment pas adaptée. Elle n’est donc pas appliquée, donc pas crédible. Il y a donc un vrai problème de crédibilité de la loi, notamment vis-à-vis des jeunes. Je me suis déjà exprimé là-dessus, je pense qu’il serait bon de revoir cette loi et de la rendre mieux compréhensible, mieux acceptée et donc mieux appliquée.

Je compte bien favoriser des groupes de travail avec les ministères de la Justice, de l’Intérieur, de la Santé, pour voir quelles propositions nous pouvons avancer pour modifier cette loi.

M. PLASAIT.- Je vois que l’heure tourne, je vais donc vous poser une dernière question pour laisser mes collègues vous en poser.

On nous a parlé d’un véritable trafic de subutex. Avez-vous des informations ? Cela consisterait pour certains toxicomanes à se procurer non seulement la dose dont ils ont besoin auprès d’un premier médecin, mais aussi des doses dont ils n’ont pas besoin auprès d’autres médecins, qu’ils utilisent en les revendant, donc en se livrant à un véritable trafic pour se procurer l’argent afin de payer leurs propres doses.

Un certain nombre de prescripteurs, de pharmacies voient chaque année des sommes considérables de plusieurs millions d’euros dépensées dans le circuit et remboursées par la Sécurité sociale. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les mesures, selon vous, que nous pourrions prendre pour faire face à ces trafics ?

M. JAYLE.- Je vous remercie de cette question.

Je voudrais dire en préambule deux choses très rapides. Quand on s’occupe des toxicomanes, on sait qu’il va y avoir du trafic. C’est un petit peu lié. Il y a toujours eu des trafics et il y en aura toujours. Il y a eu des barbituriques à un moment. Nous n’en parlons plus. Cela a été le néocodion. Aujourd’hui, c’est le subutex. Voilà pour le premier point.

Deuxième point : la politique de réduction des risques. La méthadone et le subutex ont montré leur efficacité en termes de réduction de mortalité par overdose, et de la diminution très importante d’injections. Les statistiques montrent qu’il y a une baisse de vente de seringues et ce n’est pas parce que l’on revient aux pratiques antérieures, mais parce qu’il y a une vraie diminution des injections en France. Globalement, le résultat est extrêmement positif dans la substitution.

Vous faites allusion à un trafic de subutex. Effectivement, il existe et est intolérable. Il bénéficie d’une certaine complicité de certains confrères, de pharmaciens qui ont quelquefois un peu peur de ne pas délivrer des produits prescrits médicalement et d’être menacés, qui l’ont parfois été. Les caisses d’assurance maladie sont au courant. Un certain nombre de prescripteurs bien identifiés prescrivent des quantités de subutex, en plus très souvent associé à du rohypnol, alors que nous savons que l’association est fortement déconseillée. Dans plus de 50 % des cas de ces prescripteurs dont je parle, il y a une association avec du rohypnol.

Ces pratiques doivent cesser au plus vite. J’ai alerté les autorités compétentes et je pense pouvoir vous dire que dans les semaines qui viennent, des mesures extrêmement énergiques vont être prises à l’encontre de ces prescripteurs qui, ou par inconscience ou par d’autres raisons, ont une dérive grave et qui l’est d’autant plus qu’elle risque de nuire à l’ensemble du dispositif de réduction des risques qui est extrêmement positif.

M. PLASAIT.- A-t-on des chiffres ? Sait-on sur quelles sommes cela peut porter ? J’ai cru entendre le chiffre de plusieurs millions d’euros chaque année d’une façon récurrente.

M. JAYLE.- Il s’agit de sommes relativement importantes. Les caisses d’assurance maladie sont plus au courant des chiffres précis, mais cela se monte effectivement à quelques millions d’euros.

Mme la Présidente.- Mes chers collègues, il nous reste vraiment très peu de temps. Y a-t-il quelques questions ?

M. BEL.- C’est annexe mais j’étais un peu étonné, quand vous avez cité les communautés thérapeutiques, que vous citiez le Patriarche, bien connu pour des dérives manifestes dans ses pratiques, qui je crois même a été identifié comme une secte ou à pratiques sectaires. Ils sont dans ma région. De ce point de vue, j’étais un peu étonné de ce que vous avez dit.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président, pardonnez-moi mais pour ne pas vous faire répéter deux fois la même chose, je souhaiterais rebondir sur ce que vient de dire mon collègue.

Avez-vous l’intention de vous pencher sérieusement sur toutes les associations censées faire de la prise en charge de jeunes en difficulté ? Nous allons dire cela ainsi. Un certain nombre d’associations sont des professionnels et je crois que nous ne pouvons traiter ce sujet qu’avec des professionnels. Un certain nombre d’associations aujourd’hui se sont formées parce qu’il y a un marché de clients et n’ont à leur tête que des gens incompétents.

J’ai dans mon propre département une expérience. Il m’a fallu quatre ans pour faire entendre à la DDASS que j’avais enfin raison, pour enlever des crédits absolument considérables avec des résultats au bout de la clef qui étaient zéro.

Mon collègue va également poser sa question. Nous vous redonnerons très volontiers la parole et M. le rapporteur conclura.

M. BARBIER.- Monsieur le Président, vous avez évoqué les produits de substitution. Avez-vous parlé de produits injectables ou implantables ?

Sur le fonctionnement des comités départementaux, effectivement je crois que cela rejoint un peu ce qui vient d’être dit. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait que la MILDT ait une procédure d’évaluation de ce qui se fait dans les départements ? Cela doit-il dépendre essentiellement d’associations totalement indépendantes ou ceci est-il contrôlé, comme cela se fait heureusement dans mon département, par l’hôpital psychiatrique ?

Ne pensez-vous pas qu’il faut nommer des inspecteurs, je ne sais pas comment nous pouvons appeler cela, des gens qui évaluent ce qui se fait sur le terrain, parce que je crois que c’est là qu’il y a un peu divergence selon les régions et selon l’emportement d’un certain nombre d’associations ?

M. JAYLE.- Je vous remercie. Je vais vous répondre en premier. Je suis convaincu que seuls des professionnels doivent diriger ces associations. Même si l’on peut faire appel à différents bénévoles, un encadrement professionnel est absolument indispensable. Une transparence de la gestion est indispensable. L’adhésion de personnalités reconnues publiquement dans les Conseils d’Administration est absolument indispensable. Il y a une espèce de charte qui garantit la transparence, la qualité de la gestion, qui est une condition préalable à tout financement.

Pour répondre à votre question, je crois que je me suis mal fait comprendre. Je disais que le principe des communautés thérapeutiques me paraissait extrêmement intéressant et que s’il a été quasiment abandonné en France, c’est en raison des dérives sectaires du Patriarche, qui ont condamné quelque chose qui était intéressant. Si le Patriarche a pu s’implanter ainsi, c’est parce qu’il n’y avait rien, pas tellement d’autres associations transparentes et honnêtes pour gérer ces problèmes. Le système français en a pâti.

Je ne sais pas si nous pouvons renverser la vapeur, mais en tout cas je vais essayer. Je ne vais pas en citer, mais quelques communautés thérapeutiques fonctionnent bien. Je pense que c’est quelque chose d’intéressant, sous réserve d’avoir les garanties que je précisais justement dans ma réponse précédente, de transparence et de respect de la personne humaine, ce qui n’était pas le cas dans cette association.

M. PLASAIT.- Pouvez-vous en citer quand même une ou deux ?

M. JAYLE.- L’association Kate Berry par exemple, qui est intéressante. Il y a des associations dans le Gard, que je n’ai pas encore vues, mais qui me paraissent sérieuses et avec un encadrement professionnel et une gestion saine.

Je compte bien faire le tour de tout cela et peut-être inciter à la création d’une dizaine de communautés thérapeutiques de petite échelle, avec des professionnels et avec une garantie totale de bonne gestion et de respect des personnes.

D’une manière générale, il faut développer une évaluation du travail de ces associations. Il y a eu un effort dans le plan d’évaluation à travers l’OFDT. Les évaluations reviennent. Vous les verrez, vous les recevrez en premiers. Je ferai en sorte que vous les ayez dès qu’elles seront synthétisées et imprimées. L’évaluation est un travail difficile. La France n’est pas un pays qui a une culture d’évaluation, comme elle n’en est pas un qui a une culture de santé publique. Il faut donc construire cela.

J’ai un certain nombre de retours des dispositifs par ces évaluations. Sur certains points, ils me paraissent insuffisants. J’ai demandé dans la note que j’ai rendue au Premier ministre qu’il y ait certaines missions d’inspection, de manière à avoir un aspect plus précis sur des dispositifs, de manière à être le plus éclairé possible dans la suite de la politique.

En ce qui concerne la substitution, je parlais effectivement de produits de substitution injectables. Il se trouve que c’est une minorité, mais cela concerne quand même pas mal de personnes, qui ont une espèce d’addiction à l’injection. Je ne dis pas qu’elle est définitive et incurable, mais en tant que médecin je trouve grave de voir qu’un certain nombre de comprimés de subutex servent au trafic parce que vous savez, des gens vont voir des médecins pour avoir du subutex mais ne le prennent pas. Certains en prennent un peu pour eux et un peu pour le trafic.

Très souvent, les comprimés de subutex sont écrasés, pilés et injectés. Cela peut avoir des effets sanitaires dramatiques et c’est une source de complications inacceptables quand nous sommes dans un processus d’améliorer justement l’état de santé de ces personnes. Le fait de concevoir un produit injectable me paraît être une piste à creuser.

Elle aurait un autre intérêt, qui est le milieu carcéral. Tout le monde sait que l’on s’injecte des drogues dans les prisons. Toutes les personnes de l’administration pénitentiaire savent que cela se passe, qu’il n’y a pas de distribution, de programme d’échange de seringues dans les prisons. Cela pose beaucoup de problèmes, parce que cela signifie que l’on reconnaît que de l’héroïne circule, de la cocaïne ou d’autres produits, car on peut s’injecter n’importe quoi. Il y a de fortes résistances et cela pose vraiment des problèmes. On ne peut pas faire en prison des choses qui seraient interdites à l’extérieur, parce que l’on arriverait à marcher sur la tête.

Qu’il y ait des programmes extrêmement médicalisés dans les protocoles de recherche avec une évaluation en milieu ouvert permettrait également la prise en compte de ce problème dans les prisons. Ce n’est pas parce que l’on est en prison que l’on est obligé d’être contaminé par les virus de l’hépatite et du sida.

M. PLASAIT.- Très bien.

Une dernière question, très rapide. Devant l’arrivée massive de drogues de synthèse, de nouvelles drogues chimiques et aussi du phénomène de polyconsommations, avez-vous prévu une réponse adaptée dans vos orientations ?

M. JAYLE.- Les drogues de synthèse sont peut-être le fléau de demain. Si vous m’auditionnez dans cinq ans, je vous dirai peut-être que le seul problème en France est les drogues de synthèse.

Il faut bien voir la culture du pavot en Afghanistan : traverser six, sept, huit frontières pour distribuer une substance impure, coupée aux consommateurs est quand même très compliqué.

Voir les narcotrafiquants, pouvoir mettre en place à Paris, à Clamart, à Londres, à Amsterdam des usines toutes petites fabriquant des drogues de synthèse et que l’on vend avec une plus-value de l’ordre de facteur 1 000, est un vrai danger. Le profit est ce qui intéresse les narcotrafiquants, pas vraiment l’héroïne. Généralement, les grands n’en consomment pas. C’est facile à fabriquer, cela rapporte énormément d’argent.

L’administration répressive a toujours un train de retard. Nous pouvons les aider à repérer le plus rapidement possible l’apparition de nouvelles substances, contrôler les précurseurs servant à la fabrication de ces produits. C’est difficile, parce que ce sont des précurseurs utilisés dans l’industrie chimique dans des quantités considérables et celle détournée pour faire des drogues de synthèse correspond à moins de 1 % du volume des transactions. Il est vrai qu’en France c’est assez bien contrôlé, nous arrivons à avoir des soupçons sur certains détournements.

Un autre problème est la répression. Il y a un vrai problème en France. Peut-être que les GIR avancent un peu les choses, mais l’articulation entre l’administration, la police, la gendarmerie, la douane, le fisc est absolument indispensable et non seulement au niveau français mais évidemment au niveau de l’Union européenne pour que les échanges aillent suffisamment vite, afin que nous puissions ensuite bâtir des stratégies d’intervention rapide. Actuellement, il faut bien reconnaître que les gouvernements sont extrêmement mous par rapport à la réactivité, à l’efficacité et au professionnalisme des narcotrafiquants.

Mme la Présidente.- Monsieur le Président, le temps est court hélas, parce que nous avons beaucoup à dire et vous aussi. Il nous reste surtout à vous souhaiter bon courage dans votre mission. Il y a du travail, du pain sur la planche et nous n’aimerions pas, c’est vrai, découvrir dans cinq ans que nous sommes allés trop loin sans prendre de mesures et être arrivés au bord du gouffre.

M. PLASAIT.- Bien entendu si vous souhaitez compléter votre déposition par un document n’hésitez surtout pas, parce qu’effectivement comme nous avons un temps limité, nous n’avons malheureusement pas pu tout aborder. Merci.

Mme la Présidente.- Merci beaucoup Monsieur le Président et bon courage. Mes chers collègues, merci aussi à vous.


Source : Sénat français