La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Boyon.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Nous allons vous laisser exposer sur un temps relativement court pour permettre ensuite que le débat s’ouvre à travers les questions de notre rapporteur et de mes collègues sénateurs membres de cette commission.

M. Michel BOYON - Combien de temps me laissez-vous pour cette intervention, madame la Présidente ?

Mme la Présidente - Si cela pouvait durer une dizaine de minutes, ce serait parfait. Je vous donne très volontiers la parole.

M. Michel BOYON - Je vous remercie, madame la Présidente. Je tiens tout d’abord à vous dire que je suis très sensible à l’honneur qui m’est fait par votre commission de m’avoir invité à m’exprimer devant elle.

C’est un sujet dont vous avez déjà entendu parler par le ministre des sports il y a quelque temps et je ne reviendrai donc pas sur ce qu’il a pu dire.

Je commencerai par préciser ce qu’est le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage que j’ai l’honneur de présider. Il a été créé par une loi de 1999 qui a été votée au Sénat à l’unanimité, comme d’ailleurs à l’Assemblée nationale, et le Sénat avait pris une très grande part à la rédaction du texte, puisque la plupart des articles sont issus d’amendements qui avaient été élaborés par le Sénat lui-même.

C’est un organisme qui a le statut d’autorité administrative indépendante et qui ne dépend donc d’aucun ministère ni d’aucun gouvernement. Aussi bien par les conditions de nomination des membres que par ses règles de fonctionnement, cette indépendance est réelle et les quelques années de pratique que j’ai aujourd’hui me permettent tout à fait de le confirmer.

Le Conseil, que l’on a pris l’habitude fâcheuse de désigner par ses initiales, le CPLD, est un établissement qui, comme son nom l’indique, a une double mission.

La première est une mission de prévention du dopage qu’il exerce de plusieurs manières, notamment en essayant de favoriser des initiatives, parce que beaucoup de personnes et d’acteurs peuvent intervenir dans la prévention du dopage, depuis les pouvoirs publics et le mouvement sportif lui-même, bien sûr, jusqu’aux collectivités locales, aux établissements d’enseignement, aux professions de santé et aux médias aussi.

Nous nous efforçons également de lancer des programmes, et je me permettrai de revenir de manière plus précise sur l’un d’entre eux parce qu’il interfère très directement avec le sujet sur lequel votre commission a réfléchi.

Nous avons enfin une activité de recherche scientifique, puisque nous avons la charge de coordonner la recherche scientifique fondamentale et appliquée en ce qui concerne la médecine du sport, et non pas seulement sur le dopage, et que nous lançons nous-mêmes des projets de recherche.

Deuxièmement, nous sommes également une autorité disciplinaire. Nous exerçons un pouvoir disciplinaire qui se traduit par l’interdiction faite à un sportif de participer temporairement ou définitivement à des compétitions sportives sur le territoire national, puisque, par définition, notre juridiction ne va pas au-delà des frontières. Nous exerçons ce pouvoir de deux manières.

Lorsqu’il s’agit de sportifs licenciés d’une fédération française sportive, nous intervenons en complément de l’action de la fédération, qui est responsable en première ligne, et le Conseil n’intervient que si la fédération n’a pas statué dans les délais, certes très courts, qui lui sont assignés par la loi, ou bien s’il estime (nous pouvons le faire de notre propre initiative) que les commissions disciplinaires fédérales n’ont pas bien fonctionné, n’ont pas respecté les droits de la défense, se sont trompés sur l’interprétation des analyses ou ont infligé une sanction qui nous paraît inappropriée, soit parce qu’elle est trop grave, soit parce qu’elle est trop bénigne.

En ce qui concerne les sportifs qui ne sont pas licenciés d’une fédération sportive, principalement les sportifs licenciés d’une fédération étrangère, c’est nous qui conduisons directement la procédure disciplinaire, puisque la fédération française ne peut évidemment rien faire à leur égard.

Voilà les principales attributions du CPLD qui existe depuis le printemps 1999. L’accent est mis par les médias davantage sur son action disciplinaire parce que c’est la plus spectaculaire, mais, dans notre esprit, le plus important reste la prévention, l’information et la sensibilisation, notamment celle des jeunes, qu’il s’agisse de jeunes sportifs ou de jeunes qui pourraient, un jour ou l’autre, consacrer une partie de leur vie au sport.

La question de la toxicomanie par rapport à celle du dopage est souvent à l’origine de confusions. La première peut s’expliquer par le fait qu’un certain nombre de produits considérés comme dopants sont aussi des produits stupéfiants.

Je rappelle qu’une liste internationale a été établie par le Comité international olympique et l’Agence mondiale anti-dopage, liste qu’en vertu d’une convention du Conseil de l’Europe, la France est obligée d’accepter et de transcrire dans son droit interne. Il s’agit de la liste des produits dopants dont l’usage est interdit ou soumis à restriction.

Sur cette liste, on trouve un certain nombre de produits stupéfiants, dont le cannabis, qui a représenté en 2002 près de 27 % des contrôles anti-dopage positifs, mais on y trouve aussi la cocaïne et la morphine. C’est la première raison du rapprochement ou de cette confusion entretenue entre le dopage et la toxicomanie.

Deuxièmement, il est vrai que le comportement des sportifs qui se dopent de manière usuelle présente des apparentements avec le comportement d’une personne qui se drogue. On constate en particulier des phénomènes d’accoutumance et de sevrage que l’on trouve dans les mêmes conditions pour le sportif dopé et le toxicomane.

Il est vrai aussi (nous avons eu malheureusement quelques exemples célèbres) que des sportifs qui ont pratiqué desdisciplines dans lesquelles le dopage est culturellement assez répandu, se sont retrouvés toxicomanes après avoir arrêté la compétition.

Il est vrai enfin qu’il existe dans les deux cas, la toxicomanie et le dopage, le volet "trafic" qui est comparable en apparence. En effet, on peut se dire que les mauvais fonctionnements de professionnels de la santé, les envois qui sont faits à la suite de commandes pratiquées sur Internet et les vols commis dans les pharmacies hospitalières peuvent se traduire aussi bien dans des conduites de toxicomanie que dans des conduites dopantes.

Cependant, au-delà de cette apparence, il y a une vraie différence entre la toxicomanie et le dopage, du moins le dopage répété, ce qui n’interdit pas pour autant la lutte contre le dopage d’être aussi, d’une certaine manière, au service de la lutte contre la toxicomanie.

Le premier point que je voudrais souligner à cet égard, c’est que, le plus souvent, quand un sportif est contrôlé positifà un produit dopant qui est en même temps un produit stupéfiant, on s’aperçoit que ce n’est pas pour améliorer la performance qu’il l’a utilisé. Pour la morphine et la cocaïne, il est vrai qu’il y a parfois des liens, mais c’est pour le cannabis que les choses sont les plus évidentes : la quasi-totalité ou la très grande part des consommations de cannabis que l’on trouve chez les sportifs sont en fait des consommations de type ludique qui ne sont pas spécialement destinées à l’amélioration de la performance. Il est vrai que, dans un certain nombre d’activités sportives, l’effet désinhibiteur du cannabis peut aider la performance. On l’a dit pour les gardiens de but, pour certains joueurs de tennis ou pour le tir à l’arc, mais en même temps, le cannabis peut avoir sa contrepartie du fait d’une moindre vigilance. Il faut vraiment avoir des protocoles extrêmement savants pour connaître le bon moment d’utiliser le cannabis avant la compétition.

En revanche, la très grande majorité des produits dopants ne sont pas des stupéfiants, qu’il s’agisse de stimulants, d’anabolisants, de produits diurétiques, de corticoïdes, de l’hormone de croissance ou de l’EPO, c’est-à-dire de l’essentiel des produits dopants qui figurent sur la liste internationale qui est appliquée en France.

Deuxièmement, les motivations sont très différentes. Nous avons rencontré à de nombreuses reprises des spécialistes de la toxicomanie qui nous ont tous tenu à peu près le même discours consistant à dire que la toxicomanie est plutôt une fuite, qui peut s’expliquer par différents motifs alors qu’on sait bien que le dopage est un comportement inverse, qu’il correspond plutôt à la volonté de s’affirmer pour gagner de l’argent ou simplement pour être le premier, pour la gloriole, c’est-à-dire qui vise à exprimer sa supériorité.

Cette différence dans la motivation du recours au dopage ou du recours à la toxicomanie doit avoir des conséquences sur la manière dont on essaie d’adresser des message.

Troisièmement, il faut faire attention à une idée que l’on répand un peu trop largement sur le thème : "les anciens sportifs dopés sont des toxicomanes. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons des exemples fâcheusement célèbres, mais nous ne disposons pas de statistiques réellement fiables sur ce sujet et je crois donc qu’il faut être extrêmement prudent. Le risque existe, mais c’est tout ce qu’on peut dire.

En ce qui concerne le volet du trafic, que j’évoquais tout à l’heure, il se trouve que le CPLD a eu, hier, l’occasion d’entendre un membre de la brigade des stupéfiants de la préfecture de police, qui nous a expliqué qu’au-delà de l’apparence dans les filières et les réseaux de trafic de produits dopants et de stupéfiants, il y avait en réalité des différences assez sensibles. Les pratiques peuvent être les mêmes, mais les réseaux sont quand même bien cloisonnés, ne serait-ce que parce que le marché n’est pas le même : le marché des produits dopants reste très mineur, aujourd’hui, par rapport à celui de la toxicomanie.

Du fait de la différence dans les motivations, il faut bien insister sur le fait que les messages ne sont pas du tout les mêmes. Nous réfléchissons beaucoup, depuis trois ans, sur le message qu’il convient d’adresser aux sportifs, notamment aux jeunes sportifs, pour les détourner de l’usage des produits dopants, car il est très difficile à faire passer.

Il faut bien reconnaître que le message sur le risque pour la santé, le risque immédiat et le risque à terme passe mal. En effet, quand on a 18 ans, les risques que l’on court vingt ans plus tard paraissent bien éloignés et bien aléatoires. De même, le message sur la tricherie passe chez ceux qui ont envie de l’entendre et non pas chez les autres. En tout cas, les messages (j’utilise le pluriel parce qu’il faut les adapter aux différentes catégories de dopage ou de risques de dopage que l’on peut rencontrer) sont très différents de ceux de la toxicomanie.

Pour autant, la lutte contre le dopage peut être, d’une certaine manière, une contribution à la lutte contre la toxicomanie, et je voudrais signaler trois points à cet égard.

Le premier, qui hérisse beaucoup le CPLD aujourd’hui, est le fait que, depuis deux ans, la liste des produits dopants comporte deux parties. La première, la liste longue ou la liste normale, est le récapitulatif de tout ce qui est interdit au moment des contrôles en compétition.

Cela étant, les contrôles anti-dopage ne sont pas seulement effectués à l’issue de la compétition mais aussi à l’entraînement. Or, depuis deux ans, sous l’influence — il faut bien le dire — de pays anglo-saxons et de pays de l’Europe du nord, on a bâti, pour les contrôles anti-dopage effectués hors compétition, une liste très restreinte. De ce fait, un certain nombre de produits tels que les cannabinoïdes, par exemple, peuvent être librement utilisés à l’entraînement ou, en tout cas, ne donnent pas lieu à sanctions disciplinaires s’il y a contrôle positif le jour de l’entraînement, ce qui n’est pas le cas le jour de la compétition.

Cette distinction est absurde sur le plan scientifique et médical parce que l’usage de ces produits fausse la performance. Il permet d’améliorer la performance le jour de la compétition et même de s’entraîner dans des conditions artificielles, ce qui fait que, le jour de la compétition, on aura été artificiellement, et donc par tricherie, mieux préparé que les autres sportifs.

Plus encore que cet aspect scientifique et médical, je tiens à préciser que cette distinction nous paraît vraiment absurde et scandaleuse sur le plan éthique et sportif parce que c’est reconnaître implicitement qu’un sportif peut prendre de la cocaïne entre deux matches, que cela n’a pas d’importance et que, du coup, lorsqu’il s’agit de sportifs qui sont connus, on peut se demander ce que devient la vertu d’exemplarité du sport.

Deuxièmement, le CPLD a constitué il y a environ un an une commission de réflexion prospective sur le dopage pour essayer d’anticiper les choses, de casser cette espèce de course du voleur et du gendarme à laquelle nous sommes confrontés depuis des années dans le monde du dopage. Cette commission a pris en compte l’étude de la toxicomanie et des conséquences toxicomaniaques de l’usage de produits dopants. Parmi ses membres, nous avons une personnalité scientifique de très haut niveau, le Dr William Lowenstein, qui nous apporte son concours.

Enfin, avant de conclure, pour illustrer de manière concrète la manière dont la lutte contre le dopage peut aussi contribuer à la lutte contre la toxicomanie, je précise que, l’année dernière, le CPLD a lancé un important programme de sensibilisation destiné aux jeunes des sections sportives scolaires. Cela concerne environ 50 000 à 60 000 jeunes qui constituent la pépinière de ceux qui seront, demain, sportifs de haut niveau, dirigeants ou managers de clubs, gestionnaires d’équipement sportif, entraîneurs, professeurs de sport, etc. C’est donc la population la plus directement concernée par le risque du dopage.

C’est ainsi que nous avons lancé, avec le soutien de la Communauté européenne, un programme important (son coût s’élève à plus d’un million d’euros) qui est étalé sur quatre ans et qui repose sur un ensemble de trois conférences interactives conduites dans les classes, pendant les heures de cours, par des intervenants extérieurs qui sont spécialement formés à cet effet et qui interviennent à la demande d’un professeur, généralement le professeur d’éducation physique et sportive, mais éventuellement un professeur de sciences de la vie ou éventuellement un professeur d’instruction civique ou de français.

Il ne s’agit pas de conférences formelles au cours desquelles un message est délivré mais d’un travail interactif qui est poursuivi avec un outil audiovisuel de grande qualité à partir duquel les élèves doivent entreprendre un travail de réflexion individuelle qui devient ensuite un travail collectif devant déboucher sur une sorte de charte de la classe, les meilleures de ces chartes étant destinées à figurer sur le site du CPLD.

C’est ainsi que des questions sont posées aux intervenants sur la drogue, ce qui fournit aussi l’occasion, en essayant de détourner les jeunes de l’usage de produits qui sont à la fois dopants et stupéfiants, de les détourner de la toxicomanie. Je dois dire que ces conférences remportent un réel succès, qu’elles fonctionnent sur le bouche à oreille, et que nous avons un peu de mal à faire face à la demande.

J’espère, madame la Présidente, ne pas avoir trop dépassé le temps que vous m’aviez imparti.

Mme la Présidente - Nous vous remercions de cet exposé particulièrement intéressant et recherché. M. le Rapporteur va avoir un certain nombre de questions à vous poser.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Merci, monsieur le Président. J’ai quelques petits points que je voudrais vous entendre évoquer pour une meilleure connaissance du sujet.

Quels sont les sports les plus touchés et, inversement, y a-t-il des sports qui sont particulièrement épargnés ? Par ailleurs, avez-vous le taux des contrôles positifs ?

M. Michel BOYON - Le taux des contrôles positifs était de 7 % l’an dernier. Il est en augmentation, mais il ne faut absolument rien en déduire. Il y a simplement moins de vices de procédure aujourd’hui parce que les médecins qui sont chargés de faire les contrôles sont mieux formés et se laissent moins facilement manipuler et parce qu’on recherche des produits qu’on ne recherchait pas auparavant, soit parce qu’on ne voulait pas les chercher (c’est le cas des corticoïdes), soit parce qu’on ne savait pas les détecter.

Par conséquent, l’augmentation n’est pas significative et il faut vraiment se garder de toute conclusion hâtive à ce sujet.

En revanche, en vous disant qu’il y a 7 % de contrôles positifs, je suis incapable de vous dire si cela signifie que 7 % des sportifs français sont dopés ou non. Il y en a peut-être beaucoup plus, parce qu’on ne sait pas détecteur certains produits, ou beaucoup moins, parce que les contrôles ne sont pas pratiqués sur des sportifs qui constitueraient un échantillon particulièrement représentatif de la communauté sportive.

Les sports les plus touchés sont traditionnellement le cyclisme (cela dure depuis bien longtemps, depuis les premiers Tours de France, au début du XXe siècle, où des cas de dopage ont été constatés ; il faut le dire : il y a une véritable culture du dopage, encore aujourd’hui, malheureusement, dans le monde du cyclisme) et l’haltérophilie. Pour autant, aucun sport n’est épargné. Chaque année, nous avons des contrôles positifs, notamment, en tir à l’arc, en boule, en badminton, c’est-à-dire des disciplines qui paraissent secondaires. Cela dit, les pourcentages de contrôles positifs sont plus faibles et la vérité oblige à reconnaître que les produits utilisés sont souvent moins dangereux que ceux qui sont utilisés dans d’autres sports.

Ce qui me préoccupe beaucoup, c’est la professionnalisation. Nous avons sous les yeux ce phénomène aujourd’hui avec le rugby. La professionnalisation est la plus grande tentation qui puisse exister pour le dopage, parce que le sportif professionnel doit, sur un nombre d’années qui a plutôt tendance à se restreindre, essayer d’emmagasiner, disons-le crûment, le maximum d’argent. En même temps, il y a la pression de l’investisseur et du club qui joue dans le même genre : il faut que la star soit opérationnelle toute l’année, qu’elle ne soit jamais malade ni blessée et qu’elle récupère le plus rapidement possible.

La professionnalisation nous fait peur. Des sports sont professionnels depuis plus longtemps. Nous avons assisté à des épidémies de nandrolone qui ont eu lieu en Italie et qui ont eu également lieu probablement en France, mais à un moment où nous étions nettement moins vigilants en ce qui concerne les contrôles, époque qui est peut-être aujourd’hui dépassée.

Dans des sports comme le tennis, il y a également certainement du dopage, mais le sport qui nous préoccupe le plus aujourd’hui est vraiment le rugby, à la fois du fait du phénomène de mondialisation, qui fait que les joueurs jouent de plus en plus dans d’autres pays que ceux dont ils ont la nationalité, et du fait de la professionnalisation, qui est une tentation très forte.

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, vous avez parlé des sanctions que vous pouviez prononcer. Quelles sont les voies de recours contre ces sanctions ?

M. Michel BOYON - Elles sont définies par la loi : c’est un recours devant le Conseil d’Etat. Jusqu’à présent, nous avons eu beaucoup de chances puisque, sur plus de 250 décisions rendues, nous avons dû avoir trois recours devant le Conseil d’Etat.

M. le Rapporteur - J’ai une question à vous poser sur l’innocence relative mais peut-être réelle (c’est ma candeur naturelle qui me pousse à le supposer) de sportifs qui prennent des produits dopants quelquefois sans le savoir vraiment. N’y a-t-il pas souvent un entourage très important et manipulateur qui conduit le sportif, avec son agrément ou non et sans qu’il est en ait vraiment connaissance, en particulier le jeune sportif, à prendre des produits illicites ? Les médecins, les entraîneurs, les sponsors, les médias n’exercent-ils pas une influence décisive sur des gens qui, souvent jeunes, sont particulièrement influençables et particulièrement innocents ?

M. Michel BOYON - Votre question comporte deux points, monsieur le Rapporteur.

Le premier concerne le sportif complètement innocent. C’est un discours que j’étais prêt à admettre il y a encore quelques années, mais plus aujourd’hui. Il est vrai que beaucoup de gens, aujourd’hui, achètent par Internet et reçoivent par colis postaux des produits qui sont présentés sur le Net comme étant énergisants, qui leur permettent de mieux récupérer, mais qui peuvent comporter des substances dopantes extrêmement dangereuses, notamment de la nandrolone, sans que ce soit écrit nécessairement sur la boîte.

Autant le sportif occasionnel ou celui qui est vraiment très éloigné du monde de la compétition peut encore aujourd’hui, malgré les nombreuses mises en gardes qui ont été adressées, se laisser piéger, autant c’est un discours qu’il devient de plus en plus difficile d’admettre pour les sportifs de haut niveau, qui sont censés être très sensibilisés à cette question. Quand un sportif de haut niveau vient dire aujourd’hui : "j’ai pris tel ou tel complément alimentaire ou supplément nutritionnel que j’ai acheté en Belgique ou en Andorre ou que j’ai commandé par Internet sans savoir qu’il était dangereux", c’est un discours que nous n’acceptons plus parce qu’on en a suffisamment parlé depuis deux ou trois ans.

Deuxièmement, comment s’opère le début du processus de dopage, la tombée dans la marmite ? Il y a un très grand nombre de cas, mais en général, d’après ce que nous pouvons savoir grâce aux études qui ont été réalisées sur le sujet, ce n’est normalement pas une démarche ou une demande du jeune sportif lui-même mais plutôt une sollicitation qui passe souvent par les camarades d’entraînement. On dit un jour : "j’ai pris tel produit et je me suis senti beaucoup mieux : je suis allé plus vite, j’ai sauté plus haut, etc." C’est malheureusement un cas assez répandu qui implique tous les inconvénients que l’on peut imaginer : non seulement le produit dopant est dangereux, mais quand il s’associe à l’auto-médication, cela peut devenir terrible.

Pour le reste, certains médecins ont contribué à des pratiques et doivent encore le faire aujourd’hui. Pour autant, il ne faut pas assimiler les médecins du sport à des médecins dopeurs parce que cela ne correspondrait absolument pas à la réalité des choses. Certains entraîneurs commencent souvent par donner une barre chocolatée à un jeune sportif en lui disant de la prendre s’il est fatigué, après quoi l’habitude se crée. Bien souvent, ces produits ont des effets placebo sur la performance immédiate, mais le jeune sportif, qui est prêt à croire beaucoup de choses et qui est très angélique, finit par se dire que, s’il le prend, c’est que cela lui apporte quelque chose et, de fil en aiguille, on a recours à des produits plus élaborés, voire à des processus ou des protocoles de dopage très savants.

Nous avons le cas à l’heure actuelle en Italie, où un procès est mené contre un médecin italien soupçonné d’avoir pratiqué un dopage de très haute qualité sur des très grands sportifs, et il est vrai que ce qui a été découvert chez lui sur ses protocoles scientifiques de dopage est ahurissant.

Les familles sont parfois coupables. Les parents qui s’imaginent que leur rejeton a toutes les vertus pour devenir le champion de demain peuvent également -nous en avons eu des exemples concrets— être un facteur de tentation.

M. le Rapporteur - Hélas... Merci, monsieur le Président.

Mme la Présidente - M. Paul Girod a une question à vous poser, monsieur le Président.

M. Pau GIROD - Monsieur le Président, vous avez évoqué tout à l’heure la fameuse liste européenne avec un petit regret dans la voix, en disant que vous aviez été obligé de la subir, et nous en avons eu un début d’explication ensuite puisque vous avez parlé de la liste longue et de la liste courte.

Cela m’amène à vous poser une question au sujet de l’Europe. Alors que, sur le plan des stupéfiants, nous savons bien que l’attitude des pays est différente de l’un à l’autre, y a-t-il également des différences en matière de dopage et retrouve-t-on des pays plus laxistes sur la liste que nous avons plus ou moins en tête, au premier rang desquels figurent les Pays-Bas, en matière de souplesse vie à vis du dopage ? Pouvez-vous également faire des rapprochements entre les deux ?

M. Michel BOYON - Malheureusement, il y a effectivement un classement à faire dans la détermination des pays européens, même si ce n’est pas très plaisant. Il y a en gros trois groupes.

Les premiers sont les pays qui ont vraiment envie que les choses changent et qui ne sont pas nécessairement les plus grands. Je range la France parmi eux parce qu’elle a eu un rôle moteur dans ce domaine depuis plusieurs années, mais il est vrai que l’Irlande et le Portugal y sont aussi très attentifs.

Nous avons ensuite un petit magma de pays qui se sentent bien obligés de suivre le mouvement parce qu’il y a, chez eux, une forte pression médiatique ou parce que l’opinion publique s’insurge de temps en temps contre certaines choses.

Enfin, il y a des pays dans lesquels on traîne délibérément les pieds. Je dois dire que l’Espagne, notamment, est un sujet de préoccupation, parce que c’est le pays qui, dans les discussions européennes, est souvent celui qui ne souhaite pas que les choses changent.

Malgré tout, il y a aujourd’hui une certaine prise de conscience en Europe. Depuis quatre ans, la concertation européenne a abouti parfois à des prises de décision ou de position communes. De toute manière, à cause de la mondialité du sport, une lutte contre le dopage ne peut pas être purement nationale. En revanche, il est tout à fait concevable que des pays soient plus vigilants que d’autres et se fixent un degré d’exigences plus élevé pour essayerd’entraîner les autres pays avec eux.

Sur le plan européen, très franchement, la situation est meilleure aujourd’hui qu’il y a quelques années, bien que le Traité de Rome ne comporte pas d’article sur le sport. Par le biais de la santé publique et aussi parce que la commissaire européenne a été assez en pointe sur le sujet, les pays européens ont été obligés de travailler ensemble.

M. Paul GIROD - Où mettez-vous les Pays-Bas dans votre liste ?

M. Michel BOYON - Je les mets plutôt dans le troisième groupe, monsieur le Sénateur.

Mme la Présidente - Monsieur le Président, nous vous remercions infiniment. Croyez bien que votre contribution va enrichir nos travaux.


Source : Sénat français