La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Carbuccia-Berland.

Mme Nelly OLIN, Présidente. - Nous allons écouter avec attention votre présentation qui, si vous en êtes d’accord,pourra peut-être durer une dizaine de minutes. Vous avez la parole.

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Madame la Présidente, mesdames et messieurs les Sénateurs, je dois en premier lieu vous remercier de m’avoir convié à participer aux travaux de votre commission d’enquête sur la politique nationale de lutte contre la toxicomanie, puisque la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse est évidemment partie prenante de cette politique au regard de ce que sont ses missions mêmes.

Je commencerai par faire une présentation extrêmement rapide de cette direction, qui a pour mission, au sein du ministère de la justice, la prise en charge des mineurs et des jeunes majeurs confiés à ses services par les juridictions, soit dans le cadre de l’enfance délinquante, au titre de l’ordonnance de 1945, soit dans le cadre de l’assistance éducative, c’est-à-dire des articles 375 et suivants du code civil relatifs à l’assistance éducative.

Nous sommes donc amenés à accueillir dans nos services, pour l’essentiel, des mineurs délinquants et des mineurs en danger avec la mission de mettre en place à leur égard des prises en charge à caractère éducatif.

Voilà les choses résumées très sommairement. Je pense que, par la suite, en répondant à vos questions, je pourrai préciser quelques-uns de ces éléments.

La simple présentation de ces missions, et donc des publics que nous sommes amenés à accueillir, vous montre à quel point le sujet de la toxicomanie est évidemment une chose qui nous concerne de manière extrêmement directe.

Au titre de constat du phénomène de la toxicomanie dans les publics que nous sommes amenés à accueillir, nous avons un point de repère qui est en phase d’actualisation : une enquête épidémiologique qui a été confiée en 1997 par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse dont le rapport, rendu en 1998, fait état de l’épidémiologie des publics que nous prenons en charge, sur la tranche d’âge des 14 à 21 ans, l’objectif étant d’avoir une photographie de l’état de santé de ces publics.

Disons le tout de suite : cet état de santé — ce n’est guère étonnant — n’est pas bon. Il nous a permis de photographier un certain nombre de précarités et de difficultés des populations que nous prenons en charge.

Sur le terrain plus spécifique de la toxicomanie, qui est liée aux conduites addictives, les éléments que nous en sortons sont les suivants. Les pourcentages que je vais vous donner ont été établis à partir de l’échantillon de travail de l’enquête et donnent une idée de la toxicomanie dans le public que nous sommes amenés à accueillir.

En ce qui concerne les conduites alcooliques, la bière vient en tête de la consommation de nos mineurs, suivie des alcools forts et du vin. Toutes causes confondues, on constate que 70 % des jeunes confiés à la PJJ ont déjà consommé de l’alcool et qu’à 18 ans, environ 50 % peuvent être considérés comme des consommateurs réguliers d’alcool.

En ce qui concerne le tabac, 77 % des garçons et 83 % des filles confiés à notre administration fument. Parmi ceux-ci, la quasi-totalité sont des fumeurs réguliers dont la consommation moyenne s’établit aux environs de treize cigarettes par jour, le moment de la première prise de la cigarette étant en moyenne fixé à l’âge de 13 ans.

En ce qui concerne plus particulièrement le coeur de votre commission d’enquête, les drogues illicites, le cannabis est évidemment le principal produit utilisé par les jeunes qui nous sont confiés : 31 % des garçons et 21 % des fillespeuvent être qualifiés de consommateurs réguliers. On entend par "consommateurs réguliers" ceux qui ont pris plus de quarante fois du cannabis au cours de leur vie, ceux qui ont fait plus de quarante prises au moment où l’enquête a été faite. Il va de soi que, si on avait raisonné à un niveau plus bas, c’est-à-dire sur des consommations irrégulières, le taux aurait été beaucoup plus important.

Les produits à inhaler prennent la deuxième place après le cannabis : 15 % des jeunes qui nous sont confiés en ont utilisé à un moment ou un autre. On note toutefois que, contrairement au cannabis, ces produits sont plus souvent et plus facilement abandonnés par les jeunes.

En troisième position de ce triste palmarès, on trouve l’ecstasy. 12 % des garçons et 7 % des filles déclarent en avoir consommé au moins une fois. Il y a, en revanche, peu de consommateurs réguliers de ce produit.

Les autres produits occupent une place relativement moins importante, même si leur consommation ne peut pas être qualifiée de totalement négligeable. En ce qui concerne l’héroïne, la cocaïne, les amphétamines et les usages toxicomaniaques de médicaments, le chiffre s’établit entre 3 et 8 % selon le sexe et le produit que l’on considère.

Ces données témoignent bien de l’acuité de la question de la toxicomanie au sein de notre administration et de la nécessité, d’une part, de maintenir à jour un outil actualisé en permanence sur des phénomènes assez évolutifs et, d’autre part, d’avoir une politique active dans ce domaine.

Sur ce point, je précise d’emblée que la question de la toxicomanie, même si elle est importante dans les problématiques des jeunes qui sont confiés à la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, n’est pas exclusive, c’est-à-dire que nous n’avons pas que des jeunes toxicomanes. Les phénomènes de toxicomanie que nous rencontrons sont évidemment associés à bien d’autres troubles et bien d’autres éléments, notamment aux conduites addictives en général.

J’ai rappelé brièvement les problématiques d’alcool et de tabac que je peux développer quelque peu. Ce sont évidemment des jeunes qui sont, la plupart du temps, en situation de rupture familiale, sociale et scolaire ainsi qu’en situation de relative précarité et qui se caractérisent par des troubles du comportement et par des phénomènes de violence auto ou hétéro-agressive. Par conséquent, la toxicomanie apparaît comme un symptôme dans un tableau beaucoup plus large qui est celui que je viens d’évoquer.

Dans un premier temps, c’est ce tableau clinique d’ensemble que nous sommes amenés à traiter et la toxicomanie est prise en compte dans ce cadre général des problématiques spécifiques auxquelles sont confrontés les jeunes que nous prenons en charge. Pour ce faire, nous avons trois grandes possibilités.

La première, c’est la prise en charge de ce phénomène dans le cadre de l’action éducative normale et générale que nous sommes amenés à conduire à l’égard de nos publics.

De ce point de vue, notre base de travail est évidemment de considérer que la prise de toxiques, quels qu’ils soient, est d’abord une violation de la loi et une transgression de la législation et qu’à partir de là, il nous appartient de conduire, avec les mineurs ou les jeunes qui nous sont confiés, un travail éducatif sur les raisons de cette interdiction, sur la façon dont on peut aborder avec eux l’arrêt de cet engagement qu’ils ont pris et sur la façon dont on peut travailler aussi sur les problématiques de santé.

Sur ce point, j’ouvrirai une très brève parenthèse pour indiquer que, sur le terrain du cannabis, la relative ambiguïté sociologique qui pèse sur l’interdiction frappant ce produit ne rend pas extrêmement aisé un travail éducatif construit et solidement ancré. Il ne faut pas se cacher que cela représente une vraie difficulté pour travailler à ce sujet, surtout quand nous sommes en présence de jeunes qui, certes, utilisent ce produit, mais nous sont confiés pour avoir brûlé des voitures ou commis quatre cambriolages. Notre premier sujet de travail a tendance à venir sur cet ensemble de faits plus que, spécifiquement, sur cette problématique de la toxicomanie.

La deuxième possibilité, c’est de prendre en charge cette dimension de la toxicomanie dans ce qui est finalement le deuxième grand volet de la loi de 1970, c’est-à-dire son volet sanitaire, qui consiste à considérer les toxicomanes comme des gens qui relèvent d’un traitement médical et donc de les inscrire dans les politiques de santé et les prises en charge sanitaires que nous conduisons.

De ce point de vue, l’enquête épidémiologique que je citais tout à l’heure et qui date de 1998 nous a conduits à "mettre le turbo" sur les politiques sanitaires qui étaient les nôtres et à accroître notre participation à une politique de santé construite. Cela se fait aujourd’hui dans trois directions.

La première, qui est assez originale et qui n’est pas simple à conduire, est celle de l’intégration de la dimension sanitaire dans la prise en charge éducative, qui consiste à intégrer l’état de santé et le caractère sanitaire dans la façon dont les éducateurs prennent en charge les mineurs. A ce point de vue, la culture des éducateurs de la PJJ n’est pas naturellement tournée vers les problèmes de santé et les problèmes de corps des adolescents. Un travail a été engagé à ce sujet et commence à porter ses fruits. Il se traduit de deux façons.

Tout d’abord, nous avons développé de manière extrêmement large la présence de personnels infirmiers dans nos directions départementales pour assurer des collaborations avec le système sanitaire et servir de point de référence avec les équipes éducatives lorsqu’elles sont confrontées à des problématiques sanitaires, notamment toxicomaniaques.

Ensuite, nous avons poussé des modules de formation dans la formation de nos éducateurs pour que cette dimension sanitaire soit prise en compte dans leur action éducative elle-même.

Le deuxième volet de notre politique de santé est l’engagement d’un travail clinique au sein de la Direction de la protection de la jeunesse avec, autour d’un médecin psychiatre, une réflexion consistant à intégrer, essentiellement dans le champ de la santé mentale, la dimension éducative dans le soin, c’est-à-dire à faire en sorte que les soignants prennent eux-mêmes en compte la dimension éducative qui peut être attachée à leur action et que nous prenions nous-mêmes en compte cette dimension sanitaire dans la prise en charge éducative qui nous est confiée.

Ces documents sont aujourd’hui assez construits, commencent à porter leurs fruits, ont fait l’objet d’une diffusion au sein de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse mais, surtout, au sein des communautés médicales qui sont en charge des problématiques d’adolescents et il me paraît très utile de signaler ce travail.

Le troisième volet est évidemment le plus naturel : il s’agit de la nécessité d’inscrire l’action de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse dans les grands programmes de santé publique qui sont conduits par le ministère de la santé.

Cela comprend la participation aux programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins, la participation au programme national de prévention du suicide et le développement de collaborations construites avec le ministère de la santé. Je citerai rapidement une circulaire du 3 mai 2002 adressée conjointement par le ministère de la santé et le ministère de la justice à leurs services déconcentrés pour que se nouent sur le terrain des collaborations plus étroites qu’auparavant. Il y a donc là une intégration plus forte dans les problématiques de santé publique de la part de la protection judiciaire de la jeunesse.

Sur le domaine plus spécifique de la toxicomanie, nous avons également- c’est notre troisième possibilité de prise en compte de ce problème - des actions et des programmes plus ciblés qui sont menés, de manière très naturelle, en collaboration avec la MILDT.

L’action principale de la MILDT, comme vous le savez, s’articule autour des conventions départementales d’objectifs dans le domaine de la santé et de la justice qui visent, à l’échelon départemental, à mettre en place des programmes et des dispositifs de prise en charge de l’ensemble des populations, y compris des mineurs, qui sont, à un moment donné, prises en compte par le système judiciaire et confrontées à des problèmes de toxicomanie qu’elles vont devoir traiter dans un cadre judiciaire plus ou moins contraint.

Vous savez que la MILDT, jusqu’en 1999, a mis en place ces programmes avec nous dans trente départements et qu’elle a considérablement développé son action sur la période de 1999 à 2002 en poussant à 90 départements le nombre des conventions départementales d’objectifs qui ont été conclues.

La Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, pour la partie qui la concerne, c’est-à-dire pour les mineurs qui sont pris en charge chez elle, participe évidemment à ces actions à l’échelon départemental ainsi qu’au dispositif de pilotage national avec la MILDT.

Voilà ce que je souhaitais dire sur cet aspect des choses.

Etant resté jusqu’à présent sur des questions un peu abstraites, je vais essayer de vous présenter en deux mots deux illustrations de ce que je viens de dire, deux programmes très concrets et très pratiques.

Le premier est développé à Toulouse et il est construit entre la Protection judiciaire de la jeunesse et une association qui s’appelle Oc Drogues et qui intervient dans le champ de la réparation pénale. Il s’agit d’une association qui, en lien avec la protection judiciaire de la jeunesse, prend en charge des mineurs qui ont été, à un moment donné, interpellés pour infraction à la législation sur les produits stupéfiants et pour lesquels les parquets ont décidé, à titre de mesure alternative aux poursuites, une mesure de réparation. Cette mesure de réparation nous est confiée, nous travaillons avec ces associations et nous développons des modules de prise en charge collectifs et individuels avec les jeunes qui nous sont confiés et qui permettent d’évoquer avec eux leurs problèmes de toxicomanie, de développer avec eux des actions de prévention à la santé, de faire cesser leur toxicomanie et leur usage de produits stupéfiants et, en même temps, d’avoir à leur égard une action de prévention à la santé.

Le deuxième type d’action que nous pouvons conduire et qui illustre mon propos liminaire général est le livret "accueil santé" que nous avons mis en place dans le département des Yvelines et qui comporte un volet de lutte contre la toxicomanie conséquent dans ce département. Cet outil permet de faire le lien entre les équipes éducatives et les mineurs qui sont pris en charge, de travailler sur les questions de santé auxquelles les mineurs sont confrontés, d’évoquer ces questions de toxicomanie et d’entrer dans ce travail de réparation et de prévention qu’il est nécessaire de conduire.

Ce livret a démontré sa pertinence sur ce champ dans le département des Yvelines et nous conduisons aujourd’hui, avec la MILDT, une disposition de diffusion de ce livret à l’ensemble du territoire national.

Voilà les points que je voulais souligner.

En conclusion, je dirai que, comme vous l’aurez compris dans mes propos, dans les questions de lutte contre la toxicomanie, la protection judiciaire de la jeunesse est étroitement dépendante de ses partenaires. Ce n’est pas elle qui peut mettre en place des dispositifs internalisés de prise en charge lourde de mineurs toxicomanes ou polyconsommateurs de produits de toutes natures. En revanche, c’est à elle de mettre en place des collaborations avec ses partenaires du secteur sanitaire et du secteur social pour faire en sorte que les gamins qui lui arrivent puissent être pris en charge dans ces dispositifs de droit commun sous le contrôle et la supervision de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

En disant cela, je souligne ce qui est en fait une fragilité de notre action : étant dépendante de nos partenaires, elle dépend de la capacité de ceux-ci d’assumer eux-mêmes cette prise en charge des mineurs, ce qui est parfois le cas dans certains secteurs du territoire et non pas dans d’autres, mais je pense que, sur cet aspect, les questions que vous serez amenés à me poser permettront d’y voir un peu plus clair.

Voilà, très sommairement, les éléments que je souhaitais vous indiquer à titre préliminaire.

Mme la Présidente. - Nous vous remercions, monsieur le Directeur, de cet exposé très intéressant. Je donne tout de suite la parole à M. le Rapporteur, qui a un certain nombre de questions à vous poser.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur. - Monsieur le Directeur, votre exposé est très intéressant pour nous, dans la mesure où notre souci est, pour beaucoup, de comprendre quels dangers fait peser sur notre jeunesse, nos enfants, nos adolescents et nos jeunes, la question des drogues, d’une manière générale, et, plus particulièrement, des drogues illicites. Par conséquent, je vous remercie de tous les éclairages que vous pourrez nous apporter sur cette question très importante.

Je vous demanderai en premier lieu de nous apporter une précision (vous pourrez le faire par écrit et plus tard) sur la consommation de drogues illicites, notamment de cannabis. En effet, le chiffre que vous nous avez indiqué, à savoir 31 % de garçons qui seraient consommateurs réguliers, est évidemment beaucoup plus important que celui que l’on trouve chez les jeunes en population générale et que nous donne l’OFDT. Pour autant, nous avons du mal à faire la comparaison, puisque vous dites que, pour vous, les consommateurs réguliers sont ceux qui ont consommé du produit plus de quarante fois dans leur vie alors que, pour l’OFDT, c’est dix à dix-neuf fois par mois.

Je souhaiterais donc que vous puissiez reprendre les chiffres dont vous disposez de telle manière que nous puissions faire une comparaison plus valable.

Par ailleurs, j’ai une simple question à vous poser : les personnes que vous interrogez savaient-elles que la consommation de cannabis était illicite ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Le caractère connu de l’interdit du produit fait assez peu de doutes pour des raisons qui sont assez simples : les jeunes que nous accueillons, comme vous l’avez compris, notamment dans le cadre de l’enfance délinquante, sont relativement habitués au frottement avec les forces de police et les forces de l’ordre, qui ont déjà été de multiples fois contrôlés sur un certain nombre de sujets et qui savent pertinemment que, lorsqu’ils détiennent ce genre de produit, ils encourent une chose qui n’est pas de l’ordre du permis.

Ensuite, quand on trouve de manière plus ou moins régulière une demie barrette de ce produit dans leur poche, on leur dit "circulez", en quelque sorte. Autrement dit, ils ont bien conscience de cet interdit, mais, en même temps, de sa relative faiblesse.

M. le Rapporteur. - Vous avez évoqué le rôle de votre institution et j’ai donc envie de vous demander de quels moyens vous disposez pour obliger les jeunes dont vous avez la charge à respecter la législation, mais c’est en fait une question assez directe que je voudrais vous poser : n’éprouvez-vous pas une grande difficulté parce que certains des éducateurs sont, sinon, consommateurs de drogues illicites, du moins adeptes d’une culture assez tolérante vis-à-vis de ces produits ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Il est difficile d’affirmer que les éducateurs qui sont employés à la protection judiciaire de la jeunesse sont délinquants, puisque c’est ce à quoi revient votre interrogation. Ma position, sur ce point, est évidemment de dire qu’il n’en est rien.

Je crois qu’ils sont en réalité confrontés à un phénomène relativement culturel face à une certaine frange de population qu’ils prennent en charge et que la consommation de cannabis par ces jeunes ne leur apparaît pas nécessairement comme étant le principal problème qu’ils ont à régler face à eux. C’est ainsi que les choses se présentent plus que comme un sujet de tolérance ou de bienveillance sur le produit.

M. le Rapporteur. - Je vous interromps pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Vous aurez remarqué que, dans la formulation de ma question, j’ai exclu la possibilité qu’il puisse y avoir des délinquants dans votre personnel, mais j’ai insisté sur la culture, parce que je me demande — et ce que vous répondez est en train de le confirmer — s’il n’y a pas aussi une sous-information ou un manque de formation sur les questions des drogues illicites, notamment sur lecannabis.

Nous avons appris ces derniers temps beaucoup de choses sur le caractère dangereux du cannabis. N’y aurait-il pas à apporter une information, voire à dispenser une formation à vos personnels de ce point de vue ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Absolument. A ce sujet, nous avons mis en place au sein du Centre national de formation des éducateurs de Vaucresson un pôle qui s’appelle "formation en addictologie" et qui vise à prendre en compte l’ensemble des comportements toxicomaniaques, au sens large, auxquels les jeunes sont confrontés, de telle sorte que les éducateurs intègrent ce dispositif dans leur formation. C’est une chose assez récente qui est en train de monter en puissance.

Nous développons aussi, au niveau de nos pôles territoriaux de formation, des formations de formateurs pour les sensibiliser à ce domaine dans les messages qu’ils sont amenés à délivrer aux éducateurs dans le cadre de la formation continue. Par conséquent, une actions claire est conduite à ce sujet.

Cependant, il est vrai qu’il n’y a pas de spécificité sur le cannabis. On traite les gamins aussi bien sur l’alcool que sur le tabac, le cannabis ou d’autres produits. Il n’y a pas de focalisation sur le cannabis.

M. le Rapporteur. - Pour mieux comprendre les choses, je vous demanderai si, à votre avis, l’utilisation de drogues est une cause ou une conséquence de la marginalisation.

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. -. - C’est une question bien difficile, monsieur le rapporteur. J’aurai tendance à dire que c’est la question de la poule et de l’oeuf. Autant, au-delà des publics que nous sommes amenés à accueillir nous-mêmes, vous avez des consommateurs de cannabis qui sont parfaitement et totalement intégrés et pour lesquels la question de l’insertion sociale ne se pose pas, autant, à l’inverse, nous avons des gens hautement délinquants et désocialisés pour lesquels la question de la consommation de cannabis ne se pose pas. Par conséquent, la question de l’insertion et celle du cannabis, en soi, sont deux questions qui me paraissent autonomes.

Cela dit, elles cessent d’être autonomes lorsque le cannabis vient s’ajouter à des précarités sociales existant par ailleurs, à des précarités familiales, à des structures familiales délitées ou à une scolarité qui, pour une raison qui n’est pas forcément liée à la consommation du cannabis, n’est pas suivie et qui se délite également. Dans ce tableau, le cannabis redevient très clairement un facteur qui contribue à maintenir la personne dans la désocialisation.

Paradoxalement, il peut aussi contribuer à un facteur d’intégration en sens inverse, c’est-à-dire qu’étant un élément de l’économie clandestine des quartiers, il devient aussi un élément de contre-socialisation dans un certain nombre de lieux.

Voilà ce que m’inspire votre question. En tout cas, on ne peut pas faire de lien extrêmement direct entre cannabis et insertion. Les choses me paraissent plus complexes.

M. le Rapporteur. - Je vous remercie. Les jeunes qui consomment des substances illicites continuent-ils à le faire pendant qu’ils sont hébergés dans les établissements de la PJJ ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - La réponse est évidemment qu’ils ne doivent pas continuer à le faire. Nous avons plusieurs types de suivi. Les jeunes qui sont confiés à la protection judiciaire de la jeunesse vont aussi bien dans des foyers d’hébergement, c’est-à-dire dans des placements en foyer, que dans des centres de milieu ouvert qu’ils sont amenés à fréquenter de manière plus ou moins régulière. Il est clair que le contrôle de l’activité d’un jeune ne s’apprécie pas de la même façon dans un hébergement où le contrôle peut être plus strict que dans un service de milieu ouvert.

Maintenant, pour ne considérer que les lieux où le contrôle est le plus strict, c’est-à-dire les foyers hébergement, les directives sont clairement que les substances illicites ne doivent ni circuler, ni être consommées. Cependant, on se heurte, sur ce sujet, à des difficultés pratiques. En effet, si on veut contrôler ces éléments, il en découle un certain nombre de procédures de contrôle des locaux, mais aussi de fouilles et d’examens. Lorsque vous entendrez le directeur de l’administration pénitentiaire, il vous parlera de manière plus abrupte que je ne peux le faire moi-même compte tenu de la nature de nos administrations respectives.

A ce sujet, je vous rappelle que la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a placé l’ensemble des structures de la protection judiciaire de la jeunesse dans son champ d’application. Cela signifie que les mineurs qui sont hébergés dans ces centres et ces services bénéficient des droits et libertés reconnus à l’ensemble des usagers du secteur social et médico-social, c’est-à-dire que les liens avec les familles, le droit à l’intimité, le droit au respect et un certain nombre d’autres éléments s’appliquent dans les foyers de la protection judiciaire de la jeunesse, sauf — ce sont les décrets que nous sommes en train de travailler en ce moment avec le ministère la santé — les prérogatives reconnues à l’autorité judiciaire de restreindre ces droits.

Je veux dire par là que, si nous voulons avoir un contrôle effectif, nous nous heurtons à une difficulté juridique. La loi est respectée par moment de manière large ou de manière un peu plus stricte, mais toujours avec les problématiques juridiques qui y sont liées. La question de la fouille d’un gamin dans un foyer de la PJJ, au regard de la législation que je viens d’évoquer, constitue aujourd’hui une difficulté.

M. le Rapporteur. - Autre difficulté pratique : vous avez des gamins qui doivent vous arriver dans un quasi-état de dépendance. Comment faites-vous avec eux et, au-delà, quels sont vos liens avec les centres de soins pour toxicomanes et les services de pédopsychiatrie ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Les liens sont construits localement, soit avec les CHRS, soit avec les associations qui sont amenées à prendre en charge les toxicomanes. De ce point de vue, il s’agit d’une construction à l’échelon local. Les gamins qui arrivent au sein des services de la PJJ et qui sont à un moment donné repérés comme "accrochés" et donc en situation sanitaire extrêmement précaires sont évidemment et naturellement orientés vers un service de médecine, qu’il s’agisse du secteur hospitalier ou d’un service médical, qui se charge lui-même, si nous n’avons pas de lien direct avec le service plus spécialement compétent, de la prise en charge sanitaire du gamin.

De ce point de vue, nous avons encore quelques progrès à faire. Pour en revenir à la loi du 2 janvier 2002 que j’évoquais tout à l’heure, le fait qu’elle ait permis le regroupement des structures de prise en charge, de prévention et de soins des toxicomanes, d’un côté, et des alcooliques, de l’autre, et qu’elle ait permis la fusion entre ces deux structures devrait nous permettre de saisir cette occasion pour approfondir le protocole de nos relations entre notre institution et ce type de structures.

Dans les débats que j’ai pu avoir avec le ministère de la santé et qui en sont encore au stade informel, j’ai déjà évoqué cette question et c’est une chose qui devrait se structurer dans l’année qui vient. Nous allons lancer une action de structuration à ce sujet.

M. le Rapporteur. - Parmi les mineurs délinquants dont vous avez la charge, y en a-t-il beaucoup qui ont été impliqués dans des trafics de stupéfiants ? Par ailleurs, avez-vous en charge des mineurs qui ne seraient qu’usagers de drogue ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Il est extrêmement difficile de répondre scientifiquement à votre question car nous n’avons pas d’outils statistiques qui nous permettent de distinguer nos mineurs délinquants en fonction du type d’infraction qui les a amenés chez nous. Les réponses que je pourrais vous faire sont donc de l’ordre de l’impressionnisme.

Ce qui est certain, c’est que nous n’avons quasiment pas, en tout cas au stade de l’hébergement ou au stade du milieu ouvert, des gamins qui ne sont là que pour usage de produits stupéfiants. Nous les avons toujours pour cela et autre chose mais rarement uniquement pour cet aspect des choses.

Cela ne nous empêche pas de participer, comme je l’ai indiqué tout à l’heure en parlant de l’action de Toulouse, aux mesures de réparation qui concernent des gamins qui ne nous sont pas confiés au titre du mandat judiciaire mais à l’égard desquels nous exerçons une mission de politique publique en participant à une mesure alternative aux poursuites pour un usager, pour avoir à son égard une action de prévention et une action éducative avec les acteurs du secteur sanitaire et social, dans l’espoir que les choses s’arrêtent là.

Il est vrai que ces mesures de réparation, dans ce domaine comme dans bien d’autres, fonctionnent bien et permettent de traiter les petits primo-délinquants, donc y compris les usagers de produits stupéfiants, avec des résultats assez satisfaisants.

M. le Rapporteur. - J’ai une dernière question, monsieur le Directeur. Avez-vous un avis sur les actions qu’il faudrait mener et qui seraient de nature à diminuer le trafic et la consommation de drogue chez les jeunes ? Accessoirement, un exemple ou des exemples étrangers vous paraîtraient-ils dignes d’être suivis ?

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Il est assez difficile de répondre à une question aussi ouverte. Si la panacée existait dans ce domaine, je pense qu’on l’aurait déjà appliquée.

Les deux axes sur lesquels nos politiques sont construites sont l’axe de la répression, d’un côté, et l’axe de la prise en charge sanitaire, de l’autre, et je pense qu’il est difficile de faire preuve de beaucoup d’imagination en dehors de ces deux axes principaux.

Sur le sujet de la répression, il me paraît important de garder l’usage dans le cadre des catégories pénales. En effet, au-delà du point d’appui qui permet de traiter ces enfants, cela permet aussi de conserver un lien, fût-il dégradé et pénal, avec des populations qui risqueraient, sinon, d’être totalement à la dérive. Il faut donc être clair à ce sujet. En ayant lu vos travaux, je pense que la question se pose assez peu, mais comme c’est un débat qui est dans l’air, il n’est pas inutile d’avoir un positionnement sur ce point. Il est donc important de conserver cet interdit pénalement sanctionné.

Quant au secteur de la prise en charge sanitaire, il y a effectivement bien des actions à développer.

La première (j’ai un peu du mal à évoquer cette question puisqu’elle ne relève pas directement de mes attributions ni,nécessairement, de celles du ministre de la justice) porte sur le dispositif de droit commun de prise en charge et de suivi des personnes toxicomanes et à conduites addictives, système qui est aujourd’hui en difficulté. Ce système, fort heureusement, est en train de quitter la sphère des CHRS et de la médecine mentale pour entrer dans des prises en charge plus médicales et sociales dans le cadre de ces structures que j’évoquais tout à l’heure. Il y a là un embryon de politique tout à fait pertinente à développer.

La deuxième action consiste à mieux mailler les interventions entre le secteur social, qui peut être amené à constater un certain nombre de choses, et le secteur sanitaire, qui peut être amené à prendre en charge ces jeunes.

En dernier lieu, il importe de développer des politiques de prévention plus près des gens qu’elles ne sont faites aujourd’hui, c’est-à-dire d’avoir véritablement, dans les quartiers et les écoles (cela se fait en partie mais je pense que cela devrait être systématisé), des dispositifs qui permettent d’expliquer aux jeunes les dangers d’un certain nombre de produits et les risques qui les accompagnent. A ce point de vue, une politique de prévention un peu plus dynamique pourrait être conduite.

Tout cela n’est pas très innovant. Je pense que nous avons déjà beaucoup de cadres et qu’il faut développer les moyens et mieux les coordonner plutôt que de se lancer dans des innovations dont je ne vois pas très bien ce qu’elles pourraient être aujourd’hui.

M. le Rapporteur. - Merci, monsieur le Directeur.

Mme la Présidente. - Je vais donner successivement la parole à M. Muzeau, M. Girod et M. Mahéas, qui me l’ont demandée, après quoi, monsieur le Directeur, je vous demanderai de faire une réponse groupée, si vous le voulez bien.

M. Roland MUZEAU. - Vous avez dit, monsieur le Directeur, au début de vos propos, vos regrets de constater l’ambiguïté qui pesait sur le cannabis dans l’opinion publique, notamment chez les jeunes, et vous avez, un peu plus tard, répondu à M. le Rapporteur que, malgré cela, les utilisateurs savent que c’est un produit prohibé et que le doute n’existe pas en la matière. Je pense que la contradiction entre ces deux éléments du débat n’est qu’apparente. En conséquence, considérez-vous que l’arsenal législatif est suffisant du côté répressif ?

J’avais par ailleurs une question à vous poser sur le volet de la prévention et du secteur social et sanitaire, mais vous y avez répondu par avance puisque vous émettez l’idée, sinon le souhait, d’un renforcement de ces moyens, ce que je ne peux que partager. Je ne poserai donc pas cette deuxième question.

M. Paul GIROD. - Monsieur le Directeur, je vous prie de m’excuser si ma question a un petit côté "marketing", si j’ose dire. A la suite d’un stage que j’ai fait dans un certain nombre de tribunaux et dans le cadre de mes rapports avec des magistrats, j’ai le sentiment qu’il y a, depuis un an et demi, certaines réticences à confier les jeunes à votre organisation. Est-ce un sentiment que vous partagez ? Si oui, en connaissez-vous les causes et quelles sont éventuellement les pistes que vous explorez pour faire en sorte que votre administration puisse pleinement remplir son rôle ?

M. Jacques MAHÉAS. - J’ai deux questions à vous poser, monsieur le Directeur.

Premièrement, d’après les informations récentes que viennent de donner les douanes, les prises de drogues illicites ont beaucoup augmenté mais d’une façon diversifiée, à savoir que le cannabis est en chute libre (- 18 %), alors que les drogues dures sont en forte augmentation. Evidemment, lorsqu’on parle de prises de drogues, cela ne nous donne pas une information évidente sur la circulation de la drogue, mais je pense quand même que c’est un chiffre significatif.

Ma question est donc la suivante : alors que vous nous avez parlé de l’ecstasy, qui est pour nous un gros point d’interrogation ainsi que le crack et les drogues plus dures, sentez-vous une évolution, dans cette jeunesse que vous côtoyez, vers des drogues plus dures que le cannabis ?

Ma deuxième question est totalement différente. J’ai beaucoup apprécié la collaboration de la PJJ au niveau local lorsqu’il s’est agi de prévention et d’information au cours de forums. Les gens spécialisés se sont déplacés, ont accueilli des classes et en ont parlé. Cependant, ce n’est qu’une goutte d’eau et cette action me paraît donc à généraliser.

Pour notre part, nous pouvons vous aider un peu en modifiant quelque peu les buts de la PJJ et en accentuant son action sur un rôle beaucoup plus éducatif afin de développer les rapports avec les enseignants, les infirmières scolaires, les médecins, etc. Peut on faire entrer dans une loi, d’une façon extrêmement explicite, ces missions qui me paraissent plus intéressantes parce qu’elles sont en aval de la PJJ ?

J’ai une dernière chose à vous demander. J’ai constaté au cours d’autres missions les rapports étroits qui existaient entre les tribunaux pour enfants et la PJJ dans certains départements, mais j’ai aussi remarqué que ces rapports étaient très distendus dans d’autres départements. Il y a de grandes anomalies en la matière.

Mme la Présidente. - Je donne la parole à M. le Rapporteur pour une dernière question.

M. le Rapporteur. - Je voudrais simplement avoir une indication sur ce qu’est l’application de la loi Evin dans les centres de la PJJ.

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Je vais démarrer à rebours et construire mes réponses à partir des différents thèmes évoqués, puisque l’un d’eux tourne autour du sujet de votre commission d’enquête et que vous avezévoqué également la problématique plus générale de la protection judiciaire de la jeunesse.

Sur le sujet de la loi Evin, la PJJ n’est ni mieux, ni pire que toutes les institutions publiques que nous connaissons. Je n’ai pas beaucoup de réticences à dire que le respect de la consigne de ne pas fumer est une chose qui relève davantage de l’indicatif que de l’impératif.

De ce point de vue, depuis que j’ai pris mes fonctions dans cette direction au mois de septembre dernier, l’une des premières tâches auxquelles j’ai été amené à me confronter a été la construction du cahier des charge des centres éducatifs fermés. J’ai donc tenu spécifiquement à ce que cette prescription du respect de l’interdiction de fumer telle qu’elle résulte de la loi Evin puisse être prise en compte dans ce type d’établissement et que les contraintes architecturales que nous déclinerons en termes de construction puissent intégrer cette dimension.

Sur ce point, nous avons, comme bien d’autres administrations et institutions, des progrès à faire, et il me paraît absolument indispensable de les engager fermement.

En ce qui concerne le lien qu’il y aurait ou que j’aurais pu être éventuellement amené à constater entre les augmentations de prises de drogues dures par les douanes et les évolutions de consommation de nos mineurs, je n’ai pas aujourd’hui d’éléments concrets qui me permettent de le constater pour la raison que j’ai évoquée dans mon exposé initial : on a fait en 1998 une photographie de l’état de santé général et je ne dispose aujourd’hui que de cette donnée fiable.

Cela dit, j’ai souhaité que l’on relance, au cours de cette année, une nouvelle enquête épidémiologique et, sur ce volet, je pense que l’on pourra vérifier s’il y a eu une évolution vers les drogues dures ou non.

En tout cas, à l’intuition ou au regard des rapports que je peux être amené à lire sur le fonctionnement des établissements, c’est une chose qui n’apparaît pas clairement. Il est certain que nous avons beaucoup de polytoxicomanies et, paradoxalement, énormément d’alcoolisme chez les jeunes filles, beaucoup plus que chez les garçons, mais la montée en puissance des drogues dures, en dehors du caractère non scientifique de ce que je vous dis, n’apparaît pas de manière évidente aujourd’hui.

En ce qui concerne la première question que vous m’avez posés, monsieur le Sénateur, et qui concerne la contradiction apparente entre le sentiment de l’interdit et la réalité de celui-ci, si j’étais un peu provocateur, je dirais qu’il en va de ce domaine comme du respect du code de la route : on sait bien qu’un certain nombre de choses sont interdites et l’expérience nous a montré que la force de l’interdit était variable en fonction des moyens que l’on mettait en place pour assurer le respect effectif de cet interdit.

J’en viens à la question plus précise de savoir si le volet répressif était suffisant en ce qui concerne l’usage des produits stupéfiants, notamment du cannabis. Aujourd’hui, cet usage est un délit et non pas une contravention, ce qui ouvre l’ensemble des prérogatives de procédures pénales et d’enquête qui accompagnent ce délit. Est-il nécessaire de renforcer les peines liées à ce délit ? Je n’en suis pas convaincu.

Autant je suis tout à fait convaincu de la nécessité de continuer à incriminer l’usage sous forme de délit, autant l’augmentation des peines potentielles est une chose qui ne me paraît pas indispensable pour le simple fait d’usage, puisque, sans vouloir faire un long développement sur ces questions, il apparaît bien que l’usage n’est, in fine, qu’un rapport entre un produit et un individu et la façon dont on met ce produit dans son corps. La question de savoir si la puissance publique doit intervenir sur ce point doit donc être forcément posée.

Les tenants du libéralisme vous indiquent que, depuis qu’on a cessé d’incriminer le suicide, il n’y a plus de raison d’incriminer une façon de s’injecter de la mort lente, chacun étant libre de faire ce qu’il a envie de son corps.

Un deuxième aspect des choses est une approche plus sociale qui consiste à indiquer qu’en termes de responsabilités collectives, un certain nombre d’éléments incombent à la puissance publique, et je suis pour ma part tout à fait convaincu de cette deuxième approche. Plutôt que d’augmenter les peines, on est face à une question d’efficacité et d’image de la loi pénale. Doit-on, a un moment donné, faire en sorte que l’image que renvoie la loi pénale est plus ferme, quitte à ce que les choses, dans la pratique, évoluent peu ? C’est véritablement une question qui ne me paraît pas fondamentale dès lors que l’on reste bien dans le cadre d’une pénalisation qui est aujourd’hui celle d’un délit.

Il reste les questions relatives à la PJJ. Je commencerai par votre remarque, monsieur le Sénateur, qui consistait à évoquer un rôle de la PJJ qui est aujourd’hui assez mal pris en compte dans les textes. N’oublions pas que la PJJ a succédé à l’éducation surveillée, qui est née elle-même de l’administration pénitentiaire, en 1945, afin de prendre en charge les mineurs dans des structures spécifiques avec un objectif éducatif.

La mission première de la protection judiciaire de la jeunesse, c’est le mandat du juge à l’égard d’un mineur individuellement désigné consistant à le prendre en charge dans un cadre civil ou pénal pour conduire une action éducative.

Très vite, évidemment, surtout quand on travaille en milieu ouvert, on voit bien que cette prise en charge individuelle doit s’inscrire d’abord dans le travail collectif d’une équipe et qu’elle ne peut pas être uniquement celle d’un éducateur. Elle doit être celle d’un psychologue, d’un médecin et d’une assistante sociale, et tous ces gens doivent travailler ensemble à l’égard du mineur. On passe donc de la dimension individuelle à la prise en charge collective.

Enfin, cette prise en charge collective n’a de sens que si les collaborations se sont nouées entre le service qui prend le mineur en charge, l’éducation nationale pour les questions de scolarité, le système sanitaire pour les questions de santé et les structures de formation professionnelle pour y introduire les gamins. On voit bien qu’il est indispensable de construire un jeu de partenariat.

Progressivement, on est passé à cette dimension que vous évoquiez tout à l’heure et qui est celle de la participation de la PJJ aux politiques publiques de prévention à l’échelon départemental.

Il est vrai qu’aujourd’hui, ces politiques sont conduites par les personnels de la PJJ mais que c’est une mission qui n’est pas spécifiquement inscrite dans les textes. On est en train de le faire dans le cadre des textes statutaires, mais ce n’est pas une chose suffisamment prise en compte, valorisée et travaillée aujourd’hui et nous avons, de ce point de vue, des progrès à faire.

Enfin, il reste les questions plus larges de la méfiance que pourrait inspirer la protection judiciaire de la jeunesse. Il n’est un secret pour personne — le garde des sceaux a été amené à le dire à plusieurs reprises — que cette administration est en difficulté aujourd’hui. Le rapport de votre commission d’enquête sur la délinquance des mineurs présidée par le sénateur Schosteck, dans son volet relatif à la protection judiciaire de la jeunesse, a bien montré les difficultés de cette administration (difficultés administratives, difficultés d’organisation, etc.), et je pense qu’il n’y a pas lieu de s’y étendre.

Un rapport de la Cour des comptes qui a suivi et qui devrait être repris dans les semaines qui viennent a montré aussi les grandes difficultés de cette administration, qui a peu de culture et d’ossature administrative et qui connaît des problèmes existentiels face au contenu de sa mission. Que représente aujourd’hui la prise en charge éducative d’un mineur ? En réalité, le coeur de la question est là. Aujourd’hui, l’action éducative telle qu’on la connaît et qui est traditionnellement identique, dans cette maison, suivant qu’on est au civil ou au pénal, dans l’enfance en danger ou dans l’enfance délinquante, peut-elle continuer à fonctionner comme aujourd’hui ou doit-on repenser le contenu des prises en charge des gamins ?

Mon sentiment, c’est qu’il faut engager un travail à ce sujet avec les différents partenaires. Ce travail est engagé. Sur la base de ces rapports, notamment de celui du sénateur Schosteck, nous avons engagé une réforme de cette administration ainsi qu’une réorganisation de ses services déconcentrés et de son administration centrale.

Le deuxième volet qu’il m’appartient de conduire pour essayer de relever l’image de cette administration, c’est d’être en mesure de dire clairement ce que nous faisons à tous nos partenaires, notamment à notre partenaire judiciaire, qui est celui avec lequel, à mon sens, les relations se sont le plus dégradées au cours des dernières années. Il s’agit de dire, lorsqu’on nous confie un mineur, de quelle façon nous le prenons en charge.

Nous devons faire un effort de clarification et de lisibilité de notre action et avoir une capacité de rendre compte, individuellement et collectivement, d’actions que nous conduisons, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Cela passe évidemment par tout un travail de protocolisation des procédures, de référentiels de métiers et de référentiels de prise en charge, et je pense que c’est à partir de là (nous ne nous cachons pas que c’est une action de longue haleine) que nous arriverons à redonner à cette administration une crédibilité qui, par certains aspects, est aujourd’hui un peu entamée.

Mme la Présidente. - Monsieur le Directeur, nous vous remercions d’avoir répondu de manière aussi claire et précise aux questions. Nous avons compris que vous aviez aussi un long chemin à faire et nous formons des voeux pour que cela s’accomplisse dans les meilleures conditions.

M. Jean-Pierre CARBUCCIA-BERLAND. - Je vous remercie, madame la Présidente, mesdames et messieurs les Sénateurs.


Source : Sénat français