La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Lamour.

Mme Nelly OLIN, Présidente. - Monsieur le Ministre, nous allons vous écouter avec beaucoup d’attention. Nous vous laissons le temps qui vous convient pour faire votre exposé.

M. Jean-François LAMOUR. - Merci, madame la Présidente. Mesdames et messieurs les Sénateurs, permettez-moi de vous remercier de m’accueillir au sein de votre commission et de bien vouloir me donner ainsi l’opportunité de présenter mes orientations en matière de lutte contre le dopage. C’est l’occasion pour moi de réaffirmer avec force devant vous les dimensions éthiques et de santé publique qui sont les moteurs de cette lutte.

Je souhaite tout d’abord vous faire part de deux remarques liminaires.

Je m’exprime aujourd’hui en tant que ministre des sports, et je tiens à vous rappeler que mon ministère est désormais entièrement dédié au sport et aux sportifs. Ainsi, il n’est plus directement en charge des politiques liées au secteur de la jeunesse. M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, pourra, juste après moi, vous répondre utilement sur les aspects concernant la politique de prévention en matière de drogue menée par le gouvernement en direction de notre jeunesse.

Je tiens également à préciser qu’il convient de bien distinguer les substances ou procédés de dopage, d’une part, et les drogues illicites proprement dites, d’autre part. Le dopage, en effet, concerne les substances ou les procédés qui sont proscrits ou soumis à autorisation sous certaines conditions dans le cadre de la pratique sportive.

Ces produits dopants, comme les procédés de nature à modifier artificiellement les performances sportives, sont inscrits sur une liste officielle, les drogues illicites considérées comme dopantes ne constituant qu’une infime partie des produits dopants inscrits sur cette fameuse liste.

Cela étant précisé, j’attache une très grande importance à la définition des objectifs à atteindre et des moyens dont nous disposons pour mener une politique efficace contre le dopage.

Ainsi que le président de la République l’a rappelé lors de la clôture des Etats généraux du sport, le 8 décembre dernier, "le dopage n’est pas une dérive du sport, c’est l’anti-sport". Le dopage, parce qu’il repose sur la tricherie, détruit la force éducatrice du sport. En outre, il compromet gravement la santé de ceux qui le pratiquent.

La politique de lutte contre le dopage, politique indispensable, repose sur trois objectifs totalement indissociables à mes yeux :

l’interdiction de l’usage de produits visant à l’amélioration de la performance sportive ;

la protection de la santé des sportifs ;

la préservation de l’exemplarité du sportif.

C’est la raison pour laquelle il me paraît important de revenir progressivement sur la distinction entre les deux catégories de produits : ceux qui sont interdits lorsque le sportif est en compétition et ceux qui sont interdits en dehors des compétitions.

En effet, si cette distinction devait être pérennisée, comme le souhaitent certains pays anglo-saxons ou du nord de l’Europe (je sais que vous vous rendrez prochainement aux Pays-Bas, un pays qui essaie de séparer ces deux types de produit), les drogues sociales ne seraient désormais interdites qu’en compétition seulement. Or je tiens à vous préciser que les cannabinoïdes représentent depuis quelques années plus de 20 % des substances détectées par le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD).

C’est pour infléchir l’évolution de la liste des produits prohibés que j’ai souhaité intervenir au plan international.

Comme vous le savez, la France a mis en place depuis de nombreuses années tous les outils de nature à mener une action efficace, mais elle ne peut lutter seule contre cette dérive du sport. Bien au contraire, il lui appartient de jouer un rôle moteur pour franchir une nouvelle étape internationale et faciliter ainsi la convergence des politiques nationales.

Notre pays est lié depuis 1989 par une convention internationale signée dans le cadre du Conseil de l’Europe, et c’est à ce niveau que les listes de produits interdits sont élaborées. Une fois validées, ces listes sont ensuite introduites dans notre droit interne.

C’est à l’occasion de l’élaboration de cette liste que la France s’efforcera de convaincre ses partenaires pour que la distinction entre les deux listes — compétition et hors compétition — soit progressivement supprimée.

Le sommet mondial contre le dopage, qui s’est tenu à Copenhague en mars dernier, a permis d’adopter les grandes lignes d’un code mondial contre le dopage. C’est à ce niveau international, élargi au Comité international olympique (CIO) et à l’Agence mondiale contre le dopage (AMA), que notre action devra ensuite s’inscrire pour obtenir l’unification de la liste des produits dopants.

En second lieu, mesdames et messieurs, je souhaite évoquer devant vous les moyens dont nous disposons dans le cadre des résultats déjà obtenus dans la lutte contre le dopage. La politique de la France repose sur quatre domaines d’intervention complémentaires : la prévention, le contrôle antidopage, les sanctions et, enfin, la répression des trafics.

En ce qui concerne la prévention, notre action passe avant tout par le volet du suivi médical des sportifs. Il s’agit de vérifier qu’un sportif est capable, tout au long de l’année, de supporter les charges de l’entraînement et des compétitions auxquelles il est astreint.

Un décret d’application de la loi du 23 mars 1999 codifiée dans le code de la santé publique permettra de définir les examens en tenant compte des différents niveaux de pratiques et des familles de sports. Ce texte est aujourd’hui concerté tant avec le mouvement sportif qu’avec les autorités médicales.

Le ministère des sports a également mené à bien la mise en place d’un réseau de prévention et de soins avec la création, d’une part, d’un numéro vert national et, d’autre part, d’antennes médicales de lutte contre le dopage (AMLD) dans chaque région.

Le numéro vert, dont je pourrai vous donner la définition, permet d’offrir au sportif et à sa famille la possibilité d’un premier contact informel et anonyme avec des psychologues et des médecins. Ce contact devrait être poursuivi par les AMLD qui, outre le conseil, apportent le soin grâce à des consultations elles aussi gratuites et anonymes.

Je me propose de lancer très prochainement une campagne de communication pour inciter davantage les sportifs à utiliser ces nouvelles structures. Le numéro vert sera bien évidemment largement associé à cette campagne et le mouvement sportif, par l’intermédiaire des fédérations sportives nationales, sera, lui aussi, sollicité.

Je procéderai à la fin de l’année 2003 à une évaluation de ces structures. Il conviendra en particulier de s’interroger sur l’appellation des antennes et sur leurs missions qui pourraient être renforcées dans le domaine de la prévention.

Je souhaite, à la suite de la présentation de ce premier volet, insister particulièrement sur un aspect de notre dispositif de prévention.

Les sportifs de haut niveau, eu égard aux contraintes dont ils font l’objet pendant leur carrière sportive, sont particulièrement vulnérables et fragilisés pendant une certaine période de leur vie de sportif. Cela est vrai, par exemple, en cas de blessure ou dans le domaine de la reconversion, quand ces athlètes arrivent à la fin de leur carrière sportive.

J’envisage donc des actions de sensibilisation au sein des établissements du ministère des sports : les Centres régionaux d’éducation populaire et de sport (CREPS) et l’Institut national du sport (INSEP), basé dans le bois de Vincennes. Ces actions de sensibilisation permettront d’apporter une réponse particulière à ces périodes de fragilité pour les athlètes de haut niveau. Un module pourrait être ainsi mis en place avec la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). J’en ai d’ailleurs fait la remarque et la demande à M. Didier Jayle lors d’un récent entretien.

Je passe au deuxième volet de notre action : les contrôles antidopage, pour lesquels j’ai voulu préciser des objectifs à la fois quantitatifs mais, surtout, qualitatifs.

8 500 contrôles seront réalisés cette année, soit une augmentation d’environ 10 % par rapport à l’année dernière. Par ailleurs, je me suis employé à faire en sorte que les délais d’analyse du LMDD soient raccourcis. Ils sont maintenant en moyenne de quinze jours alors qu’ils pouvaient atteindre pratiquement six mois en 2001 et au début de l’année 2002.

Dans ce domaine des contrôles, les contrôles inopinés, ceux qui se passent hors compétitions, seront augmentés pour atteindre 50 % des contrôles, et une attention toute particulière sera portée sur le secteur du sport professionnel.

De plus, il convient de rappeler que nous sommes à dix-huit mois des jeux olympiques d’été qui se dérouleront à Athènes en août 2004. Tous les sportifs susceptibles d’être sélectionnés dans la délégation française olympique, au-delà du suivi médical dont ils bénéficient et dont je vous ai parlé précédemment, feront l’objet d’un contrôle antidopage préalable.

Il me paraît opportun de vous communiquer deux informations significatives au sujet de la recherche de produits.

D’une part, l’année 2001 a été marquée par la mise au point d’une méthode très novatrice de détection de l’érythropoïetine, la fameuse EPO, dont on a très souvent entendu parler. Ces contrôles sont aujourd’hui en très forte augmentation sur notre territoire.

D’autre part, l’année 2002 s’est caractérisée par une recherche systématique des corticoïdes dans toutes les disciplines. C’est également une substance de plus en plus utilisée par les sportifs.

Je tiens également à insister sur l’importance, dans le domaine du sport, de la consommation de cannabis, qui a représenté jusqu’à 25 % des substances détectées (23 % en 2000, 25 % en 2001 et 21 % en 2002), ce qui nous renvoie à la question de l’usage de drogues sociales.

En ce qui concerne le troisième volet, les sanctions, vous savez qu’en France, une autorité indépendante, le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD) a un pouvoir de substitution ou de réformation des sanctions disciplinaires fédérales. C’est une singularité de notre pays. D’ailleurs, la France a obtenu, lors du sommet antidopage de Copenhague, une période transitoire d’adaptation des réglementations nationales au code mondial antidopage. Pendant cette période, le rôle du CPLD sera maintenu tant qu’un instrument de droit international, qui permettra aux Etats de reconnaître l’AMA et son code, n’aura pas été adopté.

Dans le domaine des contrôles, j’ai bien conscience que la chaîne allant du contrôle proprement dit aux sanctions implique des délais encore trop longs. Ainsi, je suis favorable à un renforcement des compétences en la matière du CPLD qui, tout en renforçant l’efficacité et la coordination de la mise en place des contrôles, devra également en préserver la confidentialité. Cette évolution devra cependant prendre en compte l’environnement international et, tout particulièrement, le mode d’organisation des contrôles dépendant, d’une part, des fédérations internationales et, d’autre part, des Etats.

Le dernier volet concerne la répression du trafic des produits dopants. Je vous rappelle que sera bientôt publié un décret (il aurait dû l’être beaucoup plus en amont) qui vise à réprimer ce trafic grâce notamment

à la mise en place d’une commission au niveau régional comprenant des représentants du ministère de l’intérieur, des douanes, du parquet et de la Direction de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que des services régionaux de la jeunesse et des sports ;

à un meilleur échange d’informations entre les services que je viens de citer (il en est ainsi des résultats mensuels des analyses du Laboratoire national de dépistage du dopage ou des éléments d’identification sur les produits saisis).

Ce texte vient formaliser et officialiser des expériences qui s’étaient déjà développées au sein des services régionaux du ministère des sports, par exemple en Île-de-France.

Je souhaite, madame la Présidente, mesdames et messieurs les Sénateurs, réaffirmer devant vous ma détermination totale pour aborder les questions de dopage au plan international. C’était le sens du sommet de Copenhague.

C’est aussi le sens de la modification du traité de l’Union européenne que nous soutenons dans le cadre de la future convention sur l’avenir de l’Europe. Elle vise à créer une compétence d’appui communautaire dans le domaine du sport qui permettra éventuellement d’harmoniser les politiques nationales contre le dopage.

Je suis convaincu — ce sera ma conclusion — que le combat ne pourra être efficace que si nous continuons à l’aborder globalement et au niveau pertinent, c’est-à-dire au niveau international.

Mme la Présidente. - Monsieur le Ministre, nous vous remercions beaucoup de cet exposé qui a le mérite d’être d’une grande clarté et d’une grande transparence et qui manifeste — on le sait quand on vous connaît — une grande volonté de mettre un terme à ces dysfonctionnements qui discréditent parfois l’image du sport au détriment de ceux qui ne font rien de mal et qui méritent d’être mis en avant.

Si vous en êtes d’accord, c’est maintenant M. le Rapporteur qui va vous poser un certain nombre de questions, après quoi je pense que mes collègues vous en poseront d’autres.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur. - Monsieur le Ministre, à travers vos propos, on comprend (et on ne peut évidemment pas en être surpris) que vous avez une conception positive de la santé qui cherche l’amélioration permanente du bien-être général. Je voudrais donc savoir comment vous situez votre action en regard de celle qui est menée par d’autres ministères, celui de l’éducation nationale et celui de la santé, qui ont peut-être une conception un peu plus négative de la santé, si je puis dire, considérée comme l’absence de maladie. De quelle façon les politiques que vous menez les uns et les autres peuvent-elles se coordonner pour être efficaces ?

J’ai une deuxième question. La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (la MILDT) a eu ces dernières années une politique de réduction des risques qui a eu évidemment des effets positifs mais aussi, sans doute, des effets pervers, dans la mesure où elle a pris acte de la consommation de drogues et de stupéfiants dans notre pays et a pratiquement dédouané l’usage de certains en considérant qu’un usage raisonné de produits stupéfiants était inévitable et qu’il fallait simplement essayer d’en éviter les risques maximum. Cela pose évidemment un problème par rapport à la conception positive de la santé dont je parlais tout à l’heure.

Je voudrais donc que vous me disiez comment vous jugez, d’une façon générale, les actions qui ont été menées par la MILDT en direction des jeunes et, accessoirement, dans la foulée, quelles priorités vous avez définies avec la MILDT pour son prochain plan quinquennal.

M. Jean-François LAMOUR. - Je commencerai par la manière dont nous mettons en cohérence les politiques portées par les différents secteurs gouvernementaux.

Comme vous l’avez compris, la priorité du ministère des sports est d’établir des procédures de contrôle et, bien évidemment, de suivre, au travers soit des fédérations nationales, soit du CPLD, qui a autorité en la matière, la mise en place des procédures, lors de la détection d’un cas positif, qui peuvent amener à la sanction. Nous sommes là, bien évidemment, dans la logique de la lutte contre la tricherie, qui est le positionnement le plus visible de l’action du ministère dans ce domaine, celui qui est en tout cas le plus médiatique et qui fait parler le plus de lui, à la condition, bien évidemment, que nous soyons compris.

C’est tout l’intérêt de la rédaction du code mondial antidopage, qui est un texte de référence en ce qui concerne la liste des produits ou des indications thérapeutiques d’un certain nombre de produits et qui nous permettra de ne pas avoir de différences trop importantes entre deux sportifs de sports différents qui seraient contrôlés positifs à tel type de produit et qui subiraient des sanctions totalement différentes d’un sport à un autre.

C’est la première logique, celle qui est la plus visible dans le cadre de la lutte antidopage, et je répète que c’est un dispositif qui a été depuis longtemps mis en place au niveau national.

La partie immergée de l’iceberg, celle qui est la plus difficile à prendre en compte, c’est celle de la prévention. Je vous ai parlé d’un certain nombre d’outils que nous pouvons utiliser dans le cadre de ce volet de la prévention : le numéro vert, les antennes médicales qui sont réparties sur l’ensemble du territoire et une action permanente, au travers des fédérations, des conventions d’objectifs que le ministère signe avec les fédérations sportives nationales sur l’axe d’information et de prévention au travers des clubs.

Là aussi, il existe un certain nombre d’outils de sensibilisation et d’information qui nous permettent, pratiquement quotidiennement, d’informer les licenciés. C’est là que j’insiste sur le principe de la pratique du sport en club. Ce réseau des clubs nous permet en effet de toucher beaucoup plus facilement les jeunes qui y sont inscrits, alors que nous rencontrons une grande difficulté pour tous les sportifs qui pratiquent en dehors des clubs ou de la licence.

Par exemple, dans le domaine du bodybuilding, dans un certain nombre de salles de musculation, même si ce n’est pas la majorité, certaines pratiques consistent à utiliser des produits anabolisants que l’on peut obtenir grâce à Internet ou des compléments alimentaires qui viennent d’un certain nombre de pays, d’ailleurs européens, dans lesquels la vente est autorisée. C’est là que se posent les problèmes : nous n’avons pas directement la capacité d’intervenir car ce ne sont pas des sportifs licenciés qui travaillent dans des clubs.

J’insiste donc beaucoup sur cette logique — nous le faisons au travers des fédérations sportives et du Comité national olympique et sportif français — qui consiste à inciter les jeunes à s’inscrire dans des clubs dans lesquels ils sont encadrés par des bénévoles et, surtout, des éducateurs qui sont tous formés à ces problématiques de lutte contre le dopage.

Nous disposons donc, au sein même du ministère, d’un certain nombre d’outils que nous pouvons évidemment mettre à la disposition d’autres secteurs ministériels, notamment celui de l’éducation nationale. Nous savons aussi que, dans le domaine des drogues sociales, une politique est en place, mais Luc Ferry vous en parlera bien mieux que moi.

Encore une fois, je crois que c’est surtout un état d’esprit qu’il faut savoir instaurer au travers de la chaîne des clubs, des éducateurs et des dirigeants bénévoles. Pour tout dire, je pense qu’après la période de forte sensibilisation qu’a constitué le Tour de France 1998, le mouvement sportif est beaucoup plus sensibilisé à cette problématique, tous sports confondus, qu’avant 1998. Il nous faut maintenant continuer cet effort et adapter les outils à la population concernée et, plus particulièrement, à la population des jeunes licenciés qui s’inscrivent dans les clubs.

J’en viens à votre question concernant les rapports du ministère avec la MILDT, qui a eu précédemment une sorte de volonté de lier la consommation de drogues sociales et les conduites dopantes. Je ne pense pas que cette appréciation soit pertinente et, encore une fois, je m’en suis ouvert à Didier Jayle quand je l’ai rencontré.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, j’ai ressenti, en tant qu’athlète de haut niveau, cette grande fragilité que peut rencontrer un athlète, soit quand il est blessé, soit quand ses résultats sont mauvais, soit quand il aborde sa période de reconversion, période où il quitte un milieu où il est entouré et assisté dans sa démarche d’athlète de haut niveau et où il rencontre, à l’issue de cette carrière de haut niveau, la vie professionnelle avec tout ce que cela peut comporter comme dureté et incertitudes.

Sur ces trois étapes, la blessure, le manque de résultat et la période de reconversion, l’athlète est très fragile. J’ai donc demandé à la MILDT de nous proposer un module d’information et de sensibilisation. La MILDT serait ainsi à même de se déplacer dans un certain nombre d’établissements du ministère, par exemple les CREPS, l’INSEP ou les autres écoles nationales (vous savez que le ministère dispose de trois écoles : l’Ecole nationale de voile, celle d’équitation et celle d’alpinisme et d’escalade), pour présenter ce module de sensibilisation et d’information que nous proposerons aux jeunes qui intègrent ces écoles ou ces établissements dans le cadre des filières de haut niveau, ce qu’on appelle les pôles espoirs ou les pôles France.

Si nous voulons être efficaces — c’est ma volonté —, je crois que la MILDT peut beaucoup nous apporter dans ce domaine.

M. le Rapporteur. - La très grande majorité des crédits délégués par la MILDT est affectée aux directions départementales de la jeunesse et des sports qui, à leur tour, soutiennent des actions locales. Je voudrais donc savoir quels sont les critères d’attribution des crédits aux associations, s’il existe un suivi régulier des actions de ces associations et si vous avez un système permettant d’évaluer l’opportunité de l’utilisation et de l’impact des actions qui sont menées.

M. Jean-François LAMOUR. - Comme je vous l’ai dit dans mon introduction, les crédits sont sur le secteur jeunesse. Il appartient donc à Luc Ferry de vous répondre dans ce domaine. C’est pourquoi nous avons engagé, en relation avec la MILDT et le ministère des sports, des actions précises que je vous ai identifiées tout à l’heure.

M. le Rapporteur. - Quels sont vos rapports avec le CPLD ?

M. Jean-François LAMOUR. - Le CPLD a deux fonctions principales.

Tout d’abord, il tient le rôle d’expert aux côtés du ministère des sports. A chaque évolution des procédures, par exemple du code ou de la liste des produits interdits, le CPLD apporte au ministère son avis et son expertise quand, par exemple, comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, on se trouve en présence de deux listes, l’une pour les contrôles hors compétitions et l’autre pour les contrôles pendant les compétitions. C’est une expertise ou un avis qui nous est très utile dans la position qu’adopte ensuite le ministère des sports.

Quand je vous ai dit que je suis intervenu au niveau international pour que nous n’ayons qu’une liste, c’est bien évidemment après avoir entendu l’avis du CPLD en la matière.

Cela vaut également (mais nous entrons là dans des domaines beaucoup plus techniques et précis) sur les taux à partir desquels il faut inscrire ou non les substances qui apparaissent sur la liste. Le CPLD est habilité, à travers son collège d’experts, à nous apporter son expertise et son avis.

Le deuxième volet d’intervention du CPLD, qui n’est pas négligeable, concerne sa capacité de se saisir d’un certain nombre de dossiers quand il estime que les fédérations nationales ne poursuivent pas les procédures réglementaires dans le cadre d’un contrôle positif et, surtout, quand il s’agit de sportifs étrangers non licenciés en France qui ont participé à une compétition sur le sol français et qui ont ensuite quitté notre pays. Le CPLD est habilité à suivre ces dossiers, d’en alerter la Fédération internationale et de vérifier si celle-ci engage les procédures en direction de ces sportifs qui ont été contrôlés positifs. En tout cas, il est habilité à poser un certain nombre de questions à la fédération internationale pour savoir si tel produit, sous certaines conditions, a été appliqué aux athlètes concernés.

M. le Rapporteur. - J’en viens aux problèmes de drogue et de dopage. Je parle volontairement de ces deux notions parce que vous avez évoqué tout à l’heure le cannabis qui est utilisé sans doute comme dopant.

M. Jean-François LAMOUR. - Je me permets de vous couper. Avec le cannabis, on entre dans la limite des deux secteurs et on est confronté surtout à une grande difficulté. Comme vous le savez, cette substance se concentre dans les graisses et peut donc toujours être détectée trois semaines ou un mois après la prise, surtout quand il s’agit d’une consommation régulière. Il est donc très difficile de savoir, en termes techniques, si cette prise a été effectuée le jour de la compétition, la veille, l’avant-veille ou à un moment qui ne correspond pas à une période d’entraînement ou de compétition.

En fait, je préfère de ne pas entrer dans la logique de savoir à quel moment le produit a été consommé. Je vous rappelle simplement les trois volets qui, pour moi, sont très importants dans la lutte contre le dopage : la tricherie, la protection de la santé et l’exemplarité du sportif. C’est bien ce dernier domaine qui est concerné par la prise de cannabis et c’est bien le principe de l’exemplarité qui a été mis en cause dans un exemple récent.

M. le Rapporteur. - C’est peut-être à l’affaire du rugbyman De Villiers que vous pensez en particulier.

M. Jean-François LAMOUR. - Comme il y a une procédure en cours, je ne tiens pas à m’exprimer sur ce cas particulier du rugbyman que vous évoquez.

M. le Rapporteur. - Mais nous sommes bien, avec ce type de cas, dans le domaine de l’exemplarité du sportif.

M. Jean-François LAMOUR. - Cela pourrait être typiquement un dossier qui concerne l’exemplarité de la démarche d’un sportif, en effet. Comment expliquer ensuite à des parents qu’ils ont tout intérêt à inscrire leur enfant dans un club s’ils s’aperçoivent que le sportif en question a un comportement qui ne correspond pas à une référence que nous nous faisons en matière de conduite sociale comme de conduite sportive ?

Cela dit, je ne souhaite pas, encore une fois, m’exprimer sur un cas qui est encore dans le cadre d’une procédure.

M. le Rapporteur. - Je le comprends. J’évoquais simplement le cannabis pour les raisons que vous avez vous-même évoquées. Quand vous dites que vous ne voulez pas entrer dans la question de savoir à quel moment la prise a eu lieu, il y a tout un débat sur ce point. La présence de principe actif plusieurs semaines après la prise ne peut-elle pas avoir les mêmes conséquences, en cas de relargage du principe actif qui a été stocké dans les graisses, que la gestion primaire ?

En tout état de cause, il y a évidemment les effets que cela peut avoir sur la performance sportive, mais aussi, tout simplement, la dérive que constitue la prise d’un produit illicite.

Ma question est donc la suivante : comme c’est un sujet de préoccupation pour vous, pouvez-vous me dire sous quel angle ce problème est abordé dans les conventions d’objectifs avec les fédérations ? L’est-il sous l’angle du dopage ou sous celui de la drogue proprement dite, c’est-à-dire de la prise de stupéfiants, et y a-t-il vraiment un suivi des actions que peuvent mener les fédérations dans ce domaine ? Je pense en effet qu’elles ont un rôle primordial de prévention à jouer pour que les sportifs soient les premiers à donner l’exemple dans les fédérations et dans les clubs en ne consommant pas ce type de produits illicites.

Enfin, si les fédérations ne respectent pas les conventions d’objectifs, y a-t-il des sanctions ?

M. Jean-François LAMOUR. - La gestion des relations entre les fédérations sportives et le ministère des sports estassez particulière et repose essentiellement sur deux axes.

Le premier, ce sont les conventions d’objectifs, comme vous l’avez rappelé. C’est effectivement le moyen, pour le ministère, de faire une évaluation des projets de développement de la fédération, de la préparation des athlètes et du développement de l’activité sur notre territoire. C’est aussi un moyen de faire une évaluation qui n’est pas simple à réaliser parce que, encore une fois, le ministère ne dispose peut-être pas de personnel en nombre suffisamment important pour veiller à ce que le contrôle et l’évaluation de ces politiques soient menés comme ils devraient l’être.

Le deuxième axe est un lien indéfectible qui existe entre l’Etat et les fédérations : celui des cadres techniques. Le ministère dispose d’environ 1 600 cadres techniques sportifs (CTS) qui sont placés auprès des fédérations et qui jouent un rôle très important de maillage sur l’ensemble du territoire, non seulement au niveau régional mais, surtout, au niveau national. Ce sont eux qui apportent l’information aux clubs et aux filières, qui font remonter l’information et qui sont en capacité de coordonner l’action d’un certain nombre d’éducateurs de clubs locaux ou de structures de dimension départementale ou régionale. Ces cadres sont bien évidemment formés et informés des différentes dispositions en matière de lutte antidopage.

Dans le cadre d’une restructuration du ministère, puisqu’il s’agit désormais d’un ministère des sports, et d’une meilleure prise en compte de la gestion des ressources humaines, j’ai souhaité mettre en place un plan quinquennal de formation initiale et continue de ces cadres techniques qui sont, pour la grande majorité d’entre eux, recrutés au niveau des professeurs de sport. C’est effectivement le concours des professeurs de sport qui amène ces cadres à être placés auprès des fédérations.

Dans le cadre de la restructuration et de la réforme de la formation de ces cadres, je me suis engagé à revoir la formation initiale, dans laquelle nous ferons une place plus importante à cette sensibilisation à la lutte contre le dopage sous toutes ses formes, tout autant sur les produits dopants classiques (anabolisants et autres) que sur les drogues sociales comme le cannabis.

M. le Rapporteur. - J’ai une dernière question, monsieur le Ministre. Une bonne connaissance des problèmes des stupéfiants et de leur dangerosité est-elle au programme des différents diplômes professionnels ou non professionnels et estimez-vous que la connaissance, dans ce domaine, des différents cadres et des différents diplômés est satisfaisante ? Autrement dit, toutes ces personnalités qui ont un rôle éducatif important, puisqu’il s’agit du domaine du sport, sont-elles bien sensibilisées, alertées et formées aux problèmes que posent le dopage mais aussi les stupéfiants, d’une manière générale, pour avoir un rôle aussi utile qu’il le faut ?

M. Jean-François LAMOUR. - Nous avons des campagnes de sensibilisation et d’information qui concernent les deux piliers des clubs, c’est-à-dire les dirigeants bénévoles et les éducateurs, qui sont de plus en plus professionnels. Cependant, ce ne sera jamais assez le cas, bien évidemment. Il faut faire évoluer cette formation et cette sensibilisation sur de nouveaux procédés de dopage et de nouvelles dérives, car vous savez que tout évolue.

Le code et la liste des produits dopants évoluent chaque année : on découvre chaque année de nouveaux procédés dopants, de nouveaux moyens de détourner la loi et de tricher. Il faut donc que nous soyons en capacité d’avoir ce lien permanent grâce au réseau des clubs, des éducateurs et des dirigeants bénévoles et, surtout, de faire évoluer cette information en fonction de l’évolution des procédures, des produits et des procédés en temps réel.

Pour tout vous dire, c’est la grande difficulté, et je crois d’ailleurs que la MILDT peut nous être d’un grand secours dans ce domaine, car elle peut être en capacité de nous apporter un certain nombre d’éléments d’information, mais le Conseil de prévention et de lutte antidopage, le Laboratoire national de dépistage du dopage et ces structures de niveau régional dont je vous ai parlé et qui permettent de regrouper à la fois les douanes et les différents services de lutte contre la fraude, joints à ceux du ministère de l’intérieur et à ceux du ministère des sports, nous permettront d’être efficaces au plus près du terrain.

La grande difficulté, comme toute mise en place de nouvelles politiques au niveau national, c’est d’être en capacité de toucher, là où il le faut, les jeunes, les éducateurs et les bénévoles. Le niveau régional permet justement d’aller au plus près des préoccupations avec différents dispositifs, comme le numéro vert ou les antennes médicales, qui constituent de bons relais.

Encore une fois, à partir du moment où on a la volonté, pour être efficace sur le terrain, il faut avoir des relais efficaces, au-delà des moyens, tant en ce qui concerne la circulation de l’information au niveau des différents services de l’Etat qu’en ce qui concerne la sensibilisation des jeunes, des adultes, des éducateurs et des bénévoles au plus près, c’est-à-dire dans les clubs.

M. le Rapporteur. - Monsieur le Ministre, merci.

Mme la Présidente. - Je vais vous demander d’avoir la gentillesse de rester encore un peu avec nous pour répondre aux questions de nos collègues. J’ai des demandes de parole de M. Mahéas, M. Chabroux et de M. Demuynck. Ils vont poser leurs questions de façon globale, ce qui vous permettra de faire une réponse groupée non pas pour gagner du temps mais parce que les questions se regroupent parfois d’elles-mêmes, ce qui permet de concentrer les réponses.

M. Jacques MAHÉAS. - Dans nos banlieues, le sport de masse permet de lutter efficacement contre la délinquance. Les élus que nous sommes le constatent. C’est un moyen sain et agréable d’occuper nos jeunes. Seulement, on se trouve maintenant devant des jeunes qui ont pour idole, surtout dans les sports qui brassent beaucoup d’argent, des individus qui, parfois, se dopent. On constate ainsi qu’à des niveaux assez bas de compétitions sportives, on aurait tendance à trouver des jeunes qui se dopent pour sublimer telle ou telle performance et qui, eux, ne sont pas vérifiés, ou très peu. Si on n’est pas en division nationale, le match de football n’est quasiment pas vérifié.

Par conséquent, j’appuie toute démarche du législateur vers une solution (je souhaite avoir votre réflexion sur ce point, monsieur le Ministre, mais encore faudrait-il que tous les pays fassent de même, sans quoi les compétitions sportives seront biaisées) permettant de trouver des moyens pour que ces idoles des jeunes soient irréprochables.

Vous en avez parlé, effectivement, mais il faut que ce soit fait avec force, parce que ce sont, d’une façon indirecte, des éducateurs de jeunes. Même s’ils ne prennent pas des jeunes en charge ou s’ils ne les entraînent pas, ils font partie de l’éducation des jeunes.

C’est une réflexion qui m’amène à vous poser la question suivante : que pourrait-on faire au point de vue législatif pour introduire dans la législation quelque chose de supplémentaire à partir du moment où il s’agit d’éducateurs ? Demême qu’en matière de sécurité routière, il y a des circonstances aggravantes, il y a quelques métiers dans lesquelles il y a des circonstances aggravantes.

Ma deuxième question concerne les fédérations. Je vais tâcher de ne pas dire trop de mal, mais les fédérations sportives ont une culture du résultat et non pas toujours de la participation. Si j’étais responsable d’une fédération sportive, ma première idée serait la participation de masse au sport. Or ce n’est pas le cas dans deux fédérations sur trois. Il existe en effet des sports plus ou moins prestigieux : à Neuilly-sur-Marne, où l’on donne le départ du Paris-Colmar, on n’a jamais découvert de gens qui se dopaient dans ce sport, la marche, qui est extrêmement difficile.

Je voudrais donc savoir comment le ministère peut intervenir pour modifier l’état d’esprit et obtenir plus de démocratie dans certaines fédérations — le mot est lâché — à travers des élections plus structurées et beaucoup moins de cooptation.

M. Gilbert CHABROUX. - Monsieur le Ministre, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt ce que vous avez dit. Votre exposé vraiment très intéressant nous a apporté des informations, mais je voudrais savoir si on peut se faire une idée assez précise de l’importance du dopage dans le sport. Quel est le tableau par rapport aux différentes disciplines sportives ?

On a en mémoire un certain nombre d’affaires auxquelles vous avez fait allusion, notamment le Tour de France 1998 et le problème d’un joueur de rugby, mais bien d’autres faits ont défrayé la chronique. Peut-on savoir ce que représente le dopage et si c’est un phénomène très répandu dans tous les sports ? J’ai plutôt l’impression que cela reste assez limité et qu’il ne faut pas incriminer tous les athlètes.

Je voudrais savoir ce que vous en pensez, quelle image ou idée vous en avez et quelle évolution vous ressentez. Vous avez dit qu’il y a eu une forte sensibilisation en 1998. Cela a-t-il donné des résultats et la pratique du dopage s’est-elle vraiment trouvée réduite et a régressé ?

Vous avez dit aussi qu’il y avait des évolutions, avec des produits et des procédés nouveaux. Pouvons-nous en avoir une idée ? Quels sont les principaux produits dopants nouveaux et qu’est-ce qui apparaît sur le marché ? On a l’impression que l’on ne saisit pas tout, que l’on ne comprend pas tout et que l’idée que l’on se fait du dopage dans le sport est un peu incomplète, pour ne pas dire erronée. Avez-vous quelques éclairages à nous apporter à ce sujet ?

M. Christian DEMUYNCK. - Monsieur le Ministre, nous avons bien compris votre volonté de lutter avec efficacité contre le dopage et la drogue, et vous avez évoqué dans votre exposé la nécessaire cohérence de la lutte contre le dopage dans les différents pays, notamment au niveau européen. Pouvez-vous nous dire où vous en êtes aujourd’hui, si vous pensez pouvoir aboutir ou s’il y a vraiment une différence de conception entre les positions française, hollandaise et celles d’autres pays ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le numéro vert et ma question viendra en complément de ce qu’ont dit mes collègues. Il est vrai que l’on a du mal à se faire une idée de ce qui se passe vraiment dans le sport amateur. Ce numéro vert vous permet-il de faire une différence entre les sportifs amateurs et professionnels, qu’est-ce qui vous est demandé et cela vous permet-il d’infléchir les orientations que vous prenez dans ce domaine ?

Enfin, concernant les contrôles, pouvez-vous nous dire quelle est la part de contrôle chez les professionnels et chez les amateurs ? Je partage pour une fois l’avis de mon collègue Jacques Mahéas, car il semblerait qu’il y ait effectivement une augmentation des prises de produits dopants chez les amateurs. Je voudrais donc savoir si ce contrôle vous permet d’aller au niveau des fédérations ou des éducateurs et quelles sanctions sont prévues au niveau des clubs et des amateurs, notamment dans le cyclisme, qui sont amenés à se doper ?

Mme la Présidente. - Monsieur le Président Gouteyron, votre question est-elle dans le même registre ? Sinon, je vous donnerai volontiers la parole après la réponse de M. le Ministre.

M. Adrien GOUTEYRON. - Si elle n’est pas tout à fait dans le même registre, au moins a-t-elle des points de contact avec celles qui ont été posées.

Je voulais interroger M. le Ministre sur l’application de la loi qu’a fait voter le gouvernement précédent et qui avait pour objectif principal de lutter contre le dopage. Le Sénat en a longuement débattu (c’est même au Sénat que cette loi avait été déposée), et je pense donc qu’il serait intéressant que le ministre nous dise comment il voit les choses, quelle a été l’efficacité de ce dispositif mis en place et s’il a des données chiffrées sur ce sujet. Je pense que c’est indispensable, parce qu’on arrive au moment où il faut faire le point de l’application de ce texte important.

J’avais aussi une question subsidiaire ou un peu décalée par rapport à la précédente. On dit beaucoup que la surcharge des calendriers sportifs et les compétitions qui s’ajoutent aux compétitions — je pense aux professionnels,évidemment — sont facteurs de dopage. Peut-on avoir des indications sur ce point et une action est-elle envisageable dans ce domaine ou bien se contente-t-on de lever les bras au ciel en disant qu’on n’y peut rien ?

Mme la Présidente. - Merci. Monsieur le Ministre, je vous donne la parole très volontiers pour une longue réponse à ces nombreuses interrogations.

M. Jean-François LAMOUR. - Je vais essayer de reprendre ces questions dans l’ordre.

Monsieur le Sénateur, il y a un mot qui m’a un peu choqué tout à l’heure dans votre présentation de la pratique sportive dans notre pays : celui de "l’occupation des jeunes."

M. Jacques MAHÉAS. - Je retire l’expression si elle vous choque.

M. Jean-François LAMOUR. - C’est un terme que je refuse de voir employer, même si nous pourrions bien sûr en débattre. Pour moi, l’occupation des jeunes ne signifie pas qu’on va leur donner une balle et les faire jouer au football ; l’idée est qu’ils aient en face d’eux un éducateur bien formé, comme je l’ai dit tout à l’heure, qui soit en mesure d’être une référence pour eux afin que, tout autant que s’il s’agissait d’un grand champion, ils soient heureux d’être aux côtés de cet éducateur pour progresser.

A mon avis, la compétition, pour un jeune comme pour un adulte, ce n’est pas simplement de se retrouver, lors d’une compétition internationale, sur la plus haute marche du podium avec une médaille autour du cou. Pour moi, le sport n’a de vraie valeur que lorsque cette notion de progression, même minime, existe, et qu’elle se fait surtout, d’une part, dans un club et, d’autre part, au contact d’un éducateur de grande qualité.

C’est peut-être dans le cadre de cette politique sportive que l’on a pu connaître précédemment, cette volonté, finalement, de faire du nombre au détriment de la qualité, que l’on peut éventuellement voir des jeunes qui se désintéressent de la pratique sportive parce que l’offre qui leur est faite n’est pas de qualité.

Au-delà de l’exemplarité que vous avez évoquée et qui est celle de nos grands champions qui doivent être exemplaires, j’en reviens au troisième volet de la lutte antidopage : cette éthique qui fait que le sportif avance, qu’il est un exemple pour les jeunes, et qui, encore une fois, fait partie pour moi du dispositif de lutte antidopage. A partir du moment où un sportif ne se comporte pas comme un exemple pour les jeunes, il doit être fortement sanctionné.

M. le Rapporteur a évoqué tout à l’heure le cas d’un sportif connu qui s’est effectivement, si tout cela est vérifié, mal comporté. L’exemplarité tombe totalement, le château de cartes s’écroule et le gamin n’a plus de repères.

Vous disiez que les sportifs amateurs ne sont pas contrôlés. Sachez que les directions régionales ont toutes les instructions pour aller justement les contrôler et qu’il est fait 8 500 contrôles par an. Je pense que nous sommes le pays qui pratique le plus de contrôles. Les Etats-Unis ont à peine, pour la population de sportifs qui les concerne, cinq à six mille contrôles par an, et je suis peut-être même au-delà de la vérité.

Pour moi, la priorité — cela a été évoqué également — se place au niveau international. J’entends par là qu’il ne s’agit pas d’avoir une très belle loi (je reviendrai ensuite sur son application) en France. Il faut que nous soyons en capacité de mettre en cohérence l’ensemble des politiques nationales, tout simplement parce que le dopage, la tricherie et les trafics de produits dopants n’ont pas de frontières. Les compétitions internationales accueillent, sur notre sol mais aussi ailleurs, l’ensemble des athlètes internationaux et il faut absolument mettre en cohérence tous les dispositifs de lutte antidopage. C’est l’étape suivante de l’objectif qu’il nous faut atteindre.

Concernant les fédérations sportives, monsieur le Sénateur, je serai bien évidemment beaucoup moins dur que vous.Je vous rappelle que ce sont des gens qui sont bénévoles, dans leur grande majorité, et qui prennent sur leur temps et leurs compétences pour organiser le sport dans notre pays. Ils le font quelquefois avec un certain nombre de limites, mais, pour la très grande majorité d’entre eux, avec une vraie passion : celle de développer le sport dans notre pays. Ils le font avec leurs moyens qui sont parfois limités.

D’autres fédérations bénéficient de rentrées financières plus importantes et ce sont peut-être celles-là qui doivent faire un certain nombre d’efforts, mais, encore une fois, je ne pense pas que ce soit au niveau national (peut-être faudrait-il le faire au niveau des fédérations internationales) qu’il faut chercher des dysfonctionnements ou une mauvaise volonté en matière de lutte antidopage.

Il faut des moyens. L’Etat et les collectivités en apportent certains et il faudra peut-être les développer ou les rendre plus efficaces, mais je ne pense pas que ce soient les fédérations nationales qui doivent être blâmées dans ce domaine.

Enfin, vous avez parlé du sport de masse. Pensez-vous vraiment que, sur 14 millions de licenciés, il y a 14 millions de champions ? Non, bien évidemment. Chacun n’aspire pas obligatoirement à la compétition et chacun pratique à son niveau, à son rythme et comme il l’entend. Je crois d’ailleurs que c’est ce qui fait la force du sport dans notre pays : il repose sur un socle associatif très présent, très puissant et très dynamique. Encore faut-il lui donner les moyens. C’est ce qui a été fait à travers la loi et les moyens mis à disposition des fédérations pour qu’elles puissent, elles aussi, lutter efficacement contre le dopage.

La deuxième question concernait l’évolution des prélèvements et des pourcentages d’analyses positives. Nous avonsun peu plus de 6 % de contrôles positifs sur les 8 000 contrôles effectués sur l’année 2002, avec une légère augmentation par rapport aux années précédentes : les contrôles positifs étaient de l’ordre de 4,5 % en 2001 et d’environ 4 % en 2000. On note donc une tendance à l’augmentation, mais elle n’est pas significative par rapport au volume global des contrôles qui sont effectués. Je précise qu’en 2000, nous avions eu 10 000 contrôles mais que le laboratoire fonctionnait en surcharge et ne pouvait pas assumer des délais satisfaisants : je vous ai parlé des plus de six mois d’attente pour les contrôles, ce qui n’était évidemment pas possible pour les fédérations et les athlètes concernés.

Nous avons donc une augmentation légère des contrôles positifs qui tient compte d’un certain nombre de produits qui sont désormais recherchés.

Vous vouliez savoir quels étaient les produits détectés les plus importants. En 2001, ce sont les cannabinoïdes, le salbutamol, les corticoïdes, les stimulants et les stéroïdes anabolisants, et nous avons retrouvé à peu près les mêmes proportions en 2002, si ce n’est que nous avons recherché systématiquement les corticoïdes, dont la détection est donc en forte augmentation. On retrouve donc toujours les cannabinoïdes, le salbutamol, les stimulants et les stéroïdes anabolisants.

Encore une fois, la recherche et les produits détectés sont assez similaires d’une année sur l’autre, en tout cas en ce qui concerne 2001 et 2002.

Vous m’avez aussi demandé quels étaient les nouveaux produits. On parle de l’hémoglobine réticulée et on commence à évoquer un dopage génétique, mais on est plus dans le domaine de la rumeur aujourd’hui que de procédés de dopage avérés. Vous savez que la rumeur court très vite. Cependant, il est vrai que l’on pourrait s’attendre un jour ou l’autre à trouver ce type de dopage.

Vous vous souvenez des auto-transfusions, qui faisaient fureur dans les années 70 et qui ont d’ailleurs encore eu cours ces dernières années. On peut toujours penser que l’on arrivera à une certaine forme de dopage génétique, ce que l’on ne peut que regretter, dans les années qui viennent, et il faudra donc trouver, comme cela a été le cas pour l’EPO, des procédures de détection de ces différents procédés ou nouvelles formules de dopage.

Le numéro vert correspond en fait à une sorte de call center, de centre d’appels et d’écoute qui est basé à Montpellier et qui est à l’initiative du professeur Bilard, de l’association "Formation, prévention recherche dopage", financée par le ministère des sports.

L’analyse du volume d’appels sur quatre années de fonctionnement permet de constater que, sur les 62 000 appels qui ont été acheminés, 34 000 ont été réceptionnés et donc traités d’une façon ou d’une autre, c’est-à-dire soit par de l’information, soit par du guidage vers les antennes médicales dont j’ai parlé tout à l’heure.

Je recevrai d’ailleurs très prochainement le professeur Bilard pour voir avec lui comment mieux faire connaître le numéro vert et mieux orienter les jeunes ou les parents des jeunes qui téléphonent vers les antennes médicales les mieux à même de traiter un certain nombre de dossiers et de problématiques liés au dopage.

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, si nous voulons avancer dans cette lutte antidopage, il faut le faire au niveau international, et plus particulièrement au niveau européen.

Le sommet de Copenhague a permis indéniablement de franchir une étape importante avec la rédaction du code mondial antidopage qui constitue maintenant un texte de référence. Ce texte devra évoluer. Je vous ai parlé des deux listes, de l’évolution des procédures et du mode d’organisation des contrôles sur les différents territoires, mais il est en tout cas important.

Quelle est la position des pays de l’Union européenne dans ce domaine ? Un certain nombre de pays, notamment la Hollande, refusent de voir inscrites les drogues sociales sur les listes de produits. C’est une position que nous connaissons et qui n’est pas nouvelle. Ils refusent de voir ces drogues sociales instituées dans les différentes listes au prétexte qu’il s’agit de comportements de type privé et non pas antisportif, ce qui nous pose des problèmes de mise en cohérence, au niveau européen, quant à une position efficace et commune dans ce domaine.

J’ai quand même bon espoir de convaincre l’ensemble de nos partenaires - cela a d’ailleurs été le travail de la présidence grecque pendant les six premiers mois de l’année 2003 - pour que nous puissions, à l’orée de l’année 2006, au travers d’une convention internationale sur l’ensemble du continent européens et des 25 pays de l’Union européenne, adopter le code mondial antidopage sous la forme qui a été présentée à Copenhague au début du mois de mars dernier. Nous avons donc encore beaucoup de travail pédagogique à faire.

Nous avons aussi à convaincre l’Etat américain à faire en sorte que les ligues privées et fermées, les ligues de basket ou de base-ball, qui fonctionnent en totale autonomie, puissent aussi intégrer ces procédures et ces contrôles antidopage dans leurs différents championnats.

Monsieur le Président Gouteyron, vous avez évoqué le texte de loi qui a été voté en 1999 et vous m’avez demandé mon sentiment à ce sujet. Vous savez de toute façon que ce texte est venu après d’autres textes en matière de lutte antidopage puisque nous ne partions pas d’une feuille blanche à ce sujet. Simplement, c’était ce texte qui avait été présenté après le chambardement de 1998.

Sur le papier, c’est un texte idéal parce qu’il fait référence aux quatre volets dont je vous ai parlé tout à l’heure : la prévention, les contrôles, la lutte contre les trafics et les sanctions.

Sur le terrain, il nous reste à effectuer un certain nombre d’aménagements. Par exemple, le décret sur le suivi médical n’est pas véritablement adapté à la problématique de terrain. En gros, on a un contenu du suivi médical qui ne tient compte ni du niveau de pratique des sportifs, ni des différents sports pratiqués. Vous en conviendrez : on ne fera pas le même suivi selon que l’on s’adresse à un gamin de 10 ans ou à un adulte, selon que l’on s’adresse à un sport comme l’escrime ou comme l’haltérophilie. Les comportements ou les différentes logiques de fatigue liée aux entraînements ou aux compétitions ne sont pas les mêmes.

Nous sommes donc en train d’élaborer des familles de sports et des réglementations par niveau de pratiques au sein des filières (filière pôle espoirs, filière pôle France, etc.) et d’établir un suivi étagé en fonction du niveau de pratique et du niveau de sport.

Concernant les contrôles, je répète qu’il est bon d’opérer, en premier lieu, un resserrement des procédures et, en deuxième lieu, de transférer peut-être les procédures de contrôle vers le CPLD, à terme, sur le plan international, avec la mise en place d’un certain nombre d’agences qui verront le jour aux niveaux européen et mondial. C’est un deuxième point que nous sommes en train de faire évoluer et qui pourra faire l’objet d’un certain nombre de transferts de compétences et de procédures dans les années qui viennent.

En troisième lieu, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je viens de signer le décret sur le trafic des produits dopants qui, bizarrement, n’était pas sorti depuis 1999. Je l’ai signé très récemment. Il sera au Journal officiel dans les prochains jours et nous permettra de mettre en place, au niveau régional, des commissions regroupant l’ensemble des services de l’Etat pour mettre en cohérence nos différentes informations et d’être plus efficaces dans ce domaine.

Mme la Présidente. - Monsieur le Ministre, nous vous remercions infiniment pour toutes les informations que vous nous avez données et qui vont nous permettre de faire avancer le travail de la commission.

Vous connaissant, je sais quelle valeur vous attachez au sport et quel honneur vous voulez rendre à tous les sportifs. Vous souhaitez effectivement qu’ils soient exemplaires et nous partageons votre volonté. Vous avez encore beaucoup de travail, mais je sais que vous êtes tout à fait convaincu. Nous vous souhaitons surtout beaucoup de courage et un plein succès.

M. Jean-François LAMOUR. - Merci, madame la Présidente.


Source : Sénat français