La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Raufer.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Je vous donne très volontiers la parole pour que vous nous fassiez votre exposé, sachant que nous essaierons ensuite nous-mêmes de vous poser des questions.

M. Xavier RAUFER - Je commencerai par vous remercier de votre invitation et par vous dire que mon intervention de ce soir entre dans une longue série d’interventions que je suis amené à faire ici ou là, parfois dans la même pièce, devant certains de vos collègues, parfois devant des députés ou parfois devant des magistrats. J’observe que toutes ces interventions tournent autour du même fait, du même oubli de la même boîte noire au milieu d’un dispositif : nous vivons dans une société qui a horreur de toutes les choses criminelles. Elle aime bien les folkloriser au cinéma et en parler de temps en temps à l’occasion d’un événement, mais elles sont aussitôt prononcées, aussitôt oubliées.

J’insiste donc sur l’importance extrême, pour vos travaux, de considérer le rapprochement entre les deux chiffres que je vais vous donner maintenant, naturellement à la louche, car cela évolue tout le temps et qu’on ne saurait compter à l’unité près. Selon les organismes spécialisés des Nations Unies, il y a, dans le monde, 216 millions de toxicomanes, dont 20 millions pour ceci, 30 millions pour cela (ce sont évidemment des grandes séries), mais le chiffre est en constante augmentation.

D’un autre côté, si nous avons, avec ce chiffre de 216 millions, donné le nombre général des victimes, il faut bien préciser que, lorsqu’il y a des victimes, il y a des coupables. Par conséquent, s’il y avait une chose à garder en mémoire de ce que nous nous dirons ce soir, c’est la suivante : la production, la commercialisation, le transport et la vente des stupéfiants sont l’apanage exclusif des sociétés criminelles organisées. Quiconque n’est pas dans une société criminelle et, surtout, dans l’aristocratie des mafias, de l’ensemble connu sous le nom de "crime organisé", quiconque s’aventure sur ce terrain et entreprend de se livrer à la fabrication et à la commercialisation de stupéfiants est éliminé sur-le-champ.

Je vais vous donner un autre chiffre qui provient du précédent secrétaire-général d’Interpol, Raymond Kendall. Il a dit que si on fait le total des gens fichés au grand banditisme dans les Etats de droit (sachant que, dans les autres, ce n’est pas fiable, parce qu’on y met tous les opposants), c’est-à-dire si on retient tous les pays ayant un système juridique décent et leurs fichiers d’individus fichés au grand banditisme, notamment le fichier du FBI pour les Etats-Unis, le fichier du grand banditisme français, et ainsi de suite pour les 25 Etats de droit reconnus de la planète, on obtient environ 250 000 individus, dont 200 000 sont impliqués, de manière prouvée, suite à des procès en justice, dans le trafic de stupéfiants.

Ce n’est donc pas une activité comme les autres. Il y en a d’autres, notamment tout ce qui tourne autour de la pornographie et du marché du sexe ou du vice, qui est un apanage à peu près total et absolu du crime organisé, mais il faut avoir cela en tête.

Le "politiquement correct" fait qu’aujourd’hui, aux Nations Unies, on ne peut pas toujours le dire parce que, dès que l’on dit que ce sont les Chinois qui font ceci ou cela, on a le représentant de la Chine qui se lève en disant que l’on stigmatise un milliard d’individus. De même, quand on dit que la mafia fait ceci ou cela, le représentant de l’Italie proteste lui aussi...

On a donc l’impression, en lisant les rapports officiels, que la drogue est fabriquée par des zombies, circule par le fait de fantômes et est commercialisée par des ectoplasmes. En fait, ce n’est pas vrai : ce sont des individus qui transportent ces stupéfiants sur la planète et les commercialisent jusqu’au niveau du demi-gros, c’est-à-dire jusqu’à la dizaine de kilos, et c’est cela qu’il faut avoir en tête.

Cela produit des sommes absolument colossales. Là encore, nous n’avons pas de chiffres précis puisque, lorsqu’on vend des stupéfiants, on n’envoie pas un double de la facture au fisc, laquelle est de toute façon inexistante, mais, de l’avis des Nations Unies, la production et le trafic des stupéfiants à l’échelle planétaire représente chaque année un chiffre d’affaires de 500 milliards de dollars.

On a donc des moyens qui permettent de reconnaître l’implication des économies à l’intérieur de la narco-économie. J’en citerai un en passant, sachant que l’on peut s’amuser à faire les calculs soi-même. Chaque année, la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, sous deux formes différentes, publient un état de la balance de l’économie de chacun des pays la planète. Naturellement, c’est de la comptabilité en partie double et, en bas, les deux chiffres doivent correspondent exactement, parce qu’à vrai dire, sur le plan mondial, la totalité de ce qui est vendu et la totalité de ce qui est acheté s’annule. Au départ, on a toutes sortes de transactions, mais, au total, on sait ce qui est vendu et acheté.

Or nous avons un trou noir, dans l’économie mondiale, qui représente environ 1 000 milliards de dollars par an. Sur ce total, on a l’accumulation de toutes les erreurs comptables (il peut y en avoir, même de bonne foi, à l’échelle planétaire), mais, quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit que, dans certains pays, un poste permet de balayer les petites saletés sous la moquette : le "net errors and omissions" (il s’agit en effet d’une comptabilité anglo-saxonne). Pour certains pays qui, par une coïncidence amusante, sont tous situés à proximité des grands foyers de production de stupéfiants, on a un poste "erreurs et omissions nettes" qui représente 70 % de la comptabilité totale. C’est le cas de la Bolivie, mais aussi de pays beaucoup plus considérés qui sont au débouché de grands foyers de production de drogue, comme Singapour.

Quand des narco-trafiquants reçoivent des sommes d’argent colossales en billets de banque et achètent des produits pour mener la belle vie (des dizaines de voitures de marque ou des robinets en or massif pour leurs fermes de 150 ou 300 000 hectares), il s’agit de produits qui sont achetés en liquide, donc au noir, mais qui sont importés officiellement, ce qui crée un déséquilibre dans la balance des paiements de ces pays et tout cela est balayé dans les postes "erreurs et omissions nettes".

La simple observation de ces postes "erreurs et omissions nettes" de certains grands pays du monde permet de voir que, lorsque le déséquilibre devient trop fort, une bulle se met à gonfler. Si vous observez les deux dernières grandes crises financières mondiales, celle du Mexique, au bout du pipe-line de la drogue d’Amérique latine, et celle de la Thaïlande, juste au-dessous du triangle d’or, vous commencerez à comprendre que cette histoire de stupéfiants à l’échelle mondiale n’est pas uniquement l’affaire de goûts personnels de jeunes gens et de jeunes filles qui veulent faire la fête et qui réclament un peu plus de liberté dans une société oppressive. C’est beaucoup plus que cela.

C’est sans doute non pas la principale source de revenus illicites à l’échelle de la planète, car les marchés d’armes et le pillage des marchés publics peuvent parfois produire plus de ressources, mais il n’existe aucune autre manière au monde de gagner plus d’argent plus rapidement.

Ce sont donc des intérêts gigantesques qui sont en jeu. Les intérêts en question, c’est-à-dire les sociétés criminelles qui fabriquent et commercialisent ces drogues, ne vivent pas dans une bulle. Il suffit d’ouvrir le journal pour comprendre que les liens qu’elles entretiennent avec des milieux comme ceux du show-biz, du cinéma ou de la mode sont très étroits, ce qui est bien utile, parce que cela permet d’impressionner les âmes tendres au moment où elles commencent à consommer. Souvenez-vous de "l’attitude chic" et de la polémique, qui a duré pendant plusieurs années, sur les mannequins de mode héroïnomanes et sur "l’heroin chic look".

Vous avez là une chose qui dépasse de très loin les goûts et la consommation d’individus privés. C’est l’une des ressources criminelles les plus importantes de la planète et on a trop souvent tendance à l’oublier.

Je collectionne depuis des années des rapports merveilleux sur les opportunités économiques et commerciales en Colombie, la situation au Kosovo, tel aspect du folklore mexicain ou, pas plus tard qu’hier, le rapport mondial de l’ONU sur la pauvreté dans le monde, dans lequel on parle de l’immense importance des activités criminelles dans l’aggravation de la pauvreté dans le monde. On sait qu’à partir du moment où un pays devient producteur de stupéfiants, il abandonne toutes les productions licites : pourquoi gagner 50 dollars par hectare de blé alors que la production d’un seul kilo de sève de pavot, c’est-à-dire d’opium, vous en rapporte dix ou vingt fois plus ? Tout cela joue un rôle important dans les misères du monde.

Je vous donnerai un dernier exemple : si vous cherchez à comprendre ce qui se passe en Afrique de l’ouest dans les mouvements des guérillas, des milices ou des bandes armées qui circulent, vous n’y comprendrez rien à partir des canons que l’on vous enseigne à l’école de guerre ; en revanche, si vous superposez à la carte des mouvements de ces bandes armées les zones où l’on produit de la drogue et les périodes de récolte, vous commencez à mieux comprendre.

Cette histoire de stupéfiants joue un rôle important dans toutes sortes de catastrophes et d’horreurs qui se produisent en Afrique et en Asie ainsi que dans des situations financières qui peuvent parfois tourner au drame, comme on l’a vu avec la crise asiatique. Cela dépasse donc de très loin l’espèce de sentiment que l’on a à lire certains quotidiens, à savoir le fait qu’il s’agit simplement de laisser en paix des gens qui veulent faire la fête.

Voilà mon avis et ma déclaration préalable.

Mme la Présidente - Je vous remercie. Personnellement, j’avoue être particulièrement impressionnée par vos chiffres et vos déclarations. Je ne dis pas que nous n’étions pas préoccupés auparavant, mais nous ne pouvons maintenant que l’être encore plus. Je donne la parole à M. le Rapporteur.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Si la drogue est un marché mondial aussi important, s’il rapporte autant d’argent et s’il est aux mains de mafias, on peut imaginer que ces responsables de la grande entreprise du trafic de la drogue aient des soucis de marketing et qu’ils investissent une partie de l’argent que leur rapporte le trafic pour permettre l’extension de ce marché et l’apparition de nouveaux produits. Peut-on imaginer qu’en France, des campagnes en faveur de la dépénalisation du cannabis soient aidées, sinon directement financées, par l’argent de la drogue ?

M. Xavier RAUFER - Vous connaissez le principe, dans la publicité licite et parfaitement légitime, des campagnes "Tupperware" qui sont faites à domicile et qui consistent à inviter des gens pour leur vanter des produits par l’intermédiaire d’une maîtresse de maison qui dit : "C’est très commode et je m’en sers beaucoup". C’est ainsi que, par le bouche à oreille et le dialogue de proximité, on arrive à favoriser le succès de nouveaux produits.

Ces campagnes "Tupperware" pour les drogues chimiques existent : elles s’appellent des rave parties. Les rave parties sont contrôlées par des éléments criminels. On a assisté à plusieurs reprises à des scènes filmées et enregistrées dans les rave parties dans lesquelles on voyait des individus armés protéger des dealers. L’entreprise "rave party" n’est rien d’autre qu’une entreprise publicitaire pour favoriser la consommation de stupéfiants chimiques.

Cela dit, la difficulté à aborder ces thèmes est énorme, pour la bonne et simple raison que celui qui tente de le faire a l’air d’être un vieux ronchon qui empêche les jeunes de faire la fête, ce qui, semble-t-il, n’est pas toujours une attitude qui enchante la classe politique. Il faut parfois, à part quelques héros, que les autres résistent à l’envie naturelle qui consiste à être d’accord avec tout ce qui est jeune et contre tout ce qui les gêne.

Par ailleurs, dans le cas particulier de l’ecstasy, il faut savoir que 70 à 80 % du marché mondial de l’ecstasy est contrôlé par des criminels israéliens. Le "Pablo Escobar" de l’ecstasy s’appelle Oded Tuito et c’est un citoyen israélien. On a beaucoup mal, en raison d’épisodes passés, à stigmatiser et accuser encore plus les Israéliens que d’autres dans le commerce de la drogue, mais c’est une situation catastrophique, à commencer par les Israéliens eux-mêmes, puisque, comme les choses ne sont pas publiques, les policiers israéliens ont les plus grandes difficultés à faire poursuivre ces individus qui, pour l’essentiel, vivent en Californie. Ils sont néanmoins citoyens israéliens et contrôlent le marché mondial de l’ecstasy. Les quelques grandes saisies de plusieurs millions de cachets d’ecstasy ont été réalisées à chaque fois, notamment à New York, en 2000, après l’arrestation de citoyens israéliens.

Les drogues chimiques sont l’un des marchés protégés, de même que l’héroïne pour les Colombiens. Ce sont des niches.

Ces drogues chimiques sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont destinées à la consommation des enfants des classes moyennes les mieux intégrés. Qui pense à se piquer avec une seringue d’héroïne à part quelques marginaux suicidaires et qui songe à consommer du crack, en sachant que si, au bout d’un an de consommation, si on est encore vivant, on a à peu près le quotient intellectuel d’un lapin assez peu malin, alors que l’ecstasy, aux Etats-Unis, est maintenant la drogue des jeunes qui veulent faire la fête à la sortie du lycée, dans les booms et les surprises-parties ? Cela touche donc la population générale et non pas uniquement des marginaux et des gens en proie à un phénomène d’autodestruction.

Ce phénomène croît d’année en année, puisqu’on est passé, en moins de dix ans, de 20 à 40 millions de consommateurs mondiaux, notamment des lycéens, qui sont toujours plus intégrés et toujours plus jeunes.

Voilà ce qu’on peut dire à l’heure actuelle sur ce danger. Il n’est pas question d’interdire à des jeunes gens de s’amuser, mais, au prix de servir involontairement de faire-valoir dans une immense opération de marketing pour des stupéfiants, il y a une nuance qui ne vous aura sans doute pas échappé.

J’ajoute que la fabrication d’ecstasy dans des laboratoires clandestins est le fruit de la préparation d’une véritable poubelle chimique, dans laquelle on trouve notamment du produit qui sert à déboucher les toilettes. Il m’arrive de m’étonner parfois que certaines personnes qui se réclament de l’écologie et de l’environnement songent à libéraliser la consommation de substances qui sont — je le répète — une véritable horreur chimique.

Quand un tout petit laboratoire de fabrication d’ecstasy ou d’amphétamines est découvert dans des roulottes (dans des pays assez grands comme les Etats-Unis, comme cela sent extrêmement mauvais, on doit le faire à la campagne, même si ce n’est pas très difficile à élaborer), on s’aperçoit que les gens qui font cela déversent les résidus autour. Le nettoyage d’un site pour une seule petite entreprise locale, une PME, une épicerie du quartier de fabrication d’ecstasy, coûte des millions de dollars et le terrain prend des années à être décontaminé parce que les produits chimiques sont une horreur absolue. Voilà ce qu’est l’ecstasy !

Par conséquent, il y a effectivement des campagnes de publicité.

Autre exemple de drogue qui a été conçue uniquement par le marketing : le crack, c’est-à-dire la pâte base de cocaïne qui est plongée dans un liquide avec du bicarbonate de soude pour la transformer en petits cailloux et qui est ensuite fumée, la cocaïne pénétrant dans le corps humain par diffusion perlinguale, ce qui fait qu’on n’a même pas besoin d’avaler la fumée : cela passe par la langue.

M. le Rapporteur - Je suppose que, dans une rave party, on consomme de l’ecstasy, bien sûr, mais aussi du cannabis et d’autres drogues de type héroïne et cocaïne.

M. Xavier RAUFER - Bien sûr, et de plus en plus, en fonction de ce qui rapporte le plus. Là aussi, les marchés tests sont souvent aux Etats-Unis, mais la légende selon laquelle les dealers vendraient un seul produit est fausse, comme toutes les légendes. C’est ainsi qu’avec l’arrivée massive, en Europe, des trafiquants et des dealers albanais, on a affaire à des gens qui, de manière délibérée, sont des représentants multi-cartes. Ils vendent tout : si un gamin de 12 ans vient leur acheter un joint, ils lui vendront aussi facilement de l’héroïne.

C’est maintenant une réalité : à chaque fois qu’il y a des arrestations d’Albanais, on trouve dans leur cache toutes les drogues possibles et imaginables. Ils ne sont pas là pour faire du sentiment mais pour gagner de l’argent et c’est ainsi que progresse cette espèce de multi-consommation.

Il faut comprendre, si je puis dire, le raisonnement des trafiquants. Un kilo de cocaïne vendu au prix de gros à Miami, selon la période et la fluctuation du marché, des saisies, des captures ou des dernières récoltes, pour des drogues qui ont une base agricole, c’est-à-dire le pavot, d’un côté, et l’arbuste à coca de l’autre, va fluctuer entre 12 000 et 20 000 dollars le kilo, alors que l’héroïne peut coûter jusqu’à 100 000 dollars le kilo.

Si vous avez, comme c’est le cas maintenant des Colombiens, une double production d’héroïne et de cocaïne, vous avez intérêt à faire passer une partie de votre clientèle de la cocaïne à l’héroïne, parce qu’une fois que vous avez vendu un kilo, vous avez 100 000 dollars au lieu d’en avoir 20 000, ce qui peut aller jusqu’à cinq fois plus qu’un kilo decocaïne.

En conséquence, vous avez des dealers qui font goûter gratuitement l’héroïne pendant un certain temps et qui donnent comme argument aux consommateurs que, puisqu’ils la vendent pure, elle n’a pas besoin d’être coupée et injectée par voie intraveineuse et qu’il suffit de la sniffer, comme la cocaïne, pour obtenir le même effet. Le problème, c’est que l’addiction est beaucoup plus rapide et les séquelles beaucoup plus importantes et que, pour des gens qui, dans la phase antérieure, étaient parfois habitués à consommer un produit dilué à 80 %, les surdoses mortelles sont plus nombreuses. Voilà l’un des risques.

Quant à la consommation, en fonction de conduites marketing, on essaie de faire passer la clientèle vers des produits qui rapportent plus aux grossistes et aux demi-grossistes.

M. le Rapporteur - En vous entendant, on comprend bien que la production et la diffusion de la drogue ne se font pas au petit bonheur la chance et qu’il y a vraiment une économie, un marché et une exploitation intelligente et systématique de ce marché.

M. Xavier RAUFER - Il y a aussi des stratégies mondiales de la part de personnes qui ont d’autant plus les moyens d’avoir des stratégies à long terme. Je peux vous citer ainsi les grandes sociétés criminelles impliquées à l’intérieur du narco-trafic mondial.

Il y a tout d’abord celles qui sont à l’intérieur de l’Union européenne ou, du moins, qui en sont originaires. C’est le cas de Cosa Nostra, en Sicile (qui a levé le pied depuis dix ans sur les stupéfiants parce que, pour une société criminelle aussi enracinée dans son paysage local, la Sicile, il n’y a aucun danger à piller l’économie régionale et à truander les marchés publics mais il y en a à acheter des stupéfiants et à les revendre parce qu’on est obligé de s’adresser à des non Siciliens en bout de chaîne et que l’Omerta est moins facile à réaliser), des Calabrais (Ndrangheta), des Napolitains (Camorra) et des gens des Pouilles, qui sont en face des Balkans et qui sont d’importants grossistes de stupéfiants.

Il y a ensuite la mafia turque, dont on ne parle presque jamais parce que "la sphère des évidences courantes", comme le disait un philosophe connu, ne la connaît pas. Elle fait le pont entre l’Asie et l’Europe géographique. Ce sont d’énormes producteurs ou acheteurs de morphine base et transformateurs en héroïne qu’ils font passer ensuite par la route des Balkans pour la vendre en Europe.

Vous avez aussi, naturellement, des sociétés criminelles en Asie, comme les triades, et la mafia italo-américaine.

Cela fait au total une dizaine de grandes sociétés criminelles mondiales qui sont très impliquées dans le trafic en question depuis des décennies. C’est ainsi que l’argent qui leur est arrivé par ce biais est blanchi depuis des décennies et accumulé et qu’ils peuvent pratiquer des stratégies de long terme. Ce ne sont pas des débutants qui ont besoin de vendre demain la drogue achetée la veille pour pouvoir manger le lendemain. On n’en est plus là. Ce sont des gens qui ont pignon sur rue.

Pour ces grandes sociétés criminelles, le blanchiment et la création de nouveaux marchés dans le domaine des stupéfiants sont des activités de moyen terme qui sont faites soigneusement en s’entourant de conseils d’avocats "ripoux" et de conseillers financiers malhonnêtes. Cela se fait à l’échelle d’une décennie.

On s’aperçoit depuis des années que, non pas du fait du succès de la répression mais parce que le marché nord-américain, c’est-à-dire du Canada et des Etats-Unis, de la cocaïne est saturé, les Colombiens détournent maintenant une grande partie de leur production vers l’Europe. Cela a commencé par la prise en main du milieu criminel espagnol, qui est déjà établi au-delà la drogue : sur dix prostituées à Madrid, on en compte maintenant huit qui dépendent de proxénètes colombiens. Cela se fait donc à partir de cette tête de pont naturelle, l’ancienne puissance coloniale, et on atteint ensuite le reste de l’Europe.

M. le Rapporteur - A propos des rave parties, j’ai sous les yeux un document d’août 2002, signé de Xavier Raufer, dans lequel il est dit une chose qui m’étonne beaucoup : "Sur 10 000 ravers, il y aurait 7 à 8 000 consommateurs d’ecstasy ou autres stupéfiants". J’avais le sentiment que, sur 10 000 participants à cette joyeuse fête, il y en avait une proportion beaucoup plus importante qui venait simplement pour entendre du bruit et faire la fête avec les copains. Cela en représente-t-il vraiment 70 à 80 % ?

M. Xavier RAUFER - Une fois de plus, nous n’avons pas les doubles des factures, mais, dans toutes les rave parties, il y a maintenant des petites cellules médicales généralement créées par des organismes humanitaires, comme Médecins sans Frontières ou Médecins du Monde, qui pratiquent une politique dite "de réduction des risques". Cela consiste à dire : "quitte à te piquer, mon gars, il vaut mieux prendre une seringue propre qu’une seringue sale pour éviter d’attraper le sida" et à tester les produits chimiques pour voir si on n’a pas mélangé la drogue avec du poison. Ces chiffres proviennent de tests qui sont faits par ces cellules et ce sont elles qui avancent ces chiffres de 7 sur 10.

M. le Rapporteur - Effectivement, cela a été cité par Le Monde et c’est un chiffre qui a été publié par la MILDT.

M. Xavier RAUFER - Certes, cela varie d’une rave à l’autre, mais, en moyenne, si on met tous les chiffres ensemble, on aboutira à environ 70 %.

M. le Rapporteur - Vous faisiez dans ce même document le calcul du chiffre d’affaires ou du bénéfice estimé d’une rave party qui dure un jour ou deux. Je suppose que c’est un document que l’on peut considérer comme valable et que nous pourrions annexer à votre audition.

M. Xavier RAUFER - Il est implacable. Si on multiplie le nombre d’individus présents chaque jour par les prix de l’époque et si on fait une simple addition, on tombe sur ces chiffres, effectivement.

A l’époque (on en était au temps des francs), au cours d’une rave party comptant un minimum de 20 000 personnes durant deux jours, les dealers, une fois de plus, au prix du détail, c’est-à-dire au prix de la vente dans la rave party, pouvaient gagner 5 millions de francs.

Je vais vous donner un autre chiffre qui, là aussi, date de quelques années et qui serait naturellement encore plus élevé aujourd’hui. Il m’a été donné de rencontrer, en 1997 ou en 1998, un dealer en demi-gros, uniquement en cannabis, qui exerçait ses talents dans une cité célèbre de Mantes-la-Jolie : le Val-Fourré. Il allait chaque semaine en Belgique, il achetait 50 kilos d’herbe de cannabis compressée à des grossistes turcs au prix de 15 000 F le kilo et il rentrait chez lui, au Val Fourré. Avec son frère et sa soeur, il passait ensuite les pains de cannabis compressé au four à micro-ondes pour les attendrir (je vous donne la recette) et il mettait les barrettes ainsi constituées dans du papier d’aluminium qu’il revendait à des dealers de porte cochère.

Il revendait ce qu’il avait acheté 15 000 F le kilo en empochant, au détail, 50 000 F. Comme il achetait 50 kilos par semaine et qu’il prenait deux mois de vacances par an du fait, m’a-t-il dit, d’un métier dans lequel il y avait des tensions, ce garçon de 21 ans gagnait, net d’impôts, avec son petit frère et sa petite soeur, pour l’aider, 7 millions de francs par an, le tout pour un simple trafic de 50 kilos de cannabis par semaine.

Une fois que l’on a pris les impôts et prélevé toutes les taxes, je ne sais pas si les immenses seigneurs ou les grands patrons des grands groupes multinationaux du monde (on pense à certains d’entre eux qui sont particulièrement flamboyants) peuvent prétendre obtenir 7 millions de francs nets par an pour faire ce qu’ils veulent.

En l’occurrence, on peut parler "d’accumulation primitive du capital" (la formule est de Karl Marx, qu’il m’arrive rarement de citer mais auquel on peut rendre justice ici). Au départ, quand on a zéro franc, il est difficile de faire un franc, mais une fois qu’on a un franc, il est facile d’en faire deux. L’accumulation primitive du capital fait donc qu’en quelques années, vous avez les 10 millions d’euros qui vont vous permettre de vous lancer, soit dans la vie honnête, avec de quoi vous offrir une jolie pizzeria, soit dans le trafic de stupéfiants lourd, c’est-à-dire 100 kilos de cocaïne ou 200 kilos d’héroïne.

Il faut savoir que, les premières fois, les grossistes ne vous font pas crédit, c’est-à-dire qu’il faut payer cash et avoir le capital de départ. Voilà donc comment on le crée.

M. le Rapporteur - J’ai une dernière question à vous poser avant de permettre à mes collègues de poser les leurs. Dans le débat sur la dépénalisation du cannabis, deux arguments sont couramment utilisés, entre autres : le fait de supprimer l’attrait de l’interdit, ce qui entraînerait une diminution du nombre de consommateurs primaires et, surtout, le fait de supprimer le trafic. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Xavier RAUFER - Les criminologues savent très bien, de science sûre, comment se fâcher avec tout le monde. Cela consiste à expliquer aux policiers comment faire la police, aux élus comment administrer le pays, aux magistrats comment faire la justice et aux espions comment espionner. A ce jeu, on se fait haïr par tout le monde.

Pour ma part, je ne suis pas psychologue et l’interdit ou d’autres éléments de ce genre sont des concepts qui me sont étrangers. Je vais vous parler des conséquences concrètes et criminelles d’une telle pratique.

Tout d’abord, vous avez une décision politique à prendre. Les dirigeants d’un pays désirent-ils que les stupéfiants soient chers ? Dans ce cas, il faudra pratiquer la prohibition pour en saisir une partie telle que, simplement pour gagner leur vie, les trafiquants seront obligés de vendre ce qui n’a pas été saisi à un prix confiscatoire. C’est ce qui fait que sept ou huit personnes sur dix qui auraient voulu consommer du produit y renonceront devant sa cherté, mais qu’en revanche, les deux ou trois qui iront le consommer seront obligées de se livrer à des activités délictueuses, voire criminelles, pour financer leur vice.

Maintenant, si on laisse les stupéfiant en vente libre dans le pays, on abaisse le seuil qui interdit de le consommer, auquel cas il y aura moins de délinquants et de criminels mais plus de consommateurs. La décision est politique et, devant des politiques, je peux dire qu’il y a deux possibilités.

Cela étant dit, on entend souvent un certain nombre d’âneries de la part de gens qui n’ont jamais rencontré un criminel de leur vie autrement qu’au cinéma.

Les sociétés criminelles qui tiennent le plus gros du trafic mondial, les 200 000 dont parle Kendall sur les 250 000 grands bandits du monde, ont de l’argent. Par conséquent, à partir du moment où on décide un jour, par un coup de baguette magique, de mettre de l’héroïne en vente dans les bureaux de tabac à un prix fixé, ils sont capables de la vendre dix fois moins cher pendant le temps qu’il faut, tout simplement parce que les marges sur ces produits sont monstrueuses.

Là aussi, dans les pays souches (les calculs sont encore de l’ONU), c’est-à-dire ceux dans lesquels on cultive la coca et le pavot, il reste 1 % du total du prix de détail. Cela veut dire qu’en gros, c’est ce que cela coûte et que le reste est du pur bénéfice. Vous comprenez que des gens qui ont pu accumuler, pendant des années, des millions de dollars, une fois qu’ils ont payé tous les "ripoux" et corrompus sur la chaîne de trafic, une fois qu’ils ont corrompu les gouvernements, les douaniers, etc., réussissent à garder 70 % du million de dollars de départ. Ils sont donc capables de diminuer les prix et de mettre sur le marché des produits plus attractifs que ceux du gouvernement.

Si vous mettez du cannabis sur le marché, les gens vont se dire qu’ils vont pouvoir acheter du cannabis à la Seita et des joints officiels ou semi-officiels. A partir de ce moment-là, les trafiquants peuvent mettre sur le marché, et même donner, pendant un premier temps (ils l’ont fait quand il a fallu passer de la cocaïne à l’héroïne), du black bombay, par exemple, qui est de la résine de cannabis mélangée avec de l’opium. Cela ressemble à du cirage, c’est noir et visqueux, et si on le mélange avec du tabac, cela produit un effet mille fois plus fort.

Je pense donc que si on se lance dans cette voie, on risque d’entrer dans une partie de bras de fer et une compétition avec des gens qui sont naturellement dépourvus de tout scrupule. C’est le danger.

Par ailleurs, ils ont beaucoup plus d’argent que tout le monde. Souvenez-vous que, juste avant la guerre totale qui a opposé le cartel de Medelin au gouvernement colombien, dans les années 85, les gens du cartel de Medelin, avant de se lancer dans une campagne terroriste au cours de laquelle ils ont fait sauter des avions ou posé des voitures piégées pour essayer de décourager le gouvernement colombien de les embêter, ils ont essayé de se concilier ce gouvernement. C’est ainsi qu’ils ont fait une réunion avec des émissaires du gouvernement colombien au Panama en disant : "Si vous le souhaitez, nous pouvons racheter la dette publique de la Colombie et vous nous fichez la paix !" Cela représentait 5 milliards de dollars qu’ils pouvaient mettre sur la table instantanément et il ne s’agissait que d’un cartel alors que deux ou trois, à l’époque, fonctionnaient en Colombie !

Par conséquent, je ne sais pas si on peut raisonnablement se lancer dans une surenchère à la production de produits illicites avec des gens dont c’est le métier. C’est comme les gens qui disent que pour attraper des gangsters, il suffit de les tuer. Attention : ce sont leur métier à eux et si on se lance dans une surenchère d’exécutions illégales avec la mafia albanaise, on n’est pas sûr de gagner, parce que ce ne sont pas des choses qui sont faites régulièrement avec une armée et dans un cadre institutionnel. Si cela consiste à aller tuer des gens au coin d’une rue sombre, ils sont plus équipés et plus décidés à le faire que nous.

Dans l’idéal, tout est bien, évidemment. Dans l’idéal, le communisme marchait admirablement bien. Souvenez-vous de ce que disait Napoléon de la guerre : "Un art simple et tout dans l’exécution". La dépénalisation est bien en théorie, mais il faut bien voir quelles en sont les conséquences concrètes.

Je vais vous donner, pour en finir sur ce point, un exemple concret de ce qui se passe quand on dépénalise le cannabis.

Ce dont les sociologues en chambre n’ont pas idée, c’est que, dans la vraie vie, les choses ne se passent pas comme dans leurs calculs théoriques. Dans la vraie vie, par exemple, si, alors que vous êtes charcutier, décidant que votre charcuterie ne marche pas bien, vous accrochez dans la devanture, entre les pâtés et les saucissons, des imperméables ou des bagues en or, deux jours plus tard, vous avez l’inspecteur de la répression des fraudes qui vous cite tel article du code de commerce, qui vous met une contravention et qui vous dit : "Si vous recommencez, on ferme votre boutique". On ne peut pas faire cela dans la vraie vie.

En revanche, dans les activités criminelles, vous n’avez aucune espèce de frein ni de limite. Les deux seuls freins qui existent sont, d’un côté, la répression de l’Etat, qui, sur les affaires de stupéfiants, en France, n’était pas particulièrement féroce ces dernières années et, d’un autre côté, la bande d’en face qui peut décider que vous marchez sur ses plates-bandes.

J’en reviens à mon garçon du Val-Fourré qui s’est lancé dans le commerce du cannabis. Si le gars situé dans la tour voisine se dit qu’il veut faire la même chose, il va se heurter à une loi des rendements décroissants, c’est-à-dire que le garçon en question ne va plus gagner 7 millions par an mais 5, 4, 3 ou 2. Or la vie criminelle coûte atrocement cher. Par exemple, dans la vraie vie, si vous perdez votre carte d’identité, vous pouvez vous en faire faire une gratuitement à la mairie et le passeport ne coûte que 40 euros. En revanche, quand vous avez besoin de faux papiers d’identité, cela coûte tout de suite cent fois plus. Il faut aussi entretenir les "indics", les apporteurs d’affaires, etc.

Par conséquent, à partir du moment où une bande s’est constituée pour un trafic précis, il arrivera un moment où elle connaîtra des difficultés du fait de la concurrence. Là aussi, la preuve est facile à faire. Quand les Albanais sont arrivés à Lausanne, ils vendaient le gramme 100 francs suisses et, cinq ans après, ils étaient obligés de vendre 10 grammes pour le même prix parce qu’il étaient trop et se faisaient concurrence à eux-mêmes. Entre-temps, le boulevard où ils opéraient à Lausanne avait été rebaptisé par les habitants "Tirana boulevard", mais il n’empêche que, sur ce même boulevard, le prix de l’héroïne s’était effondré. Il y a donc une concurrence.

Quand vous êtes dans cette concurrence et qu’il est brutalement facile de trafiquer de la drogue (regardez ce qui se passe en France pour le cannabis : on ne poursuit plus les consommations personnelles), c’est évidemment une merveilleuse idée en théorie, parce qu’on ne va pas stigmatiser ni envoyer en prison les malheureux qui ont tiré sur un joint, d’autant plus que la prison est l’école du crime, comme le disent les braves gens. Pour autant, à partir de ce moment-là — et cet aspect des choses n’a pas été vu par les officiels — le deal devient totalement sans risque puisqu’il suffit de vendre les barrettes de hachisch une par une. De cette façon, quand la police arrive, le gars dit : "c’est ma consommation, je te jure que je ne deale pas !..." C’est donc sans risque.

Par conséquent, les garçons qui vont se lancer dans ce trafic vont se multiplier, se marcher sur les pieds et, à un moment donné, certains seront au bord de ce qu’on peut appeler une faillite dans une société légitime. Que peut-on faire quand on est dans cette situation ? Retourner à l’usine visser des boulons quand on a eu 7 millions de francs par an ? Evidemment non ! Peut-on passer à d’autres activités criminelles dans le trafic de la drogue ? S’ils commencent à se lancer dans l’héroïne à plus grande échelle que le petit deal de base, ils vont voir arriver des Nigérians ou des Turcs, c’est-à-dire des tueurs sans merci qui vont leur dire : "Si tu recommences, tu es mort". Ils se feront donc éliminer parce que, dans ce monde, la peine de mort existe toujours.

Quelle solution reste-t-il ? Le vol à main armé, le braquage. L’explosion des vols à mains armées en France depuis trois ans vient de là. On l’a vu en 1982 en Espagne, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Quand les socialistes sont arrivés au pouvoir en Espagne, ils ont dépénalisé la consommation ; cela s’est passé en décembre 1982. Alors qu’à Madrid, en 1982, il y avait eu 100 vols à main armée, à la fin de l’année 1983, il y en avait eu 500, tout simplement pour ces raisons de concurrence criminelle.

À partir du moment où on nie l’aspect criminel des choses, on ne voit pas cela. Il ne m’appartient pas, en tant que criminologue, de dire s’il faut dépénaliser ou non, mais je me dois de prévenir les officiels en leur rappelant les cas précédents et en leur disant que, lorsqu’on a dépénalisé la consommation du cannabis sans prendre garde aux phénomènes que je vous ai décrits, on a eu une explosion des vols à main armée.

L’année dernière, en France, sous le précédent gouvernement, on a eu une augmentation de 50 % des vols à main armée en Île-de-France en un an. Imaginez ce qui se serait passé s’il y avait eu une augmentation de 50 % du nombre de chômeurs ou des cas de sida ! La seule réponse du précédent ministre de l’intérieur a été de dire qu’il ne s’expliquait pas ce phénomène. Je vous fournis, moi, l’explication a posteriori : voilà la raison.

Il y a donc des dangers collatéraux immenses dans ces affaires, et je pense que la sagesse, avant de se lancer dans des politiques de gribouille, consisterait à bien évaluer les risques et, si on veut le faire quand même, à tripler les effectifs de la police qui a la charge de lutter contre les vols à main armée, parce qu’elle aura du boulot !

M. Paul GIROD - J’ai écouté M. Raufer avec intérêt. Comme ce n’est pas la seule enceinte où je l’entends, je ne suis pas étonné de ce qu’il nous dit et j’ai quelques raisons de reconnaître son expertise dans d’autres domaines et d’attacher foi à ce qu’il nous a dit.

Je voudrais néanmoins vous poser deux ou trois questions, monsieur Raufer. Comptez-vous votre trafiquant du Val-Fourré dans les 200 000 grands criminels ou considérez-vous qu’il fait partie des supplétifs, de la piétaille extérieure ou de la chair à canon par rapport aux 200 000 qui sont les vrais trafiquants ?

M. Xavier RAUFER - Ce gars-là n’est que l’épicerie de quartier et non pas la multinationale. Ce n’est rien, c’est peanuts !

M. Paul GIROD - Certes, mais s’il commence à développer son commerce, il va tomber sur les gros.

M. Xavier RAUFER - S’il reste dans la même ligne de produits, il arrivera à se faire une place au soleil, mais si jamais il menace des Colombiens, des Nigérians ou des Turcs, il aura une espérance de vie très brève.

M. Paul GIROD - J’ai une deuxième question. Nous avons été, au nom de la civilisation, délivrer le Kosovo de la mainmise serbe, pour des raisons de massacres et autres qui s’expliquent. Ce faisant, dans le même temps, à travers les réfugiés, n’avons-nous pas importé une quantité fantastique de criminels en Europe occidentale ?

M. Xavier RAUFER - Bien entendu, et cela a d’ailleurs été dit à l’époque. Il faut être précis et, quelle que soit la nature publique des propos, il ne faut pas hésiter à dire les choses clairement. Les autorités françaises étaient prévenues, par des sources officielles, et également par moi, puisque j’avais pris la peine de faire une lettre à l’époque, de la présence à Rambouillet, dans la délégation de l’UCK, d’un trafiquant d’héroïne de très grande ampleur, une sorte de Toto Rina albanais, qui s’appelle — il est toujours vivant — M. Xhavit Haliti.

Ultérieurement, après l’histoire de Rambouillet, il a été arrêté au Kosovo, que M. Kouchner réglementait, avec une somme énorme en deutsche marks et quelques kilos de drogue sur lui, mais comme on ne pouvait pas embêter un plénipotentiaire, on l’a salué et on l’a laissé repartir !

Il était dans la délégation de l’UCK à Rambouillet, c’était bien le parrain qui a été évoqué et M. Hashim Thaçi, qui était le représentant officiel, était en réalité l’un de ses sbires et rien de plus.

Effectivement, on a ouvert la boîte de Pandore. Je me souviens, à l’époque, avoir fait des articles, dans le Figaro Magazine, sur le "triangle d’or" du Kosovo, à la porte de l’Europe, et qu’à l’époque, le haut fonctionnaire ou l’homme politique qui n’avait pas envie d’entendre avait une formule magique consistant à dire que j’étais alarmiste. On a donc dit que c’était alarmiste, mais aujourd’hui, c’est fait : d’où croyez-vous que viennent les armes qui, ce matin même, ont servi à attaquer la prison de Frênes ? De Suède ?

Mme la Présidente - Merci beaucoup, monsieur. Nous vous remercions des informations que vous nous avez apportées, sachant que vous avez un emploi du temps extrêmement chargé. Nous avons en tout cas essayé de tenir les horaires.

M. Xavier RAUFER - Les attaques de prison occupent l’actualité.

Mme la Présidente - Cela a fait beaucoup de bruit ce matin, en tout cas, au sens propre comme au sens figuré.

M. Xavier RAUFER - C’est évidemment lié au trafic de stupéfiants. Avec l’argent des armes et de la drogue, on est sur le même marché. Cela passe par les mêmes tuyaux et les mêmes circuits, et les jeunes gens qui sont liés au grand banditisme et qui ont été impliqués dans ces affaires ont aussi besoin de ces trafics. En effet, ils ont des ressources irrégulières, celles des gros braquages, mais il leur faut aussi des ressources régulières : les machines à sous, le racket et la drogue, ce qui coûte très cher. Nous sommes donc dans une perspective qui n’est pas très éloignée.

Mme la Présidente - Je vous remercie infiniment, monsieur, du temps que vous nous avez consacré et je vous souhaite bon courage pour la suite.


Source : Sénat français